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Fériel Berraies Guigny

Luciano Rispoli « Il faut cesser cette vision monolithique du monde arabe » !

 


     
Nadia Al-Saqqaf

Nadia Al-Saqqaf, la Rédactrice en chef du Yemen Times, s'est vue décerner le Prix Gebran Tueni 2006, un nouveau prix créé par l'Association Mondiale des Journaux pour récompenser un rédacteur en chef ou un éditeur du monde arabe.

La représentation des femmes dans les médias s’est longtemps nourrie d’images négatives, stéréotypées, inexactes et réductrices. Invisibilisées au gré des conjonctures socioculturelles ou religieuses, les femmes ont la plupart du temps  été décrites en fonction de leur apparence plutôt que de leurs compétences.
En Occident, elles sont souvent objets de consommation s’affichant partout,  depuis les pancartes publicitaires jusqu'aux journaux et  télévisions. En contraste, la femme dans le Monde  arabe a du mal à afficher son émancipation réelle,  surtout dans certaines régions. Et s’agissant des    médias,  ce n’est que depuis très récemment, qu’elle commence à envahir le paysage de l’information.

Aujourd’hui face à l’avancée technique des médias  et à leur diversité tant au Maghreb qu’au Mashrek,  un nouveau questionnement par rapport à leur présence est de mise, et l’on  s’interroge de plus en plus sur leur rôle et leur représentation au sein des médias « modernes » : reflètent-ils la diversité du monde arabe ou  continuent ils d’entretenir une image traditionnelle des femmes arabes? Dans quelle mesure les médias arabes peuvent-ils faire justice à la modernité des femmes de notre région ? A quand une véritable prise de conscience de fond et non uniquement de forme ? Les médias arabes peuvent-ils parvenir à changer la perception des femmes arabes  chez eux et à l’étranger ?

Autant de questions posées à M. Luciano Rispoli, Directeur du Département Monde Arabe de Canal France International. Spécialiste de cette région,  arabisant, Luciano Rispoli est né en Egypte de mère  égyptienne d’origine syrano libanaise et de père italien.

Entretien :

La situation de la femme dans le monde arabe est elle plurielle ?

Evidemment c’est pluriel tout comme le Monde arabe l’est. Je suis toujours impressionné quand je vois cette notion unique  du monde arabe, sous prétexte qu’ils parlent la même langue. C’est un héritage en gros de l’Oumma Islamiya qui se perçoit comme étant unique. Mais cela ne signifie pas pour autant que toutes les règles de ce Monde sont communes. Il faut cesser cette vision monolithique du monde arabe !
Le monde arabe, l’islam et les langues arabes ne sont pas uniformes. C’est une richesse et une diversité extraordinaire et les femmes dans cet environnement sont imprégnées de tout cela et par conséquent, il y a plusieurs femmes dans ce Monde arabe.

La Femme arabe d’hier à aujourd’hui dans l’inconscient populaire et les médias, quel est le bilan ?

Le bilan est mitigé à l’image de la diversité de la femme. Historiquement, il est en très net progrès, malgré une certaine période de recul. Déjà l’apparition de l’Islam dans la péninsule arabique a amené une réelle avancée pour le statut de la femme. C’est la première fois que dans cette région, la femme avait un statut indépendant et reconnu. Il faut se rappeler que de mémoire, l’Islam a permis que l’on cesse d’enterrer les petites filles vivantes, L’Islam apprenait que la femme devait être inscrite dans le cadre de l’héritage, même si cela n’était pas égalitaire avec l’homme. Quand l’Islam a proposé le voile, c’était aussi pour protéger la femme, comme le disaient les textes « pour reconnaître les femmes qui ont rejoint la communauté ». Ces femmes par ailleurs, n’avaient plus besoin de développer une activité parallèle en cas de récusation. Bien sûr, il y a eu un certain nombre d’accidents mais qui ne sont pas spécifiques au monde arabe ou à l’Islam. La Femme dans l’histoire de l’émancipation a toujours fait face à un certain nombre d’obstacles. C’est un phénomène universel, et la réaction dominatrice masculine a toujours été la réponse à ces demandes légitimes d’émancipation féminine. C’est le combat de la liberté, le dictat revient toujours à l’assaut, quand on se sent menacé.
Aujourd’hui, clairement le Wahabisme notamment, n’a pas fait beaucoup de bien aux femmes. Mais à côté de ça, la révolution tunisienne a montré l’exemple de ce que devait être l’évolution féminine. Le Maroc a emboîté le pas, il n’y a pas très longtemps. Mais il ne faut pas se leurrer, la bataille n’est pas finie pour autant. L’existence d’une infrastructure légale En Tunisie, au Maroc et un petit peu en Algérie, ne signifie pas pour autant des avancées de fond. C’est l’application au quotidien des lois, qui doit se faire selon une vraie volonté politique. Il faut une certaine forme de culture, pour espérer voir les choses évoluer. Il faut un travail associatif, une pression médiatique pour  faire évoluer les mentalités.

S’agissant des médias, j’ai deux bilans ; un professionnel et un marketing. Cela m’amuse beaucoup quand j’explique à mes confrères égyptiens que les médias français payent 17% de moins les femmes, par rapport aux hommes. Cela les fait hurler de rire. Les femmes égyptiennes sont payées au centime près, de la même façon que les hommes. En France et en Occident, nous avons du retard à rattraper. S’agissant des responsabilités, L’Egypte est parmi les pays arabes qui compte le plus de femmes dans les médias, la personne à la tête de la télévision égyptienne est une femme, plusieurs femmes sont patrons de chaînes et occupent des postes à haute responsabilité. Par ailleurs, il faut savoir que le rêve de modernité qui dessine en Occident une femme glamour, à moitié dénudée pour vendre une voiture, n’est pas porteur dans le Monde arabe et musulman. Il y a donc un risque de réaction virulent, dans le Monde arabe face au caractère dénudé de certaines images féminines. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il n’y a pas très longtemps, dans les années 60, l’église a brûlé des kiosques de journaux, des cinémas car l’on voyait des femmes à moitié nues.

La culture et l’information peuvent elles détruire les préjugés sur les femmes en général et les femmes  arabes, en particulier ?

Il ne faudrait pas isoler du combat féministe, les femmes arabes. Il y a un combat global avant tout. Ensuite il y a les spécificités régionales, culturelles et religieuses. Et l’information peut jouer dans les deux sens. Sous prétexte d’égalité, il ne faudrait pas mettre sur le même plan, les hommes et les femmes. Nous sommes fondamentalement différents. En droit nous sommes égaux, mais nous avons des atouts différents. Il ne faut pas sous le prétexte de l’égalité  réduire la différence culturelle entre hommes et femmes, Occident et Orient. La diversité est une richesse, il ne faut pas uniformiser. Il n’y a pas de modèle absolu.

Quelle est la situation actuelle des femmes arabes en fonction des besoins de modernisation du 21e siècle ?

Ce sont des actrices de premier plan dans la modernisation. Etonnamment, la révolution industrielle a été un   moment terrible dans l’histoire des femmes, qui se sont vues reléguées à des besognes familiales, car elles étaient auparavant les égales de l’homme dans les champs. Ce n’est qu’en période de guerre, quand les hommes sont dans les batailles, qu’elles investiront pour un temps les usines. Le prolétariat ne leur a pas fait beaucoup de bien en somme. Aujourd’hui avec l’évolution des sociétés, la globalisation, l’introduction d’Internet, elles ont été  réintroduites dans le tissu socioprofessionnel. La modernité leur a ouvert des portes mais il ne faut pas pour autant, qu’Internet les relègue à rester à la maison, pendant que le mari est au bureau. Une des religions qui me terrorise est la religion que l’on pratique en Israël. J’ai constaté durant mes derniers séjours qu’il y a de plus en plus de séparation entre hommes et femmes, quand on monte dans  un autobus les hommes sont devant et les femmes montent en arrière. Il y a de plus en plus d’entreprises qui ne recrutent que des femmes car sinon les maris ou les pères ne les laisseraient pas travailler. Tout ceci au nom d’une culture religieuse,  ce qui est pour moi une opposition à toute forme de modernité.

L’investissement des espaces littéraires, cinématographiques, musicaux, est ce un début de la révolution féminine arabe? 

Oui mais ce n’est pas assez.

Le rôle des femmes en politique, dans les sphères judiciaires, aussi ? Pour le judiciaire, je pense que le fait qu’il y ait un certain nombre de femmes juges et magistrats dans des postes clés, est très bénéfique. Et là je parle du Maghreb et du Mashrek, mais je ne dis rien du Golfe où tout est à réinventer. En revanche, les femmes en politique ne sont pas suffisamment nombreuses, leur voix n’est pas suffisamment audible. Les femmes n’auront pas une voix différente pour autant, mais je leur souhaite plus de visibilité dans ces domaines.

Quelle influence les femmes arabes peuvent-elles avoir sur leur statut, étroitement lié au contexte social ?

L’influence de l’éducatrice,  rôle qui a été totalement déserté par l’homme. Aujourd’hui, je ressors d’une interview totalement traumatisante avec l’une de vos consoeurs à Alexandrie qui me disait qu’elle n’était pas pour le fait que les femmes soient juges ou magistrats car selon elle, les femmes sont soumises à des cycles hormonaux qui font qu’on ne peut pas mettre la vie et l’avenir d’hommes à des femmes qui subiraient ces influences. C’est totalement absurde ! Les hommes aussi ont leur cycle hormonaux !
Si on passe ce genre de message à l’étranger, vous imaginez les résultats. Si votre question en fait était de me demander «  qui est le pire ennemi pour la femme » ? Je vous répondrai la femme !

Quelle reconnaissance les sociétés arabes accordent-elles au rôle des femmes arabes dans l’élaboration des politiques  économiques ?

J’ai deux éléments de réponse qui sont personnels. Dès que l’on parle du statut de la femme dans le Monde arabe, on évoque son infériorité mais il ne faut pas oublier que c’est la femme dans cette région aussi, qui détient la bourse du ménage. C’est un fait universel, bien que plus méditerranéen. C’est maman qui gère !
Aujourd’hui, il est vrai pourtant que dans le  tissu économique global, très peu de femmes sont présentes. Bien sûr je ne parle pas de l’exemple tunisien qui est atypique pour la région

L’itinéraire de la femme tunisienne en contraste avec la femme du Moyen Orient ? Peut on parler d’un décalage ? L’accès aux nouvelles technologies pour les femmes est ce  un début d’émancipation et de valorisation pour elles ?

Ma  grosse crainte à terme et c’est ce que je constate quand il y a des femmes du Maghreb avec des femmes du Golfe ou du Moyen Orient, c’est qu’elles finissent par appartenir à des sphères différentes, voire antagonistes.  On voit que d’une part, une femme se sentira fondamentalement arabe alors que l’autre sera perçue comme vendue à l’Occident. Cela me gêne de voir ces écarts, car cela signifie un appauvrissement culturel, dans certains cas. S’agissant des nouvelles technologies et de leur accessibilité pour les femmes, il faut également soulever certains risques  comme celui de la  ghettoïsation des  femmes. Car cela finit par les confiner à force, elles sont derrière un écran, elles voient sans être vues et  il  ne faudrait pas  que cela leur serve de nouvelle « Moucharabieh » !

Quelle est la place de la femme tunisienne dans les médias ? 

Je remarque paradoxalement, que s’agissant des islamistes tunisiens, le thème du statut de la femme est le moins agité !
S’agissant de sa place dans les médias, il y a un certain nombre de femmes brillantes dans les médias tunisiens, en Tunisie et à l’étranger. Mais j’ai deux réserves : le fait de voir des femmes brillantes ne signifie pas pour autant que le statut de la femme tunisienne dans les médias, ait   évolué. Il ne faut pas tirer de conclusions, je ne sais pas tout. Mais tout ce que je sais, c’est que la politique volontariste de l’Etat tunisien s’agissant des hommes et des femmes, porte ses fruits. Et c’est une bonne chose et je regrette que cela ne s’exporte pas au-delà du Maghreb.

Croyez vous à des médias sexospécifiques ?

Oui absolument comme à n’importe quel média niche : médias hommes ou femmes, gays, des amateurs de voitures, de téléphonie, d’écran plat etc.. Mais mon orientation personnelle me conduit au service public et au média généraliste. Oui la catégorisation des médias selon le genre et la thématique ciblée, oui pourquoi pas ?

 

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Crédits photo : Arab Press Network

Entretien réalisé exclusivement pour  l’Expression Tunisie.
Publiée le 12 février 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


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