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Affaire Vincent Geisser
LETTRE OUVERTE A MME VALÉRIE PÉCRESSE, MINISTRE DE
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
Mardi 9 juin 2009
L'influence des savants et des
intellectuels est certes quelque peu en déclin dans notre
nouveau modèle de société. Chercheurs, universitaires et
intellectuels n'en continuent pas moins de creuser leur sillon,
faisant fi du bruit et de la fureur extérieurs. Ce qui ne
signifie pas qu'ils vivent dans des bulles hors du monde. Au
contraire, ils sont plus investis que jamais dans la mission qui
est la leur : contribuer avec d'autres à apporter à leurs
concitoyens cet élément de pensée critique indispensable à la
préservation de la démocratie. Grâce aux réseaux qu'ils tissent
par la circulation de leur pensée et de leur parole, au-delà des
préjugés, des mythes ou des frayeurs en vogue et de leur
instrumentalisation, ils n'ont de cesse d'agir au nom de la
liberté et de l'impartialité, quelles que puissent être par
ailleurs leurs éventuelles appartenances religieuses ou
affinités politiques. Nos sociétés, trop souvent soumises aux
diktats des médias et de l'internet, ont besoin de cette parole
libre, au seul service des principes de la démocratie, évoluant
sans entraves et produisant du savoir, de la connaissance et de
la réflexion. Il se trouve que dans notre pays la majorité des
intellectuels appartient à la fonction publique, ce qui ne
signifie pas qu'ils soient de quelque façon inféodés à des
institutions ou au pouvoir politique, même s'il existe certes
parmi eux des intellectuels organiques. Si la liberté est
nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l'obligation
de réserve qui s'applique en général à certaines catégories de
fonctionnaires ne peut aucunement s'appliquer à leur cas, sauf à
n'attendre d'eux que la reproduction d'une doctrine officielle
et stérile. Aujourd'hui, la convocation devant une commission
disciplinaire, de notre collègue Vincent Geisser, chercheur au
CNRS, accusé de n'avoir pas respecté cette " obligation ",
constitue un signe supplémentaire et particulièrement alarmant
de l'idée que les institutions de notre pays semblent désormais
se faire de notre rôle. Devrons-nous donc soumettre nos
articles, nos livres, nos prises de position publiques à
l'approbation de leur censure, alors qu'aucune consigne ne
devrait émaner d'elles si ce n'est celle de la rigueur
intellectuelle et de la créativité qui accompagne toute
recherche ? Quels compromis honteux devrons-nous accepter pour
échapper à l'humiliation d'un conseil de discipline ? La France,
pays des droits de l'homme et de la liberté d'expression,
est-elle en train de perdre son âme ? Comment continuer à faire
notre travail, à assumer pleinement notre vocation, sous la
menace constante de la sanction ? Que sommes-nous ? De simples
courroies de transmission des idées qui ont l'agrément de nos
dirigeants et des institutions qui nous emploient, ou des hommes
et des femmes autonomes exerçant leur métier librement, en toute
responsabilité, en toute honnêteté, et au service d'une
recherche, d'une pensée et d'un savoir libres de tout carcan
idéologique, n'ayant d'autre limite que la considération du bien
commun ? L'obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir
pour les intellectuels, y compris lorsqu'ils sont
fonctionnaires. Les y soumettre revient purement et simplement à
les faire disparaître comme intellectuels, c'est ruiner la
liberté dont ils ont besoin pour continuer leur œuvre salutaire,
indispensable à la vie normale d'un pays politiquement sain, et
qui a besoin d'eux pour son équilibre. Ce qui arrive à notre
collègue Vincent Geisser, qui a le malheur de travailler sur
l'islam, sujet brûlant s'il en est, est d'une extrême gravité et
interpelle tous les citoyens de ce pays. Le traitement indigne
auquel il est soumis est une honte pour la profession et pour la
France.
Historique de
l'affaire Vincent Geisser
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