Par la
piraterie, Israël se dévoile aux yeux du monde Silvia Cattori
Le 31 mai 2010, les pirates
israéliens ont attaqué des navires civils dans les eaux
internationales.
Vendredi 4 juin 2010
L’attaque
par les commandos israéliens d’un convoi humanitaire en
Méditerranée a ouvert les yeux d’une partie de l’opinion
publique internationale sur la réalité du blocus de Gaza. Cette
prise de conscience citoyenne devrait se traduire par un
renforcement du boycott contre les produits de l’apartheid.
Dans l’entretien qu’il a accordé à Silvia Cattori,
l’universitaire palestinien Hazem Jamjoum décrit également la
situation politique en Palestine occupée, entre un Fatah qui
s’accroche au pouvoir, malgré le désaveu populaire, et un Hamas
ostracisé par la communauté internationale, bien que
démocratiquement élu.
L’universitaire palestinien Hazem Jamjoum, 28 ans, de passage
à Genève le jour où la marine israélienne a stoppé dans le sang
la Flottille de la liberté, répond aux questions de Silvia
Cattori.
Silvia Cattori :Ce lundi, 31 mai,
avez-vous été surpris en apprenant que la marine israélienne
avait attaqué la flottille d’aide humanitaire, et tiré sur les
navigants qui voulaient se rendre à Gaza ?
Hazem Jamjoum [1] :
L’attaque contre la Flottille de la Liberté était d’une certaine
manière attendue car le gouvernement israélien et l’armée
avaient fait savoir assez clairement qu’ils n’allaient pas
autoriser des militants à entrer à Gaza. J’ai été très choqué
lorsque j’ai appris qu’ils avaient tué et blessé de nombreuses
personnes. On pouvait s’attendre à ce qu’ils empêchent les
bateaux de passer et qu’ils arrêtent les militants. Mais qu’ils
utilisent cette violence, tirent à balles réelles, ce fut un
grand choc pour moi.
Je pense que cela montre la logique selon laquelle les
militaires israéliens agissent, en ce sens qu’Israël a montré
depuis 62 ans qu’il n’avait aucun problème à tuer des gens [2],
à commettre des actes de piraterie ou à violer le droit
international. Il devient de plus en plus clair qu’Israël
considère qu’il peut continuer de perpétrer des meurtres, qu’il
s’agisse de Palestiniens ou de non-Palestiniens. Du reste ce
n’est pas la première fois qu’Israël tue des non-Palestiniens.
A l’évidence, la communauté internationale a montré qu’elle
ne veut prendre aucune mesure concrète pour punir Israël ou pour
lui demander des comptes pour les crimes qu’il commet.
Silvia Cattori : L’attaque de la
flottille par les troupes de la marine israélienne en pleine mer
a soulevé immédiatement une vague de réactions sans précédent.
Des réactions bien plus massives contre Israël que lors des
bombardements qui, en huit minutes, avaient laissé près de 300
morts sur le sol à Gaza, le 27 décembre 2008. Est-ce à dire que
les vies palestiniennes ne méritent pas la même attention ?
Hazem Jamjoum : C’est un vaste sujet.
Premièrement, je pense que, malheureusement, les médias, tout
comme Israël, portent peu d’attention à la vie des Palestiniens
et des arabes en général. Alors que des arabes sont tués
quotidiennement en Irak depuis 2003, cela provoque à peine
quelques commentaires à la télévision. C’est pareil avec la
Palestine : Israël tue des Palestiniens depuis 62 ans, et d’une
manière de plus en plus massive depuis la seconde Intifada, sans
que cela ne fasse d’éclat. Je pense que si cette attaque est si
importante pour les médias, c’est parce que, parmi les 700
personnes qui étaient sur ces bateaux, ce sont des
internationaux qui ont été tués et blessés. Depuis le carnage de
Gaza en 2008-2009 il y a eu le développement d’un mouvement
international très fort ; la critique sur la politique d’Israël
a traversé toutes les strates de la société. L’importance donnée
par les médias à l’attaque contre la flottille, met en évidence
combien le mouvement a grandi. Il y a des milliers de gens qui
ont donné leur argent pour financer ces bateaux.
Silvia Cattori :Avez-vous été surpris
par le fait que les États-Unis n’ont pas condamné l’acte de
piraterie d’Israël et n’ont pas demandé la levée du blocus ?
Hazem Jamjoum : Pas vraiment. Les États-Unis
n’ont jamais tenu Israël comme responsable de ce blocus. Il est
devenu très clair qu’ils ne feraient rien pour le lever. Raison
pour laquelle c’est cette flottille de la liberté – avec le
large soutien du mouvement qui se bat pour lever le blocus – qui
allait le faire.
Cette flottille apportait une aide humanitaire, mais ce
n’était pas une simple action caritative ; c’était une action
politique ; c’était une déclaration politique. L’objectif des
organisateurs de la flottille était que, puisque les
gouvernements du monde se montrent incapables de tenir Israël
pour responsable de ce blocus médiéval — nous n’avons jamais vu
un blocus contre une population comme celui-ci depuis près de
800 ans — la flottille allait le faire.
C’était cela le but de cette flottille. C’est aussi le but de
la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS)
lancée en 2005 par toutes les organisations de la société
palestinienne ; des partis, des syndicats, etc. Cette campagne a
commencé à prendre de l’ampleur et à se développer rapidement
après le carnage à Gaza, quand les gens, dans le monde entier,
ont commencé à voir Israël pour ce qu’il est : un régime
d’apartheid, d’occupation, de colonisation. Et l’extension de ce
mouvement a rendu, même les médias, plus sensibles à la réalité,
au fait qu’Israël n’est pas un État destiné à protéger sa
population juive, mais un État qui commet des crimes contre les
non juifs d’une manière continue.
Silvia Cattori :Pensez-vous que cette
attaque en mer permettra d’en finir avec l’impunité et avec la
protection qu’Israël a toujours eue de la part de nos médias ?
Hazem Jamjoum : Oui, Israël était très
protégé jusqu’à maintenant, par les médias, les institutions,
les pouvoirs. Surtout en Europe où les organisations juives ont
utilisé avec succès la culpabilité du génocide de la seconde
guerre mondiale, pour mentir en disant, par exemple, que les
Palestiniens étaient partis parce que les dirigeants arabes leur
avaient dit de le faire. Succès obtenu également en faisant peur
aux gens qui critiquaient Israël car cela les exposerait à se
voir accusés d’« antisémitisme ».
Or quand vous voyez l’armée israélienne utiliser des chars et
des F 16 pour bombarder des populations civiles qui ne sont pas
en mesure de se défendre et n’ont nulle part où aller parce que
la frontière est toujours fermée, ou quand vous voyez Israël
encercler des internationaux, des humanitaires, des députés
membres de divers parlements, et commencer à tirer sur eux et
sur leurs bateaux, il devient difficile d’accuser ceux qui
critiquent l’État d’Israël qui agit de la sorte, d’avoir un
comportement « antisémite ».
La seconde chose est l’augmentation des gens de confession
juive qui réalisent qu’Israël a fait cela depuis 62 ans au nom
des juifs, en abusant du nom des juifs pour couvrir ses crimes.
Je crois que le nombre croissant de juifs qui disent « Vous ne
pouvez pas continuer de dire cela en mon nom », qui s’opposent
au sionisme et à son fondement, qui s’opposent aux crimes commis
par Israël, est aussi un important phénomène.
Silvia Cattori :Si Israël a pu
poursuivre durant 62 ans sa politique d’épuration ethnique,
basée sur la haine et la déshumanisation, n’est-ce pas parce que
sa propagande a toujours réussi à renverser la donne ; il a
transformé les victimes palestiniennes de sa politique
d’apartheid en terroristes ; présenté ses voisins arabes et
musulmans comme inférieurs, violents, fanatiques ?
Hazem Jamjoum : Pas seulement Israël du
reste. Si vous regardez les films d’Hollywood qui font le
portrait des arabes et des musulmans en général, en particulier
depuis la soi-disant « guerre contre le terrorisme » — mais même
avant — vous constatez que ce portrait, dans la culture
populaire, est une déshumanisation qui est complètement raciste.
Certes, Israël l’a utilisée à son profit depuis 62 ans. Ce
prétendu « monde civilisé occidental », voit les arabes et les
musulmans comme des barbares sauvages, des sous-hommes. Si vous
regardez les médias israéliens, les Palestiniens, les Israéliens
arabes sont décrit comme des sauvages violents, fous,
irrationnels. Il y a là un grand travail à faire pour gagner ce
combat contre les stéréotypes racistes ; contre cette imagerie
dégradante à l’égard des arabes et des musulmans ; et pour
expliquer que cette barbarie ne correspond pas à la réalité et
que l’histoire montre tout ce que les civilisations occidentales
leur ont en fait emprunté ou, comme on peut le voir dans les
musées, physiquement volé.
Silvia Cattori :Ce qui rend le contexte
encore plus difficile à comprendre au dehors, est que les
autorités de Ramallah et leurs représentants à l’extérieur font
le jeu de l’occupant israélien. Le jour même de l’attaque
israélienne contre la flottille, Elias Sambar, représentant
palestinien à l’UNESCO, (invité sur la chaîne de télévision
France 2) ne cachait pas cette fracture. « Vous savez ce que je
pense du Hamas » disait-il à Daniel Shek, ambassadeur d’Israël
en France, qui n’avait pas de mots assez durs pour incriminer le
Hamas. Comment comprendre cette complaisance à l’égard d’un
occupant colonial qui martyrise si cruellement la Palestine et
un tel mépris, de la part d’un diplomate palestinien, de
l’autorité du Hamas issue des urnes ?
Hazem Jamjoum : Cette direction
palestinienne a mis toute sa stratégie dans un mauvais panier, à
savoir l’idée que, en parlant avec Israël et en convaincant la
communauté internationale, elle pourra apporter la preuve que,
d’une manière ou d’une autre, la négociation pourra aboutir à
donner leurs droits aux Palestiniens. Au cours des 13 à 14
dernières années, il est apparu parfaitement — et criminellement
— clair que ces négociations bénéficiaient uniquement à Israël
qui les utilise comme méthode pour voler les terres en renvoyant
toujours à plus tard la soi-disant « solution », et en utilisant
ce temps pour continuer de consolider son régime d’apartheid,
son vol de la terre palestinienne et la construction de ses
colonies.
La diabolisation du Hamas va de pair avec la diabolisation
générale des groupes politiques islamiques, et également avec la
préparation d’une guerre contre l’Iran, le Hamas étant décrit
comme faisant partie du camp iranien. Il faut que cela soit
clair : le Hamas est aussi le choix populaire, élu
démocratiquement en 2006, et nous considérons ce vote comme un
vote de rejet des négociations. Quand les Palestiniens ont voté
en 2006 en faveur du Hamas, ils ont dit au Fatah qu’ils
n’acceptaient pas les négociations. Parce qu’elles ont prouvé
qu’elles étaient un échec. Le fait que ce leadership à Ramallah
continue les « discussions de proximité » et les négociations ne
fait que prouver que sa stratégie a échoué.
Silvia Cattori :Il semble que le
président Mahmoud Abbas n’ait pas véritablement appelé à mettre
fin au blocus. Est-ce bien ainsi ?
Hazem Jamjoum : Je ne sais pas. Je ne me
souviens pas. Ils ont critiqué le blocus à un certain moment,
mais je ne sais pas s’ils ont vraiment essayé de manière
consistante et systématique de travailler au travers des Nations
Unies et au travers de leurs contacts internationaux pour briser
le blocus de Gaza.
Il est parfaitement clair que les dirigeants de Ramallah ont
pris très fortement position contre le Hamas et voient le Hamas
comme quelque chose qui brise leur monopole politique et comme
une menace. Ils suivent la même ligne qu’Israël vis-à-vis du
Hamas et cela est extrêmement regrettable ; en particulier
quand, parfois, ils saisissent l’occasion de parler de
réconciliation avec le Hamas et dans le même souffle ils
s’opposent totalement au Hamas et le diabolisent.
Je pense que les deux parties, aussi bien la direction du
Fatah que celle du Hamas, doivent revenir aux demandes
fondamentales des gens. Ils doivent couper leurs liens avec le
régime d’apartheid et revendiquer les droits fondamentaux des
Palestiniens — le droit de retour des réfugiés et la pleine
égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël — qui ont été
complètement laissés de côté dans l’agenda du leadership
palestinien, alors qu’ils représentent la grande majorité des
Palestiniens dans le monde : il y a environ 6,4 millions de
réfugiés palestiniens dispersés dans le monde, et environ 1,5
million de Palestiniens qui sont citoyens d’Israël. Ils sont
négligés par les deux directions [du Fatah et du Hamas, ndt].
Silvia Cattori :Le refus des États-Unis
de condamner Israël au Conseil de Sécurité et d’exiger la fin du
blocus israélien vous a-t-il surpris ?
Hazem Jamjoum : Non, je ne suis pas surpris.
Les États-Unis sont très clairs ; Israël est l’allié stratégique
numéro un des États-Unis dans la région. Ils considèrent Israël
comme étant une extension des États-Unis au Moyen Orient. C’est
ainsi que le gouvernement des États-Unis voit Israël depuis les
années 70. Je pense que les politiciens états-uniens croient en
cette politique ; en dépit du fait que l’intérêt que représente
Israël pour les États-Unis soit extrêmement contestable. Les
militaires états-uniens — tout récemment le général Petraeus —
ont dit très clairement que les États-Unis perdent des vies à
cause de leur soutien à Israël. C’est un aveu très exact. Les
gens qui, au sein du département d’État US ont dit, dès 1948,
que le soutien à Israël est en fait contraire aux intérêts
économiques et stratégiques des États-Unis, avaient raison.
Silvia Cattori :Cela ne changera pas ?
Hazem Jamjoum : Je pense que cela changera,
que cela doit changer, vu l’élargissement aux États-Unis du
mouvement qui appelle au Boycott, au Désinvestissement et aux
Sanctions (BDS) contre Israël, et le soutien au BDS du Green
Party qui est le troisième parti, le soutien de politiciens de
plus en plus nombreux, en particulier ceux qui ont visité Gaza
après le carnage, et ceux qui ont le courage de dire leur
opinion. Mais les politiciens ne peuvent pas simplement
s’opposer à Israël car cela entraîne des conséquences ; cela
demande que le mouvement social aux États-Unis devienne plus
fort, et je pense que ces mouvements qui sont critiques
vis-à-vis d’Israël et demandent la fin de la politique
d’apartheid d’Israël sont en train de se développer. Je suis
prudemment optimiste. Cela exige plus de travail.
Il ne s’agit pas seulement du soutien des États-Unis.
L’Europe est le plus grand importateur de produits israéliens
dans le monde, alors que les relations entre les États-Unis et
Israël sont surtout basées sur la finance et les
investissements. C’est pourquoi la campagne de BDS est si
importante. Comme marché de produits, l’Europe est le marché
principal. Après le marché interne entre Israël et la Palestine,
le plus gros est avec l’Union Européenne ; l’Union Européenne a
un accord de libre échange avec Israël, et les échanges
culturels sont très importants. Tout cela représente un défi.
Exposé d’Hazem Jamjoum (en anglais) sur l’apartheid en
Palestine
Silvia Cattori,
Journaliste suisse indépendante, de langue maternelle italienne.
Les années qu’elle a passées outre-mer, notamment en Asie du
Sud-Est et dans l’Océan indien, en contact étroit avec le milieu
de la diplomatie et des agences des Nations Unies, lui ont donné
une certaine compréhension du monde, de ses mécanismes de
pouvoir et de ses injustices. En 2002, elle fut témoin de
l’opération « Bouclier de protection », conduite par Tsahal en
Cisjordanie. Elle se consacre depuis à attirer l’attention du
monde sur le sort subi par le peuple palestinien sous occupation
israélienne.
Auteur de
Asie du Sud-Est, l’enjeu thaïlandais (éd L’Harmattan,
1979).
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