Interview
« La Corse n'est
plus qu'un marché de résidences
secondaires »
Jean-Guy Talamoni
Mardi 6 août 2013
Jean-Guy Talamoni est avocat,
militant du parti indépendantiste
Corsica Libera et conseiller territorial
à l’Assemblée de Corse. Il revient pour
LaVieImmo sur le concept de
« citoyenneté Corse », débattu cet été
et qu’il espère voir aboutir lors de la
tenue des assises du foncier, à
l’automne prochain.
(LaVieImmo.com) - Vous
évoquez la notion de « citoyenneté
Corse » pour endiguer la spéculation
immobilière sur l’île de Beauté.
Qu’entendez-vous par cela ?
Jean-Guy Talamoni : Ce
que demande Corsica Liberia est simple.
Nous proposons une citoyenneté insulaire
qui s’obtiendrait au bout de dix ans
de résidence à titre principal en Corse.
Cela est valable pour toute personne
désireuse de s’installer dans l’île, et
c’est une des solutions que nous
préconisons effectivement contre la
spéculation. Car les faits parlent
d’eux-mêmes : les Corses ne parviennent
plus à accéder à la propriété, bien que
nous comptions 5 000 nouveaux
propriétaires par an. La demande
extérieure est pléthorique et les
investisseurs prolifèrent sur tout le
littoral. Nous ne pouvons plus nous
aligner sur les prix, qui affichent une
progression continue à l’achat, et en
parallèle à la location. A ce sujet, la
SAFER [Société d’aménagement foncier et
d’établissement rural, NDLR] de Corse
mentionne une hausse de 2000 % des prix
en 10 ans.
Qui sont ces acheteurs ?
Jean-Guy Talamoni : Ce
sont surtout des continentaux, des
Italiens, ou des Suisses, et nous avons
même vu quelques Russes arriver sur le
marché. Ce n’est pas qu’un marché de
résidences secondaires, mais également
de troisièmes ou quatrièmes résidences.
Pour un grand nombre d’entre elles, les
résidents occupent leur villa 15 jours
par an seulement. Le reste du temps, le
bien est mis en location, le plus
souvent au noir. Aujourd’hui, on compte
70 % de para-commercialisme sur l’île.
Voilà pourquoi nous souhaitons mettre en
place la notion de citoyenneté basée sur
la propriété, ce qui est conforme au
droit public français, comme ce qui
avait été entrepris pour la
Nouvelle-Calédonie en 1998.
Nicolas Sarkozy avait déclaré
en février 2010, en déplacement à
Ajaccio, vouloir « lutter
contre la spéculation immobilière » en
Corse. Etes-vous en accord avec sa
politique ?
Jean-Guy Talamoni : M.
Sarkozy s’est en effet rendu compte de
la situation, mais il ne va pas
suffisamment loin, selon nous. Car ce
qu’il faut, c’est pérenniser un accès au
foncier. Quand M. Sarkozy demande la
création d’un Office foncier en Corse,
il s’agit plus d’un instrument que d’une
politique à proprement parler. Sur le
fond, le gouvernement souhaite mettre en
place un dispositif particulier de
taxation, applicable à
chaque transaction. Mais cette mesure ne
toucherait pas que les étrangers à la
Corse, elle toucherait tout le monde.
Cela peut aggraver la situation pour les
accédants corses, et les plus fortunés
ne seront pas pour autant bloqués, ils
parviendront tout de même à acheter.
C’est ce que j’appelle une « fausse
bonne idée ».
Les derniers chiffres de
l’Insee font part de 126 000 résidences
principales et plus de 70 000 résidences
secondaires. Les confirmez-vous ?
Jean-Guy Talamoni : J’estime
que les chiffres publiés ne reflètent
pas la réalité pour ce qui est des
résidences secondaires, qui sont
beaucoup plus nombreuses que cela. Une
ville comme Porto-Vecchio, par exemple,
comprend plus de résidences secondaires
que de résidences principales. En
revanche, une statistique qui me semble
particulièrement criante pour démontrer
le mal-logement est celle publiée par le
Service de l’observation et des
statistiques, qui mentionne une
sur-occupation et un surpeuplement des
logements, de l’ordre de 7 % du total du
parc de résidences principales. Soit la
plus forte de France.
Si vous souhaitez moins de
résidences secondaires, n’avez-vous pas
peur d’un impact négatif sur le
tourisme, qui est une ressource non
négligeable ?
Jean-Guy Talamoni : Evitons
les méprises : nous ne sommes pas contre
le tourisme, bien au contraire, je pense
que nous avons intérêt à sauvegarder
l’attrait touristique de l’île. Mais la
logique est perverse. Sur le plan de
l’emploi, le tourisme crée surtout du
commerce parallèle, à cause du travail
clandestin. Sur le plan social, c’est
une catastrophe, car le logement
secondaire bénéficie aux grandes
surfaces. Bon nombre de petits
commerçants ne voient pas l’ombre d’un
touriste, ceux-ci se tournant
majoritairement vers la grande
distribution. L’activité touristique
n’est efficace que si tous les secteurs
en bénéficient. Or, elle est pour
l’instant concentrée dans le temps :
deux mois par an ; et dans l’espace, sur
le littoral. Il faudrait parvenir à
diversifier et maîtriser une activité
touristique pour le moment subie.
Quelques tentatives ont été faites dans
le sens d’un développement du tourisme
chez l’habitant, encore erratique. Je
déplore l’absence de politique globale
dans ce secteur.
Chacun se souvient de
l’occupation de la villa de Christian
Clavier l’été 2008 par des militants. Y
aura-t-il d’autres opérations de ce type
?
Jean-Guy Talamoni : L’occupation,
pacifique, de la maison de Christian
Clavier a permis de médiatiser notre
cause, et surtout a contribué à la fin
du Padduc [Plan d'aménagement et de
développement durable de la Corse,
NDLR], ce qui est une grosse victoire
pour nous. Cette mesure était l’inverse
du développement durable, car elle
permettait de réaliser une « économie
résidentielle », ce qui a fait le
lit de la spéculation immobilière. Pour
répondre à votre question, le principe
de l’opération Clavier était de dénoncer
en montrant. C’est ce que l’on a fait et
nous allons continuer à le faire si
nécessaire, même si l’on sent que le
dialogue semble s’établir.
Propos recueillis par Léo Monégier –
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