Mardi 4 novembre 2008
Liberté : Face à la poursuite de
l’occupation, de la colonisation par Israël et du blocage
politique dans les Territoires occupés, l’idée d’un État
binational, naguère défendue par Edward Saïd, refait surface.
Qu’en pensez-vous ?
Pascal Boniface : Oui effectivement, y compris parmi ceux qui
ont accepté l’idée des deux États, on trouve des gens qui
commencent à dire : “Puisque cette solution à deux États séparés
ne se met pas en place, revenons à l’État binational.” Donc, ce
mouvement existe bien. Vous avez également des dirigeants
israéliens qui ne veulent pas attendre trop longtemps par
rapport à cette solution des deux États, parce que la poursuite
de la construction du mur et de la colonisation pourraient
rendre rapidement irréversible sa non-existence. Mais il n’y a
pas plusieurs options, soit on fait une solution, un État
binational, soit on fait deux États. Mais les Israéliens ne
peuvent pas à la fois refuser l’un et l’autre.
Vous affirmez que la question
palestinienne est le centre du clash des civilisations. Pourquoi
pas l’Irak, pourquoi pas le Liban, pourquoi le conflit
israélo-palestinien est si central ?
Parce que c’est le symbole même de l’injustice du monde
occidental, du deux poids deux mesures pratiqué. On peut dire
ensuite que le Liban est une conséquence du conflit
israélo-palestinien, ce n’est pas le conflit Israélo-palestinien
qui est une conséquence du Liban. Et dans une certaine mesure,
la guerre en Irak est une conséquence indirecte et non pas
l’inverse. Donc, on peut dire que les autres conflits de la
région sont liés indirectement au conflit israélo-palestinien,
et que le sort réservé aux Palestiniens est un motif d’hostilité
voire de haine, en grande partie non seulement dans le monde
arabe, dans le monde musulman et dans le Sud à l’égard de ceux
qui permettent cette situation.
Vous évoquez une catastrophe annoncée si
ni les Européens ni les arabes, ni les américains ne font rien
sur cette question. À quel horizon voyez-vous cela ?
Malheureusement, c’est le genre de question à laquelle on ne
peut pas répondre. Pour faire une image, c’est comme quand on
marche sur la glace qui commence un peu à fondre. On ne sait pas
quand la glace ne portera plus son poids ; mais une fois qu’on
le sait, c’est trop tard.
Quelle est la place des opinions
européenne et celle de la rue arabe dans ce débat ? Est-ce que
ces opinions peuvent jouer un rôle en faveur d’un règlement de
la situation au Proche-Orient ?
Dans les deux cas, les opinions européennes et plus encore, dans
une proportion plus importante, les opinions arabes y peuvent
quelque chose en faisant pression. Bien sûr, les opinions arabes
sont très conscientes de ce drame, elles sont solidaires avec
les Palestiniens. Mais même en Europe, il y a eu un changement
de conception… Les opinions européennes étaient
pro-israéliennes, il y a quelque temps.
Aujourd’hui, elles sont majoritairement, je ne dirai pas
pro-palestiniennes… mais elles attribuent majoritairement la
responsabilité de la poursuite du conflit au gouvernement
israélien et non pas aux Palestiniens. Donc, il y a eu une
modification de perception de la part des opinions européennes.
Et on peut dire que sur ce plan, les gouvernements européens
sont un petit peu en retard sur leurs propres opinions.
Pascal Boniface, directeur
de l'IRIS.
Entretien réalisé par Rachid Alik.
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Publié le 4 novembre 2008 avec l'aimable autorisation de Liberté.