Site d'information sur la Palestine, le Moyen-Orient, l'Amérique latine, la Corse ...

 

Palestine - Solidarité

 

 Retour :  Accueil  Massacres de Gaza  -  Sommaire dossiers  Analyses  -  Mises à jour


Interview - Zaman France

L'islam a décomplexé la pratique chrétienne
Robert Leblanc


Jeudi 24 juin 2010

Robert Leblanc, nouveau président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, se dit favorable au respect de la pratique religieuse sur le lieu de travail. Pour lui, la présence de l'islam dans les lieux collectifs a permis aux chrétiens de regagner en visibilité dans l'espace public.

Robert Leblanc a été nommé il y a trois mois à la tête de l'association des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens. Président du Comité d'Ethique du Medef depuis 2008, il est également le PDG d'Aon France, filiale française d'Aon Corporation, n°1 mondial du courtage d’assurance et leader dans le conseil en gestion des risques. Pour lui, la présence de l'islam dans l'espace public est une "immense vertu" pour les chrétiens, dans la mesure où "l'islam a réintroduit le fait religieux dans une dimension collective et sociale". Il relève à ce sujet une anecdote révélatrice, celle de France Info qui a récemment commencé à parler du carême chrétien, alors que le ramadan est déjà le sujet d’émissions depuis de nombreuses années.

En quoi votre foi chrétienne intervient-elle dans votre activité de chef d'entreprise ?

Ma foi chrétienne intervient dans le fait d'avoir une certaine éthique dans la manière d'exercer mon métier de chef d'entreprise ; même si, bien sûr, beaucoup d'autres arrivent à une éthique comparable sans passer par le chemin d'une foi chrétienne. La caractéristique de notre religion c’est de croire en une personne, croire en Jésus. Ça relativise beaucoup de chose. Au moment des décisions, on est tenté par un certain nombre de raisonnements, mais aussi par un certain nombre de réflexes. Je crois que le temps de la prière dans l’action est le moyen de corriger un certain nombre de réflexes qui peuvent être inspirés par des choses qui ne sont généralement pas très bonnes, mais qui sont terriblement humaines. En prenant le temps de la prière, en disant 'sous le regard de Dieu, qu’est ce que je dois faire', il y a certaines choses que l’on n’a plus envie de faire quand on est sous le regard de Dieu. Donc, je crois que tout cela est absolument déterminant. Il s'agit avant tout de nourrir une réflexion sur l'éthique. Alors l’éthique c'est quoi? La grande question qu'on rencontre quand on est membre des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, c’est "peut-on être chrétien et licencier ?" L'éthique ce n'est pas nécessairement ne pas licencier ; mais c’est ne licencier qu’en étant sûr des raisons pour lesquelles on le fait, en étant prêt à s’en expliquer, en étant conscient des souffrances infligées aux personnes et en essayant de les limiter.

Justement, pour ce qui est des licenciements abusifs ou autres écarts reprochés aux grands patrons, comment avoir des critères qui nous permettraient de ne pas être injuste?

Je pense que fondamentalement il n'y en a pas de manière générale, mais à chacun de faire ce qu’il a à faire en conscience et en vérité.

Ce qui compte c'est de mener cette réflexion?   

Oui, c'est de mener la réflexion, et puis pas seulement la mener, en la menant de se dire aussi qu'il y a des choses que je ne   pourrais pas faire.

Quelles sont ces choses par exemple?

C'est comme dans tous les domaines. Il faut savoir se fixer des limites et aussi voir les choses à long terme, ne pas viser exagérément les résultats à courts termes. L'expérience nous montre qu'en choisissant d'investir dans les entreprises qui se fixent d'autres critères, en réalité sur 5 à 10 ans, l'investissement est bon. Donc la preuve est faite. Se focaliser sur l’objectif de demain matin conduit à des erreurs.

Est-ce que vous pensez qu'une certaine froideur à l'égard du religieux a aussi une place dans les difficultés économiques que l'on vit, notamment du point de vue de l'absence d'éthique?

Non, je ne pense pas qu’on puisse établir le lien de cette manière, pour la bonne raison que les Etats-Unis qui sont les plus puissants de l'Occident ont une vie religieuse très forte et sans tabou. Les plus grands excès ont été faits quand même là-bas. Je ne crois pas que ça soit l'anticléricalisme qui puisse expliquer ça. Je crois que ça fait partie des travers du monde, qui ne sont pas nouveaux, mais justement contre lesquels on a quelque chose à apporter aujourd’hui. Ce qu’on voit avec la crise qu’on vit encore, en un mot, c'est qu'elle est quand même le fruit de beaucoup d'excès. Que ça soit les excès intercontinentaux, que ce soit des excès où on prête trop aux gens qui sont insolvables ou que ce soit des traders qui tirent des profits exagérés.

La religion ne peut-elle pas avoir son mot à dire sur ces excès?

Il n'y a pas que la religion mais oui elle a quelque chose à dire. C'est que dans ce monde complexe, les autorités publiques sont de plus en plus impuissantes, et en même temps si personne ne fait rien, on arrive à des choses explosives. Au milieu de tout ça, ma grande conviction c'est la nécessité d'une inspiration éthique chez les principaux responsables. Moi, là où je suis, je vais jusque là mais je n'irai pas plus loin. On ne peut pas se permettre tous les excès qui ont l'air possibles au moment où on engage les actions, parce qu’après le prix à en payer est monstrueux. Dans cette réflexion, je pense qu'aujourd'hui on est à un moment tout à fait charnière. Il y a eu un débat pendant des décennies pour ne pas dire pendant des siècles : est-ce qu’il faut des autorités publiques qui contrôlent tout? Est-ce qu'il faut laisser un marché se développer librement? Je pense que ce débat est dépassé. Le contrôle par les autorités publiques gouvernementales est périmé. Mais on ne peut pas dire pour autant que le marché peut fonctionner de manière complètement débridée. Alors ce n'est pas des lois qui vont venir encadrer, il faut que ce soit une conscience.

Quel est le message de cette conscience religieuse dans le monde du travail?

Je pense que tous ceux qui sont sincèrement religieux, et qui croient à des choses qui les dépassent, ont une humilité dans la manière de fonctionner, une forme de détachement aussi. Vous savez, il y a une phrase de Saint-Ignace de Loyola, que j'apprécie beaucoup : "Agis comme si tout dépendait de toi, en sachant que tout vient de Lui". C'est-à-dire que ça vous incite à l'action, mais en même temps avec beaucoup de modestie.

On retrouve là une morale spirituelle du détachement à l'égard du résultat, je fais ce que j'ai à faire et en même temps je ne me soucie pas de...

C'est fondamental, c'est fondamental ! Moi je vis comme ça depuis de nombreuses années. J'ai cette attitude dans la vie, j'entreprends des choses. J'ai quitté une boite où j'étais actionnaire avec de l'argent. J'ai voulu faire des choses, et rien de ce que je voulais faire ne s'est réalisé. Ce que je fais aujourd'hui ça m'est arrivé sans l'avoir cherché.

Vous pensez que c'est important de ne pas être obsédé par les résultats?

Ah oui ! Devant une action, on ne peut jamais être sûr de ce qu’elle apporte de bien ou de mal, ce n'est pas à soi-même de le dire. Mais en tout cas il est important d’en avoir conscience, de réfléchir et d’essayer de le faire, en se disant 'je me place sous le regard de Dieu'. Vous savez, je suis à ce poste depuis six mois. Mon prédécesseur aussi était catholique. Les syndicats qui ont su que moi même j'étais engagé dans la religion chrétienne ont dit à mon prédécesseur "C'est bien qu'il soit comme vous !" Pourtant les syndicats ne sont pas religieux.

Qu'est-ce qu'ils veulent dire par là?

Moi ce que j'essaie de faire avec eux, c'est d’être le plus vrai possible avec les gens, le plus respectueux possible avec les personnes. Le respect des personnes dans une entreprise peut varier du tout au tout. Il y  a des gens qu'ils n'ont aucun respect des personnes; ils se disent "moi j'ai plein de choses à faire, et eux aussi qu’ils fassent ce qu'ils ont à faire". On ne s'occupe pas d'eux, on ne les regarde pas en tant que personnes, on les regarde comme des instruments dans le dispositif. Ça existe vraiment, ce n'est pas une caricature ce que je vous dis. Ces gens doivent sentir que vous les prenez en compte en tant que personnes, vous leur parlez avec un discours de vérité. Dans les licenciements par exemple, il ne faut pas donner l'impression que vous ne vous rendez même pas compte que vous leur faites du mal. Ça, ça les blesse au centuple.

Pour ce qui est de la crise, est-ce que cette logique religieuse du refus de l'excès aurait pu limiter la crise?

Bien sûr, je suis d'accord, complètement d'accord. Le refus de l’excès, c’est là, à mon avis, que beaucoup de choses sont en train de se jouer.

Pour en revenir à la question de l'islam de France, pensez-vous que dans le monde de l’entreprise, le fait que les musulmans aient plus de liberté pour pratiquer leur religion puisse faciliter leur intégration?

Ça ne facilite pas nécessairement leur intégration, en ce sens qu’ils s’auto-désignent comme un peu différents de la majorité dans laquelle ils baignent. Mais je vais tout de suite enchainer sur un aspect positif. L’histoire de l’islam de France n’est pas une histoire facile. Afficher sa différence n’est pas toujours simple. Mais c’est une immense vertu pour le catholique que je suis. C'est que l’histoire de France a été marquée de grandes fractures et un anticléricalisme qui n'a pas beaucoup d’équivalent dans le monde. L'islam a réintroduit le fait religieux dans une dimension collective et sociale.

Dans quelle mesure, en termes de gain de visibilité?

Oui en gain de visibilité, c'est un fait collectif. Bien sûr, en France ce n’est pas un tabou de se dire catholique mais ça ne se montre pas dans le domaine collectif. Moi je suis frappé que France info, chaque année, parle du ramadan, et maintenant depuis quelque années parle aussi du carême. A force de parler du ramadan, ils se sont dit 'tiens les autres aussi ont quelque chose qui ressemble au ramadan'.

D'après vous, c'est une évolution positive?

Pour moi c’est une évolution positive, comme je suis un religieux engagé. Ma foi, certes, à une dimension très individuelle et personnelle. En même temps ça rejoint notre débat. Vivre ma religion de manière ouverte est quelque chose d’important.

Oui mais là, on ne dit pas un peu le contraire de ce que vous disiez sur l'affichage de la différence?

Non, je vous ai dit, "Est-ce que ça facilite l'intégration?" Non ça ne la facilite pas. Mais leur chemin à eux, qui n’est pas facilité, mais qui est bénéfique pour l’ensemble, rend service au monde. Je pense que tout ça fait partie de la construction d'un monde qui se réapproprie le fait religieux. Depuis la loi sur la laïcité, la vie religieuse chrétienne est strictement privée. La laïcité à la française est une laïcité négative. C'est Sarkozy qui a commencé à dire que ce n'est pas ça la laïcité, et qui d'ailleurs a favorisé la création d'une institution pour les musulmans de France. Et je pense par rapport à ça que les musulmans ont apporté quelque chose de fondamental, de dire 'mais attendez le fait religieux ce n'est pas qu'individuel, ce n'est pas que dans l'Eglise'. Parce que ma conviction c'est que le fait religieux fait partie de la richesse de l'expérience humaine, et je dis cela en respectant ceux qui ne croient pas et en respectant les religions différentes de la mienne.

La place de l'islam dans l'entreprise en tant que patron, vous en pensez quoi? Que pensez-vous des aménagements pour que les musulmans puissent pratiquer leur culte?

Moi je suis partisan du respect de toute personne, clairement. Il peut y avoir des contraintes de service dans certaines activités. Si un pompier fait sa prière au moment où on l'appelle pour le feu, c'est autre chose. Je pense que toutes les religions sont suffisamment intelligentes pour prévoir les exceptions. Il a le droit d'arrêter sa prière pour aller éteindre le feu.

D'ailleurs c'est la religion elle même qui le demande dans ces cas là...

Mais oui, on peut être dispensé de ramadan quand on est au combat etc... On ne peut pas invoquer que ce sont des raisons religieuses ou autres, des singularités personnelles, qui empêchent de faire régulièrement le travail qu'on a à faire. Mais par contre qu'on puisse l'aménager de sorte de vivre ce qu'on a à vivre... Notre vie ne se limite pas à notre travail quand même. On a une famille, une religion, des engagements, des loisirs... Il faut respecter toute la richesse de la personne, lui permettant notamment sa pratique religieuse. Ça me paraît complètement normal.

Copyright© ZAMAN FRANCE
Publié le 29 juin 2010 avec l'aimable autorisation de ZAMAN France

Le dossier religion musulmane
Dernières mises à jour



Source : Zaman France
http://fr.zaman.com.tr/fr/...


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient, de l'Amérique latine et de la Corse.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
Pour contacter le webmaster, cliquez < ici >

Retour  -  Accueil Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Originaux