Opinion
La torture par la CIA et l’obligation
pour la justice des Etats-Unis de
poursuivre
Hans Christof von Sponeck
Photo:
D.R.
Jeudi 1er janvier 2015
Le
comte Hans Christof von Sponeck a
démissionné, en 2000, de son poste de
Sous-Secrétaire général de l’ONU et de
Coordinateur humanitaire UN en
Irak pour protester contre les sanctions
économiques infligées par l’ONU au
peuple irakien. Il est membre de la
Commission des crimes de guerre de Kuala
Lumpur – créée en 2007 par l’ancien
Premier ministre de Malaisie, Dr Tun
Mahathir -
dont la mission
est de vérifier
et contrôler les plaintes des victimes
de guerres et de conflits et autres
crimes reconnus comme étant des
violations du droit international [1]
Il répond ici aux
questions de la journaliste indépendante
suisse Silvia Cattori.
Hans Christof von Sponeck dénonçait ici
les conséquences,
pour les enfants notamment, des
sanctions criminelles de l’ONU contre
l’Irak.
Le rapport du Sénat américain
sur la torture par la CIA et
l’obligation qui en résulte pour la
justice américaine de poursuivre
Silvia Cattori:
Vos propres investigations [2], ainsi
que les rapports présentés par le
Sénateur suisse Dick Marty [3] sur les
centres secrets de détention de la CIA
avaient déjà apporté la preuve de ces
pratiques systématiques de la torture.
Le rapport publié le 9 septembre par le
Sénat des États-Unis apporte-t-il des
éléments nouveaux par rapport à ce que
vous saviez déjà ? A vos yeux, ce
rapport a-t-il une portée particulière ?
H.C. von Sponeck: La
publication, par la Commission sur le
Renseignement du Sénat américain, du
résumé en cinq cents pages de son
rapport sur la torture doit être
reconnue comme une contribution
importante au processus judiciaire. S’il
est louable que les atrocités commises
par les autorités américaines soient
officiellement reconnues, cela ne suffit
pas. Les dirigeants américains à la tête
du Congrès comme du gouvernement, y
compris le président Obama, doivent
faire preuve de leadership et s’engager
à confirmer que ces preuves seront
utilisées par les autorités légales
américaines pour engager des poursuites
contre tous les auteurs de torture.
La publication du rapport sur la
torture a réitéré ce qui était connu
globalement depuis longtemps, à savoir
que torture et crimes de guerre étaient
commis par des membres de l’appareil
d’état américain. Les gouvernements en
Europe et ailleurs ainsi que des
organisations de la société civile
étaient au courant de la pratique de la
torture dans des prisons en Irak
(c.-à-d. à Abu Ghraibh et aux camps
Bucca et Cropper), en Afghanistan (Bagram)
et à Cuba (Guantanamo).
En tant que membre de la Commission
de Kuala Lumpur sur les Crimes de
Guerre, j’ai communiqué avec des
victimes de torture de Bagram, Abu
Ghraib et Guantànamo en 2011 et 2012 et
j’ai recueilli de première main leurs
témoignages de souffrances immenses.
Deux volumes de preuves de torture et de
crimes de guerre ont été remis par Denis
Halliday et moi-même en juin 2014 à
Londres aux chambres des Communes et des
Lords britanniques réunies en audience
sur l’Irak. Grâce aux enquêtes menées
par le sénateur suisse Dick Marty dont
les résultats ont été soumis au Conseil
de l’Europe, le monde a appris
l’existence de « vols pour la
restitution » organisés par la CIA à
travers l’Europe et de geôles secrètes,
par exemple en Pologne, Roumanie,
Egypte, Libye, Syrie et ailleurs. Nous
sommes conscients que les détenus
étaient conduits dans ces prisons dans
le seul but d’obtenir des informations
par la torture.
La signification du rapport publié ne
tient donc guère à la confirmation de la
torture. Les détails horribles de
traitements inhumains dans le rapport du
Sénat américain se sont simplement
ajoutés à l’image d’horreur dont nous
avions conscience. Ce qui est nouveau et
significatif, toutefois, tient à l’aveu
officiel par le Congrès américain de
tels crimes et l’obligation qui en
résulte pour la justice américaine de
poursuivre.
Silvia Cattori:
La pétition que vous avez initiée
récemment avec Monsieur Denis Halliday
[4] appelle les Etats-Unis à assurer –
conformément à leurs obligations selon
le droit international – des poursuites
judiciaires contre ceux qui ont pratiqué
les tortures. Vous paraît-il
vraisemblable, Monsieur von Sponeck, que
le gouvernement des Etats-Unis agisse en
ce sens ?
H.C. von Sponeck: Le
fait que ni le Sénat ni la Chambre des
représentants américains ni le
gouvernement du président Obama n’ont
encore révélé leurs intentions
concernant les prochaines étapes du
processus judiciaire soulève de graves
préoccupations au niveau international.
Il est impossible que le pays qui veut
se voir à la pointe de la défense des
droits de l’homme et de la justice
fournisse un nouvel exemple de pratique
de « deux poids, deux mesures » dans
l’application de la loi.
Silvia Cattori: En
Irak, les Etats-Unis ne se sont pas
seulement rendus coupables de tortures.
Ils ont précipité ce pays dans un chaos
qui a déjà fait périr des millions de
gens. Chaos qui continue malheureusement
de développer ses effets meurtriers dans
toute la région. N’est-ce pas d’abord de
ce crime-là que les Etats-Unis auraient
déjà dû être tenus responsables ?
H.C. von Sponeck:
Si les Etats-Unis n’engagent pas des
poursuites, l’obligation de le faire
incombera à la Cour
pénale internationale (CPI) ou, sous la
juridiction universelle, à un tribunal
national. En 2012, la CPI a refusé
d’entendre ces accusations de torture et
de crimes de guerre en faisant valoir
qu’ils ne relevaient pas de sa
juridiction.
On peut seulement espérer que le
procureur principal récemment nommé, Mme
Fatou Bensouda, comprendra qu’il lui
incombe de défendre l’intégrité de la
CPI et d’accepter d’entendre les
accusations si elles sont présentées à
nouveau au cas où le gouvernement
américain manquerait à sa
responsabilité.
Silvia Cattori:
Hans Christof von Sponeck je vous
remercie.
Propos recueillis par
Silvia Cattori le 30 décembre 2014 [Traduit
de l'anglais par Marcel Barang pour
Arrêtsurinfo]
Notes
[1] Commission:
www.criminalisewar.org
[2] Deux volumes de preuves de
torture et de crimes de guerre ont été
remis par Denis Halliday en juin 2014 à
Londres aux chambres des Communes et des
Lords britanniques:
- It
is time for the damage to be compensated www.brussellstribunal.org/article_view.asp?id=1662#.VKVLoCuG-So
- Time
on Iraq War: What Did We Do to Deserve
This? www.brussellstribunal.org/article_view.asp?id=1641#.VKVMOSuG-So
[3] Sur les prisons secrètes
et les restitutions de la CIA :
http://www.assembly.coe.int/ASP/Doc/XrefViewPDF.asp?FileID=11527&Language=FR
Dick Marty : « Ce que j’ai découvert
m’a profondément choqué »
http://www.silviacattori.net/spip.php?article742
« Faut-il combattre la tyrannie avec
les instruments des tyrans ? »
http://www.silviacattori.net/spip.php?article143
Sur les listes noires ONU et
leurs mécanismes indignes :
http://www.dickmarty.ch/Docs/20081221_nota%2019.3.07%20(f).pdf
http://www.dickmarty.ch/Docs/20081221_rapporto%20fran%C3%A7ais.pdf
[4] STOP TORTURE: Accountability:
YES – Impunity: NO http://diy.rootsaction.org/petitions/stop-torture-accountability-yes-impunity-no
Stop à la
torture! Poursuites judiciaires: Oui
– Impunité: Non
Cette pétition sera adressée:
• au gouvernement des Etats-Unis
• à la Cour pénale internationale
• au président de l’Assemblée
générale
de l’ONU
• au président du Conseil des droits
de l’homme
• à la Cour de justice
Cette pétition a été initiée par
deux anciens secrétaires généraux
adjoints de l’ONU, et coordinateurs
humanitaires de l’ONU pour l’Irak:
Hans von Sponeck et Denis Halliday.
Le 9 septembre 2014, le Sénat des
Etats-Unis a publié son rapport sur
les pratiques de torture par la CIA.
L’enquête a confirmé ce qui
globalement était connu depuis de
nombreuses années: l’Agence centrale
d’intelligence des Etats-Unis (CIA),
et les autorités nationales
sous-traitants des Etats-Unis en
Europe, au Moyen-Orient et ailleurs
étaient impliquées dans une longue
série de faits de torture.
Des preuves irréfutables sont
apparues au jour, particulièrement
depuis 2001 et le déclenchement de
la guerre en Afghanistan, à travers
les enquêtes menées par le Parlement
européen et les autorités
judiciaires nationales aussi bien
qu’à travers les deux rapports
majeurs présentés par le sénateur
suisse Dick Marty en 2006 et 2007 au
Conseil de l’Europe sur les centres
secrets de détention de la CIA en
Europe, au Moyen-Orient et ailleurs.
Le rapport du Sénat américain
établit clairement que les
traitements cruels, dégradants et
inhumains de ses prisonniers par la
CIA et ses collaborateurs se
pratiquaient sur une base continue.
De tels traitements ne peuvent être
justifiés d’aucune manière, quand
bien même il faudrait prendre en
compte les réserves avec lesquelles
le Gouvernement américain a signé la
Convention des Nations Unies contre
la torture en 1994.
Le personnel de la CIA et
d’autres ont participé de leur plein
gré à l’exécution des ordres et
directives des cadres, violant ainsi
la Convention des Nations Unies
contre la torture et la Troisième
Convention de Genève. De ce fait,
ils ont commis de graves crimes pour
lesquels ils doivent être tenus
juridiquement responsables.
Le représentant spécial de l’ONU
pour le contre-terrorisme et les
droits de l’homme, Ben Emmerson nous
a rappelé que «la torture est un
crime de juridiction universelle».
Le Haut commissaire de l’ONU pour
les droits de l’homme, Zeid Raad
al-Hussein, a dit qu’il est «clair
comme du cristal» selon le droit
international que les Etats-Unis,
ayant ratifié la Convention contre
la torture en 1994, ont maintenant
l’obligation d’assurer les
poursuites judiciaires. Il a ajouté
ensuite: «S’ils ordonnent,
permettent ou commettent la torture,
reconnue comme un grave crime
international, on ne peut pas
simplement leur accorder l’impunité
par opportunisme politique.»
Le président américain Obama ne
peut ignorer que la non poursuite
des auteurs est une victoire pour
l’impunité et aura des implications
d’une portée considérable pour la
sécurité planétaire.
Nous, signataires de toutes les
parties du monde, exigeons ainsi du
gouvernement des Etats-Unis et de
son procureur général d’entamer une
procédure judiciaire avec toute
l’urgence qui s’impose, en accord
avec les principes d’égalité devant
la loi.
S’ils faillissent à la tâche,
d’autres organisations
internationales, telle la Cour
pénale internationale, auront, selon
le droit international, l’obligation
d’assurer que justice soit rendue.
English version of the H.C. von
Sponeck interview.: http://arretsurinfo.ch/the-senate-cia-torture-report-and-the-us-obligation-to-prosecute-h-c-von-sponeck-interview/
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