Opinion
Lettre à l'opinion
Bahar Kimyongür
Lunid 9 décembre 2013
"Lettre à l'opinion" par Bahar Kimyongür
Nous voilà repartis pour un tour ...
Après
les Pays-Bas, la Belgique et l'Espagne,
c'est à l'Italie de m'ouvrir ses portes
de fer et de les refermer aussitôt,
cette même Italie où j'ai séjourné une
quarantaine de fois sans le moindre
souci malgré le mandat d'arrêt
international lancé il y a 10 ans par un
tribunal d'Ankara.
Aux
Pays-Bas, mon arrestation survint alors
que je circulais en voiture sur
l'autoroute dans la périphérie de La
Haye.
En
Belgique, où j'ai subi un procès pénal
inutile et coûteux qui a empoisonné
quatre années de ma vie, le parcours fut
plus classique : du tribunal de Gand à
la prison de Gand.
En
Espagne par contre, la police
manifestement plus inspirée, m'a arrêté
à l'intérieur de la Cathédrale de
Cordoue avec ma femme et mes deux
enfants.
En
Italie, les unités de la DIGOS m'ont
cueilli à l'aéroport Orio al Serio
quelques minutes après l'atterrissage de
mon avion en provenance de Charleroi.
Les agents italiens m'ont ensuite emmené
à la prison de Bergame où je croupis
depuis une dizaine de jours dans des
conditions indignes.
En
provoquant ces arrestations en chaîne,
les autorités turques espèrent
m'intimider, me décourager, me
fragiliser financièrement et faire
douter les nombreux amis et camarades
qui me soutiennent.
Pour
banale qu'elle soit, la privation de
liberté n'en est pas moins un châtiment
d'une violence extrême dont les
premières victimes sont les familles, en
particulier les enfants.
Âgés
de 3 et 5 ans, mes enfants comprennent
des tas de choses.
Mais
ils ne peuvent comprendre ni accepter
que leur papa qui leur enseigne les
règles de la vie en société, les valeurs
humaines telles que l'honnêteté, la
justice, l'amour et la solidarité, soit
sans cesse puni à cause de ses écrits.
Même les adultes ne peuvent comprendre
un pareil acharnement.
Le
sentiment d'injustice qui germe dans le
cœur de mes enfants à cause du malheur
insensé et irrationnel qui leur arrive
ne peut que leur causer des blessures
psychiques graves.
Il
serait trop facile de jeter la pierre
sur le seul régime turc et de dédouaner
les États européens «victimes» de
simples dysfonctionnements
administratifs. Le monde a vu la
férocité assumée et revendiquée de la
police d'Erdogan lors de la révolte de
la place Taksim durant l'été dernier.
L'Europe
toute entière s'en est indignée. Cela
n'a pas empêché les polices européennes
de jouer les janissaires du sultan
Erdogan.
A
quoi bon être innocenté par la justice
européenne si des forces de police
européennes se mettent aux ordres du
régime néo-ottoman et piétinent les
décisions de cette même justice?
Pourquoi
un juge italien m'empêche de voyager,
alors qu'un juge espagnol m'y autorise?
Comment
est-il possible qu'un organisme comme
Interpol puisse se placer au-dessus des
lois et échapper à tout contrôle?
De
quel droit Interpol se permet de
convertir un signalement arbitraire et
abusif en peine à perpétuité?
Comment
se fait-il qu'un régime comme celui
d'Ankara qui chaque jour accueille des
bataillons entiers de terroristes
massacrant le peuple syrien, soit
considéré comme un partenaire de
l'Europe dans la lutte contre le
terrorisme ?
Mes
mésaventures auront eu au moins le
mérite de faire la lumière sur certains
côtés sombres de nos démocraties
super-maxi-ultra-plus qui lavent
toujours plus blanc que blanc.
En
attendant ma libération, je remercie de
tout cœur les milliers d'amis sur qui je
peux toujours compter dans les moments
heureux comme dans les moments
difficiles et qui une fois encore, se
sont mobilisés pour soutenir ma famille
et porter haut l'étendard de nos idéaux
communs.
(Bahar
Kimyongür a rédigé cette lettre au cours
de sa détention à la prison de Bergame)
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