Algérie Résistance
Naoufel Brahimi El Mili: « Pour sa lutte
contre les djihadistes, l’Algérie
dispose d’atouts liés à son expérience »
Mohsen Abdelmoumen
Naoufel
Brahimi El Mili. DR.
Samedi 21 novembre 2015
Mohsen Abdelmoumen :
Vous êtes l’un des rares intellectuels
algériens à avoir analysé le printemps
arabe qui a abouti au chaos actuel.
Qu’est-ce qui vous a amené à tirer vos
conclusions ?
Naoufel Brahimi El Mili
: Tout a commencé à Sidi Bouzid par une
immolation, celle de Mohamed Bouazizi,
le régime autoritaire tunisien a réagi
par une répression violente. Le premier
indice qui prouve l’accompagnement –
terme que je préfère à manipulation – de
cette révolte légitime est
l’intervention du prédicateur
égypto-qatari Al-Qaradawi.
Sa
déclaration sur Al-Jazeera, dès la fin
de la première semaine de l’année 2011,
élevant Mohamed Bouazizi au rang de
martyr, attise l’opinion arabe contre
Ben Ali. Al-Qaradawi présente
l’immolation comme un acte de résistance
des faibles, alors que le suicide est
formellement interdit par l’islam. Cette
contradiction est la preuve de
l’instrumentalisation de la religion
pour des fins politiques. Ensuite je
m’étais mis à regarder la chaîne Al-Jazeera
pour voir la construction du récit du «
printemps arabe ». Avec les premières
manifestations au Caire contre une
dictature, certes, cette chaîne qatarie
a créé une filiale ad hoc « Misr direct
» consacrée au soutien de ces
manifestations. La révolte de Benghazi
qui, contrairement à celle de Tunis et
du Caire, n’a rien de spontané a fait
l’objet d’une grande couverture de cette
chaîne qui défend la démocratie à partir
d’un pays dictatorial.
Vous évoquez une manipulation
dans votre livre très intéressant « Le
printemps arabe, une manipulation ?».
Vivons-nous en ce moment les
conséquences de cette manipulation ?
De nouveau je précise que je préfère
le terme accompagnement à celui de
manipulation car je ne suis pas dans une
lecture complotiste des événements.
Évidemment il existe une forte relation
entre les retombées du printemps arabe
et les tragiques événements de cette
année. Cependant il faut aller au-delà
du printemps arabe pour s’intéresser à
son grand frère mort-né : « le grand
Moyen-Orient ». En effet, la matrice de
Daesh est composée essentiellement par
les anciens officiers sunnites de Saddam
Hussein à qui l’administration
américaine sous le contrôle de
l’administrateur de l’Irak, Paul Bremer,
avait remis 350 dollars avant de les
mettre à la retraite en 2003. Bush nous
avait dit que le monde en général et
l’Irak en particulier sera meilleur sans
Saddam Hussein. Nicolas Sarkozy nous
avait dit, en 2011, que la Libye sera
meilleure sans Kadhafi. François
Hollande essaye encore de nous
convaincre que le monde sera meilleur
sans Bachar Al-Assad. Bien sûr, ces
dictateurs sont indéfendables, mais leur
départ brutal a créé un vide, vite
occupé par les islamistes.
Les attentats de Paris ne
sont-ils pas l’une des conséquences de
la déstabilisation du monde arabe ? Et
est-ce que la responsabilité des
dirigeants occidentaux est engagée ?
Les attentats de Paris sont commis
par Daesh. Daesh est le produit de
facteurs complexes (tribaux,
intra-religieux, régionaux,
idéologiques) mais cette organisation
terroriste est le fruit de la faillite
de l’Irak dirigé par un despote, Al-Maliki,
certes pro-américain mais qui a accentué
les lignes de fragmentation dans son
pays. Comme le 11 septembre est la
conséquence du djihad en Afghanistan, il
existe une relation entre Daesh (issu de
la faillite de l’Etat irakien et
l’affaiblissement de l’État syrien) et
les derniers attentats à Paris. Pour moi
la responsabilité des dirigeants
occidentaux réside essentiellement dans
leur incapacité à déceler la duplicité
de leurs alliés stratégiques régionaux :
l’Arabie saoudite et le Qatar. Il est
vrai que cet aveuglement est provoqué
par des impératifs commerciaux à court
terme.
Vous êtes issu d’une famille
de diplomates algériens, pensez-vous que
l’absence du président de la République
algérienne dans ces moments difficiles
est envisageable ? L’Algérie peut-elle
se permettre un président absent sur la
scène nationale et internationale ?
Le président algérien suit les
événements mondiaux avec « alacrité »,
parole de François Hollande. Plus
sérieusement, son absence relative n’a
pas de grandes conséquences dans
l’immédiat. Car ce dont il s’agit
prioritairement c’est la collaboration
sécuritaire. Et dans ce domaine,
l’Algérie dispose de compétences et de
savoir faire. En revanche, à moyen
terme, le sujet est la stabilité
politique de l’Algérie qui vacille entre
vacance de pouvoir et pouvoir occulte.
Comment évaluez-vous la
situation sécuritaire en Algérie dans un
contexte géopolitique périlleux avec des
pays frontaliers instables, quand ils ne
sont pas des sanctuaires djihadistes ?
Le contexte régional est tumultueux.
Pour sa lutte contre les djihadistes,
l’Algérie dispose d’atouts liés à son
expérience et peut compter sur la
coopération internationale car une
Algérie dans la tourmente sera une
grande menace pour les équilibres
internationaux. Pour moi, le défi
algérien est aussi d’ordre interne :
économique et sociétal. Il est grand
temps d’avoir un régime représentatif.
La diaspora algérienne
installée à l’étranger et souvent
attaquée de toute part ne pourrait-elle
pas être un atout majeur pour faire
avancer notre pays ?
La diaspora algérienne n’est pas
particulièrement attaquée. D’abord, elle
n’a aucun lien avec les événements
tragiques récents dont les auteurs sont
des français, voire des belges. Ensuite,
bien sûr, cette diaspora renferme des
atouts pour le pays avec lequel les
attaches sont réelles et profondes.
Selon moi, le meilleur moyen d’impliquer
les Algériens de l’étranger dans la vie
politique et économique de l’Algérie est
de laisser les Algériens vivant en
Algérie participer activement à la vie
politique et économique, loin de toute
logique clientéliste.
Y a-t-il une place pour
l’élite progressiste en Algérie ?
Il y a toujours une place pour une
élite dans tout pays. En ce qui concerne
l’Algérie, la question qui se pose est :
comment réparer la machine à fabriquer
les élites ? La faillite du système
éducatif est inquiétante, ce secteur
vital est un vrai chantier, alors pas de
bricolages autour de « derja ou
pas derja ».
Sur quel thème
travaillez-vous en ce moment ?
En ce moment, le thème qui mobilise
ma réflexion est celui des relations
franco-algériennes. C’est complexe mais
autour de certaines anecdotes, une
recherche peut être menée sur les
connivences et contradictions
flagrantes. À titre d’exemple, je cite
le cas du secrétaire général du parti du
1er Novembre, Amar Saadani, qui dispose
d’un titre de séjour de 10 ans délivré
par les autorités françaises.
Juridiquement et techniquement, ce
monsieur fait partie de la diaspora
algérienne à l’étranger et entend
devenir le second personnage de l’État.
Pourquoi pas ? Alors, soit à partir de
ce cas inédit on ouvre un vrai débat sur
le rôle de la diaspora ou soit son titre
de séjour est un vrai-faux alors ce cas
s’inscrit sur un autre registre.
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen
Qui est Naoufel Brahimi El
Mili ?
Naoufel Brahimi El Mili est un
intellectuel algérien, Docteur es
Sciences politiques de l’IEP de Paris,
Consultant spécialisé sur le monde
arabe. Il est professeur à Sciences Po
Paris et est l’auteur du livre : « Le
printemps arabe : une manipulation? ».
Published in Oximity, November
21, 2015:https://www.oximity.com/article/Interview-de-Naoufel-Brahimi-El-Mili-1
In Whatsupic:http://fr.whatsupic.com/sp%C3%A9ciale-monde/naoufel-brahimi-el-mili4646.html
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