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Interview : Grégoire Lalieu et Michel
Collon
« Gaza est un endroit normal avec des gens
normaux »
Mohamed Hassan
Mardi 25 février 2009
Le Hamas est présenté comme un mouvement terroriste et
intégriste. Mais d’un point de vue sociologique, quel genre de
dirigeants et de militants actifs compose le Hamas ?
Mohamed Hassan. Vous devez bien comprendre que Gaza est un
endroit normal avec des gens normaux. Mais dans un nouveau style
colonial nouveau, Israël n’autorise pas le développement de
l’économie palestinienne. Car ce développement représente un
véritable danger pour l’Etat juif. Gaza a une très bonne base
d’artisanat traditionnel. Pour cette raison, Arafat avait
déclaré au Parlement européen : « Si vous nous aidez, nous
ferons de notre pays un nouveau Singapour. Si vous ne faites
rien, ce sera la Somalie ! » Israël a peur de cette économie
palestinienne rivale. C’est pourquoi ils l’étouffent afin de
garder le monopole. Gaza est une société urbaine avec une
population très active : intellectuels, clergé, petite
bourgeoisie, associations féminines, businessmen travaillant
dans l’import-export… Toutes ces classes composent le Hamas en
tant que mouvement nationaliste. Vous avez aussi la paysannerie,
mais dans une très petite proportion. Gaza est en effet un des
endroits les plus densément peuplés du monde, il n’y a donc pas
beaucoup de terres à exploiter.
Le Hamas est donc composé par toutes les classes de la société
palestinienne. Cela ne mène-t-il pas à des contradictions au
sein du mouvement ?
Mohamed Hassan. Bien sûr, le mouvement n’est pas d’une
homogénéité parfaite, mais actuellement, il rallie toutes ces
personnes autour de la résistance. En fait, la principale
contradiction au sein du Hamas porte sur le fait d’être plus ou
moins radical dans le combat. Je sais que certains Européens
souhaiteraient que la résistance soit menée par un mouvement
plus progressiste, mais l’Histoire n’est pas une science exacte.
Comparons avec l’Indonésie. Le premier mouvement anticolonial y
était « Sarakat al Islam », un mouvement islamiste créé en 1920
pour combattre l’occupation hollandaise. C’est dans ce contexte
que Lénine envoya en Indonésie un communiste hollandais, Henk
Sneevliet. A son arrivée là-bas, il trouva ce jeune mouvement
nationaliste islamiste. Qu’auriez-vous fait à sa place ? Henk
Sneevliet décida de travailler avec eux. Il était très patient
et très malin et transforma ce mouvement en un mouvement
communiste qui deviendra le Parti Communiste d’Indonésie, le
second en ordre d’importance dans toute l’Asie. La patience est
essentielle en politique.
On nous demande s’il y a des communistes en Palestine ? Une
alliance avec le Hamas est-elle possible comme le Hezbollah l’a
fait au Liban en 2006 ?
Mohamed Hassan. En Palestine et dans d’autres pays musulmans,
vous avez besoin de communistes spécifiques comme ce Hollandais
; des communistes armés de patience, visionnaires, indépendants
dans leurs idées et capables de développer leur tactique sur le
terrain. Les Arabes n’ont pas besoin de ce que j’appelle les «
communistes du fax », ces communistes qui donnent leurs ordres
de l’extérieur. Tous les révolutions réussies ont été «
fabriquées maison ». Mais certains communistes arabes sont comme
le piment : rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Alors
que chacun d’entre eux devrait faire son boulot sur base des
spécificités propres à sa région. En Palestine, ils doivent
trouver les éléments les plus démocratiques qui veulent se
battre contre l’occupation. Si c’est le Hamas, les communistes
doivent s’en rapprocher et travailler avec eux.
Vous savez, je peux avoir des contradictions avec ma femme, mon
fils, ma fille, mon chien et mon chat ! Mais toutes ces
contradictions se situent au sein de la famille et je dois les
résoudre par la discussion et la négociation. Par contre, si
quelqu’un pointe un fusil sur moi, ce sera une contradiction
majeure ! Les communistes palestiniens doivent clarifier qui
sont leurs alliés et qui sont leurs ennemis. Ils peuvent avoir
des contradictions avec le Hamas et les autres partis. Mais ils
doivent les surmonter en famille, car ces contradictions sont
secondaires par rapport au problème qu’ils ont avec Israël.
Dans la précédente interview, vous avez mentionné la
ressemblance entre le Hamas et l’IRA, le mouvement catholique
irlandais luttant pour l’indépendance totale de l’Irlande. Mais
l’IRA n’a jamais cherché à instaurer un Etat religieux. N’est-ce
pas ce qui bloque les Européens progressistes dans leur soutien
au Hamas ?
Mohamed Hassan. Je vous ai parlé du mouvement islamiste
indonésien. Leur programme maximum était de bouter les
hollandais hors d’Indonésie et d’instaurer un régime islamiste.
Mais le mouvement a changé par lui-même et est devenu plus tard
le Parti Communiste d’Indonésie. Comment le Hamas va-t-il
évoluer ? Il n’y a pas de boule de cristal pour nous le dire.
Comme je l’ai dit, l’Histoire n’est pas une science exacte. Le
Hamas a aussi un programme maximum mais aujourd’hui, leur
principale tâche est la résistance à l’Etat sioniste. Demain, il
pourrait avoir une combinaison de différents facteurs, tels
qu’un nouveau leadership et de nouvelles idées, qui pourrait
faire emprunter au Hamas le chemin d’une révolution
démocratique. Le fait est que les progressistes qui veulent
soutenir les Palestiniens voudraient avoir la garantie complète
que tout se passera bien. Mais il n’y a jamais de garanties
complètes. Qui aurait pu prédire la dégénérescence du parti
communiste soviétique qui avait réalisé la première révolution
socialiste dans un pays et soutenu tous les mouvements
anticoloniaux dans le monde ? Personne n’avait prévu non plus
qu’Arafat négocierait les Accords d’Oslo de cette manière. Voilà
où nous en sommes : le Hamas est la résistance. Je ne les
soutiens pas dans leurs positions sur la femme, dans leur
programme économique ou dans leurs idées fatalistes. Je les
soutiens sur le point le plus important : ils sont un mouvement
nationaliste de résistants qui luttent sur le terrain. Et qui
peut dire de quoi demain sera fait ? Vous avez même des
mouvements islamistes qui sont devenus des agents
pro-impérialistes en Afghanistan ou en Arabie Saoudite par
exemple. Pourquoi les personnes qui se posent des questions sur
le Hamas ne s’en posent pas aussi sur ces pays ?
Amnesty a condamné le Hamas pour l’élimination d’opposants au
sein de la société palestinienne après la guerre. Que
pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Mohamed Hassan. Dans toute guerre, vous avez bien sûr avoir des
accidents ou des excès. Mais aussi un problème majeur : les
infiltrés. Une guerre ne se résume pas à des coups de feu. Il y
a aussi la dimension politique. Israël n’attaque pas les
Palestiniens seulement avec des bombes, elle les attaque aussi
de l’intérieur en créant des ennemis internes. Avec l’Egypte et
le Jordanie, Israël a mis sur pied un réseau de renseignements
très sophistiqué. Avec l’aide de ces pays, Israël cherche à
écraser la résistance palestinienne et le Hamas. Avec tout
l’argent qu’ils ont, ils peuvent payer des traîtres. Ces
infiltrés utilisent des téléphones mobiles et appellent l’Egypte
ou la Jordanie. Ensuite, les informations remontent à Israël.
L’Etat sioniste veut couper la tête du Hamas pour écraser la
résistance. Pour arriver à cela, il doit savoir quelle maison il
doit bombarder. Il y a quelque chose d’important que vous devez
savoir : la première attaque israélienne a été lancée sur le
commissariat de Gaza à une heure bien précise, celle du
changement d’équipe. C’était le moment exact où il y avait le
plus de policiers dans le commissariat. Comment Israël le savait
? Grâce à ses infiltrés. C’est une guerre, pas une party ! Le
Hamas se défend.
Pourquoi le Hamas s’est-il récemment approprié les aides de
l’ONU ?
Mohamed Hassan. Je crois qu’ils ont été très malins quand ils
ont fait ça. Laissez-moi expliquer. Par l’UNRWA et uniquement
par cette agence, la nourriture et les aides entrent dans Gaza.
Israël pouvait en tirer des informations tactiques. Un élément
très important est que la guerre israélienne a été lancée le 27
décembre sur base du fait que les services de renseignement
savaient qu’il y avait très peu de nourriture à Gaza à ce
moment. Voici comment Israël a procédé : d’abord, ils ont bloqué
la frontière pour s’assurer que la nourriture ne rentrerait pas;
ensuite, ils ont attaqué, sachant que les Palestiniens ne
pourraient tenir plus de dix jours. Tsahal a bombardé les dépôts
de l’ONU pensant que sans nourriture, la population se
retournerait contre le Hamas. Mais après le douzième jour de
conflit, la résistance continuait et Israël arrêta de bombarder
les silos de l’ONU. Je pense que dans le futur, le Hamas ne
laissera plus la nourriture brûler à nouveau sous les bombes
israéliennes. C’est pourquoi ils veulent assurer eux-mêmes la
distribution de l’aide.
Pourquoi le Hamas continue-t-il à envoyer des roquettes étant
donné qu’Israël use de cet argument pour sa propagande de guerre
et que cela conduit à la répression de la population
palestinienne ? Les « Qassam » sont-ils utiles ?
Mohamed Hassan. Pour un rat, l’animal le plus dangereux est le
chat. Il se fout du lion ou de l’hippopotame. Et pour le chat,
la nourriture la plus délicieuse est le rat. La logique des
Qassam se situe à ce niveau. Les Qassam sont une violation de
l’embargo et un signe de refus de la concentration des
Palestiniens qui vivent dans un ghetto. C’est un message
qu’envoie un peuple opprimé : « Nous sommes toujours vivants et
nous continuerons la résistance ». C’est aussi un message lancé
aux citoyens israéliens qui croient que leur armée et leur
gouvernement peuvent leur garantir leur sécurité. Mais après 60
ans, la sécurité de leur nation n’est toujours pas garantie.
Beaucoup de citoyens fuient Israël pour cette raison et le
gouvernement doit maintenant faire face à une crise
démographique. C’est pourquoi les dirigeants israéliens ont fait
une guerre pour écraser le Hamas. Et pour avoir assez de juifs
et résoudre la crise démographique, ils sont même allés en
chercher dans les montagnes du Pérou ! Ils ont converti des
Indiens au judaïsme. Ensuite, ils les ont ramenés à la frontière
israélienne, en première ligne face à l’ennemi. Ces Indiens ont
reçu des maisons et des fusils. Voilà les nouveaux colons. Le
fait est que n’importe qui peut vivre en Israël. Sauf les
Palestiniens !
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