Historique de la procédure (par. 1‑12)
La Cour rappelle tout d'abord que le 10 décembre 2003
le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies
a officiellement communiqué à la Cour la décision prise par
l'Assemblée générale de lui soumettre la question pour avis
consultatif énoncée dans sa résolution ES‑10/14,
adoptée le 8 décembre 2003 lors de sa dixième session
extraordinaire d'urgence. La question est la suivante :
«Quelles sont en droit les conséquences de l'édification du mur
qu'Israël, puissance occupante, est en train de construire dans
le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et
sur le pourtour de Jérusalem‑Est, selon ce qui est exposé
dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles
et des principes du droit international, notamment la quatrième
convention de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à
la question par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale ?»
La Cour donne ensuite un bref aperçu de l'historique de la procédure.
Questions de compétence (par. 13‑42)
Au début de son raisonnement, la Cour fait observer que,
lorsqu'elle est saisie d'une demande d'avis consultatif, elle doit
commencer par déterminer si elle a compétence pour donner l'avis
demandé et, dans l'affirmative, s'il existe une quelconque raison
pour elle de refuser d'exercer une telle compétence.
La Cour se penche en premier lieu sur la question de savoir si
elle a compétence pour donner l'avis consultatif. Elle relève
premièrement que la compétence de la Cour en la matière est
fondée sur le paragraphe 1 de l'article 65 de son
Statut, aux termes duquel la Cour «peut donner un avis
consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout
organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des
Nations Unies ou conformément à ses dispositions à
demander cet avis», et deuxièmement que l'Assemblée générale,
qui demande l'avis consultatif, est autorisée à le faire en
vertu du paragraphe 1 de l'article 96 de la Charte, qui
dispose que «[l]'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité
peut demander à la Cour internationale de Justice un avis
consultatif sur toute question juridique». Comme elle l'a
fait parfois dans le passé, la Cour se penche ensuite sur la
relation entre la question qui fait l'objet de la requête pour
avis consultatif et les activités de l'Assemblée. Elle
observe à ce sujet que l'article 10 de la Charte a conféré
à l'Assemblée générale une compétence à l'égard de «toutes
questions ou affaires» entrant dans le cadre de la Charte, et que
le paragraphe 2 de l'article 11 lui a spécifiquement
donné compétence à l'égard de «toutes questions se rattachant
au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont
elle aura été saisie par l'une quelconque des Nations Unies…»
et pour faire des recommandations sous certaines conditions posées
dans ces deux articles. Elle note que la question de la
construction du mur dans le territoire palestinien occupé a été
soumise à l'Assemblée générale par un certain nombre d'Etats
Membres dans le cadre de sa dixième session extraordinaire
d'urgence, convoquée pour examiner ce que l'Assemblée, dans sa résolution ES‑10/2
du 25 avril 1997, avait considéré comme constituant
une menace à la paix et à la sécurité internationales.
Après avoir rappelé la chronologie des événements qui ont
conduit à l'adoption de la résolution ES‑10/14, la
Cour aborde la première question de compétence soulevée en la
présente espèce. Israël a prétendu que, compte tenu du rôle
actif joué par le Conseil de sécurité à l'égard de la
situation au Moyen‑Orient, y compris la question
palestinienne, l'Assemblée générale avait outrepassé la compétence
que lui confère la Charte, sa demande d'avis consultatif n'ayant
pas été conforme au paragraphe 1 de l'article 12 de la
Charte, qui dispose que : «Tant que le Conseil de sécurité
remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation
quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente
Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune
recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que
le Conseil de sécurité ne le lui demande.» La Cour, tout
en faisant observer qu'une requête pour avis consultatif ne
constitue pas une «recommandation» de l'Assemblée générale «sur
[un] différend ou [une] situation», au sens de l'article 12,
n'en juge pas moins opportun d'examiner le sens qu'il convient de
donner à cet article, compte tenu de la pratique des Nations Unies.
Elle note que, en vertu de l'article 24 de la Charte, le Conseil
de sécurité a «la responsabilité principale du maintien de la
paix et de la sécurité internationales» et que le
Conseil de sécurité et l'Assemblée générale interprétèrent
et appliquèrent l'un et l'autre, dans un premier temps, l'article 12
comme faisant obstacle à ce que l'Assemblée puisse formuler des
recommandations sur une question relative au maintien de la paix
et de la sécurité internationales restant inscrite à l'ordre du
jour du Conseil, mais que cette interprétation de l'article 12
a évolué par la suite. La Cour prend acte d'une interprétation
de ce texte donnée par le conseiller juridique de l'Organisation
des Nations Unies lors de la vingt‑troisième session
de l'Assemblée générale et d'une tendance croissante à voir
l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité examiner
parallèlement une même question relative au maintien de la paix
et de la sécurité internationales. Elle considère que la
pratique acceptée de l'Assemblée, telle qu'elle a évolué, est
compatible avec le paragraphe 1 de l'article 12; elle
est en conséquence d'avis que l'Assemblée générale, en
adoptant la résolution ES‑10/14 portant demande d'un
avis consultatif de la Cour, n'a pas enfreint les dispositions du
paragraphe 1 de l'article 12 de la Charte. Elle
conclut que, en présentant la demande d'avis consultatif,
l'Assemblée générale n'a pas outrepassé sa compétence.
La Cour rappelle qu'il a cependant été soutenu devant elle que
la demande ne satisfaisait pas aux conditions essentielles énoncées
dans la résolution 377 A (V), au titre de laquelle
la dixième session extraordinaire d'urgence a été convoquée
et a poursuivi ses travaux.
Aux termes de la résolution 377 A (V) :
«dans tout cas où paraît exister une menace
contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et où,
du fait que l'unanimité n'a pas pu se réaliser parmi ses membres
permanents, le Conseil de sécurité manque à s'acquitter de sa
responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité
internationales, l'Assemblée générale examinera immédiatement
la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées
sur les mesures collectives à prendre…».
La Cour entreprend de déterminer si les
conditions énoncées dans cette résolution étaient
effectivement remplies lors de la convocation de la dixième
session extraordinaire d'urgence de l'Assemblée générale, en
particulier lorsque celle‑ci a décidé de demander un avis
consultatif à la Cour.
Au vu de la série d'événements décrits par la Cour,
celle‑ci constate que, lorsque la dixième session
extraordinaire d'urgence fut convoquée en 1997, le Conseil
s'était effectivement trouvé, en raison du vote négatif d'un
membre permanent, dans l'incapacité de prendre une décision
concernant l'implantation de certaines colonies de peuplement dans
le territoire palestinien occupé et que, comme l'indique la résolution ES‑10/2,
il existait une menace à la paix et à la sécurité
internationales. La Cour constate en outre que la dixième
session extraordinaire d'urgence, convoquée à nouveau le 20 octobre 2003,
le fut sur la même base qu'en 1997, après le rejet par le
Conseil de sécurité, le 14 octobre 2003, d'un projet
de résolution portant sur la construction par Israël du mur dans
le territoire palestinien occupé, du fait une nouvelle fois du
vote négatif d'un membre permanent. La Cour considère que
le Conseil de sécurité a là encore manqué à agir au sens de
la résolution 377 A (V). Il ne semble pas à
la Cour que la situation à cet égard ait évolué entre le 20 octobre 2003
et le 8 décembre 2003, le Conseil de sécurité n'ayant
ni débattu de la construction du mur, ni adopté une quelconque résolution
sur ce point. La Cour estime donc que, à la date du 8 décembre 2003,
le Conseil n'était pas revenu sur le vote négatif du 14 octobre 2003.
La Cour conclut que, au cours de cette période, la dixième
session extraordinaire d'urgence a été dûment convoquée à
nouveau et pouvait régulièrement, en vertu de la résolution 377 A (V),
être saisie de la question dont la Cour doit aujourd'hui connaître.
La Cour souligne aussi que, au cours de cette session
extraordinaire d'urgence, l'Assemblée générale pouvait adopter
toute résolution ayant trait à la question pour laquelle avait
été convoquée la session, et entrant par ailleurs dans les compétences
de l'Assemblée, y compris une résolution demandant un avis à la
Cour. Qu'il n'ait pas été proposé au Conseil de sécurité de
solliciter un tel avis est sans pertinence à cet égard.
Abordant les autres irrégularités procédurales dont serait
entachée la dixième session extraordinaire d'urgence, la Cour ne
considère pas que le fait que cette session ait présenté un
caractère «continu» ¾ ayant
été convoquée en avril 1997 et convoquée à nouveau onze fois
depuis lors ¾ ait
quelque pertinence que ce soit en ce qui concerne la validité de
la demande de l'Assemblée générale. En réponse à
l'argument avancé par Israël selon lequel la nouvelle
convocation de la dixième session extraordinaire d'urgence était
inappropriée, une session ordinaire de l'Assemblée générale étant
alors en cours, la Cour observe que même si, à l'origine, il a
pu ne pas sembler approprié que l'Assemblée générale tienne
simultanément une session extraordinaire d'urgence et une session
ordinaire, aucune règle constitutionnelle de l'Organisation n'a
été identifiée, dont la méconnaissance aurait rendu nulle la résolution
portant adoption de la demande d'avis consultatif en l'espèce.
Enfin, la Cour relève que la dixième session extraordinaire
d'urgence a été convoquée conformément à l'alinéa b)
de l'article 9 du règlement intérieur de l'Assemblée générale,
et que les séances pertinentes ont été convoquées selon les règles
en vigueur.
La Cour aborde une autre question soulevée à l'égard de sa compétence,
à savoir que la demande d'avis consultatif émanant de l'Assemblée
générale ne soulèverait pas une «question juridique» au sens
du paragraphe 1 de l'article 96 de la Charte et du
paragraphe 1 de l'article 65 du Statut de la Cour.
En ce qui concerne le manque de clarté allégué des termes
employés dans la requête de l'Assemblée générale et son
incidence sur la «nature juridique» de la question soumise à la
Cour, celle‑ci observe tout d'abord que cette question vise
les conséquences juridiques d'une situation de fait donnée,
compte tenu des règles et des principes du droit international,
notamment de la convention de Genève relative à la protection
des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949
(ci‑après dénommée la «quatrième convention de Genève»),
et des résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité
et l'Assemblée générale. La Cour est d'avis que
cette question a bien un caractère juridique. Elle
fait aussi observer qu'un manque de clarté dans le libellé d'une
question ne saurait priver la Cour de sa compétence. Tout
au plus, du fait de ces incertitudes, la Cour
devra‑t‑elle préciser l'interprétation à donner à
la question, ce qu'elle a souvent fait. Elle fera donc ce
qu'elle a souvent fait par le passé, c'est‑à‑dire «déterminer
les principes et règles existants, les interpréter et les
appliquer…, apportant ainsi à la question posée une réponse
fondée en droit» (Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996
(I), p. 234, par. 13). La Cour souligne que,
en l'espèce, si l'Assemblée générale prie la Cour de dire «[q]uelles
sont en droit les conséquences» de la construction du mur,
l'emploi de ces termes implique nécessairement de déterminer si
cette construction viole ou non certaines règles et certains
principes de droit international.
La Cour ne considère pas que la nature prétendument abstraite de
la question qui lui est posée soulève un problème de compétence.
Même lorsque, dans l'affaire de la Licéité de la menace ou
de l'emploi d'armes nucléaires, cet aspect fut soulevé sous
l'angle de l'opportunité judiciaire plutôt que sous celui de la
compétence, la Cour déclara que l'allégation selon laquelle
elle ne pourrait connaître d'une question posée en termes
abstraits n'était qu'«une pure affirmation dénuée de toute
justification», et qu'elle pouvait «donner un avis consultatif
sur toute question juridique, abstraite ou non» (C.I.J. Recueil 1996
(I), p. 236, par. 15).
La Cour considère qu'elle ne saurait par ailleurs accepter le
point de vue, également avancé au cours de la procédure, selon
lequel elle n'aurait pas compétence en raison du caractère «politique»
de la question posée. Ainsi qu'il ressort à cet égard de
sa jurisprudence constante, la Cour estime que le fait qu'une
question juridique présente également des aspects politiques, «ne
suffit pas à la priver de son caractère de «question juridique»
et à «enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément
conférée par son Statut» et la Cour ne saurait refuser un
caractère juridique à une question qui l'invite à s'acquitter
d'une tâche essentiellement judiciaire» (Licéité de la
menace de l'emploi d'armes nucléaires, C.I.J. Recueil 1996 (I),
p. 234, par. 13.)
La Cour conclut en conséquence qu'elle a compétence pour donner
l'avis consultatif demandé par la résolution ES‑10/14
de l'Assemblée générale.
Pouvoir discrétionnaire
de la Cour d'exercer sa compétence (par. 43‑65)
La Cour note qu'il a cependant été soutenu qu'elle devrait
refuser d'exercer sa compétence en raison de la présence, dans
la requête de l'Assemblée générale, d'un certain nombre d'éléments
qui rendraient l'exercice par la Cour de sa compétence malvenu et
étranger à sa fonction judiciaire.
La Cour commence par rappeler que le paragraphe 1 de
l'article 65 de son Statut, selon lequel «[l]a Cour peut
donner un avis consultatif…» (c'est la Cour qui souligne),
devait être interprété comme reconnaissant à la Cour le
pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif
même lorsque les conditions pour qu'elle soit compétente sont
remplies. Elle n'en garde pas moins présent à l'esprit que
sa réponse à une demande d'avis consultatif «constitue [sa]
participation … à l'action de l'Organisation et
[que], en principe, elle ne devrait pas être refusée». Il
s'ensuit que, compte tenu de ses responsabilités en tant qu'«organe
judiciaire principal des Nations Unies» (article 92 de
la Charte), la Cour ne devrait pas en principe refuser de donner
un avis consultatif, et seules des «raisons décisives»
devraient l'amener à opposer un tel refus.
Selon le premier argument avancé à
cet effet devant elle, la Cour ne devrait pas exercer sa
compétence en l'espèce, au motif que la demande concernerait un
différend entre Israël et la Palestine à l'égard duquel Israël
n'a pas accepté la juridiction de la Cour. Ainsi, l'objet
de la question posée par l'Assemblée générale ferait «partie
intégrante du différend israélo‑palestinien plus large
qui concerne des questions liées au terrorisme, à la sécurité,
aux frontières, aux colonies de peuplement, à Jérusalem et à
d'autres questions connexes». La Cour relève à cet égard
que l'absence de consentement à la juridiction contentieuse de la
Cour de la part des Etats intéressés est sans effet sur la compétence
qu'a celle‑ci de donner un avis consultatif, mais elle
rappelle sa jurisprudence selon laquelle le défaut de
consentement d'un Etat intéressé pourrait rendre le prononcé
d'un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire
de la Cour. Tel serait le cas si accepter de répondre
aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat
n'est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire
s'il n'est pas consentant.
S'agissant de la requête pour avis consultatif dont elle est
saisie, la Cour prend acte du fait qu'Israël et la Palestine ont
exprimé des vues radicalement opposées sur les conséquences
juridiques de l'édification du mur par Israël, sur lesquelles la
Cour a été priée de se prononcer dans le cadre de l'avis
qu'elle rendrait. Toutefois, ainsi que la Cour l'a
elle‑même noté, «[p]resque toutes les procédures
consultatives ont été marquées par des divergences de vues».
En outre, la Cour n'estime pas que la question qui fait l'objet de
la requête de l'Assemblée générale puisse être considérée
seulement comme une question bilatérale entre Israël et la
Palestine. Compte tenu des pouvoirs et responsabilités de
l'Organisation des Nations Unies à l'égard des questions se
rattachant au maintien de la paix et de la sécurité
internationales, la Cour est d'avis que la construction du mur
doit être regardée comme intéressant directement l'Organisation
des Nations Unies en général et l'Assemblée générale en
particulier. La responsabilité de l'Organisation à cet égard
trouve également son origine dans le mandat et dans la résolution
relative au plan de partage de la Palestine. Cette
responsabilité a été décrite par l'Assemblée générale comme
«une responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la
question de Palestine jusqu'à ce qu'elle soit réglée sous tous
ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité
internationale» (résolution 57/107 de l'Assemblée générale,
en date du 3 décembre 2002). L'objet de la requête
dont la Cour est saisie est d'obtenir de celle‑ci un avis
que l'Assemblée générale estime utile pour exercer comme il
convient ses fonctions. L'avis est demandé à l'égard
d'une question qui intéresse tout particulièrement les Nations Unies,
et qui s'inscrit dans un cadre bien plus large que celui d'un différend
bilatéral. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre
un avis n'aurait pas pour effet de tourner le principe du
consentement au règlement judiciaire et qu'elle ne saurait dès
lors, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de
donner un avis pour ce motif.
La Cour aborde alors un autre argument avancé pour étayer la thèse
selon laquelle elle devrait refuser d'exercer sa compétence :
selon cet argument, un avis consultatif de la Cour sur la licéité
du mur et les conséquences juridiques de son édification
pourrait faire obstacle à un règlement politique négocié du
conflit israélo‑palestinien. En particulier, selon
cette thèse, une telle opinion pourrait porter atteinte à la «feuille
de route», qui prescrit à Israël et à la Palestine le respect
d'un certain nombre d'obligations au cours des différentes phases
qui y sont prévues. La Cour fait observer qu'elle n'ignore
pas que la «feuille de route», entérinée par le Conseil de sécurité
dans sa résolution 1515 (2003), constitue un cadre de négociation
visant au règlement du conflit israélo‑palestinien, mais
que l'influence que l'avis de la Cour pourrait avoir sur ces négociations
n'apparaît pas de façon évidente : les participants à la
présente procédure ont exprimé à cet égard des vues
divergentes. La Cour estime qu'elle ne saurait considérer
ce facteur comme une raison décisive de refuser d'exercer sa compétence.
Certains participants ont par ailleurs affirmé devant la Cour que
la question de la construction du mur n'était qu'un aspect de
l'ensemble du conflit israléo‑palestinien, à l'examen
duquel la présente procédure ne saurait servir de cadre approprié.
Toutefois, la Cour estime que cela ne saurait justifier qu'elle
refuse de répondre à la question posée : elle est
consciente que la question du mur fait partie d'un ensemble et
elle prendrait en considération cette circonstance. En même
temps, la question que l'Assemblée générale a choisi de lui
soumettre pour avis est limitée aux conséquences juridiques de
la construction du mur, et la Cour ne tiendrait compte d'autres éléments
que dans la mesure où ceux‑ci seraient nécessaires aux
fins de l'examen de cette question.
Il a encore été soutenu que la Cour devrait refuser d'exercer sa
compétence parce qu'elle ne dispose pas des faits et des éléments
de preuve nécessaires pour lui permettre de formuler des
conclusions. Selon Israël, si la Cour décidait de donner
l'avis demandé, elle en serait réduite à des conjectures sur
des faits essentiels et à des hypothèses sur des arguments de
droit. La Cour souligne que, en l'espèce, elle a à sa
disposition le rapport du Secrétaire général, ainsi qu'un
dossier volumineux soumis par celui‑ci à la Cour, qui
contient des informations détaillées non seulement quant au tracé
du mur mais aussi quant aux conséquences humanitaires et socio‑économiques
de celui‑ci sur la population palestinienne. Le
dossier inclut de nombreux rapports fondés sur des visites
effectuées sur le terrain par des rapporteurs spéciaux et des
organes compétents des Nations Unies. Nombre d'autres
participants ont en outre présenté à la Cour des exposés écrits
qui renferment des informations pertinentes pour une réponse à
la question posée par l'Assemblée générale. La Cour note
en particulier que l'exposé écrit d'Israël, bien que se
limitant aux questions de compétence et d'opportunité
judiciaire, comporte des observations concernant d'autres sujets,
y compris les préoccupations d'Israël en matière de sécurité,
et est accompagné d'annexes correspondantes; et que de nombreux
autres documents émanant du Gouvernement israélien et concernant
ces mêmes sujets relèvent du domaine public.
La Cour estime donc qu'elle dispose de renseignements et d'éléments
de preuve suffisants pour lui permettre de donner l'avis
consultatif demandé par l'Assemblée générale. Par
ailleurs, la circonstance que d'autres pourraient évaluer et
interpréter ces faits de manière subjective ou politique ne
saurait au demeurant constituer un motif pour qu'une cour de
justice s'abstienne d'assumer sa tâche judiciaire. Il n'y a
donc pas, en l'espèce, insuffisance d'éléments d'information
qui constituerait une raison décisive pour la Cour de refuser de
donner l'avis sollicité.
Il a en outre été soutenu que la Cour devrait refuser de donner
l'avis consultatif demandé sur les conséquences juridiques de l'édification
du mur, parce que pareil avis consultatif ne serait d'aucune
utilité : l'Assemblée générale n'aurait pas besoin d'un
tel avis de la Cour, parce qu'elle a déjà déclaré la
construction du mur illégale, qu'elle a déjà déterminé les
conséquences juridiques de cette construction en exigeant qu'Israël
l'arrête et revienne sur le projet, et parce que, en outre,
l'Assemblée générale n'a jamais fait clairement connaître ce
qu'elle entendait faire de l'avis demandé. La Cour fait
observer que, ainsi qu'il ressort de sa jurisprudence, les avis
consultatifs servent à fournir aux organes qui les sollicitent
les éléments de caractère juridique qui leur sont nécessaires
dans le cadre de leurs activités. Elle rappelle ce qu'elle
a déclaré dans son avis consultatif sur la Licéité de la
menace ou de l'emploi d'armes nucléaires : «il
n'appartient pas à la Cour de prétendre décider si l'Assemblée
a ou non besoin d'un avis consultatif pour s'acquitter de ses
fonctions. L'Assemblée générale est habilitée à décider
elle‑même de l'utilité d'un avis au regard de ses besoins
propres.» Il s'ensuit donc que la Cour ne saurait refuser
de répondre à la question posée au motif que son avis ne serait
d'aucune utilité. La Cour ne peut substituer sa propre appréciation
de l'utilité de l'avis demandé à celle de l'organe qui le
sollicite, en l'occurrence l'Assemblée générale. En
outre, et en tout état de cause, la Cour estime que l'Assemblée
générale n'a pas encore procédé à la détermination de toutes
les conséquences possibles de sa propre résolution. La tâche
de la Cour consisterait à déterminer l'ensemble des conséquences
juridiques de l'édification du mur, alors que l'Assemblée générale
¾ et le Conseil de
sécurité ¾
pourraient ensuite tirer des conclusions de ces déterminations de
la Cour.
Enfin, Israël a avancé un autre argument concernant l'opportunité
de donner un avis consultatif en l'espèce, selon lequel la
Palestine, compte tenu de la responsabilité qui est la sienne
dans les actes de violence auxquels le mur vise à parer, commis
contre Israël et sa population, ne saurait demander à la Cour de
remédier à une situation résultant de ses propres actes
illicites. Dès lors, conclut Israël, la bonne foi et le
principe des «mains propres» constituent une raison décisive
qui devrait conduire la Cour à refuser d'accéder à la demande
de l'Assemblée générale. De l'avis
de la Cour, cet argument est dénué de pertinence. La Cour
souligne, comme elle l'a fait précédemment, que c'est l'Assemblée
générale qui a sollicité un avis consultatif, et qu'un tel avis
serait donné à l'Assemblée générale et non à un Etat ou une
entité déterminés.
*
A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu'elle a compétence
pour donner un avis sur la question qui lui a été posée par
l'Assemblée générale, et qu'il n'existe aucune raison décisive
pour qu'elle use de son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner
cet avis.
Portée de la question posée à la
Cour (par. 66‑69)
La Cour passe alors à l'examen de la question qui lui a été
adressée par l'Assemblée générale par la résolution
ES‑10/14 (voir ci‑dessus). La Cour explique
qu'elle a choisi d'employer le terme «mur», à l'instar de
l'Assemblée générale, parce que les autres termes utilisés ¾ «clôture»
ou «barrière» ¾,
pris dans leur acception physique, ne sont pas plus exacts. Elle
relève en outre que la requête de l'Assemblée générale
a trait aux conséquences juridiques de l'édification du mur «dans
le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et
sur le pourtour de Jérusalem‑Est» et considère qu'elle
n'est pas appelée à examiner les conséquences juridiques de la
construction des parties du mur qui se trouvent sur le territoire
même d'Israël.
Contexte historique (par. 70‑78)
En vue de préciser les conséquences juridiques de l'édification
du mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour doit au préalable
déterminer si l'édification de ce mur est ou non contraire au
droit international. A cette fin, elle effectue tout d'abord
une brève analyse historique du statut du territoire en cause,
depuis l'époque où la Palestine, ayant fait partie de l'Empire
ottoman, fut, à l'issue de la première guerre mondiale, placée
sous un mandat «A» confié à la Grande‑Bretagne par la
Société des Nations. Au cours de cette analyse, la Cour
mentionne les hostilités de 1948‑1949 et la ligne de démarcation
de l'armistice entre Israël et les forces arabes, fixée par une
convention générale d'armistice conclue le 3 avril 1949
entre Israël et la Jordanie, appelée «Ligne verte». A l'issue
de cette analyse, la Cour note que les territoires situés entre
la Ligne verte et l'ancienne frontière orientale de la Palestine
sous mandat ont été occupés par Israël en 1967 au cours
du conflit armé ayant opposé Israël à la Jordanie. Elle
fait observer que, selon le droit international coutumier, il
s'agissait donc de territoires occupés dans lesquels Israël
avait la qualité de puissance occupante. Les événements
survenus depuis lors dans ces territoires n'ont rien changé à
cette situation. La Cour conclut que l'ensemble de ces
territoires (y compris Jérusalem‑Est) demeurent des
territoires occupés et qu'Israël y a conservé la qualité de
puissance occupante.
Description du mur (par. 79‑85)
La Cour décrit ensuite, sur la base des informations contenues
dans un rapport du Secrétaire général de l'Organisation des
Nations Unies et dans l'exposé écrit présenté à la Cour par
le Secrétaire général, les ouvrages construits ou en cours de
construction sur ce territoire.
Règles et principes pertinents du
droit international (par. 86‑113)
La Cour aborde alors la détermination des règles et principes de
droit international qui sont pertinents pour l'appréciation de la
licéité des mesures prises par Israël. Elle fait observer
que ces règles et principes figurent dans la Charte des Nations Unies
et certains autres traités, dans le droit international coutumier
et dans les résolutions pertinentes adoptées en vertu de la
Charte par l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité.
Elle est consciente, toutefois, que des doutes ont été exprimés
par Israël en ce qui concerne l'applicabilité dans le territoire
palestinien occupé de certaines règles de droit international
humanitaire et des conventions relatives aux droits de l'homme.
Charte des Nations Unies et résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée
générale (par. 87‑88)
La Cour rappelle tout d'abord le paragraphe 4 de l'article 2
de la Charte des Nations Unies, qui dispose :
«Les Membres des Nations Unies s'abstiennent, dans leurs
relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi
de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance
politique de tout Etat, soit de tout autre manière incompatible
avec les buts des Nations Unies»
et la résolution 2625 (XXV) de
l'Assemblée générale, intitulée «Déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales
et la coopération entre Etats» (ci‑après dénommée la «résolution 2625
(XXV)»), dans laquelle l'Assemblée a souligné que «[n]ulle
acquisition territoriale obtenue par la menace ou l'emploi de la
force ne sera reconnue comme légale.» Comme la Cour l'a
dit dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua c. Etats‑Unis
d'Amérique), les principes énoncés dans la Charte au sujet
de l'usage de la force reflètent le droit international coutumier
(voir C.I.J. Recueil 1986, p. 98‑101, par. 187‑190);
la Cour observe que cela vaut également pour ce qui en est le
corollaire, l'illicéité de toute acquisition de territoire résultant
de la menace ou de l'emploi de la force.
Quant au principe du droit des peuples à disposer d'eux‑mêmes,
la Cour fait observer qu'il a été consacré dans la Charte des
Nations Unies et réaffirmé par la résolution 2625 (XXV)
de l'Assemblée générale déjà mentionnée, selon laquelle «[t]out
Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de
coercition qui priverait de leur droit à l'autodétermination … les
peuples mentionnés [dans ladite résolution]». L'article 1er commun
au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels et au pacte international relatif aux droits civils et
politiques réaffirme le droit de tous les peuples à disposer
d'eux‑mêmes et fait obligation aux Etats parties de
faciliter la réalisation de ce droit et de le respecter, conformément
aux dispositions de la Charte des Nations Unies. La
Cour rappelle sa jurisprudence antérieure, qui soulignait que l'évolution
actuelle du «droit international à l'égard des territoires non
autonomes, tel qu'il est consacré par la Charte des Nations Unies,
a fait de l'autodétermination un principe applicable à tous ces
territoires», et que le droit des peuples à disposer
d'eux‑mêmes est un droit opposable erga omnes.
Droit international humanitaire (par. 89‑101)
Pour ce qui concerne le droit international humanitaire, la Cour
rappelle en premier lieu qu'Israël n'est pas partie à la quatrième
convention de La Haye de 1907 à laquelle le règlement
est annexé. Elle estime cependant que les dispositions du règlement
de La Haye de 1907 ont acquis un caractère coutumier,
comme d'ailleurs tous les participants à la procédure devant la
Cour le reconnaissent. Elle observe en outre que, conformément
à l'article 154 de la quatrième convention de Genève, le règlement
de La Haye a été complété en ses sections II et III
par les dispositions de ladite convention. La section III
dudit règlement, qui concerne «l'autorité militaire sur le
territoire de l'Etat ennemi», est particulièrement pertinente en
l'espèce.
S'agissant en second lieu de la quatrième convention de Genève,
la Cour prend acte que des points de vue divergents ont été
exprimés par les participants à la procédure devant la Cour.
Contrairement à la grande majorité des participants, Israël
conteste en effet l'applicabilité de jure de la convention
au territoire palestinien occupé. La Cour rappelle que la
quatrième convention de Genève a été ratifiée par Israël le
6 juillet 1951 et qu'Israël est partie à cette
convention; que la Jordanie y est aussi partie depuis le 29 mai 1951;
et qu'aucun des deux Etats n'a formulé de réserve pertinente au
cas particulier. La Cour observe que les autorités israéliennes
ont déclaré à plusieurs reprises qu'en fait elles appliquaient
de manière générale les dispositions humanitaires de la quatrième
convention de Genève dans les territoires occupés.
Toutefois, selon la thèse israélienne, cette convention ne
serait pas applicable de jure dans ces territoires car, conformément
au deuxième alinéa de son article 2, elle s'appliquerait
seulement en cas d'occupation de territoires relevant de la
souveraineté d'un Etat contractant partie à un conflit armé.
Israël expose que les territoires occupés par lui à la suite du
conflit de 1967 ne relevaient pas auparavant de la
souveraineté jordanienne.
La Cour fait observer que, selon le premier alinéa de l'article 2
de la quatrième convention de Genève, dès lors que deux
conditions sont remplies, à savoir l'existence d'un conflit armé
(que l'état de guerre ait ou non été reconnu) et la survenance
de ce conflit entre deux parties contractantes, la convention
s'applique, en particulier dans tout territoire occupé au cours
d'un tel conflit par l'une des parties contractantes. Le
deuxième alinéa de l'article 2, qui mentionne «l'occupation
du territoire d'une Haute Partie contractante», n'a pas pour
objet de restreindre le champ d'application de la convention ainsi
fixé par l'alinéa premier, en excluant de ce champ d'application
les territoires qui ne relèveraient pas de la souveraineté de
l'une des parties contractantes, mais seulement de préciser que,
même si l'occupation opérée au cours du conflit a eu lieu sans
rencontrer de résistance militaire, la convention demeure
applicable.
Cette interprétation reflète l'intention des auteurs de la
quatrième convention de Genève de protéger les personnes
civiles se trouvant d'une manière ou d'une autre au pouvoir de la
puissance occupante, indépendamment du statut des territoires
occupés, et elle est confirmée par les travaux préparatoires de
la convention. Les Etats parties à la quatrième convention
de Genève, lors de la conférence qu'ils ont tenue le 15 juillet 1999,
ont retenu cette interprétation, qui a aussi été adoptée par
le CICR, l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité.
La Cour mentionne enfin un arrêt de la Cour suprême d'Israël,
en date du 30 mai 2004, allant dans le même sens.
Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la quatrième
convention de Genève est applicable dans les territoires
palestiniens qui étaient, avant le conflit de 1967, à l'est de
la Ligne verte, et qui ont à l'occasion de ce conflit été occupés
par Israël, sans qu'il y ait lieu de rechercher quel était
auparavant le statut exact de ces territoires.
Instruments relatifs aux droits de l'homme (par. 102‑113)
Les participants à la procédure devant la Cour sont également
divisés en ce qui concerne l'applicabilité dans le territoire
palestinien occupé des conventions internationales concernant les
droits de l'homme auxquelles Israël est partie. A l'annexe I
au rapport du Secrétaire général, il est précisé :
«4. Israël conteste que le pacte international relatif aux
droits civils et politiques et le pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, qu'il a signés l'un et
l'autre, soient applicables au territoire palestinien occupé.
Il affirme que le droit humanitaire est le type de protection qui
convient dans un conflit tel que celui qui existe en Cisjordanie
et dans la bande de Gaza, tandis que les instruments relatifs aux
droits de l'homme ont pour objet d'assurer la protection des
citoyens vis‑à‑vis de leur propre gouvernement en
temps de paix.»
Israël a ratifié le 3 octobre 1991 le pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels du 19 décembre 1966, le pacte international
relatif aux droits civils et politiques du même jour, ainsi que
la convention des Nations Unies relative aux droits de
l'enfant du 20 novembre 1989.
S'agissant de la question des rapports entre droit international
humanitaire et droit relatif aux droits de l'homme, la Cour
commence par rappeler la conclusion à laquelle elle est parvenue
dans une affaire antérieure, à savoir que la protection offerte
par le pacte international relatif aux droits civils et politiques
ne cesse pas en temps de guerre (C.I.J. Recueil 1996
(I), p. 240, par. 25). De manière plus générale,
elle estime que la protection offerte par les conventions régissant
les droits de l'homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce
n'est par l'effet de clauses dérogatoires du type de celle
figurant à l'article 4 du pacte international relatif aux
droits civils et politiques. Elle note que trois situations
peuvent dès lors se présenter : certains droits peuvent
relever exclusivement du droit international humanitaire; d'autres
peuvent relever exclusivement des droits de l'homme; d'autres
enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit
international. Pour répondre à la question qui lui est posée,
la Cour aura en l'espèce à prendre en considération les deux
branches du droit international précitées, à savoir les droits
de l'homme et, en tant que lex specialis, le droit
international humanitaire.
Reste à déterminer si les deux pactes internationaux et la
convention relative aux droits de l'enfant sont applicables sur le
seul territoire des Etats parties, ou s'ils sont également
applicables hors de ce territoire et, si oui, dans quelles
circonstances. Après avoir examiné les dispositions des
deux pactes internationaux, à la lumière des travaux préparatoires
pertinents et de la position prise par Israël dans ses rapports
au Comité des droits de l'homme et au Comité des droits économiques,
sociaux et culturels, la Cour conclut que ces instruments sont
applicables aux actes d'un Etat agissant dans l'exercice de sa
compétence en dehors de son propre territoire. Pour ce qui
concerne le pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, Israël est aussi dans l'obligation de ne
pas faire obstacle à l'exercice de ces droits dans les domaines où
compétence a été transférée à des autorités palestiniennes.
La Cour conclut en outre que la convention relative aux droits de
l'enfant est aussi applicable dans le territoire palestinien occupé.
Violation des règles pertinentes
(par. 114‑142)
La Cour entreprend ensuite de rechercher si la construction du mur
a porté atteinte aux règles et principes de droit international
qui sont pertinents pour répondre à la question posée par
l'Assemblée générale.
Incidence sur le droit du peuple palestinien à l'autodétermination
(par. 115‑122)
La Cour relève à cet égard les affirmations de la Palestine et
d'autres participants selon lesquelles la construction du mur est
«une tentative d'annexion du territoire qui constitue une
transgression du droit international» et «contrevient au
principe interdisant l'acquisition de territoire par le recours à
la force» et selon lesquelles «l'annexion de facto de terres
constitue une atteinte à la souveraineté territoriale et en conséquence
au droit des Palestiniens à l'autodétermination». Elle
relève aussi que, pour sa part, Israël expose que le mur a pour
seul objet de permettre de lutter efficacement contre le
terrorisme en provenance de Cisjordanie et qu'il a déclaré à
plusieurs reprises que l'édification de la barrière a un caractère
temporaire.
La Cour rappelle que tant l'Assemblée générale que le Conseil
de sécurité se sont référés, à propos de la Palestine, à la
règle coutumière de «l'inadmissibilité de l'acquisition de
territoire par la guerre». S'agissant du principe du droit
des peuples à disposer d'eux‑mêmes, la Cour observe que
l'existence d'un «peuple palestinien» ne saurait plus faire débat
et qu'elle a été reconnue par Israël, au même titre que les «droits
légitimes» de ce peuple. De l'avis de la Cour, parmi ces
droits figure le droit à l'autodétermination, comme l'Assemblée
générale l'a d'ailleurs reconnu à plusieurs occasions.
La Cour observe que le tracé du mur tel qu'il a été fixé par
le Gouvernement israélien incorpore dans la «zone fermée» (la
partie de la Cisjordanie comprise entre la Ligne verte et le mur)
environ 80 % des colons installés dans le territoire
palestinien occupé et qu'il a été fixé de manière à inclure
dans la zone la plus grande partie des colonies de peuplement
installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y
compris Jérusalem‑Est). Les informations fournies à
la Cour montrent qu'à partir de 1977 Israël a mené une
politique et développé des pratiques consistant à établir des
colonies de peuplement dans le territoire palestinien occupé,
contrairement aux prescriptions du sixième alinéa de l'article 49
de la quatrième convention de Genève, qui dispose : «La
puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au
transfert d'une partie de sa propre population civile dans le
territoire occupé par elle.» Le Conseil de sécurité a
considéré que cette politique et ces pratiques «n'ont aucune
validité en droit» et constituent une «violation flagrante» de
la convention. La Cour conclut que les colonies de
peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien
occupé (y compris Jérusalem‑Est) l'ont été en méconnaissance
du droit international.
Tout en prenant acte de l'assurance donnée par Israël que la
construction du mur n'équivaut pas à une annexion et que le mur
est de nature temporaire, la Cour estime que la construction du
mur et le régime qui lui est associé créent sur le terrain un
«fait accompli» qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel
cas, et nonobstant la description officielle qu'Israël donne du
mur, la construction de celui‑ci équivaudrait à une
annexion de facto.
La Cour estime par ailleurs que le tracé choisi pour le mur
consacre sur le terrain les mesures illégales prises par Israël
et déplorées par le Conseil de sécurité en ce qui concerne Jérusalem
et les colonies de peuplement. La construction du mur risque
également de conduire à de nouvelles modifications dans la
composition démographique du territoire palestinien occupé, dans
la mesure où elle occasionne le départ de populations
palestiniennes de certaines zones. Cette construction,
s'ajoutant aux mesures prises antérieurement, dresse ainsi un
obstacle grave à l'exercice par le peuple palestinien de son
droit à l'autodétermination et viole de ce fait l'obligation
incombant à Israël de respecter ce droit.
Dispositions
pertinentes du droit international humanitaire et des instruments
relatifs aux droits de l'homme (par. 123‑137)
La construction du mur pose en outre plusieurs problèmes au
regard des dispositions pertinentes du droit international
humanitaire et des conventions relatives aux droits de l'homme.
Tout d'abord, la Cour énumère et cite plusieurs de ces
dispositions applicables au territoire palestinien occupé,
notamment certains articles du règlement de La Haye de 1907,
de la quatrième convention de Genève, du pacte international
relatif aux droits civils et politiques, du pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de la
convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.
A cet égard, la Cour se réfère aussi aux obligations visant les
garanties d'accès aux lieux saints chrétiens, juifs et
musulmans.
Il ressort des informations fournies à la Cour, et notamment du
rapport du Secrétaire général, que la construction du mur a
entraîné la destruction ou la réquisition de propriétés dans
des conditions contraires aux prescriptions des articles 46
et 52 du règlement de La Haye de 1907 et de
l'article 53 de la quatrième convention de Genève.
Cette construction, la création d'une zone fermée entre la Ligne
verte et le mur, et la constitution d'enclaves ont par ailleurs
apporté des restrictions importantes à la liberté de
circulation des habitants du territoire palestinien occupé (à
l'exception des ressortissants israéliens et assimilés).
Il en est aussi résulté de sérieuses répercussions pour la
production agricole et, pour les populations concernées, des
difficultés croissantes d'accès aux services de santé, ainsi
qu'aux établissements scolaires et à l'approvisionnement
primaire en eau.
De l'avis de la Cour, la construction du mur priverait également
un nombre significatif de Palestiniens de leur droit de «choisir
librement [leur] résidence». En outre, puisque la
construction du mur et le régime qui lui est associé ont déjà
obligé un nombre significatif de Palestiniens à quitter
certaines zones ¾ processus
qui se poursuivra avec l'édification de nouveaux tronçons du mur ¾,
cette construction, combinée à l'établissement des colonies de
peuplement mentionné au paragraphe 120 de l'avis, tend à
modifier la composition démographique du territoire palestinien
occupé.
Au total, de l'avis de la Cour, la construction du mur et le régime
qui lui est associé entravent la liberté de circulation des
habitants du territoire palestinien occupé (à l'exception des
ressortissants israéliens et assimilés) telle que garantie par
le paragraphe 1 de l'article 12 du pacte international
relatif aux droits civils et politiques. Ils entravent également
l'exercice par les intéressés des droits au travail, à la santé,
à l'éducation et à un niveau de vie suffisant tels que proclamés
par le pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et la convention des Nations Unies
relative aux droits de l'enfant. Enfin, la construction du
mur et le régime qui lui est associé, en contribuant aux
changements démographiques mentionnés, sont contraires au sixième
alinéa de l'article 49 de la quatrième convention de Genève
et aux résolutions du Conseil de sécurité pertinentes déjà
citées.
La Cour examine ensuite certaines dispositions du droit
international humanitaire applicable permettant de tenir compte
dans certains cas des impératifs militaires, dispositions qui,
selon la Cour, peuvent être invoquées dans des territoires occupés
même après la fin générale des opérations militaires ayant
conduit à l'occupation de ces territoires; elle fait observer,
toutefois, que seul l'article 53 de la
quatrième convention de Genève contient une disposition de ce
type, et, en conséquence, au vu du dossier, la Cour n'est pas
convaincue que les destructions opérées contrairement à
l'interdiction édictée à cet article 53 aient été
rendues «absolument nécessaires par des opérations militaires»,
auquel cas elles relèveraient de cette exception.
De la même manière, la Cour examine certaines dispositions tirées
de conventions relatives aux droits de l'homme permettant de déroger
aux droits garantis par celles‑ci, mais elle conclut, au vu
des informations dont elle dispose, que les conditions posées
dans ces dispositions ne sont pas remplies en l'espèce.
Au total, la Cour, au vu du dossier, n'est pas convaincue que la
poursuite des objectifs de sécurité avancés par Israël nécessitait
l'adoption du tracé choisi pour le mur. Le mur tel que tracé
et le régime qui lui est associé portent atteinte de manière
grave à de nombreux droits des Palestiniens habitant dans le
territoire occupé par Israël sans que les atteintes résultant
de ce tracé puissent être justifiées par des impératifs
militaires ou des nécessités de sécurité nationale ou d'ordre
public. La construction d'un tel mur constitue dès lors une
violation par Israël de diverses obligations qui lui incombent en
vertu des instruments applicables de droit international
humanitaire et des droits de l'homme.
Légitime défense et état de nécessité (par.
138‑141)
La Cour rappelle qu'à l'annexe I du rapport du Secrétaire général,
il est cependant précisé que, selon Israël, «la construction
du mur est conforme à l'article 51 de la Charte des Nations Unies,
ainsi qu'à son droit inhérent de légitime défense et aux résolutions 1368 (2001)
et 1373 (2001) du Conseil de sécurité».
La Cour note que l'article 51 de la Charte reconnaît
l'existence d'un droit naturel de légitime défense en cas
d'agression armée par un Etat contre un autre Etat.
Toutefois Israël ne prétend pas que les violences dont il est
victime soient imputables à un Etat étranger. La Cour note
par ailleurs qu'Israël exerce son contrôle sur le territoire
palestinien occupé et que, comme Israël l'indique lui‑même,
la menace qu'il invoque pour justifier la construction du mur
trouve son origine à l'intérieur de ce territoire, et non en
dehors de celui‑ci. Cette situation est donc différente
de celle envisagée par les résolutions 1368 (2001) et 1373
(2001) du Conseil de sécurité, et de ce fait Israël ne saurait
en tout état de cause invoquer ces résolutions au soutien de sa
prétention à exercer un droit de légitime défense. En
conséquence, la Cour conclut que l'article 51 de la Charte
est sans pertinence au cas particulier.
La Cour se demande par ailleurs si Israël pourrait se prévaloir
d'un état de nécessité permettant d'exclure l'illicéité de la
construction du mur. A cet égard, citant sa décision en
l'affaire relative au Projet Gabčíkovo‑Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), elle observe que l'état de nécessité
constitue une cause, reconnue par le droit international
coutumier, qui «ne peut être invoqué[e]
qu'à certaines conditions, strictement définies, qui doivent être
cumulativement réunies» (C.I.J. Recueil 1997,
p. 40, par. 51), l'une de ces conditions étant que le
fait incriminé doit constituer pour l'Etat le seul moyen de protéger
un intérêt essentiel contre un péril grave et imminent.
Au vu du dossier, la Cour n'est pas convaincue que la construction
du mur selon le tracé retenu était le seul moyen de protéger
les intérêts d'Israël contre le péril dont il s'est prévalu
pour justifier cette construction. Si Israël a le droit, et
même le devoir, de répondre aux actes de violence, nombreux et
meurtriers, visant sa population civile, en vue de protéger la
vie de ses citoyens, les mesures prises n'en doivent pas moins
demeurer conformes au droit international applicable. Israël
ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense ou de l'état
de nécessité, comme excluant l'illicéité de la construction du
mur. En conséquence, la Cour juge que la construction du
mur et le régime qui lui est associé sont contraires au droit
international.
Conséquences
juridiques des violations (par. 143‑160)
La Cour examine ensuite les conséquences des violations par Israël
des obligations internationales lui incombant. Après avoir
rappelé les arguments avancés à cet égard par divers
participants à la procédure, la Cour constate que la
responsabilité d'Israël est engagée selon le droit
international. Elle examine alors ces conséquences
juridiques en opérant une distinction entre, d'une part, celles
qui en découlent pour Israël et, d'autre part, celles qui en découlent
pour les autres Etats et, le cas échéant, pour l'Organisation
des Nations Unies.
Conséquences juridiques de ces violations pour Israël
(par. 149-154)
La Cour note qu'Israël est tout d'abord tenu de respecter les
obligations internationales auxquelles il a contrevenu par la
construction du mur en territoire palestinien occupé. En
conséquence, Israël doit observer l'obligation qui lui incombe
de respecter le droit à l'autodétermination du peuple
palestinien et les obligations auxquelles il est tenu en vertu du
droit international humanitaire et du droit international relatif
aux droits de l'homme. Par ailleurs, il doit assurer la
liberté d'accès aux Lieux saints passés sous son contrôle à
la suite du conflit de 1967.
La Cour observe qu'Israël a également l'obligation de mettre un
terme à la violation de ses obligations internationales, telle
qu'elle résulte de la construction du mur en territoire
palestinien occupé. Israël a en conséquence l'obligation
de cesser immédiatement les travaux d'édification du mur qu'il
est en train de construire dans le territoire palestinien occupé,
y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est.
De l'avis de la Cour, la cessation par Israël des violations de
ses obligations internationales implique le démantèlement immédiat
des portions de cet ouvrage situées dans le territoire
palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour
de Jérusalem‑Est. L'ensemble des actes législatifs
et réglementaires adoptés en vue de l'édification du mur et de
la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement
être abrogés ou privés d'effet, sauf s'ils demeurent pertinents
dans le contexte de l'obligation de réparation à laquelle Israël
est tenu.
La Cour constate par ailleurs qu'Israël a l'obligation de réparer
tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou
morales concernées. La Cour rappelle la jurisprudence bien
établie, selon laquelle «[l]e
principe essentiel, qui découle de la notion même d'acte
illicite, ... est que la réparation doit, autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir
l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait
pas été commis». Israël est en conséquence tenu de
restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres
biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en
vue de l'édification du mur dans le territoire palestinien occupé.
Au cas où une telle restitution s'avérerait matériellement
impossible, Israël serait tenu de procéder à l'indemnisation
des personnes en question pour le préjudice subi par elles.
De l'avis de la Cour, Israël est également tenu d'indemniser,
conformément aux règles du droit international applicables en la
matière, toutes les personnes physiques ou morales qui auraient
subi un préjudice matériel quelconque du fait de la construction
de ce mur.
Conséquences juridiques pour les autres Etats
(par. 154‑159)
La Cour fait remarquer qu'au rang des obligations internationales
violées par Israël figurent des obligations erga omnes.
Comme la Cour l'a précisé dans l'affaire de la Barcelona
Traction, de telles obligations, par leur nature même, «concernent
tous les Etats» et, «[v]u l'importance des droits en cause, tous
les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt
juridique à ce que ces droits soient protégés» (Barcelona
Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970,
p. 32, par. 33). Les obligations erga omnes
violées par Israël sont l'obligation de respecter le droit du
peuple palestinien à l'autodétermination ainsi que certaines des
obligations qui sont les siennes en vertu du droit international
humanitaire. S'agissant du droit à l'autodétermination, la
Cour rappelle ses conclusions en l'affaire du Timor oriental
et la résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale.
Elle rappelle qu'un grand nombre de règles du droit humanitaire
«constituent des principes intransgressibles du droit
international coutumier» (C.I.J. Recueil 1996 (I),
p. 257, par. 79) et constate qu'elles incorporent des
obligations revêtant par essence un caractère erga
omnes. Elle souligne en outre l'obligation incombant aux
Etats parties à la quatrième convention de Genève d'en «faire
respecter» les dispositions.
Vu la nature et l'importance des droits et obligations en cause,
la Cour est d'avis que tous les Etats sont dans l'obligation de ne
pas reconnaître la situation illicite découlant de la
construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y
compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est.
Ils sont également dans l'obligation de ne pas prêter aide ou
assistance au maintien de la situation créée par cette
construction. Il appartient par ailleurs à tous les Etats
de veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et
du droit international, à ce qu'il soit mis fin aux entraves, résultant
de la construction du mur, à l'exercice par le peuple palestinien
de son droit à l'autodétermination. En outre, tous les
Etats parties à la convention de Genève relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949,
ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies
et du droit international, de faire respecter par Israël le droit
international humanitaire incorporé dans cette convention.
L'Organisation des Nations Unies (par. 160)
La Cour est enfin d'avis que l'Organisation des Nations Unies,
et spécialement l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité,
doivent, en tenant dûment compte du présent avis consultatif,
examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de
mettre un terme à la situation illicite découlant de la
construction du mur et du régime qui lui est associé.
*
La Cour estime que la construction du mur par Israël dans le
territoire palestinien occupé est contraire au droit
international et doit être replacée dans un contexte plus général.
Depuis 1947, année de l'adoption de la résolution 181
(II) de l'Assemblée générale et de la fin du mandat pour la
Palestine, se sont multipliés sur le territoire de l'ancien
mandat les conflits armés, les actes de violence indiscriminés
et les mesures de répression. La Cour relève qu'aussi bien
Israël que la Palestine ont l'obligation de respecter de manière
scrupuleuse le droit international humanitaire, dont l'un des buts
principaux est de protéger la vie des personnes civiles.
Des actions illicites ont été menées et des décisions unilatérales
ont été prises par les uns et par les autres alors que, de
l'avis de la Cour, seule la mise en œuvre de bonne foi de toutes
les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en
particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973),
est susceptible de mettre un terme à cette situation tragique.
La «feuille de route» approuvée par la résolution 1515
(2003) du Conseil de sécurité constitue l'effort le plus récent
en vue de provoquer des négociations à cette fin. La Cour
croit de son devoir d'appeler l'attention de l'Assemblée générale,
à laquelle cet avis est destiné, sur la nécessité d'encourager
ces efforts en vue d'aboutir le plus tôt possible, sur la base du
droit international, à une solution négociée des problèmes
pendants et à la constitution d'un Etat palestinien vivant côte
à côte avec Israël et ses autres voisins, et d'assurer à
chacun dans la région paix et sécurité.
*
Le texte intégral du dernier paragraphe (par. 163) est libellé
comme suit :
«Par ces motifs,
La Cour,
1) A l'unanimité,
Dit qu'elle est compétente pour répondre à la demande
d'avis consultatif;
2) Par
quatorze voix contre une,
Décide de donner suite à la demande d'avis consultatif;
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
M. Buergenthal, juge;
3) Répond de la manière suivante à la question
posée par l'Assemblée générale :
A. Par quatorze voix contre une,
L'édification du mur qu'Israël, puissance occupante, est en
train de construire dans le territoire palestinien occupé, y
compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est,
et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit
international;
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
M. Buergenthal, juge;
B. Par quatorze voix contre une,
Israël est dans l'obligation de mettre un terme aux violations du
droit international dont il est l'auteur; il est tenu de cesser
immédiatement les travaux d'édification du mur qu'il est en
train de construire dans le territoire palestinien occupé, y
compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est,
de démanteler immédiatement l'ouvrage situé dans ce territoire
et d'abroger immédiatement ou de priver immédiatement d'effet
l'ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s'y
rapportent, conformément au paragraphe 151 du présent avis;
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
M. Buergenthal, juge;
C. Par quatorze voix contre une,
Israël est dans l'obligation de réparer tous les dommages causés
par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé,
y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem‑Est;
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
M. Buergenthal, juge;
D. Par treize voix contre deux,
Tous les Etats sont dans l'obligation de ne pas reconnaître la
situation illicite découlant de la construction du mur et de ne
pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée
par cette construction; tous les Etats parties à la quatrième
convention de Genève relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont en
outre l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies
et du droit international, de faire respecter par Israël le droit
international humanitaire incorporé dans cette convention;
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
MM. Kooijmans, Buergenthal,
juges;
E. Par quatorze voix contre une,
L'Organisation des Nations Unies, et spécialement l'Assemblée générale
et le Conseil de sécurité, doivent, en tenant dûment compte du
présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures
doivent être prises afin de mettre un terme à la situation
illicite découlant de la construction du mur et du régime qui
lui est associé.
pour :
M. Shi, président; M. Ranjeva, vice‑président;
MM. Guillaume, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra‑Aranguren,
Kooijmans, Rezek, Al‑Khasawneh, Elaraby, Owada, Simma, Tomka,
juges;
contre :
M. Buergenthal, juge.»
__________
Annexes
au résumé 2004/2
Opinion individuelle de M. le juge Koroma
Dans son opinion individuelle, le juge Koroma indique que, tout en
souscrivant à la décision de la Cour selon laquelle le mur
qu'Israël, puissance occupante, est en train de construire dans
le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et
sur le pourtour de Jérusalem‑Est, et le régime qui lui est
associé sont contraires au droit international, il estime que les
points suivants méritent d'être soulignés.
Selon lui, l'édification du mur — qui a entraîné
l'annexion de portions du territoire occupé et la dépossession
d'un certain nombre de Palestiniens de leurs terres — est
contraire au droit international (notamment au principe
interdisant l'acquisition de territoire par la force), au droit
relatif aux droits de l'homme et au droit international
humanitaire, en vertu desquels les droits qu'exerce une puissance
occupante dans un territoire occupé et sur ses habitants sont de
nature limitée; ces droits n'équivalent pas à des droits
souverains qui autoriseraient l'occupant à apporter au statut de
ce territoire des modifications telles que la construction du mur.
En d'autres termes, lorsque, par son action, une puissance
occupante modifie unilatéralement le statut d'un territoire
qu'elle occupe militairement, elle viole le droit existant.
Sur la question de la compétence, le juge Koroma déclare que, même
s'il est concevable qu'il y ait des points de vue juridiques très
divers sur la question dont est saisie la Cour, il est d'avis que,
à la lumière de la Charte des Nations Unies, du Statut de la
Cour et de la jurisprudence de celle‑ci, l'objection à la
compétence de la Cour pour connaître des problèmes soulevés
dans la question posée à la Cour n'est pas fondée. A son
avis, l'objection reposant sur l'opportunité judiciaire
¾ un
aspect que la Cour a amplement examiné sous l'angle de la bonne
administration de la justice ¾
n'est pas fondée non plus. Selon le juge, non seulement la
question dont est saisie la Cour est une question éminemment
juridique à laquelle il est possible d'apporter une réponse
juridique, mais aucune preuve décisive n'a été produite pour
persuader la Cour de décliner sa compétence consultative.
Il convient de mettre en exergue de la même manière la
conclusion de la Cour concernant le droit à l'autodétermination
du peuple palestinien, y compris l'établissement de son propre
Etat par celui‑ci, comme l'envisage la résolution 181 (II),
et la conclusion selon laquelle la construction du mur serait un
obstacle à la réalisation de ce droit.
Le juge Koroma souligne également le fait que les conclusions de
la Cour font autorité, certaines reposant sur les principes de jus
cogens et revêtant un caractère erga omnes.
Tout aussi important est l'appel lancé aux parties au conflit
pour qu'elles respectent, durant les hostilités en cours, les
principes du droit humanitaire, notamment la quatrième convention
de Genève.
Enfin, le juge déclare que, la Cour s'étant prononcée, il
incombe à présent à l'Assemblée générale d'utiliser ces
conclusions de manière à apporter une solution juste et
pacifique au conflit israélo‑palestinien, un conflit qui
non seulement dure depuis trop longtemps mais cause également d'énormes
souffrances aux personnes directement concernées et envenime les
relations internationales en général.
Opinion individuelle de Mme le juge
Higgins
Dans son opinion individuelle, le juge Higgins, qui a voté avec
la Cour en faveur de chacun des points du dispositif, développe
sa position sur certains des problèmes rencontrés par la Cour,
lorsque celle‑ci a eu à se prononcer sur la question de
savoir si elle devait exercer ou non le pouvoir discrétionnaire
qu'elle a de refuser de répondre à la question qui lui a été
posée. Selon elle, une condition énoncée par la Cour dans
l'avis consultatif sur le Sahara occidental ne se trouve
pas remplie, à savoir que, lorsque deux Etats ont un différend,
l'Assemblée générale ne devrait pas demander d'avis consultatif
«afin d'exercer plus tard, sur la base de l'avis rendu par la
Cour, ses pouvoirs et ses fonctions en vue de régler
pacifiquement ce différend ou cette controverse» (C.I.J. Recueil 1975,
p. 56, par. 39). Les participants à la présente
procédure ont clairement fait savoir que l'intention était précisément
de se servir de l'avis en tant que moyen de pression.
Le juge Higgins est d'avis que, en principe, il n'est pas
souhaitable qu'une question soit posée à la Cour en empêchant
en même temps celle‑ci de se pencher sur le contexte dans
lequel le problème se pose. Elle indique ce que la Cour
aurait dû faire, à la fois pour que l'avis soit équilibré et
impartial et pour mettre à profit les possibilités qu'offre un
avis consultatif afin de rappeler tant à la Palestine qu'à Israël
les responsabilités que leur impose le droit international.
Le juge Higgins explique en outre que, tout en souscrivant à l'idée
que les articles 46 et 52 du règlement de La Haye
et l'article 53 de la quatrième convention de Genève ont été
violés par l'édification du mur dans le territoire occupé, elle
ne partage pas la totalité du raisonnement qui a conduit la Cour
à cette conclusion. Elle doute en particulier que le mur
constitue un «obstacle grave» à l'exercice par le peuple
palestinien de son droit à l'autodétermination, le véritable
obstacle se situant ailleurs, selon elle. Elle convient
qu'Israël ne peut exclure l'illicéité en invoquant le droit de
légitime défense, mais les motifs qui l'amènent à tirer
pareille conclusion sont différents de ceux de la Cour, parce
qu'elle ne partage pas les vues de celle‑ci sur la légitime
défense telles qu'exposées au paragraphe 139 de l'avis.
S'agissant des conséquences juridiques qui découlent des
conclusions de la Cour, le juge Higgins indique que, tout en
ayant voté pour, notamment, l'alinéa D du point 3,
elle n'est pas convaincue que les obligations qui incombent aux
Membres des Nations Unies résultent du concept juridique des
obligations erga omnes, ni se fondent sur ce concept.
Opinion individuelle de M. le juge Kooijmans
Le juge Kooijmans commence par exposer brièvement les raisons
pour lesquelles il a voté contre l'alinéa D du paragraphe
3) du dispositif.
Il présente ensuite succinctement le cadre historique et le
contexte de la demande de l'Assemblée générale. Selon lui, la
Cour aurait dû décrire ce contexte plus en détail; l'avis
aurait alors reflété de manière plus satisfaisante les intérêts
légitimes et les responsabilités de tous les groupes et
individus concernés.
Le juge Kooijmans formule alors certaines observations sur les
questions de compétence et d'opportunité judiciaire. Il
considère que la demande, qui postule l'illicéité de l'édification
du mur, est rédigée en termes plutôt maladroits. Or la
responsabilité judiciaire incombait à la Cour d'analyser la
demande et, le cas échéant, d'en reformuler l'objet.
S'agissant du fond, le juge Kooijmans se désolidarise de la
conclusion de la Cour selon laquelle l'édification du mur
constitue une violation par Israël de son obligation de respecter
le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même.
L'exercice de ce droit entre dans le cadre beaucoup plus large du
processus politique, bien que le juge Kooijmans considère, comme
la Cour, que le mur fait obstacle à cet exercice.
Le juge Kooijmans déplore par ailleurs que les mesures prises par
Israël n'aient pas été assujetties au critère de
proportionnalité, mais seulement à celui des exigences
militaires et des impératifs de sécurité nationale. En
droit international humanitaire, les critères de nécessité
militaire et de proportionnalité sont étroitement liés.
S'agissant de l'argument d'Israël selon lequel il a agi au titre
de la légitime défense, le juge Kooijmans fait remarquer que si
la Cour a omis de relever que les résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001)
du Conseil de sécurité, sur lesquelles se fonde Israël, ne
mentionnent pas une agression armée par un autre Etat, elle
souligne à juste titre que ces résolutions mentionnent des actes
de terrorisme international. En la présente
instance, les actes terroristes trouvent leur origine dans un
territoire sur lequel Israël exerce son contrôle.
Enfin, le juge Kooijmans explique pourquoi il souscrit aux
conclusions de la Cour sur les conséquences en droit de l'édification
du mur pour l'Organisation des Nations Unies et pour Israël,
mais pourquoi il se désolidarise de ses conclusions à l'égard
des autres Etats, à l'exception du devoir de ne pas prêter aide
ou assistance au maintien de la situation ainsi créée.
S'agissant du devoir de non-reconnaissance et de celui de faire
respecter par Israël le droit international humanitaire, le juge
Kooijmans est d'avis que les conclusions de la Cour sont
insuffisamment fondées en droit international positif et que, par
ailleurs, ces obligations sont en réalité dénuées de
substance.
Opinion individuelle de M. le juge Al‑Khasawneh
Le juge Al‑Khasawneh, dans l'opinion individuelle qu'il
joint à l'avis, déclare souscrire aux conclusions et au
raisonnement de la Cour, mais souhaite préciser trois points :
Premièrement, l'identification de la présence d'Israël en
Cisjordanie, y compris à Jérusalem‑Est, et dans la bande
de Gaza, à une occupation militaire repose sur une solide opinio
juris et trouve appui dans de nombreuses résolutions, dont
certaines ont force obligatoire, ainsi que dans la position,
individuelle ou collective, des Etats. La Cour, tout en
prenant acte de cette opinio juris constante, est parvenue
à des conclusions analogues indépendamment de ces résolutions
et autres éléments. Selon le juge Al‑Khasawneh, la
Cour a bien fait de ne pas s'interroger sur le statut exact des
territoires occupés avant 1967, car nul n'est besoin de se
reporter à leur statut antérieur pour conclure qu'il s'agit de
territoires occupés auxquels s'applique le régime juridique
international de l'occupation. En outre, ce statut n'aurait
de l'importance que si ces territoires étaient terra nullius,
ce qui est indéfendable. On ne saurait en effet sérieusement
soutenir la notion de terra nullius, qui est discréditée
et ne trouve plus à s'appliquer dans le monde d'aujourd'hui.
De surcroît, les territoires faisaient partie d'un territoire
sous mandat, et le droit de leur population à l'autodétermination
n'est pas éteint et ne le sera pas tant que les Palestiniens ne
l'auront pas réalisé.
Deuxièmement, le juge Al‑Khasawneh examine la question de
la Ligne verte et rappelle qu'avant 1967, d'éminents
juristes israéliens ont cherché à prouver qu'elle était plus
qu'une simple ligne d'armistice. Aujourd'hui, c'est à
partir d'elle que l'occupation israélienne est mesurée.
Nier l'importance de cette ligne est une démarche à double
tranchant, qui ouvre la voie aux contestations du titre d'Israël
et de l'expansion de son territoire au‑delà de ce qui était
prévu dans le plan de partage de la Palestine de 1947.
Troisièmement, le juge Al‑Khasawneh rappelle que, si rien
n'empêche de parler de négociations, celles-ci sont un moyen qui
permet d'atteindre une fin, et non une fin en soi. Pour que
les négociations aboutissent à une solution conforme à des
principes, il faut qu'elles soient fondées en droit. En
gage de leur bonne foi, ceux qui y prennent part doivent
s'abstenir de créer des faits accomplis.
Déclaration de M. le juge Buergenthal
Le juge Buergenthal estime que la Cour aurait dû exercer son
pouvoir discrétionnaire et refuser de rendre l'avis consultatif
qui lui était demandé, car elle ne disposait pas, selon lui,
d'informations et d'éléments de preuve suffisants pour le faire.
Faute de reposer sur les éléments de fait requis, les
conclusions beaucoup trop générales de la Cour sur le fond sont
viciées; c'est ce qui a conduit le juge Buergenthal à voter
contre elles.
Le juge Buergenthal admet volontiers qu'une analyse
approfondie de tous les faits pertinents pourrait amener à
conclure que certains tronçons, voire tous les tronçons, du mur
qu'Israël est en train de construire dans le territoire
palestinien occupé sont érigés en violation du droit
international. Il estime cependant que rien ne justifie, en
droit, que la Cour soit parvenue à cette conclusion au sujet du
mur tout entier sans avoir eu à sa disposition ni cherché à vérifier
tous les faits pertinents touchant directement au droit naturel de
légitime défense d'Israël, à ses impératifs militaires et à
ses besoins de sécurité, compte tenu des multiples attaques
terroristes meurtrières menées à partir du territoire
palestinien occupé contre Israël même et sur son territoire,
qu'Israël a subies et continue de subir. A ce sujet, le
juge Buergenthal fait valoir que le droit de légitime défense
n'existe pas seulement en cas d'attaque commise par des Etats et
que les agressions armées menées contre Israël même à partir
du territoire palestinien occupé doivent être considérées,
dans le contexte de l'espèce, comme répondant aux critères de
l'article 51 de la Charte des Nations Unies.
Le juge Buergenthal ne peut davantage s'associer à la Cour
lorsque celle‑ci conclut globalement que l'édification du
mur viole le droit international humanitaire et les instruments
relatifs aux droits de l'homme, parce que ces conclusions ne
s'appuient sur aucun fait ou élément de preuve qui contredise précisément
l'argument des impératifs militaires ou des raisons de sécurité
nationale avancé par Israël. Le juge Buergenthal
reconnaît, certes, que plusieurs dispositions du droit
international humanitaire citées par la Cour n'autorisent aucune
exception fondée sur les impératifs militaires : c'est le
cas notamment de l'article 46 du règlement de La Haye
et du sixième alinéa de l'article 49 de la quatrième
convention de Genève. Si le juge Buergenthal pense que
l'analyse que fait la Cour de l'applicabilité de l'article 46
en l'espèce est mal fondée, il estime en revanche que le sixième
alinéa de l'article 49, qui dispose que «[la] puissance
occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert
d'une partie de sa propre population civile dans le territoire
occupé par elle», s'applique effectivement aux colonies de
peuplement israéliennes en Cisjordanie, et que l'existence de ces
colonies est donc une violation de cette disposition. Par
conséquent, l'édification des tronçons du mur construits par
Israël pour protéger les colonies constitue ipso facto
une violation de cette disposition.
Enfin, le juge Buergenthal note que l'on pourrait faire
valoir que, si nombre de faits pertinents concernant la licéité
de la construction du mur par Israël ont fait défaut à la Cour,
c'est parce qu'Israël ne les avait pas produits, et que la Cour
était dès lors fondée à s'appuyer presque exclusivement sur
les rapports soumis par l'Organisation des Nations Unies.
Cet argument serait valable si la Cour était saisie non pas d'une
demande d'avis consultatif mais d'une affaire contentieuse, dans
laquelle chaque partie doit prouver le bien‑fondé de ses
demandes. Telle n'est pas la règle en matière
consultative. Israël n'avait nullement l'obligation
juridique de participer à cette procédure ni de produire des éléments
tendant à prouver la licéité de son mur. Par conséquent,
la Cour ne saurait conclure que le mur est illicite simplement
parce qu'Israël n'a pas produit ces éléments, ni considérer,
sans les vérifier elle‑même de manière exhaustive, que
les informations qui lui ont été fournies suffisent à étayer
des conclusions juridiques par trop générales.
Opinion individuelle de M. le juge Elaraby
Le juge Elaraby souscrit entièrement et sans réserve aux
constatations et conclusions de la Cour. Il estime cependant
nécessaire d'y joindre une opinion individuelle, afin de développer
certains des aspects historiques et juridiques abordés dans
l'avis consultatif.
Le juge examine en premier lieu la nature et la portée de la
responsabilité de l'Organisation des Nations Unies à l'égard
de la Palestine, qui tire son origine de la résolution 181 (II)
adoptée le 29 novembre 1947 par l'Assemblée générale.
Cette résolution, connue sous le nom de résolution sur le
partage, prévoyait la création de deux Etats indépendants, l'un
arabe et l'autre juif, et affirmait que la période qui s'écoulerait
avant la réalisation de cet objectif «sera[it] une période de
transition».
Le juge Elaraby aborde ensuite le statut, au regard du droit
international, du territoire palestinien occupé et les conséquences
juridiques du mandat pour la Palestine et de sa terminaison par
l'Assemblée générale. Il rappelle en outre que la Cour,
dans les affaires relatives au Sud-Ouest africain et à la
Namibie,
avait jugé que les territoires anciennement sous mandat faisaient
l'objet d'une «mission sacrée de civilisation» et ne «devaient
pas être annexés». Il évoque également les engagements
répétés qu'a pris Israël de se retirer et de respecter l'intégrité
territoriale du territoire palestinien occupé.
Dans une troisième partie de son opinion individuelle, le juge
Elaraby analyse brièvement les effets de l'occupation israélienne
prolongée et les limites qui sont prévues dans les règles du jus
bello afin de garantir la protection des non-combattants.
Il considère que les violations par Israël du droit
international humanitaire auraient dû être qualifiées de
violations graves.
Le juge Elaraby présente également des observations sur la
constatation de la Cour selon laquelle «[la] construction [du
mur] … dresse … un obstacle grave à
l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination».
A son avis, cette importante constatation aurait dû être incluse
dans le dispositif.
Opinion individuelle de M. le juge Owada
Dans son opinion individuelle, le juge Owada souscrit aux
conclusions énoncées dans l'avis consultatif de la Cour, tant
sur les questions préliminaires relatives à la compétence et à
l'opportunité judiciaire d'exercer cette compétence que sur la
plupart des points relevant du fond. Il émet toutefois
quelques réserves quant à la manière dont la Cour a exercé
cette opportunité judiciaire dans la présente procédure.
Plus précisément, le juge Owada est d'avis que la Cour aurait dû
s'interroger sur l'opportunité judiciaire non seulement pour déterminer
si elle devait donner suite à la demande d'avis consultatif, mais
également pour savoir comment exercer sa compétence, une fois
qu'elle a décidé de l'exercer, en vue d'assurer une bonne
administration de la justice dans cette affaire qui fait
intervenir un différend bilatéral sous-jacent. En pareil
cas, une bonne administration de la justice impose également de
traiter équitablement les positions des parties concernées quant
à l'évaluation des faits et des points de droit. Enfin, le
juge Owada regrette que la Cour n'ait pas exprimé dans son avis
un rejet catégorique du cycle tragique d'actes de violence
aveugle perpétrés de part et d'autre contre des populations
civiles innocentes, cycle qui constitue un élément important de
la toile de fond de la présente affaire.