L´Afrique est terre aux mille cultures. Elle apporte
aujourd’hui, une contribution non négligeable à l’épanouissement
général, grâce à ses apports incontestables dans les domaines de
la culture et de
l’art.
La question des politiques culturelles en
Afrique n'est pas neuve mais à l’heure actuelle, elle
peut ne pas sembler urgente. Certains États n'ont pas
d’actions concrètes tangibles et dans la durée par
rapport à ce domaine. En Afrique les ministères en charge de la
culture sont souvent très instables. Face à ces lacunes
visibles, l’urgence d’une
politique pour mobiliser l'aide extérieure, de plus en
plus centrée sur l'appui aux stratégies nationales et régionales
de développement, peut s’avérer nécessaire.
1.
Parlez-nous de la revue Cultures Sud.
Vous travaillez pour le département des publications et de
l’écrit depuis huit ans, quels ont été les défis, les obstacles
auxquels vous avez été confrontée ? Vous avez effectué beaucoup
de voyages et de missions sur le terrain, avez-vous des
expériences qui vous ont marquée ?
Cultures Sud,
anciennement Notre Librairie, est une revue qui a
aujourd’hui près de quarante ans. Crée à la fin des années 1960
à l’initiative du ministère de la coopération, elle avait pour
vocation essentielle d’aider les bibliothécaires d’Afrique et de
Madagascar à constituer et actualiser leurs fonds. A l’origine
sous forme de bulletin, elle est par la suite devenue, dans la
décennie suivante, et sous l’impulsion de sa fondatrice et
rédactrice en chef d’alors que je salue, Madame Marie-Clothilde
Jacquey, une revue de référence et d’actualité des littératures
du Sud. Chaque trimestre était alors l’occasion de faire le
point sur les littératures des pays d’Afrique francophone,
lusophone et anglophone. Ainsi, s’est mise en place une
véritable collection sur les littératures « nationales », du
Congo en deux volumes au Cap-Vert en passant par le Bénin et le
Togo, qui a révélé entre autres des auteurs comme feu Sony Labou
Tansi, Sylvain Bemba et Tchicaya U Tam’si pour ne citer que des
congolais, ou encore le béninois Olympe Bhêly Quenum ou, plus
récemment le Sénégalais Boubacar Boris Diop, etc.
Quand
j’ai pris mes fonctions à la revue en 2000, alors en qualité de
rédactrice adjointe, nous étions en train d’en finir avec ce
tour d’Afrique et des Caraïbes et la collection dédiée aux
littératures nationales s’est alors achevée avec deux volumes
dédiés aux littératures (anglophones) du Nigeria et du Ghana. La
littérature africaine n’était pas encore, comme elle l’est
aujourd’hui à grands renforts de prix littéraires et de
marketing, mise sur le devant de la scène, mais, avec des
auteurs talentueux comme Alain Mabanckou, Jean-Luc Raharimanana,
Florent Couao-Zotti, Sami Tchak, Kangni Alem ou Ananda Devi qui
publiaient alors leurs premiers textes, c’était déjà dans l’air
du temps. La « relève » était assurée et il fallait s’interroger
sur ces littératures autrement, d’autant plus que le phénomène
de « décentrement » s’accentuait véritablement avec beaucoup
d’écrivains exilés au Nord et se réappropriant leurs racines par
l’écriture.
J’ai
effectivement l’occasion, régulièrement, d’effectuer des
missions en Afrique dans le cadre de lancements de numéros ou de
la mise en place de sommaires. Ce fut le cas au
Congo-Brazzaville, à l’occasion du Festival Panafricain de
musique, alors que nous nous interrogions sur le rapport entre
musique et littérature qui a permis de réaliser un numéro sur la
question. Des milliers de numéros ont été diffusés dans le cadre
de partenariats sur des opérations culturelles au Mali (le
festival Etonnants voyageurs à Bamako notamment), et, plus
récemment, au Maroc, à l’occasion des premières rencontres
Afrique noire Maghreb, à l’initiative de Culturesfrance et des
Instituts français de Rabat, Casablanca et Agadir.
2.
A quoi attribuez-vous la longévité de cette
revue ?
Tout
d’abord, la publication de cette revue, publiée par
Culturesfrance qui est l’opérateur culturel pour les échanges
internationaux sous l’égide des ministères des Affaires
étrangères et européennes et de la Culture, s’inscrit dans une
politique globale du rayonnement culturel de la France à
l’étranger, qui ne passe pas uniquement la promotion d’artistes
français à l’étranger, mais également la découverte et la mise
en valeur de talents du monde entier. Cultures Sud,
autrefois Notre Librairie, s’est adaptée, au cours des
décennies, à l’air du temps, ce qui explique l’évolution de sa
formule éditoriale, mais s’est toujours attelée à sa mission
première : celle de « découvreur » de talents, ce par quoi elle
a toujours su créer l’événement : ce fut le cas par exemple en
2000 avec un numéro consacré aux écrivains du Sud « nouvelle
génération », qui depuis a fait école et a même été repris comme
concept par la critique littéraire. Il s’agissait, non pas en
rupture mais plutôt dans le prolongement des « ténors » de la
littératures africaine qui avaient ouvert la voie, de Senghor à
Césaire en passant par Henri Lopes ou Sylvain Bemba, de
présenter une vingtaine de talents prometteurs qui depuis, pour
la plupart, ont acquis leurs lettres de noblesse, qu’il s’agisse
de la Sénégalaise Ken Bugul, du Congolais Alain Mabanckou, de
l’Algérien Yasmina Khadra ou encore de la Mauricienne Ananda
Devi, etc. Aussi, nous venons de publier un numéro sur l’état
des relations culturelles entre le Maghreb et l’Afrique
subsaharienne, problématique par trop souvent occultée et qui a
suscité des débats passionnés avec les intellectuels marocains
très récemment dans le cadre de son lancement. Cette capacité à
créer l’événement est le fruit de cette longévité.
3.
Si vous aviez à définir la création
littéraire africaine actuelle, que diriez-vous ? Selon vous
quels sont les défis auxquels son confrontés les auteurs du
Sud ? Les perspectives ?
C’est
une création littéraire à deux vitesses. D’une part, et j’ai
parlé tout à l’heure du phénomène de « décentrement », il existe
de nombreux auteurs d’origine africaine et vivant en France et
le plus souvent édités en France et par conséquent bénéficiant
de la médiatisation des publications françaises, surtout en
matière de fiction, qui sont en quelque sorte des « vitrines »
de la littérature « africaine », je pense par exemple à Fatou
Diome ou Alain Mabanckou. D’autre part, sur le continent
africain, et je parle uniquement en matière de productions
francophones, il existe une véritable vitalité de cette création
littéraire avec des velléités de poètes ou de romanciers, je le
constate chaque jour par les envois spontanés que je reçois à la
revue et mes collègues éditeurs vous le diront mieux que moi,
mais il y a un vrai déficit à la fois dans la
professionnalisation et la reconnaissance du statut d’écrivain
et à la fois dans les structures éditoriales existantes sur
place. Cela varie bien évidemment en fonction de chaque pays,
tout le monde connaît la vitalité des éditions NEI en
Côte-d’Ivoire ou des NEAS au Sénégal, mais beaucoup d’auteurs et
même d’éditeurs locaux se heurtent au manque d’instances
éditoriales, sans parler des imprimeries. Par exemple, j’ai un
ami éditeur au Congo-Brazzaville qui va faire imprimer ses
ouvrages en Belgique, pour des raisons de qualité et de coût. Le
véritable défi de la littérature africaine se place à ce
niveau : professionnalisation, production locale et circulation
du livre sur le continent, qui est malheureusement encore un
problème en dépit des nombreuse initiatives d’abaissement des
coûts, de coédition, de livre équitable, etc. L’avenir du livre
africain, faute d’une meilleure circulation entre les pays du
même continent, peut résider dans la pratique de la cession de
droit. Un éditeur d’un pays achète les droits d’un livre publié
dans un autre pays et le publie à son tour. Pour exemple, un
auteur comme Sami Tchak, publié en France, va avoir un certain
nombre de ses titres publiés par un éditeur de son pays
d’origine, le Togo.
4.
L’Afroculture selon vous pourrait-elle
signer la relève du continent ?
Malheureusement, je ne pense pas que les malheurs de l’Afrique
aujourd’hui se jouent uniquement au niveau du culturel. Les
préoccupations majeures sont d’abord liées à l’économie et la
santé, même si la culture peut engendrer une économie non
négligeable parmi les facteurs de développement. L’Afroculture,
c’est un terme bien générique et réducteur pour dire la
complexité, les nuances et la sédimentations des nombreuses
sociétés qui ont à la fois des destins singuliers et une volonté
commune de ne pas être simplement les victimes de la
mondialisation mais plutôt les acteurs d’une renaissance dans
cette ère du post-industriel…
5.
La Francophonie fait-elle du développement
culturel durable ? La revue est-elle pour la culture équitable ?
Beaucoup de sceptiques considèrent vos initiatives comme une
forme de néocolonialisme par le biais du français, mythe ou
réalités ?
Même si
elle est actuellement beaucoup chahutée, notamment par une
poignée d’intellectuels qui revendiquent cette non-appartenance
à une forme de culture, de classification qui se voudrait
« francophone », la francophonie, qui désigne un ensemble de
personnes qui ont la langue française en partage, peut être
aujourd’hui un moyen de fédérer, de relier certains pays du Sud
et créer de nouvelles dynamiques d’échanges, culturels comme
économiques.
C’est
grâce à cette francophonie, ce patrimoine linguistique en
partage, que ces « auteurs d’expression française », comme on
les dénommait alors, on pu acquérir, il y a une quarantaine
d’années, cette reconnaissance, cette légitimité impulsée par
Senghor et Césaire, pères fondateurs de la négritude. La
critique a trop souvent tendance à occulter cela. Je peux
concevoir que ce concept, aujourd’hui, puisse gêner certains
écrivains qui ne veulent plus être répertoriés à la périphérie,
mais souhaitent avoir leur place dans une conception critique
plus globale. Mais à un moment donné, dans l’histoire de la
critique littéraire, il ne faut pas perdre de vue que cette
dénomination « écrivains d’expression française » a pris une
dimension critique importante et a contribué à faire émerger de
nombreux talents sur la scène littéraire française. Pour ce qui
est des sceptiques, comme je l’ai précisé plus haut, la revue
s’inscrit dans une dynamique de représentation culturelle
française à l’étranger qui ne passe pas nécessairement par la
promotion d’artistes uniquement français. Nous n’avons pas la
prétention de faire le travail critique qui incomberait aux pays
intéressés. La revue est simplement une interface, et ses
lecteurs savent bien que de nombreux rédacteurs proviennent
d’universités du Sud. Cultures Sud contribue à une
meilleure diffusion de ces savoirs à l’échelle mondiale.
6.
On assiste à une certaine frilosité par
rapport à la langue française en Afrique, selon vous quels sont
les contrecoups probables sur la production actuelle dans le
Continent ?
Comme
je l’ai évoqué plus haut, il semblerait que l’offre soit
supérieure à la demande d’un point de vue éditorial, qu’il
s’agisse du français comme des langues nationales…
7.
Pensez-vous que la promotion de la culture
est un moyen de soutenir le développement et de rétrécir le
fossé des incompréhensions civilisationnelles ?
C’est
ce qui fait l’essence même de la revue et notamment, comme je
l’ai dit plus haut, notre objectif majeur : les deux derniers
numéros portent, à ce titre, des questionnements évocateurs :
« Caraïbes, un monde à partager » et « Maghreb-Afrique noire :
Quelles cultures en partage ? » De tels numéros font le point
sur les connexions géographiques, historiques, sociologiques,
linguistiques et culturelles des aires géographiques étudiées,
afin de mieux donner à voir et analyser cette diversité
culturelle qui constitue le patrimoine de l’humanité
aujourd’hui. Le numéro sur la Caraïbe a été édité en version
trilingue français/anglais/espagnol pour être représentatif,
outre le créole, des langues les plus parlées dans le monde
Caraïbe et afin de pouvoir trouver et toucher son public dans
des conditions optimales. Même chose pour le numéro
Afrique-Maghreb où le résumé de chaque article a été traduit en
arabe, visant à une meilleure intercompréhension des idées.
8.
Si vous aviez à définir par région, la
littérature, du Nord, à l’Est et à l’Ouest quelles seraient les
spécificités littéraires de ces régions ?
Il me
parait très artificiel d’essayer d’élaborer des champs
thématiques en fonction des régions. Chaque écrivain, qu’il
écrive depuis sa terre natale ou bien depuis sa terre d’exil,
d’immigration, qu’elle soit subie ou choisie, porte en lui sa
propre histoire et sa propre vision du monde. C’est en chaque
homme que réside la spécificité, et je ne pense pas qu’un cadre
donné puisse contribuer à produire telle ou telle sorte de
littérature. Le Douanier Rousseau a bien représenté la foret
équatoriale sans jamais y être allé, insufflant par là même à
ses tableaux cette insaisissable et émouvante densité poétique.
L’imaginaire, puisque c’est de fiction dont nous parlons, ne
connaît ni les régions, ni les frontières. Le monde lui
appartient, c’est l’apanage de la création.
9.
Vous avez choisi dans le numéro 169 de la
revue d’aborder la thématique sur le panafricanisme culturel,
quel est le message que vous espérez lancer au travers de ce
numéro ? Le panafricanisme selon vous est-il une utopie
réalisable ?
Dans la mesure où ce numéro s’efforce de
faire un état des lieux des échanges culturels existants entre
les pays d’Afrique de part et d’autre du Sahara, l’idée de
revenir sur le panafricanisme cher en son temps à Patrice
Lumumba, s’imposait. D’autant plus que le premier festival
panafricain qui s’était déroulé à Alger à l’été 1969 ne dépassa
jamais sa première édition. Pour résumer, le constat que fait ce
numéro est assez pessimiste : outre quelques organisations
politiques panafricaines comme l’Union Africaine, le NEPAD,
sous-régionales comme la CEDEAO ou plus récemment la CENSAD
(communauté des états sahélo-sahariens), l’idée d’une communauté
culturelle panafricaine, qui habite probablement les consciences
de beaucoup d’intellectuels éclairés, n’a jamais été
concrétisée. On pourrait imaginer une communauté panafricaine
pour le dialogue et le partage des savoirs pour qu’enfin
cohabite, de façon formelle, négritude et arabité.
Merci nathalie Philippe
Crédits :
Cette interview est
une exclusivité de Destin de l’Afrique. Sénégal
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 23 mai 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies
Guigny