Palestine
Pluie de bombes sur Gaza :
Un Palestinien témoigne
Silvia Cattori
Dimanche 13 juillet 2014
Le témoignage
de ce père de famille palestinien
résidant au nord-est de Gaza a été
recueilli par Silvia Cattori le 11
juillet 2014. Nous préservons son
anonymat pour des raisons évidentes de
sécurité.
Silvia Cattori :
Que se passe-t-il dans votre
quartier, vous sentez-vous menacés ?
Réponse :
Les Israéliens viennent de détruire la
maison d’un Palestinien qu’ils
détiennent en prison. C’est
malheureusement leur manière de faire.
Notre maison n’a pas été bombardée
jusqu’ici, mais le danger est toujours
présent. Les Israéliens sont en train de
bombarder tout ce qu’ils avaient déjà
bombardé pendant la guerre de 2008-2009
et celle de 2012, c’est-à-dire tout ce
qui avait été reconstruit.
Silvia Cattori :
Ici, les gens me demandent :
pourquoi le Hamas lance-t-il des
roquettes qui ne font aucun mal à Israël
et lui donnent le prétexte de vous
massacrer ?
Réponse : Je
comprends que certains puissent se poser
cette question. Mais, premièrement, ce
n’est pas le Hamas qui attaque les
Israéliens ; il réagit contre les
actions des Israéliens. Deuxièmement,
aujourd’hui le Hamas – et les
Palestiniens de la bande de Gaza –
considèrent qu’ils n’ont plus rien à
perdre. Ils sont bouclés par l’Egypte et
par Israël. Ils ne peuvent aller nulle
part, ils sont dans une prison. Les
choses ont beaucoup changé depuis votre
venue à Gaza en 2012. Plus de
marchandises, plus de travail. L’arrivée
de Sissi au pouvoir en Egypte a été le
début du siège total de Gaza.
Silvia Cattori :
Mais vous étiez déjà assiégés
avant l’arrivée de Sissi au pouvoir …
Réponse :
Avant, les tunnels permettaient de
briser le siège. Sissi a bouclé tous les
tunnels qui restaient. Il n’y a ainsi
plus aucune chance de trouver du travail
à Gaza. En Cisjordanie, depuis les
accords passés avec le Hamas en 2012
lors de l’échange du soldat Shalit,
Israël a remis en prison 80% des
prisonniers palestiniens qu’ils avaient
libérés. Ici à Gaza ils seront, ou bien
assassinés, ou bien repris si l’armée
israélienne pénètre à Gaza. Ce sont les
Israéliens qui ont commencé cette guerre
et le Hamas n’avait pas d’autre choix
que de riposter. Maintenant, avec ses
roquettes, j’espère que c’est lui qui
tient la décision d’arrêter ou non.
J’espère qu’il garde ce pouvoir et qu’il
obtienne ce qu’il veut, c’est-à-dire
notre liberté, notre dignité.
Silvia Cattori :
Vous n’êtes pas membre du Hamas.
Quand vous dites « le Hamas n’a plus
rien à perdre », vous considérez que
c’est toute la population de Gaza qui
ressent les choses comme cela ?
Réponse :
Cen’est pas toute la population mais
c’est en tous cas plus de la moitié.
Dans mon cas j’ai un travail, mais je
suis étranglé par ce siège. Je vois mon
frère, ma sœur, mon cousin qui sont tous
étranglés par ce blocus. Ma femme ne
peut pas rendre visite à sa famille en
Jordanie. On ne fait pas partie du
Hamas, mais on est tous en train de
souffrir.
Silvia Cattori :
Pour vous ces roquettes sont
importantes même si vous devez en payer
le prix ?
Réponse :
Nous avons déjà payé le prix. A chaque
guerre nous avons dû payer le prix, mais
toujours en espérant qu’un jour on
arrivera à obtenir quelque chose.
Silvia Cattori :
Il y a eu une union entre le
Fatah et le Hamas. Comment
considérez-vous cette union depuis Gaza
alors que le Fatah collabore avec Israël
pour affaiblir le Hamas en Cisjordanie ?
Réponse : Je
crois que le Hamas était « obligé » de
faire cette réconciliation et d’entrer
dans ce projet de Gouvernement d’union
nationale parce que, vu la situation
dans le Golfe et en Egypte, presque
toutes ses sources de financement sont
maintenant asséchées.
Malheureusement,
jusqu’ici, ces accords ne sont pas
appliqués : le premier ministre est basé
en Cisjordanie et jusqu’à présent il n’a
pas visité la bande de Gaza. En plus il
y a maintenant une crise entre le
premier ministre du Gouvernement d’union
et le Hamas en ce qui concerne le
salaire des employés du Hamas. Toutes
les banques de Gaza ont été fermées par
le Hamas jusqu’à ce que ses employés
touchent leur salaire, et le ministre [à
Ramallah] ne va pas transférer le
moindre shekel avant une « révision de
leurs dossiers pour voir s’ils méritent
leur poste ». Cette réconciliation était
un piège pour le Hamas. Il pensait
régler la question des salaires de ses
employés. Résultat, il n’a rien obtenu,
ni le gouvernement ni les salaires. La
situation est extrêmement grave. Les
banques fermées depuis 5 à 6 jours, cela
signifie des millions de shekels
immobilisés ; les marchands ne peuvent
ni payer ni recevoir leurs marchandises,
l’ensemble des employés n’ont pas touché
leur salaire – aussi bien ceux du Fatah
que ceux du Hamas. Et on entre dans une
guerre dont personne ne sait comment
elle va finir.
Silvia Cattori :
A Gaza, face à cette nouvelle
agression les gens du Fatah et du Hamas
sont-ils unis ?
Réponse : La
seule chose positive dans cette
situation est que les militants sont
unis. Les lancements de roquettes sont
apparemment coordonnés.
Silvia Cattori :
Les bombardements de l’armée
israélienne sont-ils ciblés ou
aveugles ?
Réponse :
Plus de la moitié des frappes sont des
frappes aveugles. Beaucoup de maisons où
il n’y avait aucun militant ont été
bombardées, tuant et blessant beaucoup
de gens, tous civils. Et entre le
soi-disant « avertissement » et la
frappe, les habitants n’ont généralement
pas le temps de se sauver. Les
Israéliens ne veulent pas seulement
détruire le Hamas. Ils veulent nous
détruire sur le plan économique et
humain. Mais leurs bombardements ont
plutôt l’effet d’unir la population
autour de la résistance et du Hamas. Les
gens se disent : au moins, on ne se
laisse pas humilier sans réagir. Et tout
le monde sait que Mahmoud Abbas ne
réagira pas comme un Palestinien, mais
comme un diplomate qui veut seulement
sauvegarder ses privilèges et qui n’a
jamais rien obtenu pour les
Palestiniens.
Silvia Cattori :
Et les enfants, comment
vivent-ils tout cela ?
Réponse :
Ils sont très choqués. Beaucoup ont
recommencé à faire pipi au lit. Ils sont
terrorisés par le bruit des
bombardements.
Propos
recueillis par Silvia Cattori, le 11
juillet 2014
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