Interview Algériepatriotique
«Une explosion de
grande ampleur n'est pas à exclure au
Maroc»
Jacob Cohen
Jacob
Cohen : «Le Maroc appartient de plus en
plus au Palais royal et à ses affidés.»
D. R.
Mercredi 13 novembre 2013
Algeriepatriotique :
Vous venez de répondre au conseiller du
roi du Maroc, André Azoulay, dans un
langage cru. Qu’est-ce qui vous a fait
réagir avec autant de virulence ?
Jacob Cohen : L’affaire
remonte à janvier 2012 lorsqu’un
responsable d’une grande salle à
Casablanca a annulé ma conférence en
prétextant des travaux qui n’ont jamais
eu lieu. J’avais alors diffusé un
article intitulé : «Autocensure : la
maladie infantile de la démocratie
marocaine». J’ai expliqué ce boycott par
le fait que je n’allais pas tenir le
discours convenu de ceux qui prônent le
dialogue, mais en réalité préparent le
terrain à la
légitimation d’Israël dans le monde
arabe, et en particulier au Maroc. Je
tenais alors André Azoulay pour le
maître d’œuvre de cette politique qui
affaiblit le monde arabe face à la
pénétration sioniste. De mon point de
vue, son rôle est extrêmement néfaste.
D’où l’inamovible et très écouté
André Azoulay tient-il son influence
sans limites ? Où n’est-ce qu’une vue de
l’esprit ?
C’est un homme extrêmement puissant,
travaillant dans l’ombre, disposant de
réseaux influents en France et aux
Etats-Unis. Il faut d’abord rappeler que
c’était un dirigeant d’une grande banque
française. Il est probable qu’il fasse
partie du Bnai Brit, la franc-maçonnerie
juive internationale, qui regroupe 500
000 membres à travers le monde et très
bien représentée en Amérique. Il est
presque chez lui à New York et doit
certainement fréquenter le gratin de
cette métropole économique et
financière. Or, c’est là que sont
attribués les prêts financiers, que sont
conclus la plupart des grands accords
bancaires, commerciaux et douaniers.
Azoulay peut ouvrir toutes les portes
pour un pays comme le Maroc.
Des éléments probants montrent
qu’André Azoulay a contribué dans une
large mesure à semer le doute sur la
situation qui a prévalu en Algérie dans
les années 1990, en faisant la promotion
de la thèse du «qui tue qui» qui
absolvait les terroristes de leurs actes
criminels. Cet acharnement contre
l’Algérie s’explique-t-il uniquement par
la mésentente entre nos deux pays sur la
question du Sahara Occidental ?
Les tensions entre le Maroc et l’Algérie
remontent à 1963. Et ce qu’on a appelé
«la guerre des sables». Un conflit armé
tout de même entre deux pays «frères»
nouvellement indépendants. L’affaire du
Sahara Occidental n’est qu’une
manifestation de ces tensions, plus
liées à la question d’hégémonie
régionale. En soutenant le Sahara
Occidental, l’Algérie cherche à
affaiblir son voisin et concurrent et à
l’enfoncer dans une guerre sans fin. Je
ne crois pas beaucoup au droit
international. Les Etats ne l’invoquent
que lorsque cela les arrange. C’est
valable pour tous les pays. Si les
conflits se réglaient conformément au
droit international, on s’adresserait
plus souvent à la Cour internationale de
justice. Or, elle est quasiment au
chômage.
Pensez-vous que l’Algérie et le
Maroc pourraient transcender leurs
différends malgré la différence radicale
entre les deux régimes ; l’un, marocain,
monarchique et ultralibéral, l’autre,
algérien, républicain et entretenant une
sorte de socialisme déguisé ?
Le problème pour ces deux pays voisins
est de trouver un modus vivendi
d’équilibre régional et de respect
mutuel. Ce qui ne semble pas le cas
actuellement, bien que cette situation
soit terriblement préjudiciable aux deux
pays qui ont des économies
complémentaires. Et qui le paient cher.
Quand on pense à ce qu’ils auraient pu
réaliser en commun pendant les 40
dernières années ! Pour utiliser une
référence marxiste, je dirais que les
différences entre les deux régimes
représentent la superstructure,
c’est-à-dire l’expression de
contradictions et d’oppositions beaucoup
plus structurelles, et qui y vont de
leur survie. Le plus terrible, c’est
cette dynamique de la défiance et de la
haine qui s’est enracinée et qui
pourrait compromettre un vrai
rapprochement, malgré une bonne volonté
des dirigeants. Je crois que ces
derniers finissent par être prisonniers
de leurs propres mythes.
L’opposant Abdelmoumène Diouri,
avant de rentrer au Maroc après un long
exil, a publié son fameux livre A
qui appartient le Maroc ? Avez-vous
une réponse à cette question ?
Le Maroc appartient de plus en plus – ce
qui n’était pas le cas jusque dans les
années 80 – au Palais royal et à ses
affidés, avec la collaboration complice
des grandes multinationales. On peut
dire aujourd’hui qu’aucune activité
économique d’importance n’échappe, au
moins en grande partie, à l’emprise du
roi. Et cela ne concerne pas seulement
les secteurs modernes de l’économie.
L’agriculture, secteur traditionnel par
excellence, est devenue un enjeu capital
pour l’enrichissement de la monarchie.
Les meilleures terres, surtout celles
qui étaient occupées par les colons
français, sont devenues la chasse gardée
du pouvoir et de ses obligés et
représentent un secteur productif tourné
vers l’exportation.
Les indicateurs économiques et
financiers montrent que le Maroc
traverse une crise sévère qui l’oblige à
recourir à l’emprunt malgré une dette
extérieure faramineuse, hypothéquant
ainsi jusqu’à son indépendance. Quelles
sont les raisons de cette crise ?
Comment un Maroc surendetté pourrait-il
en sortir ?
Les raisons de la crise résident dans le
choix du développement choisi,
c’est-à-dire favoriser une minorité
privilégiée au détriment de la majorité
et en y associant des groupes
internationaux, intéressés par un
bénéfice immédiat et rapatriable. Et on
s’y enfonce en en devenant l’otage de
leurs exigences. Tant que le Maroc
poursuivra dans cette logique financière
et marchande, on ne voit pas comment il
peut se libérer de l’emprise
internationale. Sans compter que les
possédants nationaux n’ont qu’une
hantise : faire échapper leur fortune au
fisc par la corruption et l’évasion dans
les paradis fiscaux.
Le Maroc est-il à l’abri d’une
explosion sociale si la situation
empirait davantage ?
Des explosions sociales, il y en a déjà
eu. J’en ai vécu personnellement trois.
En 1965, 1981 et 1984. Et il y en a
toujours, mais qui restent localisées.
Le peuple n’en peut plus devant les
inégalités criantes, la corruption et
les injustices. Mais ces explosions sont
toujours matées dans le sang. En 65, on
tirait à la mitraillette sur les
manifestants des hélicoptères. Une
explosion d’une grande ampleur n’est pas
à exclure, mais le régime n’hésitera
devant aucune extrémité pour la mater,
car il aura le soutien total de
l’Occident et du monde arabe qui n’ont
pas envie de voir tomber un de leurs
bastions. Regardez la révolution à
Bahreïn, comme elle est noyée dans le
sang dans l’indifférence des médias et
le silence des chancelleries.
Comment expliquez-vous la main
tendue par le Conseil de coopération du
Golfe (CCG) au Maroc, pourtant moins
riche et géographiquement éloigné ?
Solidarité de monarchies, de régimes, de
pays ayant la même vision de leurs
intérêts, totalement dépendants de
l’Amérique et incapables d’avoir une
vision propre, collaborant plus ou moins
ouvertement avec l’Etat sioniste. Les
monarchies du Golfe se sont toujours
«inquiétées» du sort du Maroc, notamment
lorsque des régimes révolutionnaires
arabes voulaient abattre cette monarchie
«rétrograde et réactionnaire». Une des
principales raisons qui font que le
régime marocain tient malgré tout et
arrive à s’en sortir, c’est l’aide
généreuse du Golfe. Le roi s’y rend
régulièrement pour parfois «boucler les
fins de mois».
Le sionisme domine le monde à
travers les deux leviers superpuissants
que sont les finances et les médias,
compensant ainsi son infériorité
numérique. Jusqu’à quand cette
omnipotence pourra-t-elle durer, selon
vous ?
Cette omnipotence durera tant que
dureront la puissance et l’utilité
d’Israël. En fait, tout se tient, tout
le système est lié. Les deux côtés
s’aident et se renforcent mutuellement.
Malgré tout, un changement est en train
de s’opérer au niveau des médias.
L’omnipotence sioniste est battue en
brèche. Le discours antisioniste passe
de plus en plus. Les critiques d’Israël
sont devenues quotidiennes.
Comment le sionisme arrive-t-il
à phagocyter les institutions politiques
des puissances occidentales ?
Le sionisme a inventé un réseau unique
dans l’Histoire. Il s’appuie sur une
espèce de cinquième colonne composée de
dizaines de milliers de juifs qui
habitent hors d’Israël. Ces juifs
sionistes acceptent de collaborer avec
le Mossad depuis les années 50. On les
appelle des sayanim
(informateurs, ceux qui aident, en
hébreu). J’ai décrit leur action en
France dans mon livre Le Printemps
des Sayanim (éd. L’Harmattan). Ces
sayanim occupent des postes
importants dans tous les secteurs
d’activité : les universités, les
institutions financières et
gouvernementales, le cinéma, la musique,
la publicité, et surtout dans les
médias. Ils contrôlent et façonnent
l’information. Imaginez 5 000
sayanim à Hollywood contrôlant
l’industrie du cinéma et de la
télévision. Imaginez 5 000 sayanim
à New York contrôlant la finance. Et 5
000 à Washington contrôlant le Congrès.
Et il y en a des milliers en Angleterre,
en Allemagne, etc. André Azoulay, pour
moi, en est certainement un. Et vous
comprendrez comment cette puissance
occulte soutient la cause sioniste.
Le sionisme pourrait-il être
vaincu ? Comment ?
Le sionisme est un colosse aux pieds
d’argile. Parce qu’il est en train de
perdre sa légitimité dans le monde
entier. Malgré l’activisme des sayanim,
Israël n’a plus la côte. Quand on a
connu les années 60 et 70, on voit tout
le chemin parcouru. La victoire serait à
portée si le peuple palestinien n’était
pas dirigé par une bande de collabos,
prêts à «négocier» avec l’occupant pour
quelques privilèges illusoires, avec la
bienveillance de l’Occident et des
dirigeants arabes. Si l’Autorité
palestinienne acceptait de se dissoudre
et de laisser Israël redevenir un vrai
occupant, au vu et au su de tous, les
sionistes ne tiendraient pas deux ou
trois ans. Le monde entier ne pourra
faire autrement que de les boycotter,
exacerbant les tensions internes qui
minent la société israélienne.
Vous êtes établi en France où
toute critique contre Israël est
assimilée à de l’antisémitisme. Comment
vivez-vous cette situation ?
C’est une situation excessivement
pénible. Par exemple, j’ai été agressé à
2 reprises par la Ligue de défense
juive, un groupe sioniste extrémiste. Il
n’y a eu ni enquête ni procès. La
première agression a été classée sans
suite. Alors que des insultes antijuives
entraînent souvent des peines de prison
ferme. On doit se battre contre tout
cela aussi.
Beaucoup d’observateurs notent
une jonction entre l’extrémisme
religieux incarné par la mouvance
salafiste et le sionisme. Quel est votre
avis ?
Il peut y avoir convergence d’intérêts
dans certaines situations particulières,
comme le sionisme peut aussi bien
s’entendre avec des dictateurs laïques
ou des monarchies modérées. Il ne faut
pas en tirer des généralités. Le
sionisme cherchera toujours des
alliances conjoncturelles, surtout si
elles divisent le camp arabe. Diviser
pour régner.
Le «printemps arabe» est-il un
mouvement spontané des peuples dans les
pays qui l’ont vécu ou est-ce la
conséquence d’un plan de déstabilisation
ourdi «ailleurs» et dont la mise en
œuvre a été facilitée par le ras-le-bol
des populations arabes ?
Je suis convaincu que le «printemps
arabe» a été un mouvement spontané. Les
pays occidentaux sont tout, sauf fous.
Quel intérêt de déstabiliser les régimes
tunisien et égyptien, alliés fidèles de
l’Amérique et très compréhensifs à
l’égard d’Israël ? Cette vieille
«stabilité» était louée de partout et
l’Occident fermait les yeux sur le
reste. Mais une fois que l’Occident a
compris que c’était fichu, il s’est
arrangé pour suivre le mouvement et en
contrôler l’évolution. En ce sens, tout
semble rentrer dans l’ordre, l’ordre
d’avant bien entendu. Trop d’intérêts
sont en jeu. On ne laissera jamais un
pays arabe choisir la voie qui lui
convient. C’est ça l’impérialisme. Et il
a de solides arguments et des alliés
arabes qui obéissent au doigt et à
l’œil.
Entretien réalisé par M. Aït
Amara et Mohamed El-Ghazi
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