Interview
Norman Finkelstein
Capture
d'écran PalSol
Jeudi 26 février 2015
Interview de Norman Finkelstein sur
Russia Today par Afshin Rattansi – 23
février 2015
Dans cet
extrait, Norman Finkelstein,
intellectuel juif américain dont les
parents sont des rescapés d’Auschwitz et
du ghetto de Varsovie, référence
internationale sur le conflit
israélo-palestinien, s’exprime sur Gaza,
Israël et l’antisémitisme.
Il commence par
récuser l’argumentaire selon lequel
Israël ne ferait que répondre aux
attaques palestiniennes en rappelant que
même durant la première Intifada, un
mouvement de résistance palestinienne
populaire massif et non-violent à
l’Occupation, Israël a répondu de
manière très violente, réprimant la
population civile de manière meurtrière
et recourant systématiquement à la
torture. De plus, durant les agressions
militaires contre Gaza, les
organisations internationales de défense
des droits de l’homme ont établi
qu’Israël a délibérément ciblé les
populations civiles et s’est rendu
coupable de crimes de guerre voire de
crimes contre l’Humanité.
Norman
Finkelstein récuse l’idée d’une montée
de l’antisémitisme en Europe, et dénonce
la responsabilité d’Israël : ce pays se
réclamant comme l’Etat de tout le peuple
juif, et Netanyahu, le « fou furieux »,
proclamant que toutes ses actions se
font au nom de la communauté juive
mondiale dans son ensemble, il est
prévisible que certaines personnes le
prennent au mot et puissent avoir un
sentiment d’hostilité envers les Juifs
en général. Mais la responsabilité en
incombe avant tout à Israël et ses
thuriféraires.
Commentaire :
Il est intéressant
de comparer l’amalgame entre Islam et
Etat Islamique d’une part, et Juifs et
Israël d’autre part. Bien que de tels
amalgames soient tous deux absolument
illégitimes, on peut se demander
pourquoi le premier est courant et
parfaitement autorisé sur les scènes
politique et médiatique (ce alors
qu’aucune autorité ou personnalité
musulmane reconnue, en France ou dans le
monde, ne s’en réclame,
bien au contraire, l’Etat Islamique
étant dénoncé (et
combattu) par l’écrasante majorité
des musulmans
qui en sont les premières victimes),
tandis que le second est impensable
malgré le fait que les organismes et
personnalités françaises de premier plan
(CRIF, BHL, Finkielkraut, Valls…) font
« éternellement » allégeance à l’Etat
terroriste d’Israël, donnant caution à
cet amalgame.
De même qu’on
demande aux musulmans qu’ils se
dissocient de l’Etat Islamique qui
usurpe leur religion (au service
d’Israël, un de ses principaux alliés),
on devrait pouvoir attendre, avec la
même légitimité, des Juifs (et des
hommes politiques) qu’ils se dissocient
d’Israël et des atrocités que ce pseudo
« Etat Judaïque » perpètre
régulièrement. Mais bien sûr, dans un
monde où les criminels sont élevés au
pinacle et que le haro est jeté sur
leurs victimes, et où les terroristes
prétendent mener des croisades contre
le terrorisme qu’ils ont créé et
continuent à armer, il ne faut pas
s’attendre à ce que des vérités si
élémentaires soient acceptées ou même
énoncées.
Sayed 7asan
Vidéo
sous-titrée : Norman
Finkelstein sur Gaza, Israël, les Juifs
et l'antisémitisme (VOSTFR)
Vidéo originale
:
https://www.youtube.com/watch?v=51UseTj-nR8
(23 février 2015)
Vidéo &
traduction :
http://www.sayed7asan.blogspot.fr
Transcription :
Afshin Rattansi :
En prévision de la session du Conseil
des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève
prévue la semaine prochaine, et qui doit
produire un rapport sur la situation à
Gaza, des militants, ici en
Grande-Bretagne, ont fermé une usine
associée à l’assaut israélien contre le
territoire assiégé. Cela se produit au
moment où le principal conseiller
juridique de l’armée israélienne a
déclaré qu’il n’est aucunement inquiété
par la possibilité d’une enquête de la
Cour pénale internationale sur la guerre
de cet été qui a tué des milliers
d’hommes, de femmes et d’enfants
(Palestiniens).
Le dernier livre de
Norman Finkelstein s’intitule Méthode
et démence : les dessous des agressions
israéliennes contre Gaza, et il me
rejoint sur le plateau. Bienvenue,
Norman. Dans ce livre, vous évoquez le
fait que Tzipi Livni, la politicienne
israélienne, a annulé une visite à
Londres de crainte d’être arrêtée. A
quel point les personnalités politiques
israéliennes considèrent-elles la
sériosité de la menace légale lorsqu’ils
viennent en Angleterre ?
Norman
Finkelstein : Il est difficile
d’estimer, à présent, la réalité des
craintes des Israéliens, car ils ont pu
neutraliser le rapport Goldstone et
aller de l’avant. Le nouveau rapport qui
devait être le fait du Conseil des
Droits de l’Homme, dirigé par [William]
Schabas...
Afshin Rattansi :
Il vient de démissionner de son poste.
Norman
Finkelstein : …a déjà été neutralisé
car Schabas a été accusé d’être un
partisan de l’OLP (Organisation de
Libération de la Palestine) et il a été
contraint d’abandonner. La personne qui
l’a remplacé est une juge de l’Etat de
New York, et elle est assez faible.
Afshin Rattansi :
Parlez-nous du rapport Goldstone.
Norman
Finkelstein : Le rapport lui-même
était effectivement assez dévastateur,
c’était un rapport accablant. Ses
conclusions étaient qu’Israël essayait
d’humilier, punir et terroriser la
population civile, et qu’il était
probablement coupable de crimes de
guerre considérables et de crimes contre
l’Humanité. C’était un rapport
accablant, et il a suscité chez Israël
de véritables craintes. Ils ne savaient
pas du tout comment réagir face à cela.
Lorsque le rapport est paru, il y a eu
un grand tumulte et une véritable
hystérie en Israël.
Des gens comme
Shimon Peres, qui est tellement admiré
en Occident pour des raisons qui sont
absolument incompréhensibles, Shimon
Peres dénonça Goldstone comme un homme
petit, qui ne connaît rien au droit
international, et c’est en fait la
dénonciation la plus respectueuse qu’a
subie Goldstone. Alan Dershowitz, de
l’Université d’Harvard, a déclaré que
Goldstone était pire que [Josef] Mengele,
l’ange de la mort d’Auschwitz. Michael
Oren a dit que le rapport Goldstone
était pire que Mein Kampf et les
Protocoles des Sages de Sion... Ils se
sont vraiment déchaînés comme des fous
furieux.
Afshin Rattansi :
Des personnalités de nos principaux
partis politiques comme David Cameron
essaient toujours de les renvoyer dos à
dos, en évoquant les attaques de
roquettes des Palestiniens – dont vous
parlez dans votre livre. Vous dites
effectivement que Paul Wolfowitz,
l’ancien Secrétaire à la Défense
néo-conservateur, a déclaré que tout
irait bien si les Palestiniens
adoptaient une politique de
non-violence, ce qui n’est pas le cas du
fait de ces attaques de roquettes.
Pouvez-vous partager le point de vue que
vous développez dans votre livre ?
Norman
Finkelstein : Eh bien premièrement,
les Palestiniens ont déjà adopté des
moyens de résistance non-violents, et il
ne faut surtout pas l’oublier. Vous êtes
trop jeune, mais malheureusement ce
n’est pas mon cas, pour vous rappeler de
manière poignante la première Intifada
qui a commencé en décembre 1987. Elle a
duré (de facto) environ deux ans. J’ai
vécu plusieurs fois dans les Territoires
Occupés durant cette époque.
C’était une
démonstration véritablement héroïque de
résistance massive par la non-violence,
et elle a eu un véritable écho
international. On l’appelait... Les
armes les plus violentes que les
Palestiniens utilisèrent furent les
pierres. Quelquefois, ils brûlaient des
pneus. Mais Israël répondit par une
répression extrêmement violente, et ce
mouvement fut vaincu.
Ces faits sont
complètement oubliés aujourd’hui.
Toutes les
organisations de défense des droits de
l’homme (B’tselem, Amnesty
International, Human Rights Watch),
toutes affirment qu’Israël recourait à
la torture de manière méthodique et
systématique sur les prisonniers
Palestiniens. Selon les estimations de
Human Rights Watch pour les années
1988-1990 , et je les cite, « des
dizaines de milliers de prisonniers
palestiniens ont été torturés ». C’est
un chiffre très intéressant.
Si vous me
permettez – ce n’est pas une digression,
mais c’est une perspective légèrement
différente –, si vous considérez le
rapport récent du Sénat américain sur la
torture, qui a suscité une énorme
réaction internationale, les gens ne
semblent pas se rendre compte que
d’après le rapport, on parle « seulement
» de 39 à 44 cas de torture.
Afshin Rattansi :
Mais ce qui est décrit est horrible et
accablant.
Norman
Finkelstein : C’est horrible, mais
ce qui est intéressant, c’est que, plus
ou moins, les types de tortures
pratiqués par la CIA contre les 39 à 44
prisonniers n’étaient pas tellement
différents des tortures pratiquées par
Israël. En ce qui concerne les tortures
israéliennes, je n’ai pas connaissance
de la pratique de la réhydratation
rectale ni de torture par l’eau et ils
n’ont pas déshabillé les prisonniers
pour les humilier. Ok, laissons ces
trois tortures de côté. Cela mis à part,
le répertoire de tortures était
identique, à peu de choses près.
La différence
essentielle est dans la magnitude : dans
le cas des tortures de prisonniers
palestiniens durant la première
Intifada, il y a eu des dizaines de
milliers de cas, alors que dans le
rapport du Sénat, on parle de 39 à 44
cas.
Et tout cela durant
la période de résistance palestinienne
non-violente.
Afshin Rattansi :
Vous vous basez donc sur les contenus
des rapports de Human Rights Watch et
Amnesty International. Comment
considérez-vous leur rôle ? Car je sais
que parfois, vous citez Human Rights
Watch mais vous dites que même eux [ne
disent pas tout]. Ont-ils une position
(véritablement) critique (à l’égard
d’Israël) pour ceux qui, en Occident,
connaissent leur niveau de violence ?
Norman
Finkelstein : On peut faire des
distinctions subtiles. Amnesty
International est une organisation de
bénévoles plus indépendante qu’Human
Rights Watch. Human Rights Watch finit
souvent, selon moi, par couvrir Israël.
Mais en général, les rapports des
organisations de défense des droits de
l’homme n’ont pas... – je ne veux pas le
dire de manière négative, je vais
utiliser une tournure affirmative – :
ces rapports ont été fiables.
Et on ne peut pas
remettre en question le fait que
l’opinion publique a changé de manière
significative sur cette question, ni le
fait que les rapports des organisations
de défense des droits de l’homme ont
contribué de manière substantielle à
cette évolution de l’opinion publique et
à ce qu’elle ait un regard très sévère
sur Israël. Mais ce regard très critique
sur Israël ne s’est pas converti en une
bonne opinion sur les Palestiniens.
Encore aujourd’hui, si on demande aux
gens de choisir entre les Israéliens et
les Palestiniens, le public désigne
massivement Israël comme la partie la
plus respectable.
Afshin Rattansi :
Au sujet de l’antisémitisme, dont la
presse parle beaucoup ici, il a été
intéressant de lire que la montée de
l’antisémitisme en Grande-Bretagne était
liée par certains à l’agression contre
Gaza. Comment considérez-vous ces
analyses ?
Norman
Finkelstein : Il n’y a pas la
moindre preuve d’une montée de
l’antisémitisme. Ce que nous observons
est que périodiquement, chaque fois
qu’Israël se lance dans l’une de ses
agressions meurtrières, il y a une
montée, un pic de ce qu’on appelle des
incidents antisémites. On a pu le voir
durant l’opération Rempart en 2002, de
même que durant Plomb Durci [2008] et
Bordure Protectrice cet été. La question
est la suivante : est-ce de
l’antisémitisme ?
Vous avez cet Etat
qui se désigne comme l’Etat du peuple
juif. Et vous avez ce chef d’Etat qui,
en l’occurrence, est un fou furieux, qui
proclame partout dans le monde qu’il
représente la communauté juive
internationale. C’est ce qu’il dit. Il
le déclare en toutes lettres : « Lorsque
je vais à Paris, je représente
l’ensemble de la communauté juive
mondiale… Lorsque je vais m’exprimer au
Congrès (américain) sur la soi-disant
menace iranienne, je représente
l’ensemble de la communauté juive
mondiale. » Et vous voulez donc accuser
les gens d’avoir commis une faute pour
l’avoir pris au mot ?
Il le dit lui-même
: « Lorsque je déclare que nous devrions
attaquer l’Iran, je représente
l’ensemble de la communauté juive
mondiale… Lorsque je déclare que nous
devrions attaquer l’Irak, je représente
l’ensemble de la communauté juive
mondiale… Lorsque je déclare que nous
devrions attaquer le Liban une nouvelle
fois, lorsque je déclare que nous
devrions encore attaquer le Hamas ou
Gaza, je représente l’ensemble de la
communauté juive mondiale. »
Vous avez donc un
fou furieux qui prétend représenter
l’ensemble de la communauté juive
mondiale, et des gens qui le prennent au
mot et se disent : « Très bien, s’il
représente l’ensemble de la communauté
juive mondiale, alors c’est que les
Juifs sont un problème. C’est la
conclusion logique. » Donc s’il y a
quelqu’un qui est responsable de ce
problème (l’antisémitisme), c’est bien
l’Etat d’Israël et son chef, qui ne
cessent de proclamer que leurs actions
meurtrières sont commises au nom des
Juifs du monde entier.
Il y a une manière simple de résoudre le
problème : Arrêtez de vous prétendre
l’Etat du peuple juif parce que ce n’est
pas vrai : vous n’êtes que l’Etat
d’Israël. Et arrêtez de prétendre que
vous représentez l’ensemble de la
communauté juive mondiale car la
communauté juive mondiale ne vous a pas
élus. Personne ne vous a donné ce titre,
d’accord ?
Il n’est pas
surprenant que face à un Etat qui se
prétend être l’Etat du peuple juif, et à
un chef d’Etat qui prétend agir en leur
nom, des incidents antisémites aient
lieu. Est-ce que cela en fait des actes
antisémites ? Je ne sais pas pourquoi on
les appellerait (ainsi).
Si par
antisémitisme vous entendez une haine
irrationnelle – c’est généralement la
manière dont les gens essaient de le
décrire – des Juifs, ce n’est pas une
haine irrationnelle des Juifs.
Afshin Rattansi :
Norman Finkelstein, je vous remercie.
Norman
Finkelstein : De rien.
Les dernières mises à jour
|