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Entretien

Tour d'horizon après la bataille :
quel avenir pour le « Printemps arabe » ?
Pierre Piccinin


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Mercredi 16 novembre 2011

Entretien avec Pierre Piccinin, historien et politologue à Bruxelles - Tour d'horizon après la bataille : quel avenir pour le « Printemps arabe » ? (The New Times, 31 octobre 2011)

propos recueillis par Sergeï KHAZOV

Paysage d'automne. Aux premières élections démocratiques en Tunisie, un parti islamiste « modéré », Ennahda, a reçu environ 40% des suffrages. En Égypte, à la veille des élections parlementaires de novembre, selon les sondages, 35% de la population voterait pour le mouvement des Frères musulmans. Le nouveau gouvernement de la Libye a annoncé que la base de la législation sera désormais la charia.

Que se passe-t-il donc à présent dans le « Printemps arabe » ?

La Tunisie, lors de ces élections, a été comparée à un enfant qui apprenait à nager. Mais pas dans un bassin : elle a été jetée à la mer, directement depuis la falaise.

Au cours de ces neuf premiers mois, depuis la fin de la dictature, plus d’une centaine de partis sont apparus pour participer aux élections et plus de mille cinq cents listes ont présenté plus de dix mille candidats. Pour qui voter ? À qui faire confiance, alors que l'ancien régime était toujours au gouvernement du pays et que l’opposition, dans un laps de temps aussi court, n’a tout simplement pas eu le temps de s’organiser ?

Les islamistes d’Ennahda constituaient la seule force politique organisée dans le pays. Elle avait déjà acquis une grande popularité sous le régime de Ben Ali, qui avait envoyé trente mille de ses membres derrière les barreaux. Et elle a décidé d'acheter les votes manquants : depuis plusieurs mois, des camions chargés de nourriture, d’appareils électroménagers, etc., circulaient dans le pays et Ennahda distribuait ainsi ses bienfaits. Les partisans d’Ennahda n’ont pas seulement distribué des aliments, mais ils ont aussi essayé d'être utiles à chaque électeur, en payant la facture d’électricité, en aidant à accomplir des démarches administratives, en appuyant une admission à l'université, etc. Des organisations de charité ont été créées avec le soutien des imams dans les mosquées. En fait, Ennahda s’est accaparé les lieux de culte pour sa campagne.

Ces violations du code électoral par Ennahda ont fait l’objet de plaintes avant l'élection, mais aucune mesure concrète n’a été prise.

Mais, la question essentielle, cela dit, c’est de savoir où ce parti, qui, pendant tant d'années, avait été interdit et dont les dirigeants étaient en exil, a-t-il pu trouver les millions de dollars qu’il a utilisé durant cette campagne?

Bien que rien ne puisse encore être prouvé, nous savons que les islamistes, quel que soit le degré de leurs revendications, reçoivent une partie de leur financement d'un fond sans cesse approvisionné par les groupes radicaux, dont beaucoup sont liés à la nébuleuse Al-Qaïda et à d'autres organisations terroristes. Mais la première source de financement, c’est principalement le Qatar, qui, dès le début du « Printemps arabe », a joué un rôle actif en Tunisie, mais aussi en Libye, et, à présent, en Syrie également.

Les islamistes radicaux ne soutiendraient pas autant les mouvements dits « modérés », s'ils étaient réellement convaincus de  leur « modération » : déjà, dans le sud de la Tunisie, des partisans d’Ennahda ont attaqué des commerce d'alcool et des femmes non voilées se sont faites agresser dans la rue.

En outre, si les leaders d’Ennahda, par leur discours, se distinguent des mouvements salafistes (cette tendance de l’Islam radical qui prône un retour sans concession au mode de vie et à la foi des premières communautés musulmanes), très présents en Afrique du Nord, ils maintiennent cependant avec ces mouvements des contacts très étroits.

Mais Ennahda n'a pas obtenu la majorité à l’Assemblée constituante : pour former un gouvernement et décider d’une nouvelle constitution pour la Tunisie, Ennahda doit former une coalition. Qui sera son partenaire ?

Il existe deux possibilités : il y a le parti laïc du Forum démocratique pour le Travail et les Libertés (Ettakatol), qui a obtenu 9% des voix environ, et, surout, le parti du Congrès pour la République, avec 14%.

Mais, pour le reste des élus, essentiellement des candidats indépendants, bon nombre sont des partisans de l’ancien régime. La plupart d'entre eux, des fonctionnaires locaux, étaient proches des gens et, l’opposition n’ayant pas eu tout le temps nécessaire pour mener campagne, il n'est pas surprenant que beaucoup d’électeurs aient voté pour des visages connus. Il faut se mettre à la place des électeurs tunisiens : si vous n'êtes pas partisan des islamistes, que faire d’autre que de voter pour la personne avec qui vous vivez au quotidien, dans votre quartier ou votre village, et qui pourra vous aider à résoudre certains problèmes.

Ainsi, la nouvelle constitution sera écrite par les islamistes, sous le regard d’anciens partisans de Ben Ali.

On peut se demander si c’est vraiment là ce à quoi s’attendaient ceux qui ont combattu pour leurs droits en Tunisie, où a débuté le « Printemps arabe ».

La situation est-elle la même sur les rives du Nil ?

Il y a une grande différence entre l’Égypte et la Tunisie : en Égypte, le processus électoral est contrôlé par les militaires, restés au pouvoir après la démission d’Hosni Moubarak. Et l’armée a rapidement trouvé un terrain d’entente avec les Frères musulmans… Le résultat des élections législatives de novembre est dès lors assez prévisible.

Les Frères musulmans ont multiplié les actions de bienfaisance à travers tout le pays et, dans certaines provinces, les islamistes font campagne sous la protection des patrouilles de l'armée.

Mais, ce qui me semble particulièrement significatif, concernant l’Égypte, c’est que l'armée reste sous le contrôle du Pentagone. Les Etats-Unis financent l’armée égyptienne à raison de 1,3 milliard de dollars annuellement. Et la chute de Moubarak n’a pas mis fin à ces bonnes relations : suite à la révolte, en janvier, la Maison blanche a fortement conseillé au président Moubarak de démissionner, tandis que l'armée, qui avaient reçu l’instruction de ne pas interférer dans les événements, a finalement proclamé qu'elle était du côté du peuple, de la liberté et de la démocratie. Ce qui lui a permis de se maintenir au pouvoir sans tirer un seul coup de feu.

Ainsi, après les élections de novembre, le pouvoir, en Égypte comme en Tunisie, pourrait bien être partagé entre les islamistes et l'ancien establishment.

Les Frères Musulmans n’inquiètent pas l’Occident, en réalité : leur discours n’est absolument pas antiaméricain, pas même anti-israélien. Leur seul objectif, c’est l’islamisation de la société, de progressivement habituer le pays à vivre selon leurs règles.

En Libye, le conflit a cessé d'être une guerre de libération et s’est transformé en une agression de l’ouest par l’est. Comment voyez-vous l’avenir du pays ? En outre, alors qu’il n’y a pas encore eu d’élection, le président du Conseil national de transition (CNT), Mustafa Abdul Jalil, ancien ministre de la Justice dans le gouvernement de Kadhafi, a déclaré que le fondement de la nouvelle législation sera la charia. Pourquoi tant de hâte ?

Selon plusieurs sources et diverses informations que j’ai pu obtenir à Benghazi, durant un séjour d’observation en août dernier, le leadership du CNT, peut-être sous l’égide d’une médiation par le Qatar, aurait signé un accord de partenariat avec un ou plusieurs groupes islamistes radicaux, en échange de quoi les nouvelles autorités auraient reçu un soutien militaire.

En août, ainsi, Abdul Jalil s’est retrouvé désemparé devant l’entrée en scène de trois cents islamistes lourdement armés, sortis de nulle part, qui ont lancé l’assaut sur Tripoli, sans prendre leurs ordres auprès du CNT. Le CNT, pour ne pas se faire coiffer au poteau par les islamistes, a alors donné l’assaut sur Tripoli, trois semaines plus tôt que prévu, dans le désordre que l’on sait. Des accords auraient suivi…

Par ailleurs, la guerre en Libye, en dépit de nombreuses déclarations, ce n'est pas fini. La Libye, est divisée en tribus et clans, qui conservent un rôle sociopolitique prégnant, plus que partout ailleurs en Afrique du nord. Dans l'Est, Kadhafi a toujours été plus ou moins détesté, de sorte que les rebelles, avec l'appui de l'OTAN, n’ont pas eu de grandes difficultés pour s’emparer du terrain.

Mais, dans l'ouest, on a pu constater que la rébellion a très lentement progressé, en conquérant ville après ville et village après village. Cela s’explique non pas tant parce que la population locale a soutenu Kadhafi, mais parce que les clans de l’est ne veulent pas de l’hégémonie des clans de l’ouest. Pour l’ouest de la Libye, exception faite des Berbères du Djebel Nafousa et des clans de Zliten et Misrata, la guerre n’a rien d’une libération ; c’est une agression.

Les médias mainstream, relayant la propagande de l’OTAN, prétendent que les derniers bastions de Kadhafi étaient Syrte et Beni Oualid. Mais c’est inexact. Chaque ville et village de l’ouest a désespérément résisté aux rebelles et aux bombardements de l’OTAN.

La rébellion, avec l’appui de l'OTAN s’est emparée de l'ensemble du territoire de la Libye. Mais, alors que le nouveau gouvernement devra faire face à de nombreux défis, comment pourra-t-il convaincre tous les clans de sa légitimité ?

Premièrement, si Kadhafi a utilisé la force contre les rebelles de l’est, le CNT a fait de même contre les clans de l’ouest ; et cela pourrait conduire à une nouvelle guerre civile en Libye.

Deuxièmement, comment le CNT pourra-t-il désarmer le pays ? Aujourd'hui, pour ainsi dire, chaque village a sa propre armée ; tous les hommes, dès quinze ans, ont une arme ; chaque maison possède sa mitrailleuse… Des centaines de missiles, qui peuvent abattre des avions, ont disparu des arsenaux gouvernementaux. Il est peu probable que les chefs des clans accepteront d’abandonner si facilement cet armement, surtout face à un gouvernement en lequel ils n'ont pas grande confiance, et pas plus à l’est qu’à l’ouest.

La crise libyenne ne va pas s’achever si rapidement, ni avec la mort du dernier des Kadhafi ou la cessation des hostilités, ni même avec l'organisation des élections.

Le « Printemps arabe » a transformé la Libye en champ de bataille ; un bain de sang a permis de remplacer un tyran par d'autres et l'Occident, très cyniquement, va s’arranger avec les nouveaux maîtres, qu’il a contribué à placer au pouvoir.

La principale réalisation du « Printemps arabe », cela dit, c’est que ces populations ont réalisé qu'il était possible de renverser une autorité tyrannique et que c’était leur droit de le faire. Mais ce n’est pas aujourd’hui que les Arabes récolteront les fruits des révoltes populaires qui ont eu lieu, ni demain, ni même dans quelques années…

Dans le long terme, en revanche, on peut espérer que les pays arabes connaîtront des démocraties proches de celles qui existent en Europe et que la majorité de la population saura imposer sa volonté.

Lien(s) utile(s) : The New Times.

© Cet article peut être librement reproduit, sous condition d'en mentionner la source

 

 

   

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Source : Le blog de Pierre Piccinin
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