Par Fériel Berraies Guigny. Paris
Aux
Sources du Salafisme en Europe
Samir Amghar - © Fériel Berraies Guigny
L’islamisme
aujourd’hui abonde en stéréotypes négatifs dans
l’imaginaire collectif
occidental. En France il a donné place à bien des discours extrémistes
qui pointent du doigt la communauté immigrante d’origine maghrébo
musulmane. Cette tendance constitue un danger car elle contribue
à désinformer sur l’Islam et a un fort impact sur l’idéologie
sécuritaire d’une terre républicaine et laïque comme la
France. L’ Expression a rencontré Samir Amghar, spécialiste de
la question pour tenter de démystifier un débat qui renvoie à
une méconnaissance de la culture et de la religion de l’autre.
À travers l’étude des Frères musulmans en Europe, et en
particulier de l’Union des organisations islamiques de France
(UOIF) qui joue un rôle pivot au Conseil français du culte
musulman (CFCM) créé en 2003, Samir Amghar met en lumière les
« trois âges du discours » islamiste.
Biographie de l’auteur :
Chercheur en
sociologie à l’EHESS à Paris, membre de l’Institut d’études
de l’islam et des sociétés musulmanes (IISMM) et chercheur
associé au Center for European Policy Studies (CEPS) à
Bruxelles, Samir Amghar a dirigé un numéro sur l’islam de
France (Maghreb, Machrek, n° 185, printemps-été
2005) et a coordonné un ouvrage collectif Islamismes
d’Occident. état des lieux et perspectives (Lignes de repères,
2006).
Entretien
avec Samir Amghar :
1/
Selon vous, l'islam politique est-il minoritaire ?
Il
n’existe pas à proprement parler de mouvements se réclamant
explicitement de l’islam politique en France. Parler
d’islamisme dans le contexte européen est problématique.
Utiliser ce concept pour désigner la réalité de l’islam
militant européen peut s’avérer un non sens historique et géographique.
En effet, l’idée qui structure l’idéologie de l’islam
politique est la nécessité de conférer une dimension sociale et
politique à sa foi religieuse. La conquête de l’Etat pour créer
un Etat islam islamique est le pilier de l’islam politique. Or,
aucune organisation musulmane même la plus militante ne défend
l’idée de créer une dawla islamiyya en lieu et place de régime
français. Cependant, de nombreux islamiques se réclament d’une
méthodologie islamiste. Ces sont des associations héritières de
l’islam politique. On peut citer l’exemple de l’Union des
organisations islamiques de France, branche française de
l’organisation islamiste des Frères musulmans qui s’investit
pour défendre et représenter les musulmans français.
2/
Pensez vous qu'un islam politique imprégné des lumières est
possible ?
L’islam
politique tel qu’il existe aujourd’hui est en train de
changer. Une grande partie des islamistes a abandonné l’idée
de créer un Etat islamique une fois au pouvoir. Regardez en
Palestine avec le Hamas et l’AKP en Turquie, aucune de ces deux
structures partisanes actuellement au pouvoir n’a créé un Etat
de type islamique. De plus, force est de constater qu’ils intègrent
de plus en plus les principes de la modernité occidentale. Ils se
positionnent en faveur de la démocratie, des droits de l’Homme,
de la femme. En Turquie, l’AKP a mis en place une politique pour
se mettre à niveau au regard des critères européens en matière
démocratique. Cependant, malgré les dynamiques politiques
modernisantes des islamistes, ils restent d’un point de vue
religieux très orthodoxes.
3/
Selon vous les islamismes s'adaptent ils bien aux réalités
occidentales ?
Ceux
qui se réclament de l’héritage de l’islam politique tentent
de s’adapter aux réalités occidentales. Les Frères musulmans
européens essaient de définir un islam tenant compte du contexte
minoritaire des musulmans vivant en Europe. Ils mettent en place
ce qu’ils nomment une Sharîa de la minorité. En France, ils
ont appelé les musulmanes voilées au respect de la loi
interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école. En
termes de valeurs, on retrouve également des dynamiques
d’occidentalisation. Le rapport à la religion est de plus en
plus individualiste.
4/
Vous dites que trois acteurs pèsent sur l'islam français,
quels sont ils ?
Trois
acteurs extérieurs pèsent sur l’organisation de l’islam français :
les Etats du Sud en premier lieu desquels on trouve la Turquie, le
Maroc et l’Algérie qui s’efforcent de prolonger en France
leur politique interne d’organisation du religieux. Cela en
raison d’une population immigrée originaires de ces trois pays.
Notons que malgré une importante population tunisienne vivant en
France, le régime ne s’est jamais investi dans ce type de
politique. Il y a ensuite l’Arabie Saoudite qui voit depuis
plusieurs décennies sa projection religieuse comme une ressource
politique capitale notamment à travers la Ligue islamique
mondiale et ses universités de théologie. Enfin les mouvements
transnationaux islamiques tels que le Tabligh, les confréries
soufies, les Frères musulmans.
5/
Parlez nous des Frères musulmans en Europe ?
Il
y a en Europe deux types de Frères musulmans : ceux qui
appartiennent organiquement à l’organisation internationale des
Frères dont le siège est en Egypte. Il s’agit dans ce cas de
l’Union des organisations islamiques en Europe dont le siège
est à Bruxelles regroupant près de 500 associations dans près
de 25 pays européens dont l’Union des organisations islamiques
en France. La deuxième catégorie de Frères musulmans relève
d’organisations ou de personnalités qui s’inscrivent dans
l’idéologie frèriste mais qui sont organisationnellement
autonomes. Il s’agit par exemple du Centre islamique de Genève
ou encore du prédicateur suisse Tariq Ramadan.
6/
Comment s'est faite la migration des islamismes vers l'Ouest
d'hier à aujourd'hui ?
Cette
migration d’islamistes des pays musulmans en direction de
l’Europe commence dans les années 60 et se poursuit jusqu’au
début des années 2000. Elle est l’œuvre d’une part de
l’activisme de réfugiés politiques islamistes fuyant la répression
politique qu’ils subissent dans leur pays d’origine. Dans ce
contexte, beaucoup d’islamistes tunisiens s’installent en
France, en Grande-Bretagne ou en Belgique. D’autre part, elle
est le résultat de l’arrivée d’étudiants islamistes venus
poursuivre leur cursus universitaire dans les pays européens.
Ainsi, des partis islamistes maghrébins se sont implantés en
Europe de cette manière comme le Front islamique du salut, Adl
wa-l Ishan ou encore an-Nahda.
7/
Que pensez vous de la multiplication des attentats au Maghreb ?
On
ne peut pas véritablement dire qu’il y a une multiplication des
attentats au Maghreb au vue du terrorisme islamique qui était très
dynamique dans la décennie 90. Il faut dire que le jihadisme au
Maghreb a changé de nature. Alors que les attentats dans les années
90 s’inscrivaient dans une volonté de renverser les régimes
arabes en place pour créer un Etat islamique, aujourd’hui, ils
manifestent plutôt la volonté de remettre en cause l’ordre
mondial dominé par les Etats-Unis et dont les régimes maghrébins
sont le relais.
8/
Vous divisez la mouvance salafiste en trois mouvances ? Au
Maghreb c'est le salafisme wahhabite qui prévaut ?
Le
salafisme est une mouvance hétérogène composée de trois
tendances qui se vouent mutuellement aux gémonies. Il représente
une utopie religieuse vers laquelle les sociétés musulmanes
doivent tendre. Il y a d’abord les salafistes jihadistes,
ensuite les salafistes politiques comme Ali Belhadj l’un des
responsables de l’ex-Front islamique du salut. Enfin le
salafisme prédicatif incarné au Maghreb par le wahhabisme. Alors
que les deux premières tendances sont ultra-majoritaires la
troisième est ultra majoritaire dans le spectre du salafisme. Il
est devenu un acteur central de la ré islamisation, surtout en
Algérie.
A
mon sens, ces trois formes de salafismes ne constituent pas une
menace pour la sécurité politique des régimes maghrébins. Bien
au contraire, ils participent à des niveaux différents à la
stabilité politique des pays nord africains. Le salafisme
jihadisme a permis aux régimes maghrébins de justifier de leur
autoritarisme. Ainsi, les pouvoirs affirment la nécessité au nom
de la pérennité de l’Etat de faire l’économie d’une démocratisation
de la vie politique pour lutter efficacement contre le jihadisme.
Pour les salafistes politiques, ils ne remettent pas du tout en
cause le système. Et en participant à la vie politique, ils la
renforcent. Pour les salafistes de prédication, ils ne se mêlent
pas de politique et développent un discours loyaliste à l’égard
des régimes considérés comme les meilleurs défenseurs de
l’identité islamique.
Les
salafistes prédicatifs ont la particularité d’être proche des
autorités religieuses officielles saoudiennes. Ils mettent
l’accent sur la prédication et la formation religieuse comme
outil de changement social. Ils sont très critiques à l’égard
des jihadistes à qui ils reprochent de faire un usage détourné
de la guerre sainte. Ils récusent également les islamistes à
qui ils reprochent de politiser l’islam.
Merci
Samir Amghar
Crédits :
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 3 mai 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies
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