ENTRETIEN AVEC LE PARLEMENTAIRE SUISSE JEAN-CHARLES RIELLE
Un bateau
Swiss Made pour Gaza
Entretien réalisé par Silvia Cattori
Jean-Charles Rielle
Jeudi 14 octobre 2010
Réunis à Genève début octobre, les représentants de la Coalition
internationale pour lever le siège de Gaza (Britanniques,
Suisses, Grecs, Suédois, Malaisiens, Turcs, Etats-uniens,
Norvégiens, Hollandais, Irlandais, Italiens, Algériens,
Koweitiens, Jordaniens ainsi que d’autres pays arabes) ont
affirmé leur détermination à briser le blocus maritime imposé
par Israël à la population de Gaza. Bien que le bateau suisse,
soit prêt depuis août, il a fallu reporter le départ de la deuxième Flottille
de la liberté au printemps prochain parce que de plus en plus de
pays veulent la rejoindre. Parmi les 45
passagers qui partiront sur le bateau suisse (il y a eu 500
demandes) il y a des parlementaires. Jean-Charles Rielle, 58
ans, député socialiste au Parlement suisse, qui s’exprime ici,
est l’un d’entre eux.
Silvia Cattori :
Vous venez d’annoncer (1)
que vous partirez avec la Flottille qui se mobilise en faveur de
la population assiégée de Gaza. Cela vous honore, car peu de
personnalités politiques osent s’exprimer de manière critique
quand il s’agit d’Israël. Quel évènement vous a-t-il conduit à
vous impliquer de la sorte ?
Jean-Charles Rielle :
Je suis allé deux fois à Gaza, en janvier 2009 quelques jours
après la catastrophe humanitaire provoquée par l’intervention
israélienne, et en janvier 2010 pour faire un bilan un an
après (2). C’est à ces moments-là, que j’ai pu effectivement
mesurer l’ampleur du problème, et ses conséquences notamment
pour la santé de la population qui subit ce siège. Le médecin
que je suis a pu prendre la mesure de la gravité de
la situation. Il
est temps de faire cesser ce blocus pour que ce peuple puisse
devenir libre. Libre de ses choix, libre de se déplacer, libre
d’avoir accès à l’essentiel. Aucun pays, aucun peuple ne peut
accepter d’être soumis à un tel blocus par une armée occupante.
C’est pour ces
principes que, moi-même et quelques autres parlementaires, dont
Josef Zisyadis et Carlo Sommaruga, nous nous battons en
participant - si le calendrier des sessions parlementaires le
permet - à cette Flottille. C’est un combat qui est simplement
éthique et appelle à faire respecter le droit international.
Nous serions déjà
partis avec
la première Flottille
de la liberté si son départ n’avait pas eu lieu au
moment où nous siégions à Berne. J’aimerais vous dire que je me
réjouis très fortement de cette grande coalition qui se met en
place actuellement, du nombre de pays représentés et du nombre
de bateaux. Il convient de tout mettre en œuvre pour que ce
siège soit levé. Le fait qu’il y ait un bateau suisse parmi
cette coalition, ajoute une symbolique importante.
Silvia Cattori :
La dernière tentative s’est
terminée dans le sang, avec l’assaut des commandos israéliens
sur le Mavi Marmara
qui ont tué neuf Turcs et en
ont blessés cinquante autres. Y a-t-il plus de chances de faire
céder Israël cette fois-ci ? Y a-t-il une garantie qu’Israël ne
fera pas subir à cette deuxième Flottille les violences qu’il a
infligées à la précédente ?
Jean-Charles Rielle :
Par son ampleur, cette deuxième Flottille doit pouvoir continuer
d’interpeller le monde entier sur la nécessité de lever ce
blocus et a pour but de conduire, il faut l’augurer, à la levée
de ce blocus qui frappe Gaza. On verra la réponse d’Israël à ce
moment-là.
Silvia Cattori :
Par ce blocus, Israël
cherche à briser l’esprit de résistance du peuple palestinien et
à le couper du Hamas. Ce qu’Israël redoute en vérité n’est-il
pas l’impact politique de ces flottilles ? Autrement dit, ces
internationaux qui se mobilisent pour Gaza ne font-ils pas
passer l’idée que la résistance du peuple palestinien (qu’Israël
qualifie de terrorisme) est un droit légitime ?
Jean-Charles Rielle :
Mais la résistance est un droit légitime, et pas seulement pour
le peuple palestinien. Tout peuple a le droit de disposer de sa
liberté de mouvement, d’avoir accès à l’essentiel en matière de
nourriture, et de tout ce qui fait qu’un homme est libre et
qu’il peut s’assumer. Le droit international condamne ce blocus
par Israël. Il faut qu’il soit respecté. En tant qu’élu au
Conseil national, je représente le Canton qui est le dépositaire
des Conventions de Genève. Il est important d’exiger que ce
blocus soit levé.
Silvia Cattori :
Israël peut faire tout ce
qu’il veut parce que le rapport de force lui est favorable. Si
les autorités de l’État d’Israël ont pu jusqu’ici mener une
politique agressive contre leurs voisins arabes, n’est-ce pas
parce qu’elles ont le soutien entier ou bienveillant des États
occidentaux ? Berne n’est pas en reste, comme vient de le
démontrer le voyage officiel en Israël de notre ministre de la
défense, M. Ueli Maurer (3). Cet exemple n’indique-t-il pas
qu’il n’y a pas à Berne de véritable volonté politique de rendre
justice au peuple palestinien et que vos démarches pèsent de peu
de poids ?
Jean-Charles Rielle :
Ecoutez, si on pensait n’avoir aucun poids, on ne ferait pas
tout ce que l’on est en train de faire avec
la Flottille. Je
crois que les rapports de force peuvent s’inverser lorsque l’on
défend l’éthique et les droits fondamentaux.
Silvia Cattori :
Le voyage de
M. Maurer reflète-t-il la
position du Conseil fédéral ?
Jean-Charles Rielle :
Dans ce cas précis je rappelle que la politique menée par notre
ministre des affaires étrangères, Mme Micheline Calmy-Rey, est
très claire en ce qui concerne les droits du peuple palestinien.
Il y a là, avec M. Maurer, un ministre qui a une autre
sensibilité et qui, malgré toutes les demandes qui lui étaient
adressées de ne pas se rendre en Israël, y est allé. Cela est
grave, d’autant qu’en sa qualité de ministre de la défense, son
voyage a une forte charge symbolique.
Que l’on s’en tienne,
sur le plan diplomatique, à observer une certaine neutralité,
cela on peut le comprendre. Mais M. Maurer, en tant que ministre
de la défense de notre pays, se rend en Israël à un moment où il
ne devrait pas y aller. Il a cru bon de favoriser les échanges
militaires - et tout ce que cela peut comporter - à un moment
tout-à-fait inopportun.
Quand nous
l’entendons déclarer, en Israël, que sa visite se justifie parce
que la Suisse, comme pays neutre,
doit visiter tous les pays, nous disons que, dans ce cas précis,
c’est injustifiable, car il s’agit ici d’un ministre de la
défense qui négocie des contrats d’armes pouvant servir
notamment à renforcer la politique que nous dénonçons.
Nous lui disons que
sa place n’était pas en Israël ; que ce n’était pas un moment
approprié et qu’il n’avait pas à aller en Israël. Il devra
rendre des comptes à son retour, sur l’image qu’il fait porter à
la Suisse par sa présence en Israël, en tant
que ministre de la défense, alors que le blocus qui pèse sur
Gaza viole le droit international.
Pour l’élu que je
suis, le médecin que je suis, il s’agit d’œuvrer pour faire en
sorte que le droit international soit respecté, que le siège de
Gaza soit levé afin que le peuple palestinien puisse vivre
libre. Il s’agit d’abord d’un combat éthique.
Silvia Cattori :
Nous vous remercions.
(1) Conférence de presse à Genève, le 11
octobre 2010, de
la Coalition
de la Flottille 2 de la liberté pour Gaza.
Cette coalition fondée en avril 2010 par les ONG :
The European Campaign to end
the Siege on Gaza, Free Gaza Movement, The IHH Humanitarian
Relief Foundation, Ship to Gaza- Sweden, Ship to Gaza-Greece
rassemble aujourd’hui des centaines d’organisations et
associations dans le monde. Le bateau suisse est soutenu par
quelques 200 ONG.
(2) Voir :
http://www.rielle.info/gaza2009.htm
http://www.rielle.info/gaza2010.htm
(3)
Voir : « Ueli
Maurer en Israël sur fond de dégel »,
par Simon Bradley, Swissinfo,
8 octobre 2010.
http://www.swissinfo.ch/fre/detail/content.html?cid=28504236&rss=true
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