Témoignage
Homs, une ville
plongée dans l'horreur organisée par des
groupes armés et non par Damas
Silvia Cattori
Nombre de
civils et de militaires sont tombés
martyrs à Homs et à Idleb
Photo: Sana
Mardi 7 février
2012
Le Syrien qui
témoigne ici vit à Homs, dans le
quartier où a été tué Gilles Jacquier en
même temps que huit sympathisants
syriens du gouvernement Assad. Les obus
tombaient tout autour de son immeuble au
moment où nous parlions. Tétanisé par la
peur et l’angoisse de la mort qui
rôdait, il parlait à voix basse,
difficilement.
Nous croyons ce que ce cadre, père
de deux enfants, nous a dit avec
sobriété. Nous croyons en sa
sincérité. Ce qu’il affirme
contredit ce qu’affirment les
autorités politiques -impliquées
dans le conflit- et nos médias, qui
persistent à nier la réalité ; à
attribuer les destructions et les
assassinats aux forces armées
syriennes et à affirmer à tort
qu’elles torturent des enfants,
violent des jeunes filles, tuent
intentionnellement des civils.
En opposant leur véto à la
résolution proposée par l’Occident
et ses alliés arabes des pays du
Golfe, la Chine et la Russie
viennent de montrer qu’elles ne sont
pas dupes de cette colossale
désinformation. Mais, depuis que le
Conseil de sécurité de l’ONU s’est
réuni, ces bandes armées ont
redoublé de sauvagerie se sentant de
toute évidence fortes du soutien que
leur apporte la prétendue «
communauté internationale ».
Silvia Cattori
: Dans un
article du 4 février, le journaliste
de l’AFP, Khaled Soubeih [1],
affirme que, selon des militants,
« dans la nuit, les forces du régime
ont bombardé au mortier et au char
plusieurs quartiers rebelles comme
Baba Amro, Bab Dreib, Bab Sebaa,
Bayada, Wadi Araba, et surtout
Khaldiyé. » Le
Conseil national syrien (CNS) fait,
lui, état d’au moins 260 morts et de
centaines de blessés. Est-ce bien
votre point de vue sur ce qui s’est
passé dans la nuit du vendredi 3 au
samedi 4 février 2012 ?
Réponse :
Ils tirent de tous côtés…ils veulent
juste tuer…Leurs tirs ont tué 20
militaires qui se trouvaient dans
notre quartier (Hadara)… Ce sont eux
qui tirent et nous bombardent. Vous
entendez ? Ils lancent des bombes
sur notre quartier en ce moment
[11h40 du dimanche 5 février] Ils
tirent et tuent pour tuer aussi bien
des alaouites que des sunnites dont
ils contrôlent les quartiers.
Silvia Cattori
: Quand
vous dites « ils », « eux »
qui désignez-vous
?
Réponse :
Je parle des opposants armés contre
Bachar.
Silvia Cattori
: On a vu
des images montrant des opposants
devant des dizaines de corps
recouverts de linceuls blancs que
l’on a dit avoir été tués dans le
quartier de Khaldiyé. Alors, selon
vous, ce sont les corps de civils et
de militaires exécutés par des
groupes armés ?
Réponse :
Oui. Ce sont eux qui les ont tués.
Parmi ces corps, des gens de notre
quartier ont reconnu des personnes
qui avaient été kidnappées [2],
certaines depuis longtemps. Ils ont
enlevé beaucoup de gens. Les
enlèvements ont commencé en avril.
Silvia Cattori
: A-t-on
reconnu parmi ces corps une personne
enlevée que vous connaissiez ? Le
ministre des Affaires étrangères
françaises, Alain Juppé, a parlé de
100 enfants tués à Homs l’autre
jour…
Réponse :
Des parents de mon quartier ont
reconnu, parmi ces cadavres, une
vingtaine d’hommes qui avaient été
kidnappés. Ils portaient des traces
de torture. Ils n’ont pu voir tous
les corps. Ils n’ont vu ni femmes ni
enfants, parmi les cadavres. Ils ont
vu les corps d’hommes, de disparus,
de parents, présentant pour certains
des traces de torture apparemment
antérieures à la mort ; ils ont
assuré que ces hommes avaient été
enlevés auparavant, qu’ils
paraissaient avoir été exécutés et
non pas tués par des obus.
Silvia Cattori
:
Savez-vous combien de personnes ont
été enlevées par ces groupes armés
depuis avril ?
Réponse :
On ne sait pas exactement…mais
beaucoup d’hommes ont disparu. L’un
d’eux est mon cousin. Ils l’ont
kidnappé il y a 15 jours. On n’a
plus eu aucune nouvelle. Il y a des
familles ici qui ont eu des fils,
des pères ou des oncles kidnappés.
On estime à quelques 400 le nombre
de personnes enlevées, disparues.
Je connais un autre cas récent.
Celui du frère d’une amie. Il est
parti en voiture le 24 janvier et on
ne l’a plus revu. Sa famille a eu
des nouvelles de lui par téléphone
il y a 4 jours disant que ses
ravisseurs demandent une rançon. La
famille est en train de trouver une
somme importante … Il arrive que,
une fois trouvé, l’argent se perde
en route, car le médiateur se fait
tuer…
Silvia Cattori
: Mais,
ici, on dit que l’armée viole,
torture les enfants...On dira en
vous lisant que c’est peut-être
l’armée qui kidnappe les gens ?
Réponse :
Tout cela ne reflète pas ce que nous
voyons depuis notre côté. Ce sont
les opposants armés qui assiègent,
qui kidnappent, qui tuent et
torturent les enfants dont l’on voit
ensuite la photo sur Aljazeera. Ils
attribuent leurs crimes à l’armée
syrienne. Les destructions, les
morts, les blessés que nous avons,
ce sont les opposants armés qui en
sont responsables.
Silvia Cattori
: Toujours
est-il que ce chiffre de 260 civils
[3]
« dont une centaine d’enfants et de
femmes », qui
auraient péri sous les obus de
l’armée d’Assad dans le faubourg de
khalidiya, à Homs, la nuit du
vendredi 3 février, ont mis le monde
en émoi ; ce qui n’arrange pas les
choses. Or, parmi les corps exposés
à Khaldiyé on ne voit ni femmes ni
enfants. On voit des jeunes hommes
dont les corps portent des traces de
tortures. Ils ne paraissent pas
avoir été tués sous les décombres,
suite à des bombardements. Tout cela
confirme ce que vous nous avez dit.
Que les tueries sont davantage le
fait de groupes armés. Il est
important de mettre cela au clair ;
car si ce que vous dites - que les
corps exposés sont ceux de gens
qu’ils ont préalablement enlevés et
exécutés - cela incrimine ceux qui,
comme Obama et Sarkozy, couvrent les
atrocités de ces opposants car ils
veulent obtenir le renversement d’Assad
coûte que coûte. Y a-t-il des photos
des immeubles qu’ils auraient
bombardés ?
Réponse :
Oui. Ils ont bombardé Hadara, notre
quartier (là où ils ont tué Gilles
Jacquier - Nda) vendredi nuit. Les
tirs partaient depuis Baba Amro, Bab
Dreib, Bab Sebaa, Bayada, Khaldiyé
…dans tous les sens. Ce n’étaient
pas des tirs qui partaient de
l’endroit où se trouvaient des
forces armées gouvernementales qui
sont ici dans notre quartier pour
nous protéger. C’est un petit
quartier le nôtre.
Silvia Cattori
: Alors, ce
qu’ont rapporté des Syriens par
téléphone au journaliste de l’AFP
n’est pas vrai ?
Réponse :
Non, ce n’est pas vrai. Ils sont
lourdement armés. Ils ont pris le
contrôle de Baba Amro, Bab Dreib,
Bab Sebaa, Bayada, Khaldiyé... Ils
détruisent, tuent, blessent les
gens. Ils bombardent en ce moment…Ce
sont eux (les groupes islamistes
armés) qui font exploser des
bâtiments, qui menacent les gens pas
seulement dans notre quartier,
partout. Il y a des tirs en ce
moment dans plusieurs endroits. Les
habitants appellent l’armée à
l’aide.
Silvia Cattori
: Avez-vous
peur en ce moment ?
Réponse :
Oui, on est effrayés. C’est très
dangereux pour nous.
Silvia Cattori
:On peine à
comprendre comment ces groupes
peuvent « contrôler » la population
de quartiers entiers de la ville de
Homs ?
Réponse :
Ils sont entrés dans les quartiers ;
ils s’y sont installés par la
terreur ; ils maintiennent les
habitants sous la menace ; ils les
obligent à collaborer pour les
protéger ; ils les obligent à fermer
leurs échoppes, les écoles.
Silvia Cattori
: Qu’est-ce
qui est le plus difficile pour vous
qui êtes exposés à leurs tirs ?
Réponse :
On ne peut pas sortir, on ne peut
pas voir d’autres gens, on vit dans
la crainte permanente qu’une bombe
nous touche, nous tue. Nous ne
vivons pas en sécurité…Je ne peux
pas aller à mon travail ; il y a
sans cesse des bombardements dehors
; ils nous tuent dès que l’on sort ;
la maison de mon voisin a été
détruite…
Silvia Cattori
: Depuis
quand la situation est-elle devenue
à ce point intenable ?
Réponse :
Depuis deux jours cela est allé de
pire en pire. Mais les choses se
sont aggravées depuis sept jours.
Silvia Cattori
: Avez-vous
l’impression que l’administration
d’el-Assad ne fait pas ce qu’il faut
pour vous protéger ?
Réponse :
Ils font de leur mieux dans un
contexte très difficile.
Silvia Cattori
: Les
journalistes des médias
traditionnels parlent de
manifestants pacifiques, d’une
révolution qui promet la démocratie…
Réponse :
Non, il n’y a pas de manifestations
pacifiques de leur côté. Toutes
leurs manifestations sont violentes,
sont des incitations à la violence.
Silvia Cattori
: Ce que
vous dites atteste que ce que les
politiques et les médias qualifient
chez nous de «
militants pro-démocratie »
sont en réalité des
groupes armés qui terrorisent la
population. C’est tout de même une
douloureuse équation. Que
ressentez-vous quand vous entendez
MM. Alain Juppé et Gérard Araud,
l’ambassadeur de France à l’ONU,
donner raison à ces opposants armés
qui vous tuent, vous kidnappent et
tuent les soldats qui, avec la
meilleure volonté, n’arrivent pas à
vous protéger ?
Réponse :
Ce que je ressens ? De la tristesse.
Je suis très triste pour mon pays,
mon peuple…je ne cesse de me
demander pourquoi ils mentent…Nous
sommes ici face à l’inconnu…Je
remercie la Russie et la Chine pour
avoir opposé leur veto au Conseil de
sécurité. Car si eux aussi laissent
faire ce que veulent d’autres pays,
ce qui est arrivé en Libye arrivera
ici en pire…
J’aimerais dire aux journalistes et
aux responsables politiques que par
leurs mensonges, par leur biais en
faveur des opposants armés qui nous
terrorisent, ils détruisent
l’esprit, et surtout l’âme de notre
jeunesse.
Silvia Cattori
: Nous vous
remercions d’avoir accepté de nous
répondre. Nous allons faire de notre
mieux pour faire connaître votre
témoignage.
*****
Atterrée par ce que nous venions
d’entendre, nous avons posé le
téléphone tout en sachant que nos
politiciens et nos médias ne
voudront pas l’entendre [4].
(5 février 2012 )
Post scriptum
Ce matin, 6 février, alors que nous
nous apprêtions à publier ce
témoignage, en entendant dire sur
France Culture
que l’armée syrienne pilonnait sans
discontinuer depuis samedi les
opposants, et l’invité du matin,
Salam Kawabiki, opposant syrien
résidant à Paris, se plaindre que «
malheureusement les
médias du régime (sont) relayés par
des sites d’extrême droite
français... » [5],
nous avons dressé l’oreille. Salam
Kawabiki parlait de plus de 400
morts du côté des opposants dans la
nuit de vendredi. Opposants qu’il
présente comme étant totalement
pacifiques, manifestant en chantant,
comme les membres d’une révolution
qui a « développé un
humour syrien ».
Nous ne l’avons pas cru. Tout ce
qu’il disait transpirait la
propagande, ne cadrait aucunement
avec ce que, depuis des mois, nos
contacts à Homs, terrorisés par les
opposants armés, disent et répètent.
Nous les avons rappelés pour leur
demander qui les pilonnait
aujourd’hui. Il nous ont dit : «
Aujourd’hui les
groupes armés ont attaqué le centre
de communication ; ils ont fait
exploser des immeubles dans le
quartier d’al-Nazihin et le quartier
al-Inchaat ; ils ont menacé de faire
sauter d’autres immeubles dans
d’autres quartiers ; sur les
toitures des pneus brûlent [6]
; les habitants appellent l’aide de
l’armée ».
Silvia Cattori
Pour des raisons
de protection nous n’indiquons pas
le nom de nos correspondants.
Cet entretien
n’aurait pas pu être réalisé sans le
précieux soutien de Rim, une jeune
Syrienne.
[1]
« Syrie : choc et horreur dans la ville
dévastée de Homs », par Khaled Soubeih,
(AFP) 4 février 2012.
[2]
Mgr Jean-Clément Jeanbart dit lui aussi
que « des gens sont tués
en plein jour, kidnappés par des
gangsters, qui demandent des rançons
élevées » Voir :
http://www.silviacattori.net/article2780.html
[3]
Le correspondant de la BBC en Arabe qui
se trouvait à Homs du côté des rebelles
estime lui à 50 le nombre des tués (et
non pas 260), tout en précisant que,
dans le chaos actuel, il est difficile
de compter.
[4]
Voir : «
Les Syriens sont une majorité à soutenir
le président Assad, mais ce n’est pas
des médias occidentaux que vous pourriez
l’apprendre », par Jonathan Steele,
The Guardian, 17
janvier 2012.
[5]
Il y a de nombreux sites d’information
en France, de sensibilités politiques
diverses, qui traduisent et publient des
auteurs sérieux et sans biais (par
exemple MAHDI DARIUS NAZEMROAYA, BILL
VAN AUKEN, PEPE ESCOBAR, JEREMY SALT,
JONATHAN STEELE, etc), infiniment plus
crédibles, au sujet de ce qui se passe
au Moyen et au Proche Orient, que les
journalistes Christophe Ayad ou Georges
Malbrunot, publiés par Le Monde et Le
Figaro
[6]
Il y a deux jours, sur
Facebook, de prétendus «
révolutionnaires
démocrates épris de liberté » ont
appelé à mettre le feu a des pneus sur
les toitures des bâtiments à Homs.
Le
dossier Syrie
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