Palestine / CPI
Lettre ouverte à Nicolas Demorand
Christophe Oberlin

Mercredi 8 avril 2015
Lettre
ouverte à Nicolas Demorand à propos de
son émission (*) consacrée à l’adhésion
de la Palestine à la Cour pénale
internationale.
Par Christophe Oberlin[1]
L’émission de Nicolas Demorand sur
France Inter « Un jour dans le monde »
le mercredi 7 avril était consacrée à
l’adhésion de l’Etat de Palestine à la
Cour pénale internationale. Pour en
débattre Mr Demorand avait invité un
avocat français William Bourdon et un
fonctionnaire du ministère des Affaires
étrangères de l’Autorité palestinienne
Majed Bamya.
On ne peut que se féliciter que
l’adhésion de la Palestine au Statut de
Rome fasse l’objet d’une émission d’une
vingtaine de minutes sur la radio
nationale française, et que maître
Bourdon y défende avec vigueur le
progrès constitué par l’existence d’une
Cour pénale internationale permanente
dont la vocation est de juger les
responsables des crimes de guerre les
plus graves.
Mais, au fur et à mesure que j’écoute
l’émission, je suis pris d’un malaise.
Tout d’abord maitre Bourdon,
évidemment fin connaisseur du Statut de
Rome, oublie de mentionner que, en
dehors de la saisine de la Cour par les
Etats, d’autres procédures parfaitement
légales sont possibles, visant à
protéger les victimes civiles même si
elles appartiennent à un Etat défaillant
(en guerre, occupé, dans l’incapacité
d’exercer sa souveraineté). Et c’est
oublier, dans le cas palestinien, que
deux plaintes ont déjà été déposées
contre les agressions israéliennes sur
Gaza en mars 2009 et juillet 2014 par
son confrère maître Gilles Devers.
Et c’est oublier que par deux fois
c’est le même ministre des
Affaires étrangères de l’Autorité
palestinienne, Riad Al Maliki qui a été
dépêché par le Président pour bloquer
les plaintes. La procureure
actuelle de la Cour Fatou Bensouda l’a
déclaré explicitement : « J’ai
demandé à Mr Al Maliki si la
plainte reçue émanait de l’Autorité
palestinienne[2]
, et la réponse ne fut pas positive » !
L’adhésion de la Palestine en
décembre 2014 est incontestablement un
progrès. Elle s’est accompagnée,
comme c’est la règle, de la signature
d’une « déclaration de compétence »,
c’est à dire que la Palestine reconnait
la compétence de la Cour et s’engage à
collaborer avec elle sans restriction
lors des investigations. Cette signature
a réactivé mécaniquement la plainte du
25 juillet, obligeant la Procureure à
entamer un « examen préliminaire » dès
le 15 janvier, preuve s’il en est de la
réactivation de la plainte du 25
juillet, puisqu’à l’heure actuelle
l’Autorité palestinienne n’a déposé
aucune plainte.
Autrement dit on ne peut qu’être
surpris lorsque Mr Bamya explique
longuement les difficultés supposées
pour convaincre « toutes les factions »
de se mettre d’accord pour aller adhérer
à la Cour. C’est bien sur le Hamas,
vainqueur des élections palestiniennes
de 2006, qui est visé. Or la plainte
du 25 juillet a été déposée avec
l’accord plein et entier du Hamas qui a
déclaré à de multiples reprises
pendant la guerre de cet été qu’il
soutenait la procédure. Il est donc
malvenu d’attribuer à l’adhésion
l’examen préliminaire de la procureure :
c’est la plainte initialement bloquée
par l’Autorité palestinienne qui en est
la cause.
Enfin la dernière partie de
l’émission a été consacrée aux « crimes
de guerre du Hamas ». En effet, pendant
que des milliers de civils palestiniens
ont été tués par l’armée israélienne
dans la bande de Gaza, une trentaine de
civils israéliens ont été tués sur une
période de dix ans par des roquettes
tirées depuis Gaza. Et Nicolas Demorand
et ses invités d’oublier que le sujet du
jour est l’adhésion de la Palestine à la
CPI, et partant les plaintes éventuelles
déposées par la Palestine contre les
dirigeants israéliens. La question
des victimes israéliennes, en droit
international, est tout autre :
dans un premier temps, il faudrait qu’il
y ait plainte auprès de la Cour pénale
internationale en provenance de ces
victimes. Or Israël, non seulement n’a
pas adhéré à la Cour, mais ses
dirigeants actuels demandent même sa
dissolution, exhortent les Européens à
lui retirer leur financement, etc. La
procédure par l’Etat israélien étant
coupée, il faudrait que les victimes
saisissent la Cour par l’intermédiaire
« d’une autorité de l’Etat », par
exemple le ministre de la Justice
israélien, ou un procureur général. Et
qu’à la question de Mme Bensouda, Mr
Netanyahou réponde que la plainte vient
bien de l’Etat israélien ! On doute que
cela soit possible. Et si çà l’était, il
faudrait encore que la procureure juge
l’incrimination « suffisante » : dans
l’affaire du Mavi Marmara[3],
elle vient de débouter les plaignants au
motif que l’ampleur du crime n’était pas
suffisante pour impliquer la Cour.
Une jurisprudence fâcheuse pour les
victimes israéliennes.
Ainsi donc voilà le Hamas classé
encore, contre la décision récente de la
Cour de Justice de l’Union Européenne,
« organisation terroriste » qui réclame
à cors et à cris la mise en action de la
Cour pénale internationale, alors qu’un
Etat « démocratique», bénéficiant d’un
accord privilégié avec l’Union
Européenne réclame sa dissolution.
L’affaire ne fait que commencer.
Christophe Oberlin |
8 avril 2014
(*) http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1076183
[1] Dernier ouvrage paru : « Le
Chemin de la Cour – Les dirigeants
israéliens devant la Cour pénale
internationale », Erick Bonnier 2014
[2] Elle émanait du ministre de la
Justice palestinien Salim al Saqqa et du
procureur général de Gaza Ismaïl Jaber,
autorités habilitées à déposer plainte
selon le Statut de Rome.
[3] En Mai 2010 neuf
pacifistes turcs qui se rendaient
en bateau à Gaza ont été tués par
l’armée israélienne, dans les eaux
internationales. Les Iles Comores,
pavillon du bateau, ont porté plainte.
La procureure a estimé que « s’il
existe des bases raisonnables de
considérer que des crimes relevant de la
compétence de la Cour ont été
perpétrés », l’affaire n’était pas de
dimension suffisante, répétitive, pour
impliquer la Cour. Les iles Comores ont
fait appel.

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