20 octobre 2008
Pascal Boniface,
Directeur de l’IRIS, a recueilli les propos de Roger Cukierman,
président du Conseil représentatif des institutions juives de
France (CRIF) de 2001 à 2007.
« On s’est trompé sur moi,
incontestablement en me qualifiant de dur. Je me suis trouvé
confronté à une situation insupportable qui était une vague
d’actes antisémites commis soixante ans après la deuxième Guerre
mondiale et en face d’autorités politiques qui n’ont pas
compris, au début, la gravité du problème. Donc il m’a semblé
impérieux de réagir très vivement. »
Pascal Boniface :
Vous venez de sortir un livre
Ni fiers ni dominateurs aux Éditions du
Moment. C’est un livre à la fois politique et personnel. Pour
une partie du public vous êtes vu comme quelqu’un qui est assez
dur dans le débat politique. Dans votre livre on peut aussi
découvrir un homme qui a le sens de l’humour et revendique le
dialogue. Alors est-ce qu’il y a deux Roger Cukierman ou est-ce
qu’on s’est trompé sur la personne ?
Roger Cukierman : On
s’est trompé sur moi, incontestablement en me qualifiant de dur.
Je me suis trouvé confronté à une situation insupportable qui
était une vague d’actes antisémites commis soixante ans après la
deuxième Guerre mondiale et en face d’autorités politiques qui
n’ont pas compris, au début, la gravité du problème. Donc il m’a
semblé impérieux de réagir très vivement.
PB : Ce que vous appelez
cette réticence des autorités à traiter le problème était
également partagée par une partie de la communauté juive avec
l’argument « plus on en parle, plus on suscite des mauvais
exemples ». Donc ce n’est pas forcément par manque d’empathie à
l’égard des juifs français que les autorités n’ont pas réagi
immédiatement comme vous l’entendiez.
RC : Vous avez raison, il y avait d’abord une
partie de l’establishment juif qui ne souhaitait pas que l’on
réagisse trop vivement de crainte de susciter des vocations. Et
puis il y avait aussi, et ce n’est pas un problème de sympathie
ou d’antipathie vis-à-vis des juifs, un climat de violence
banale, et pour les autorités de droite comme de gauche
d’ailleurs, Lionel Jospin et Jacques Chirac en l’occurrence, le
sentiment qu’à l’approche des élections de mai 2002 il était
peut-être préférable que ce sujet ne soit pas l’objet de débats
électoraux.
PB : La campagne de 2002
s’est largement faite sur la sécurité. Il y avait bien sûr
l’agression contre des juifs, notamment en banlieues. Mais très
souvent ceux qui s’en prenaient aux juifs s’attaquaient
également aux écoles, aux bus.
RC : Bien sûr. Mais le nombre d’actes commis
contre les juifs était sans commune mesure avec les actes commis
contre d’autres groupes. On avait à cette époque-là un Premier
ministre, Lionel Jospin, qui, peut-être par sa formation
trotskiste, ne supportait pas l’idée du communautarisme. Pour
lui, les communautarismes étaient complètement contraires à
l’idée qu’il se fait d’une France uniforme et dans laquelle tout
le monde est égal. Il a beaucoup de sympathie pour les juifs
mais ne supporte pas l’idée du développement du communautarisme
à l’intérieur de notre pays. Et je dois dire que je partage
presque son opinion. J’ai vécu mon enfance à l’école laïque et
républicaine, je n’ai pas vraiment reçu une éducation
religieuse. Et je me suis trouvé brusquement confronté à une
réaction de défense nécessaire, donc à un repli de la communauté
sur elle-même. Et ce repli s’est opéré, en tout cas en ce qui me
concerne, à mon corps défendant.
PB : C’est un peu l’un
des problèmes de la société française, qui est à la fois riche
de la diversité de ses communautés et qui perd de sa richesse si
les communautés, soit se dressent les unes contre les autres
soit se referment sur elles-mêmes.
RC : Je voudrais apporter une précision quand
vous dites que les communautés se dressent les unes contre les
autres. Il n’y a pas eu un seul acte commis par un juif
quelconque contre les musulmans, il n’y a pas eu une mosquée qui
ait subi des dégradations à cause de juifs. On se fait souvent
dans les médias l’idée qu’il y a une confrontation entre juifs
et arabes. C’était un danger tout à fait sérieux que
personnellement j’ai beaucoup craint. Et c’est la raison pour
laquelle d’ailleurs j’ai développé des relations avec la
communauté musulmane et ses dirigeants. Avec Dalil Boubaker,
recteur de la Grande Mosquée de Paris, c’était très facile. Mais
j’ai aussi rencontré à plusieurs reprises, ce qui m’a été
parfois reproché, Fouad Allaoui de l’Union des organisations
islamiques de France (UOIF), parce que j’ai considéré qu’il
était essentiel que les dirigeants musulmans, même ceux qui
étaient considérés comme extrémistes, fassent des déclarations
rejetant l’antisémitisme. Et on est arrivé à obtenir ce
résultat, ce qui a, je crois, permis d’éviter un plus grand
nombre d’agressions.
PB : Vous dites au début
de votre livre que vous n’avez pas vécu avec le réconfort de la
présence de personnes âgées dans votre famille et que c’est le
premier prix à payer à l’antisémitisme.
RC : Oui tout à fait. Mon père était arrivé
en France dans les années 1930 et le petit noyau familial a
survécu à la Shoah, mais tout le reste de la famille, resté en
Pologne, a disparu. Je n’ai jamais su ce qu’était la famille,
c’est quelque chose qui m’a beaucoup manqué. J’enviais mes
camarades qui avaient des grands-parents.
PB : Et en même temps,
contrairement à certaines représentations qui sont faites, vous
vous inscrivez en faux contre l’idée d’une France antisémite et
vous rappelez qu’à l’inverse de ce qui s’est passé dans d’autres
pays européens, deux tiers des juifs français ont été sauvés, en
grande partie par un réseau de solidarité parfois d’ailleurs
inorganisé, spontané.
RC : Oui tout à fait. La France a été de ce
point de vue relativement préservée. Les Justes qui ont sauvé
les deux-tiers des juifs étaient des gens modestes : chrétiens,
protestants, catholiques, ou communistes et athées. Presque
toujours des gens extrêmement modestes alors que
l’establishment, les juges, ou des membres de l’administration
ont réellement collaboré et ont contribué à ce que 76 000 juifs
soient déportés, dont seulement 2500 sont revenus.
PB : Vous insistez sur
la diversité du CRIF ; il est parfois ressenti à l’extérieur
comme étant monolithique. Vous affirmez au contraire qu’il
regroupe différentes sensibilités et que d’ailleurs il ne
représente pas tous les juifs de France, puisque certains
estiment ne pas s’y sentir représentés.
RC : Oui, il y a des juifs, même parmi ceux
de l’establishment, qui se différencient de la majorité des
juifs sur les relations avec Israël. C’est vrai que certains
juifs ne se sentent pas représentés par les institutions juives.
Je n’ai jamais prétendu représenter les juifs, mais seulement la
soixantaine d’associations politiques, sociales, religieuses ou
culturelles qui font du CRIF le lieu le plus pluriel de la vie
juive en France.
PB : Le CRIF est une
petite organisation qui repose sur le bénévolat avec, je crois,
deux ou trois permanents. Et parallèlement vous organisez un
dîner annuel, pour lequel vous écrivez que vous refusez du
monde. Y sont même présents des ambassadeurs de pays arabes qui
n’ont pas de relations diplomatiques avec Israël. Ce dîner donne
donc à l’inverse une image de puissance de l’organisation.
RC : Oui tout à fait. L’organisation est
modeste, mais elle compte, je vous rassure, plus que deux ou
trois salariés. Le dîner du CRIF semble répondre à un besoin de
dialogue des autorités politiques, mais aussi religieuses,
économiques, syndicales, diplomatiques avec la communauté juive.
C’est le seul endroit où l’on voit, selon Jean-Pierre Raffarin,
la plupart des personnes qui comptent en France.
PB : Est-ce que ce
phénomène ne suscite pas des jalousies dans d’autres
communautés ?
RC :En effet, d’ailleurs tout le monde essaye
d’imiter le CRIF. Le Conseil représentatif des associations
noires (CRAN), organisation des Afro-antillais, essaye de bâtir
aussi des réseaux qui finalement ressemblent beaucoup à ceux du
CRIF.
PB : Vous parlez d’un
moment de dialogue. Mais en même temps vous évoquez un événement
marquant, le dîner de 2005, où vous avez pris une position qui a
été jugée assez dure à l’égard de la politique extérieure de la
France. Quelle est la part de dialogue au sein du CRIF ? Est-ce
que le dialogue se fait avant quand vous envoyez votre discours
au Premier ministre, ou bien est-ce le dîner qui est l’occasion
d’un véritable dialogue ? Le dîner est-il plutôt un moment où le
représentant des institutions juives expose un programme ?
RC : Le dîner est un point fort de la
relation, mais ce n’est pas, heureusement, le seul moment. On a
un dialogue quasi permanent avec les autorités politiques
puisque le CRIF est une organisation à caractère strictement
politique, le religieux étant assuré par le Consistoire. Le CRIF
entretient des relations avec de nombreux ministères, avec le
Premier Ministre, et avec le Président de la République. On
s’exprime chaque fois que l’on peut le faire, mais en général de
manière discrète. Le dîner du CRIF est le moment où on peut le
faire de manière publique et s’il y a des choses qui nous ont
choqués, on le dit. En tout cas, c’était ma doctrine. Et si ce
discours a été peut-être plus dur que les autres années, c’est
qu’il s’était passé deux événements qui m’avaient
personnellement choqué. Tout d’abord, les hommages nationaux
rendus à la dépouille de Yasser Arafat, avec La Marseillaise, le
tapis rouge, la Garde républicaine, etc. Tout cela me paraissait
excessif compte tenu du fait que cet homme, de mon point de vue,
n’était pas un homme de paix et n’avait pas permis que les
accords d’Oslo puissent se transformer en paix véritable. Il y
avait eu aussi l’affaire Al Manar. Il s’agit d’une chaîne de
télévision contrôlée par le Hezbollah, organisation que je
considère comme une organisation terroriste. Des images
diffusées par Al Manar, que j’avais transmises au Premier
Ministre et à un certain nombre de gens, étaient épouvantables.
On y voyait des comédiens déguisés en rabbins qui égorgeaient un
enfant et le sang recueilli était censé alimenter les matzot. Il
y avait plusieurs scènes de cet acabit. Et malgré cela, le
Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait officiellement
autorisé le Hezbollah à diffuser ces images en France.
Ces deux évènements m’ont conduit à réagir un peu fortement en
disant que la politique étrangère de la France me posait un
souci : elle ne contribuait pas à l’efficacité de la lutte
contre l’antisémitisme. En diabolisant Israël, on donne des
arguments à des personnes qui cherchent des excuses pour passer
à l’acte contre les Juifs.
À ce propos, j’aimerais bien avoir votre point de vue : est-ce
que vous êtes pour ou contre l’existence d’Israël ?
PB : Ça m’étonne presque
que vous me posiez la question parce que je me suis exprimé de
nombreuses fois sur ce sujet. Mais je vois que finalement alors
que je me suis exprimé de nombreuses fois sur ce sujet, ma
réputation me précède… Je répète donc que je suis pour
l’existence de l’Etat d’Israël, qui représente le fait national
juif. Mais disons que du côté d’Israël je serais plutôt du côté
Yossi Bellin ou Abraham Burg.
RC : J’ai lu que vous défendiez l’aspect
démocratique du régime des Mollahs.
PB : Ça c’est différent.
J’ai dit que l’Iran n’était pas une dictature comme les autres,
comme la Corée du Nord par exemple, qu’il y avait un caractère
de démocratie imparfaite en Iran.
RC : Mais Hitler a été élu démocratiquement.
PB : C’est différent.
Disons que l’Allemagne était encore un régime démocratique en
décomposition, Hitler l’a transformée en régime totalitaire. Je
pense qu’il y a encore une société civile en Iran, que
d’ailleurs les juifs n’y sont pas menacés en tant que tels. Si
je préfère évidemment vivre en France plutôt qu’en Iran, on ne
peut pas pour autant classer ce pays parmi les dictatures du
type de la Corée du Nord. C’est un régime un petit peu bancal,
semi-autoritaire, dans lequel il existe une sorte de démocratie
sous contrôle.
RC : Enfin où les femmes sont quand même
persécutées, où la peine de mort est utilisée à plein régime et
où le leader menace d’anéantir un État du Proche-Orient membre
de l’ONU. Je ne vois qu’une différence entre Mahmoud Ahmadinejad
et Hitler, c’est que Hitler n’avait pas la bombe atomique. Pour
le reste je trouve qu’ils ont le même langage. Quand on entend
Mahmoud Ahmadinejad, on se souvient de Mein Kampf.
PB : Je n’irais pas
jusque-là car je pense qu’il n’est pas réellement au pouvoir,
qu’il ne contrôle pas tout. Je sais que vous êtes très engagé
sur l’Iran, et je pense que l’accession par l’Iran à l’arme
nucléaire serait une catastrophe, qui aurait d’ailleurs des
conséquences encore plus graves, et que nous avons tout intérêt
à entamer un dialogue avec l’Iran pour faire que des gens comme
Mahmoud Ahmadinejad deviennent minoritaires dans ce pays.
RC : Et vous croyez que c’est possible ?
PB : Oui je le pense.
J’ai le sentiment que la guerre d’Irak explique partiellement
les choses. L’Iran était un régime qui commençait à s’ouvrir.
Comme souvent, la menace extérieure vient durcir le régime. Nous
avons tous intérêt à ce que l’Iran n’ait pas l’arme nucléaire,
ce qui éviterait des changements stratégiques majeurs. Et nous
avons tous intérêt à éviter une guerre contre l’Iran. Je pense
qu’une négociation globale entre les États-Unis et l’Iran est un
moyen d’y parvenir.
RC : Je ne crois pas que ce soit possible. On
ne peut pas discuter avec les dictateurs. On se fait avoir à
tous les coups. J’ai encore du respect et de l’admiration pour
Nicolas Sarkozy, mais il s’est planté dans sa relation avec les
dictateurs. Quand il donne tous les honneurs possibles à Khadafi
ou à Bachar al-Assad, il ne reçoit rien en contrepartie, et au
contraire il se fait gifler par Khadafi qui refuse d’entrer dans
l’Union pour la Méditerranée, par Bachar al-Assad qui assiste au
défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, pendant que le
Hezbollah obtient un droit de veto sur les décisions du
gouvernement libanais.
PB : Oui enfin on
obtient quand même l’élection d’un président libanais et on
évite la guerre civile. C’est une question de fond. On aura
effectivement du mal à avoir un accord. Mais j’estime que le
monde est imparfait et que l’on doit faire un effort.
RC : Je suis d’accord sur la nécessité du
dialogue avec les adversaires. Mais Nicolas Sarkozy pouvait
envoyer Claude Guéant ou Bernard Kouchner dialoguer avec Bachar
al-Assad et Khadafi. Car ces dictateurs ne recherchent qu’une
seule chose, la respectabilité. Pour eux c’est l’objectif
essentiel. Si vous la leur donnez sans contrepartie préalable,
vous commettez une erreur politique.
PB : Est-ce que vous ne
pensez pas que les contreparties on peut les voir plus tard ?
Elles ne sont pas visibles immédiatement et sont une sorte de
pari sur l’avenir.
RC : Les dictateurs ne sont pas des tendres
et n’ont aucun esprit de bienveillance. Il faut négocier à la
dure. Je dis la même chose pour Mahmoud Ahmadinejad. Quand
Jacques Chirac a envoyé Douste-Blazy rencontrer le ministre des
Affaires étrangères iranien à Beyrouth, ça m’a rappelé Daladier
avant lui.
PB :Vous ne croyez pas
qu’on fait trop souvent cette comparaison, cette référence
sempiternelle à Munich ?
RC : Je crois qu’elle est essentielle dans la
relation avec les dictateurs et il faut toujours avoir à
l’esprit que le choix est entre Churchill et Chamberlain, entre
de Gaulle et Daladier.
PB : Mais l’erreur n’est
pas de discuter avec eux, l’erreur c’est d’accepter leurs
propositions. On aurait très bien pu aller à Munich sans
accepter les conditions d’Hitler.
RC : Vous savez, il y a la pression de
l’opinion publique. Personne n’aime la guerre. C’est
compréhensible. La tentation de la lâcheté est grande.
PB : Souvent, en sens
inverse, l’opinion favorise les positions dures. Regardez entre
Israéliens et Palestiniens. Souvent c’est l’opinion qui a
surréagi à des accords de paix possibles entre les dirigeants.
Le phénomène joue dans les deux sens. Le paradoxe est qu’il est
plus difficile de trouver un accord de paix dans les démocraties
que dans les dictatures, parce que dans les régimes autoritaires
une fois que le chef a décidé, on ne tergiverse plus. Dans les
démocraties, l’opinion peut au contraire surréagir. Regardez ce
qui s’est passé aux États-Unis au cours de ce XXe siècle. Très
souvent, y compris dans les démocraties, et peut-être même plus
encore dans les démocraties, le sentiment de violence extérieure
entraîne des velléités bellicistes de la part de la population.
RC : Je voudrais apporter une précision quant
à la question de la création d’un Etat palestinien. Le CRIF y a
toujours été favorable, et l’immense majorité des Israéliens
également. Le problème est de trouver des interlocuteurs. Suite
aux accords d’Oslo de 1993, on croyait que la paix était là.
J’ai moi-même eu le privilège d’assister en tant que banquier en
1994 à Casablanca à une conférence de rêve : presque tous les
dirigeants du monde arabe étaient présents, ainsi que 500
Israéliens dont Yitzhak Rabin et Shimon Peres. Puis les choses
ont mal tourné. Je suis persuadé qu’Arafat n’a jamais été
sincère. Deux preuves si vous voulez bien : d’abord, il a
toujours porté son uniforme derrière lequel il y avait souvent
un revolver. C’est un symbole fort. Par ailleurs, et c’est
peut-être le plus important, les livres scolaires palestiniens
n’ont jamais été changés.
PB : Ils ont été changés
une fois qu’ils n’étaient plus fournis par la Jordanie et
l’Égypte.
RC : De 1993 à 2000, il avait sept ans pour
changer les livres scolaires, et enseigner aux enfants
palestiniens qu’être israélien, ça n’était pas être le diable.
Ça n’a pas été fait. Pour moi ça signifiait que profondément
Yasser Arafat n’était pas sincère. Alors que Mahmoud Abbas l’est
complètement. Et le malheur c’est que Mahmoud Abbas n’a pas un
tempérament de dictateur, il n’a pas su faire plier le Hamas. Il
a voulu éviter la guerre civile. Ce qu’on peut comprendre
évidemment. Le résultat c’est que l’on a perdu tout espoir de
paix. Toutefois, je pense que, comme l’OLP autrefois, le Hamas
finira bien par reconnaître l’existence de l’État d’Israël et
qu’à ce moment-là tout sera possible.
PB : Mais est-ce que
vous ne pensez pas non plus que le risque est beaucoup plus
grand pour Israël de ne pas aller jusqu’au bout dans la démarche
de paix plutôt que de regretter l’absence d’interlocuteur ?
RC : Ça ne sert à rien de négocier avec
Mahmoud Abbas, qui est un partenaire idéal mais qui n’a pas
d’influence sur le Hamas. J’ai du mal à imaginer que le Hamas se
soumette un jour à l’Autorité palestinienne même si les
élections lui étaient défavorables.
PB : D’accord mais
résultat des courses, Arafat a été diabolisé, Mahmoud Abbas est
impuissant. Et donc Israël dit ne jamais avoir d’interlocuteur.
RC : Oui mais le résultat c’est
qu’effectivement il n’y a pas de paix. La paix ne viendra que
quand on aura fait la paix avec les extrémistes du Hamas.
PB : Est-ce que le
sentiment des Palestiniens n’est pas compréhensible à partir du
moment où le résultat des élections n’est pas reconnu ? Ne
croyez-vous pas que cela empêche le dialogue ?
RC : Je demeure persuadé qu’il existe un
dialogue possible. Viendra un jour, comme avec l’OLP, où ce
dialogue se rétablira.
PB : Il est vrai que
l’on sent qu’il y a peut-être quelque chose qui va se
cristalliser prochainement et il faut le souhaiter. Dans votre
livre, vous dites que les actes antisémites ont deux sources,
les éléments du Proche-Orient, qui rétroagissent, et un problème
d’intégration.
RC : Il y en a trois, car il y a aussi le
traditionnel discours d’extrême droite.
Beaucoup de gens en France reconnaissent le droit à l’existence
de l’État d’Israël et critiquent avec virulence la politique
israélienne. Ce qui est tout à fait légitime, et les Israéliens
eux-mêmes ne se gênent pas pour la critiquer
PB : Vous ne pensez pas
que parfois le débat sur Israël est plus facile en Israël qu’en
France ? En France, ceux qui critiquent le gouvernement
israélien sont assez rapidement accusés d’antisémitisme. Quelle
est la limite entre la critique de l’existence même de l’État et
de l’action du gouvernement ?
RC : La critique du droit à l’existence de
l’État d’Israël est insupportable. Pour moi, c’est la limite que
l’on n’a pas le droit de franchir. La critique de la politique
israélienne est totalement légitime. Simplement j’estime que je
n’ai pas le droit, tranquillement installé en France, à l’abri
de tous les actes terroristes et de la pression des dangers de
guerre, de dire aux Israéliens ce qu’ils doivent faire pour se
protéger et pour assurer la sécurité de leurs enfants. Je ne me
sens pas en position de le faire. Que d’autres le fassent, c’est
leur droit. La limite aussi à ne pas franchir c’est que cette
critique se traduise en actes de violence contre des juifs qui
souvent d’ailleurs ne partagent pas du tout les opinions de la
droite israélienne. Là ça devient insupportable.
PB : À l’égard de Daniel
Mermet vous êtes très dur. Vous dites qu’il est responsable
d’actes de violence, alors qu’il ne fait que prendre la parole
et qu’il a toujours condamné l’antisémitisme.
RC : Il a été très loin. J’ai écouté
quelques-unes de ses émissions et je me souviens avoir entendu
Daniel Mermet interviewer un jeune Palestinien de onze ans qui
fabriquait des cocktails Molotov. Il lui demandait s’il avait
envie d’être un martyr. Le garçon répondait évidemment oui. Et
après il lui demandait comment on fabrique un cocktail Molotov,
et le petit gamin expliquait « on prend des bouteilles, on met
un peu d’alcool, on prend un chiffon imbibé d’essence, on
l’allume et on le jette ». Ce n’est pas le rôle d’une chaîne
publique, financée par l’État, d’un journaliste payé par les
contribuables de faire une telle promotion.
PB : Il informe de ce
qui se passe sur le terrain. Ça a toujours été son style
d’interview…
RC : Oui mais si vous écoutez les émissions,
il n’est pas objectif, mais plutôt à 90 % d’un côté, et 10 % de
l’autre.
PB : Dans votre livre
vous avez tout un chapitre consacré au fait de ne pas se couper
de l’opposition. Vous avez été sensible aux critiques selon
lesquelles le CRIF roulait pour Sarkozy. Vous insistez sur le
fait que vous avez eu de bonnes relations avec de nombreux
responsables avant Nicolas Sarkozy, et que dans tous les cas le
CRIF ne doit pas être assimilé à l’un des deux partis.
RC : C’est tout à fait clair. D’abord par sa
constitution, puisqu’il regroupe 64 associations et que parmi
elles, certaines sont à gauche, laïques, anticléricales… Les
opinions sont très diverses. Je le souligne également dans mon
livre. Le comité directeur du CRIF ressemble beaucoup à
l’éventail des Français à part qu’il n’y a pas l’extrême droite.
Mais vous avez des sensibilités de gauche, d’extrême gauche, du
centre, de droite.
Mais je voudrais revenir sur une critique contre le gouvernement
israélien. De Gaulle en 1967, quand il décide de changer la
politique étrangère de la France au Proche-Orient, donc
d’introduire une politique pro-arabe et réservée à l’égard
d’Israël, ne prend pas comme argument la politique israélienne
ou des observations concernant le seul État d’Israël, il parle
du peuple juif. Et il ajoute des considérations pleines de
préjugés. C’est un amalgame incroyable fait par De Gaulle. Il
n’est donc pas étonnant que des jeunes des banlieues fassent
également l’amalgame entre juifs et Israéliens. C’est la
référence au discours de de Gaulle qui explique évidemment le
titre de mon livre dont je conseille bien sûr la lecture.
PB : Oui mais lorsque le
CRIF demande une solidarité exemplaire des juifs français à
l’égard d’Israël, ne contribue-t-il pas à renforcer cet
amalgame ?
RC : Il ne demande pas une solidarité avec
Israël du peuple français. Il demande un équilibre de la
politique française au Proche-Orient. Et quand cette politique
est équilibrée, il est tout à fait satisfait. J’estime qu’elle a
commencé à être équilibrée en 2005, à la suite de trois
événements. D’abord la disparition d’Arafat, ensuite
l’assassinat de Rafic Hariri, qui déclenche la fureur de Chirac
contre la Syrie, et enfin la décision d’Ariel Sharon de se
retirer de Gaza qui comble d’aise la France. À la faveur de ces
trois événements, la politique de la France au Proche-Orient
redevient équilibrée. On maintient toute l’amitié légitime à
l’égard des pays arabes, mais on a une relation normale et
équilibrée avec l’État d’Israël, ce que tous les juifs
souhaitent.
PB : Vous citez un
exemple. Olivier Besancenot a été ému aux larmes suite à un
débat avec vous. Est-ce que vous pouvez comprendre que pour
certains, qui se situent sur la gauche de l’échiquier,
l’accusation d’antisémitisme alors qu’eux estiment simplement
exercer une critique politique comme on pourrait le faire
vis-à-vis du gouvernement allemand, russe, ou français, puisse
les bouleverser ?
RC : D’abord je ne pense pas qu’un homme prêt
à affronter la campagne électorale présidentielle puisse être
sincèrement ému aux larmes parce que quelqu’un a dit qu’il est
d’alliance rouge, brun, vert. Il me semble que Besancenot a fait
là un coup politique.
Je n’accuse d’antisémitisme ni Besancenot ni les gens qui
critiquent l’État d’Israël, ce que je dis c’est que les
arguments qu’ils utilisent en diabolisant l’État d’Israël font
le jeu des personnes qui cherchent du grain à moudre.
PB : Pourtant bien
souvent ils ne font que reprendre les arguments qui sont dans le
débat israélien.
RC : Je suis tout à fait d’accord. Je dresse
un constat, mais n’ai pas du tout l’intention d’interdire de
critiquer l’État d’Israël. Je souhaite en tout cas que les gens
soient bien informés. Par exemple vous, est-ce que vous avez
visité l’Etat d’Israël ?
PB : Oui par deux fois.
RC : Bien souvent les gens ne comprennent pas
que la sécurité est le souci principal des Israéliens. Quand on
va dans le pays, on voit qu’entre la mer et la frontière à la
hauteur de Netanya, la largeur du pays est de moins de 20
kilomètres, c’est-à-dire la distance de Vincennes à Neuilly.
PB : Je pense
qu’honnêtement la plupart des personnes qui sont pour la
solution des deux États, ou, pour être plus précis, des gens qui
comme moi donnent plus de responsabilités aux Israéliens qu’aux
Palestiniens dans l’échec du processus de paix, ne méconnaissent
pas les intérêts de sécurité israéliens et le poids de
l’histoire qui fait que quand on est Israélien on est un peu
plus soucieux de sa sécurité que si on est Britannique, Espagnol
ou Portugais. À aucun moment je n’ai pensé qu’un des
protagonistes avait tous les torts. Les torts sont toujours
partagés, mais ils ne sont jamais partagés à égale mesure.
Disons que contrairement à vous, je dirais qu’il y a plus de
responsabilités du côté des Israéliens, parce qu’ils ont un
État, parce qu’ils occupent illégalement des territoires qui
devraient être libérés pour créer un Etat palestinien. Mais il
est vrai que ce qui pour des gens comme nous est souvent
insupportable, c’est qu’il y a cette accusation d’antisémitisme
qui plane, qu’on est pris pour d’autres et qu’on fait porter sur
nous le soupçon d’avancer masqués, de critiquer un gouvernement
pour cacher des arguments antisémites. Ça c’est insupportable.
RC : Je comprends que vous puissiez être
choqué. Mais lorsque l’on accuse les Israéliens de se comporter
comme des Nazis, c’est particulièrement insupportable pour eux.
Et c’est le cas souvent des gens d’extrême gauche qui sont
d’ailleurs très influents dans les médias, qui apparaissent
souvent comme des observateurs objectifs, puisque a priori le
journaliste, comme l’observateur de l’IRIS, est censé être
objectif. Et on se rend compte en vérité que la critique que
vous formulez et que font les gens d’extrême gauche contre la
politique israélienne revient à les accuser de brutalité. Or, la
manifestation du 7 avril 2002, par exemple, avait deux thèmes :
la lutte contre l’antisémitisme et le soutien au peuple
israélien pour la paix et la sécurité. J’ai introduit cette
motion contre l’avis au CRIF des gens de gauche qui n’étaient
pas d’accord. Pourquoi l’ai-je fait ? Parce que pour le seul
mois de mars 2002, il y avait eu 125 morts en Israël, dont 29 à
l’hôtel Parc à Netanya.
PB : J’ai toujours
personnellement condamné tous les attentats et jamais fait de
comparaison entre soldats israéliens et Nazis.
RC : C’est quand même une condamnation
implicite qu’on retrouve souvent, « vous faites aux autres ce
que vous avez subi vous-mêmes… ».
PB : Mais seulement une
minorité tient de tels propos. Comparer ce qu’ont fait les Nazis
aux juifs et ce que font les Israéliens, fussent-ils armés, aux
Palestiniens, n’a pas de sens.
RC : Je me rends très souvent en Israël, pays
que je connais bien. Le peuple israélien a terriblement soif de
paix. Quand un enfant naît, les parents savent que quand il aura
dix-huit ans il devra effectuer trois années de service
militaire, et qu’une proportion élevée de ces enfants ne
mourront pas de leur mort naturelle.
PB : Le drame c’est que
les Palestiniens sont certainement tout aussi épris de paix.
RC : J’estime qu’Arafat porte une
responsabilité terrible, parce que l’accord de paix était à
portée de la main. Et on connaît d’ailleurs les termes du futur
accord de paix. On sait qu’il y a 10 millions d’habitants entre
le Jourdain et la Méditerranée, moitié juifs moitié arabes. Les
termes de la paix s’établiront à peu près autour de ce qui a été
négocié à Camp David. La question de Jérusalem est soluble,
puisqu’il suffit d’agrandir la ville pour constituer une Al Qods
arabe et une Jérusalem juive. Mais les Israéliens ne peuvent pas
céder sur des choses aussi fondamentales que le traitement du
droit au retour, qui est une revendication et pas un droit ; ils
peuvent abandonner les faubourgs arabes mais pas les lieux
saints juifs de Jérusalem.
PB : Dans votre livre
vous dites que vous avez mis en garde Jacques Chirac contre la
nomination de Roselyne Bachelot, comme porte-parole, dans la
campagne de 2002. En 2007, vous vous êtes élevé contre
l’éventuelle nomination d’Hubert Védrine en tant que ministre
des Affaires étrangères. Est-ce que vous ne croyez pas que ce
type d’intervention peut prêter à confusion ?
RC : Je suis un citoyen français et je dis ce
que je pense. Ça n’a nullement empêché Roselyne Bachelot de
faire carrière et Hubert Védrine de s’imposer comme un
observateur expert.
PB : Vous dites qu’il
est anti-américain. Pourtant, il est très proche de Madeleine
Albright, qui vient de préfacer son dernier livre. Pourquoi donc
dire qu’il est anti-américain ? L’éthique de George W. Bush
n’est plus tellement défendue par grand monde aujourd’hui…
RC : Il conteste quand même beaucoup, peut
être à juste titre d’ailleurs.
PB : Dans votre livre
vous vous démarquez à plusieurs reprises de la Ligue de défense
juive ; cette organisation est tout de même un mouvement assez
violent.
RC : Oui, mais ces personnes se comptent sur
les doigts de quelques mains et ne représentent absolument pas
une organisation responsable et importante. Cette organisation
n’a jamais fait partie du CRIF.
PB : Quel pont pourrait
jouer la communauté juive entre la France et Israël ?
RC : Depuis 2005, les relations avec la
France sont équilibrées. Il n’y a pas besoin de passerelles. Les
relations sont parfaitement fluides. Les ministres français et
israéliens se tiennent au courant. Les visites officielles en
France des deux présidents israéliens, Moshe Kastsav et Shimon
Peres, se sont très bien déroulées.
PB : Vous évoquer les
institutions juives américaines et vous dites même que Jacques
Chirac en avait peur.
RC : En effet, cela m’a frappé. Il avait un
respect pour les institutions juives américaines, il pensait
probablement qu’elles avaient une grande influence sur la
Maison-Blanche.
PB : Et vous-même vous
étiez pendant longtemps dans une position qui était un peu
compliquée parce qu’à la fois vous dénonciez les actes
antisémites en France et vous deviez expliquer aux institutions
juives américaines que la France n’était pas antisémite.
RC : Oui, je me suis rendu aux Etats-Unis en
mai 2002, alors qu’on venait d’avoir un nouveau gouvernement et
que je savais que Jean-Pierre Raffarin, Nicolas Sarkozy et le
nouveau Jacques Chirac de mai 2002 étaient prêts à se battre
contre l’antisémitisme. Si les Américains avaient boycotté la
France, cela aurait été extrêmement néfaste à tous égards. J’ai
donc été à la rencontre des juifs américains et je crois que ça
a été déterminant pour les convaincre d’abandonner leur projet
de boycotter les produits français.
PB : Vous écrivez une
fois de plus dans votre livre que j’aurais recommandé au Parti
socialiste d’être pro-Palestinien parce qu’il y a plus d’arabes
que de juifs en France. Je n’ai jamais dit ça, je n’ai jamais
écrit ça.
RC : C’est l’opinion publique qui vous a
attribué ces propos.
PB : Oui, mais c’est
quand même extraordinaire de suivre l’opinion publique, et qu’un
mensonge dix fois répété devienne vérité.
RC : Je cite une anecdote à propos d’un
incident similaire qui m’est arrivé. Il s’agit de deux
politiciens qui se disputent. L’un dit à l’autre :
+ « Je dirai à tout le monde que ta sœur est une prostituée. »
Le second rétorque : « Mais j’ai pas de sœur. »
+« Va leur expliquer. »
PB : Certes, mais quand
même, ce type de procédé est choquant. Qu’on me critique pour ce
que j’écris, j’en suis responsable. Mais que l’on déforme mes
propos pour essayer de me faire taire, c’est inadmissible et
cela a pour effet de faire peur.
RC : Quels étaient vos propos ?
PB : Mes propos étaient
de dire qu’on ne peut pas bâtir une politique étrangère sur le
poids des communautés. Parce que si on faisait cela, à terme les
juifs seraient perdants puisqu’ils sont moins nombreux que les
arabes. Et que donc ce qu’il fallait faire c’était partir des
principes, et non pas du poids des communautés. Certains de
bonne foi, d’autres de mauvaise foi m’ont transformé, moi qui
n’aie jamais concouru à aucune élection, en un être froidement
électoraliste pensant de façon cynique que « comme il y a plus
d’arabes que de juifs, il faut être pro-Palestinien ». Je ne
disais pas cela. Alors bien sûr on peut être en désaccord avec
mon analyse. Mais ce qui m’a ému et profondément révolté, c’est
qu’on m’attaque non pas sur la base de mes véritables propos,
mais plutôt sur la base d’une interprétation et de rumeurs.
RC : C’est une interprétation qui a été faite
par des socialistes.
PB : Non, seulement
quelques personnes m’ont prêté cette interprétation. Je me
souviens d’un journaliste du Monde qui avait cité le « théorème
Boniface » en disant que comme il y a plus d’arabes que de
juifs, il fallait être pro-palestinien. Je n’ai évidemment
jamais tenu de tels propos, et c’est pour tenter de mettre fin à
cette calomnie que dans le livre Est-il permis de critiquer
Israël ?, j’avais intégré la « fameuse » note, afin qu’on me
juge sur pièce et pas sur des « on dit ». Un jour j’avais
téléphoné à Eric Conan qui, dans l’Express, avait écrit un
article sur cette « affaire ». Il savait que l’accusation était
fausse, mais se justifiait en disant qu’il y a beaucoup de gens
qui pensent cela, alors il l’a écrit. C’est extraordinaire ! Un
journaliste devrait être là pour informer le public, pas pour
contribuer à sa mauvaise information.
RC : Ce genre de propos est effectivement
dangereux. Il m’est arrivé la même chose avec des déclarations
qui ont été mal interprétées et c’est terrible parce qu’après
vous ne pouvez plus revenir en arrière. Et finalement vous
l’avez dit en partie.
PB : Pas du tout, au
contraire, je mettais en garde contre un tel raisonnement. C’est
un peu comme si, par exemple sur un sujet qui est aussi sensible
et sur lequel pour l’instant je ne suis pas pris à partie, on me
reprochait de dire que l’on ne doit pas avoir par rapport au
génocide arménien de 1915 un avis qui dépende du nombre
d’électeurs d’origine turque ou arménienne dans sa commune.
Revenons-en à votre livre. Ce que l’on peut constater c’est
qu’il y a chez certaines personnes le sentiment que les
responsables politiques, ce que vous appelez l’establishment,
réagissent directement quand y a une agression antisémite et
avec retard en cas d’agression contre un Noir ou un Arabe. Le
paradoxe c’est que vous, en tant que responsable institutionnel
actuel et passé, vous n’êtes en rien responsable de cette
situation. Lorsque vous vous élevez contre les menaces
antisémites, vous êtes dans votre fonction.
RC : Et quand il y a une agression raciste,
on réagit aussi.
PB : Je sais mais le
problème ne vient pas de cela, mais du fait que certains médias,
comme certains responsables politiques, ont des réactions qui ne
sont pas de la même ampleur, lorsqu’il s’agit d’une agression
antisémite ou d’une agression contre un Noir ou un Arabe. Cela
crée chez certains le sentiment, dont vous n’êtes pas
responsable, d’un deux poids deux mesures, qui au final se
reproduit contre vous.
RC : Je dis d’ailleurs qu’il ne faut faire
aucune différence entre ces agressions.
PB : C’est vraiment un
élément central. Certains responsables politiques, certains
journalistes, croyant bien faire, entretiennent, peut-être à
leur corps défendant, une perception notamment chez les jeunes
qu’on est plus actif dans la lutte contre l’antisémitisme que
contre d’autres formes de racisme.
RC : Mais il n’empêche que les préjugés
antisémites sont plus tenaces. Les rapports de la Commission
nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) montrent à
quel point il y a relativement beaucoup plus d’actes antisémites
que d’actes anti Arabes.
PB : Ça dépend de la
comptabilité. Concernant les préjugés, aujourd’hui, hormis pour
10-15% de la population, l’élection d’un juif comme président de
la République ne poserait pas de problème. Ce qui n’aurait pas
été le cas il y a peut-être même une seule génération.
RC : C’est vrai, mais des préjugés persistent
notamment à propos de la richesse des juifs alors que 45 000
juifs vivent en dessous du seuil de pauvreté… Un président du
CRIF a fort à faire pour lutter contre tous ces préjugés !
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Publié le 22 octobre avec l'aimable autorisation de l'IRIS.