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Fériel Berraies Guigny
JF
Daguzan : « Plus on ira dans le sens des libertés publiques,
plus on coupera l'herbe sous les pieds des islamistes » !
Jean-François Daguzan
7 ans
presque, depuis le 11 septembre.
Quel est le bilan
aujourd’hui de la plus gigantesque chasse à l’homme ?
La lutte contre le terrorisme international qui a généré la
plus grande « croisade » de l’histoire dans et
contre le monde arabo musulman, porte t-elle ses fruits ? La
nébuleuse d’Al Qaeda semble sortir de sa torpeur et connaît
aujourd’hui un regain d’activité, alors que sont enregistrés,
de nouveaux redéploiements dans des zones géographiques pourtant
traditionnellement « protégées » .
Le « kéfir » n’est pas une cible unique, le « frère
musulman sunnite » impie par définition, l’est tout
autant. Les attentats du 11 avril à Alger sonnent une nouvelle ère
djihadiste en Afrique du nord. Quatre mois après sa création et
auto proclamation « Al-Qaida Maghreb » le mouvement
est plus que jamais opérationnel.
Pour
la première fois en Algérie, des kamikazes meurent dans des
attaques suicides. Pour la première fois, une attaque vise le
Palais du gouvernement. Dans la même semaine, des bombes humaines
pourchassées par la police marocaine se font sauter dans les rues
de Casablanca.
Une situation qui met en alerte l’ensemble des pays du Maghreb,
la terreur est à nos frontières. Alors que la situation au
Proche et Moyen Orient nourrit les risques de récupérations
religieuses et politiques, comment freiner dans nos pays, les
risques de représailles salafistes ?
La veille de son départ pour la Tunisie, dans le cadre
d’un colloque euro-méditerranéen, Feriel Berraies Guigny
a rencontré pour le compte de l’hebdo l’Expression
Tunisie, Jean François
Daguzan, grand ami de la Tunisie et spécialiste des questions
maghrébines et moyen orientales, pour évoquer les enjeux et
menaces du terrorisme dans notre région.
Jean-François Daguzan,
docteur d’Etat en Science politique, est maître de recherche à
la Fondation pour la recherche stratégique à
Paris. Auparavant, après quelques années d’enseignement, il a
été chargé de mission dans l’administration du Premier
ministre (SGDN). Spécialiste des questions stratégiques en Méditerranée
et au Moyen-Orient, du terrorisme et de la prolifération, il est
l’auteur de nombreux articles sur ces questions et a publié
plusieurs ouvrages. Il a notamment dirigé avec Raoul Girardet La
Méditerranée : nouveaux défis et nouveaux risques (Publisud
1995). Il est l’auteur de : Le dernier rempart ?
Forces armées et politiques de défense au Maghreb (Publisud,
1998). Il a dirigé, Les Etats-Unis et la Méditerranée, (Publisud
2002). Avec Olivier Lepick, il a publié : Le terrorisme non
conventionnel (PUF 2003) et a dirigé avec Pascal Lorot :
Guerre et économie, (Ellipses 2003) et L’Asie
centrale après la « guerre contre la terreur »
(L’Harmattan 2004) et avec Hélène Masson : L’intelligence
économique : quelles perspectives ? (L’Harmattan/FRS
2004). En 2006, il a publié à CNRS Editions : Terrorisme(s),
abrégé d’une violence qui dure.
Il participe avec la FRS au réseau des Instituts de politiques étrangères
et de sécurité euro-méditerranéenne Euromesco et au réseau
STRADEMED.
Il est également professeur associé à l’Université
de Paris II (Panthéon-Assas) et rédacteur en chef des revues
Géoéconomie, Sécurité globale (premier
numéro paru octobre 2007) et de Maghreb-Machrek.
Entretien :
Comment
Al Quaeda est elle constituée ? Ses composantes ? Al
Qaeda Maghreb est un mouvement structuré ou une nébuleuse éclatée,
est elle unie par une idéologie et un programme jihadiste ?
Al
Qaeda est avant tout, une organisation éclatée, mais ce qu’il
faut savoir, c’est qu’il y a eu plusieurs époques pour Al
Qaeda. D’abord il y a eu l’époque 1998-2001 et cette
organisation voulait au départ combattre les intérêts américains
dans le Golfe et en Afrique. Et cela avait donné les attentats
que l’on connaît. Par la suite, ce groupe s’est attaqué aux
pouvoirs nationaux mis en place, comme ce fut le cas en Egypte,
puis ensuite en Algérie et même en Tunisie. C’est la première
époque et elle fut caractérisée par un échec sur le terrain
local. La deuxième période, entre 2001 et 2002, inaugurera une
Al Qaeda qui va devenir célèbre, avec les attentats du 11
septembre. Coup d’éclat exceptionnel mais qui signifiera aussi
la perte de l’intégrité territoriale en Afghanistan. Au départ,
cette organisation n’était pas très structurée ; elle va
très vite se transformer en organisation avec à sa tête des
donneurs d’ordre comme Ben Laden et le Dr Zawari. Ils sont plus
un symbole, que les leaders d’une organisation structurée
pyramidale. Cela aura pour conséquence, l’émergence de
volontaires qui s’auto désigneront comme faisant parti d’Al
Qaeda. Al Qaeda est donc devenue d’emblée une organisation de
franchise dans le sens pur du terme. Ce nom sera repris par un
certain nombre de groupuscules qui vont se référer à cette idéologie.
Le GSPC d’ailleurs, reflète cette évolution. Le GSPC qui était
au départ purement algérien, est devenu Al Qaeda Maghreb, ce qui
lui vaudra un succès médiatique certain. S’agissant de l’idéologie,
oui elle existe et elle est revendiquée. C’est le retour à
l’islamisme radical qui se réfère à une pensée tirée
notamment de la nécessité du retour à un Etat islamiste. Mais
également, la référence au Takfir qui désigne comme hérétique
toute personne, qui contrevient au sens même de cette idéologie.
Même le musulman peut devenir une « cible » du moment
qu’on le désigne comme étant un mauvais musulman. Une licence
pour tuer en quelque sorte. A travers la déformation fondamentale
du concept du Jihad, sorti de son sens réel, on a abouti « à
l’obligation absente », c'est-à-dire, la lutte contre les
incroyants. L’Etat islamique tel qu’il est perçu par Al Qaeda,
va donc légitimer le droit de massacrer pour la cause.
Les
terroristes d’Alger et leurs cousins ont ils des liens
organiques ?
C’est
très difficile à dire. On ne peut pas dire qu’il y ait un lien
organique, mais on peut affirmer par contre, qu’il y a un lien
idéologique. Après chacun décide des actes qu’il est déterminé
à commettre. La preuve en est donnée par le fait que Ben Laden
et Zawari dans leurs interventions, ne parlent jamais avant et pas
toujours après les attentats. Et le plus souvent, d’une
certaine manière, ils découvrent l’évènement, une fois
qu’il s’est produit. Tout est ensuite mis en scène pour
montrer qu’il y a une organisation centralisée. Alors qu’en réalité,
chaque groupe islamiste s’auto motive.
Al
Qaeda Maghreb a-t-il des liens organisationnels avec l’Algérie ?
On
a tendance à penser que des branches d’Al Qaeda Maghreb, existe
bien en Tunisie et au Maroc. Mais là aussi, c’est pareil,
chacun reprend à son compte « l’enseigne Al Qaeda » .
En
quoi ce mouvement peut-il constituer une menace pour le Maghreb ?
C’est
une menace, dans la mesure où l’on s’attaque à des Etats
constitués dans le but d’effrayer les populations, convaincre
les populations « qu’ils sont plus forts que les Etats ».
Comme ce fut le cas de la grande époque de la guerre civile algérienne.
Il s’agissait alors, de s’imposer comme un Etat de
substitution. Bien entendu le « rêve fou » est de
remplacer les institutions atteintes par des institutions
islamistes. En d’autres termes, l’objectif d’Al Qaeda
Maghreb est à la fois, de terroriser les populations au sein de
ces Etats et de faire planer cette menace vers l’Europe.
L’islamisme
armé au Maghreb est il un phénomène passager ou lié à la
situation internationale
Il
y a des causes internes d’ une part, comme en Algérie, où il y
avait déjà des oppositions internes, avant la guerre civile. Les
premiers acquis islamistes remontent au milieu des années 80,
avec des individus qui revenaient d’Afghanistan. Ces groupes armés
vont alors tenter de se constituer des bases sociales, mais cela
était de moins en moins possible. Ils vont alors s’étendre
d’un point de vue géostratégique, en se déplaçant au Maroc
et en utilisant la porosité des frontières, notamment en ce qui
concerne la Tunisie. L’utilisation d’espaces plus larges
sera une tentative pour pouvoir se maintenir, mais l’absence
d’appui populaire à ce type de mouvement va quand même
contenir la situation.
En revanche la question de savoir si les causes sont également
dues à la situation internationale, oui dans la mesure où des
situations comme la guerre d’Irak et la question israélo-palestinienne,
donnent des prétextes à ces mouvements islamistes. A partir de
certains cas d’injustice flagrante que personne ne conteste, il
y a une exploitation idéologique faite par ces groupuscules.
Y
a t-il des racines profondes dans nos sociétés, quelles en sont
les causes ?
L’islamisme
existait bien avant les indépendances. Force est de constater
malheureusement, qu’à une certaine époque, pour l’Algérie
notamment et plus récemment au Maroc, ces mouvements s’étaient
présentés comme étant une opposition politique aux régimes en
place. Dans ce contexte précis, c’est le manque
d’alternatives du fait des modèles économiques et sociaux défaillants,
le déficit politique, qui vont annoncer le grand retour à la mosquée
et à la religion. Expression d’une revendication, au départ,
on va utiliser le mécontentement des populations pour agir les
armes à la main. Ces facteurs locaux qui alimentent l’Islamisme
ne sont pas spécifiques au Maghreb, on retrouve cela aussi en
Jordanie, en Arabie Saoudite.
La
répression préventive, suffira-t-elle pour en venir à bout ?
Quels sont les autres moyens possibles ou souhaitables ?
Tout
est souhaitable sauf la répression. La répression ne fait que
traiter la manifestation et non la racine du problème. Le
traitement de l’islamisme radical passera par une véritable révolution
en matière de développement socio-économique. Evidemment, il
faut aussi une évolution des régimes actuels vers plus de libertés
publiques. Plus on ira dans le sens des libertés publiques, plus
on coupera l’herbe sous les pieds des islamistes !
Il faut également sortir les peuples du sous développement car
ils sont des proies faciles et des candidats à l’attentat
suicide. Il faut aussi l’ouverture politique.
Les
pays maghrébins coopèrent ils suffisamment pour lutter ensemble
contre ce phénomène ?
La coopération en matière de lutte antiterroriste entre les pays
du Maghreb et ceux de l Europe est elle satisfaisante ?
Pour
ce qui est de la coopération entre les pays du Maghreb et les
pays européens, la collaboration est assez fructueuse.
S’agissant des pays du Maghreb entre eux, ce n’est pas le cas.
Il y a une sorte de méfiance entre les pays de la région, divers
contentieux non résolus comme la question du Sahara occidental.
La Tunisie et l’Algérie se sont aussi toujours regardées avec
une certaine circonspection. Tous ces facteurs freinent une véritable
collaboration dans le domaine de la prévention et du traitement
du terrorisme. Cela ne facilite pas entre autre, l’échange
d’informations.
La
coopération euromaghrébine a t elle vraiment donné des résultats ?
Oui,
en tout cas du côté européen. Il y a de véritables échanges
qui se font de ce côté-là, s’agissant de la présence
d’islamistes sur le sol européen ou vice versa. La prise de
conscience d’une menace conjointe, a quand même amené quelques
avancées dans cette collaboration.
Crédits Presse : Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Interview accordée
Exclusivement à l’Expression
Tunisie.
Publiée le 9 janvier 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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