La solitude du peuple palestinien face à
l'ignominie
Laissera-t-on Israël transformer Gaza en un immense cimetière ?
Silvia Cattori
Gaza : manifestation contre le siège
(IMEMC)
Mardi 6 avril 2010
Omar (*), 38 ans, habite dans un quartier très pauvre et
insalubre de Gaza. Il est sans travail, sans revenu. 80 % des
habitants de Gaza sont dans la même situation. L’histoire qu’il
raconte ici reflète la situation tragique et le désespoir dans
lesquels Israël maintient la population de Gaza. Le désespoir
aussi de savoir que la « communauté internationale » ne fait
rien pour mettre un terme à l’intolérable.
Silvia Cattori :
Que ressentez-vous
depuis votre mouroir de Gaza en voyant des jeunes Palestiniens
dans la vieille ville de Jérusalem protester contre les
restrictions d’accès à la Mosquée Al Aqsa, risquer leur vie face
aux assauts des troupes israéliennes ? [1]
Omar :
Ce qui se passe à Jérusalem, les provocations d’Israël, sa
judaïsation de la Terre Sainte, concerne tous les Palestiniens.
C’est très grave. Israël cherche à pousser les Palestiniens à
une grande révolte, pour ensuite faire croire qu’il y a là une
menace pour sa sécurité et en profiter pour intensifier la
répression.
Je ne pense pas que les
Palestiniens sont prêts à courir le risque de rentrer dans cette
stratégie perfide, d’aller se faire humilier et écraser une
nouvelle fois. Vous savez, les Palestiniens n’ont pas encore
guéri les plaies de la dernière Intifada (soulèvement qui s’est
révélé être un écrasement). Tant de sacrifices consentis pour
n’avoir rien obtenu. Comme père, je ne serai pas assez fou pour
laisser mes enfants aller au-devant des soldats qui tirent sur
ces très jeunes gens, très frustrés, qui répondent à leurs
agressions en lançant des cailloux.
Je pense que dans ce
contexte, les adultes, même si cela devrait être leur devoir de
protester contre les dangers qui pèsent sur la Mosquée Al Aqsa
et deux autres édifices religieux islamiques, hésitent à aller
manifester leur colère contre les soldats de l’occupation. Ils
savent que c’est là une situation explosive ; qu’ils vont se
sacrifier pour rien, qu’Israël va encore pouvoir en tirer
prétexte pour les arrêter, les massacrer, et intensifier les
mesures répressives. Ils pensent à tous les sacrifices qu’ils
ont déjà faits sans jamais rien obtenir.
Depuis 2000, leur résistance
ne leur a apporté que des pertes et des énormes souffrances.
Sans compter que tous leurs sacrifices sont si mal payés en
retour par leurs ignobles politiciens à Ramallah. Ils sont si
désespérés en entendant Abou Mazen, Fayyad, Erekat, etc, parler
d’un État palestinien à l’intérieur de la ligne de 1967 et non
pas comme il se doit, de la ligne de 1948. Les territoires de 67
ne représentent que 26 % de la Palestine historique. Et ces 26
%, après le mur et les annexions, se sont réduits à 10 ou 15 %.
Cela veut dire, pour ces jeunes Palestiniens en colère, que
leurs parents n’ont rien gagné par leur résistance ; qu’ils ont
fait tous ces sacrifices pour rien.
Silvia Cattori :
L’État d’Israël ne
pourra pas toujours se comporter en dehors de la loi. Son image
se dégrade en Occident ; bien des gens qui soutenaient Israël ne
peuvent plus afficher leur soutien comme avant. Il leur est
devenu difficile de soutenir l’insoutenable sans se
compromettre. Nos autorités démocratiques savent qu’elles
devront répondre un jour d’avoir soutenu un gouvernement
criminel. Et d’avoir choisi de soutenir une autorité
palestinienne qui est désavouée par son peuple. S’il y a des
votations pensez-vous que le peuple palestinien va voter en
faveur de Salam Fayyad ?
Omar :
Fayyad n’est pas populaire. C’est l’homme de l’Occident ; il est
très éloigné de notre réalité. Il a fait carrière dans des
institutions internationales. Il a été habitué au luxe et au
prestige qui accompagne ce genre de postes. Fayyad n’est pas le
choix des Palestiniens ; il nous a été imposé par les
États-Unis. C’est un homme corrompu, qui avec Abou Mazen
(Mahmoud Abbas), a mis en place la politique répressive,
financée par les États-Unis et l’Europe, qui vise à liquider
toute résistance. Fayyad est un homme très compromis avec les
visées de l’occupant. Ce ne sera jamais un résistant. Il est
déjà du côté des occupants.
C’est lui qui a la confiance
de l’Europe ; c’est lui qui reçoit l’argent que l’Union
européenne donne à Ramallah pour payer les salaires de quelques
200’000 employés de l’administration. Ce n’est pas par un geste
de générosité que cet argent est versé à l’Autorité
Palestinienne ; c’est une obligation, l’Europe doit payer pour
ses erreurs. Nous considérons que c’est l’Europe qui a permis
aux juifs de venir occuper nos terres et qui continue de
soutenir leur expansion. C’est donc à elle de payer pour notre
immense souffrance.
Silvia Cattori :
Les militants
internationaux qui sont venus vivre à Gaza durant ces années
cruelles où la communauté internationale vous a abandonnés,
sont-ils vus avec reconnaissance ?
Omar :
Ici à Gaza, les gens sont habitués depuis longtemps à voir des
jeunes activistes étrangers, venir, partir, certains rester car
ils ont trouvé ici une vie plus exaltante que chez eux. Les gens
ne leur ont pas demandé de venir mais ils sont bien accueillis ;
l’hospitalité fait partie de notre culture. Ils peuvent habiter
chez les habitants, et vivre avec très peu d’argent. Il y en a
aussi qui profitent de notre générosité. Qui se comportent mal
et heurtent nos coutumes.
Il y a maintenant quelques
rares activistes du « Free Gaza Movement », de l’« International
Solidarity Movement », etc. Ils voient ce qui se passe et ils
peuvent faire connaître notre réalité au-dehors. Ce qui pose
problème, c’est qu’il n’y a pas d’entente entre les diverses
associations qui viennent. Cela n’est pas bon car il y a déjà
assez de problèmes ici.
Silvia Cattori :
Quel milieu
fréquentent-ils ?
Omar :
Ils sont souvent entourés de Palestiniens qui savent tirer
profit et les coupent du reste de la société. Les activistes ne
savent pas ou ne veulent pas savoir que les gens qu’ils
fréquentent ne sont pas forcément représentatifs. C’est pourquoi
la présence de ces jeunes qui viennent ici, peut générer parfois
plus de ressentiments que d’apaisement dans le cœur de bien des
gens. Ils fréquentent surtout le cercle du FPLP (une faction
laïque minoritaire). Ici leurs leaders sont mal vus car ils ne
travaillent pas dans l’intérêt du peuple ; ce qu’ils reçoivent
de l’extérieur comme dons est détourné pour des projets qui leur
apportent davantage de profits. Il faut dire aux gens qui
collectent de l’argent au nom des Palestiniens de ne plus leur
donner un seul shekel. Car agir de cette façon ce n’est pas nous
aider ; mais c’est une autre manière de violer les droits des
Palestiniens et d’envenimer la situation.
Donner l’argent sans savoir
où il va, cela pousse les gens à la corruption. Les gens qui
vivent dans mon quartier n’ont jamais rien vu de ces collectes
dont on nous parle. Ils vivent plus mal que des chiens. Écrasés
par la pauvreté. Les ONG vont et viennent, mais nous on n’a rien
touché.
Silvia Cattori :
Les derniers convois
arrivés en janvier - au prix de grands obstacles - ne vous ont
pas donné satisfaction non plus ?
Omar :
« Viva Palestina » [2]
de Galloway et « the European Campaign to End the Siege on
Gaza » (ECESG) [3]
ont été appréciés. Ce qu’ils ont apporté a été remis au
Ministère de la santé. Celui-ci est seul capable de couvrir
toute la bande de Gaza et de distribuer ce qu’il reçoit dans
tous les centres de santé. Ce qu’ils apportent est visible, sert
toute la population.
Quand on parle de tonnes de
médicaments livrés au Ministère de la santé par divers donateurs
il faut comprendre que cela ne suffit pas à couvrir les besoins.
En quelques heures les dons distribués dans les hôpitaux et les
pharmacies sont épuisés. Ici on ne trouve rien, même pas du
paracétamol ; les quantités que les donateurs envoient ou
apportent sont dérisoires par rapport aux besoins immenses.
Silvia Cattori :
Georges Galloway a
pourtant été critiqué pour avoir livré les ambulances aux
autorités du Hamas. Quel est votre point de vue ?
Omar :
Si vous donnez les médicaments au Ministère de la santé, sous
l’autorité du Hamas depuis 2006, ils sont distribués dans les
hôpitaux et centres publics et après nous pouvons les acheter
pour le prix d’un shekel, même s’ils valent trente shekels. Par
contre, si vous donnez ces médicaments aux responsables du FPLP,
eux ils les distribuent à leurs cliniques privées qui les
vendent au prix coûtant. Cela enrichi leurs hôpitaux, leurs
poches. Et ne diminue pas les souffrances de la population qui a
déjà de la peine pour payer un shekel. Quand les associations
donnent des milliers de dollars au FPLP, les gens ici ne voient
pas où cela va vraiment. Ils n’ont aucune idée de la manière
dont l’argent est utilisé. C’est la différence entre ce que l’on
donne aux autorités du Hamas et ce que l’on donne au FPLP ou au
Fatah.
Silvia Cattori :
En ce qui concerne
les besoins essentiels comme l’eau potable et la nourriture, où
en est votre situation ?
Omar :
Nous achetons, en faisant des dettes, des gallons d’eau filtrée
à une station privée qui s’enrichit sur notre dos. Mais on est
obligés. L’eau est polluée [4]
et avec les coupures d’électricité on reste souvent sans eau et
sans électricité.
Ici les gens se
débrouillent. Surtout grâce à ces employés qui reçoivent un
salaire de Ramallah, ou de l’UNRWA : car un employé aide de
nombreuses familles avec son salaire. Si il n’y avait pas cette
solidarité là, Gaza se transformerait en un immense cimetière en
quelques mois. [5]
Heureusement que les tunnels
ne sont pas encore fermés. Le mur n’est pas fini.
Silvia Cattori :
Ne pensez-vous pas
qu’Obama finira bien par contraindre Israël à ouvrir les portes
de cet enfer ?
Omar :
Je n’ai jamais cru qu’un Président des États-Unis allait nous
soutenir contre Israël. Cela n’arrivera jamais. S’il devait nous
soutenir, même par un simple mot, il devrait payer très cher ce
soutien.
Silvia Cattori :
Qui peut alors vous
sauver de cette situation ?
Omar :
Il n’y a que Dieu. Les États arabes nous ont abandonnés. Nous
avons perdu notre crédibilité et notre honneur par notre
division. J’espère que nos leaders arriveront un jour à s’unir ;
sans l’union, jamais nous n’obtiendrons le respect des autres
nations. Nous avons perdu le respect.
Silvia Cattori :
Votre peuple a gagné
l’admiration et le respect du monde entier par sa résistance.
Mais si vous deviez faire la liste des leaders palestiniens qui
vous ont desservis, quels noms donneriez-vous ?
Omar :
Mazen (Mahmoud Abbas à Ramallah) à la tête du Fatah. Et Mechaal [6].
Je considère que l’on est trahis par les deux. S’ils savaient
quelle est notre souffrance, ils auraient déjà fait l’union. Par
leurs divisions ils ont fait de nous un peuple de mendiants. Or
nous, les Palestiniens, n’avons jamais été des mendiants.
Silvia Cattori :
Vous faites une
symétrie entre Kahled Mechaal et Mahmoud Abbas ! Mais Khaled
Mechaal, lui au moins, ne s’est jamais mis entre les mains de
l’occupant et de ses cyniques alliés ?
Omar :
Abou Mazen nous a trahis depuis toujours. C’est un homme mis en
place par les États-Unis et Israël. Mazen, on savait déjà qui il
était avant et que dans sa position il allait nous mener au
désastre. Mechaal, nous savons qu’il est honnête. Mais le fait
est qu’il ne nous a rien apporté.
Israël s’attaque à la
mosquée, à notre patrimoine religieux. Que fait le Hamas contre
les attaques visant la mosquée Al-Aqsa ? Pour nous Palestiniens,
c’est très blessant de voir Israël usurper les lieux Saints.
Cela nous touche dans nos cœurs. Abou Mazen, on le méprise, nous
savons que lui et sa bande ce sont des vendus. Mais je suis
choqué d’entendre Mahmoud Zahar (haut dirigeant du Hamas) dire
aujourd’hui que ceux qui lancent des roquettes contre Israël
aident les provocateurs. Hier, Yasser Arafat et Abou Mazen
disaient la même chose.
Silvia Cattori :
Mechaal n’a-t-il pas
condamné Israël récemment ?
Omar :
Ce qu’il a dit dans son discours, c’est pour la façade ; mais
sur le terrain, hormis une manifestation populaire à Gaza, rien
ne s’est passé. On est sans espoir.
Silvia Cattori :
Malgré sa brutale
répression, Israël a échoué à vous mater. Ni le siège qui
perdure depuis cinq ans, ni les innombrables carnages, n’ont
atteint les buts qu’Israël escomptait : vous mettre à genoux et
vous tourner contre le Hamas.
Omar :
Oui c’est vrai.
Entretien
réalisé en anglais le 22 mars 2010
(*) Nom fictif.
Traduit de l’anglais par JPH
[1]
En quelques jours l’armée et la police ont arrêté et blessé des
centaines de très jeunes Palestiniens sur les lieux Saints de
Jérusalem. Les enfants ne sont pas épargnés par l’armée
israélienne. En dix ans, celle-ci a arrêté environ 6’500 enfants
palestiniens (de 12 à 17 ans). Selon The
Palestinian Center for Defending the Detainees, il y a
actuellement 340 enfants emprisonnés en Israël parmi 8’000
autres prisonniers politiques Palestiniens.
[2]
Voir : « “Viva
Palestina”, et maintenant ? », par
Stuart Littlewood, info-palestine.net, 14
janvier 2010.
[3]
http://www.savegaza.eu
[4]
Voir :
http://www.uruknet.de/ ?s1=1&p=64828&s2=06
[5]
Voir :
http://www.uruknet.de/ ?s1=1&p=64829&s2=06
Sur la situation à
Gaza, voir également les deux videos de l’interview de Karen
Koning Abu Zayd, ancienne Commissaire générale de l’UNRWA :
http://www.youtube.com/watch ?v=Vyui4D6NK-s&feature=channel
http://www.youtube.com/watch ?v=ViZNEVi9OMI&feature=related
[6]
Khaled Mechaal, chef du mouvement de la résistance du Hamas, vit
en exil en Syrie depuis 1999, après avoir été la cible d’une
tentative d’assassinat de la part des services secrets
israéliens en Jordanie en 1997.
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