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Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
Guillaume
Weill-Raynal : «Intellectuels de tous les pays,
unissez-vous» contre la désinformation !
Polémique,
stigmatisations, sensationnalisme, sont les maîtres mots d’une
nouvelle génération de l’information. Dans le pays de la
liberté d’expression, la France, les médias s’en donnent à
cœur joie. Des acrobaties de la pensée pour certains, de
l’endoctrinement pour d’autres, aux raccourcis dangereux
et déformés pour le reste. Dans cette jungle où l’information
a perdu ses valeurs, le citoyen est à la merci de courants divers
et tendancieux. Des visions déformées d’une réalité qui peut
conduire aux pires amalgames et jugements de l’autre. Une
arme redoutable et à double tranchant. Mais une arme cependant
que certains politiques ont su apprivoiser pour leur propre
convenance personnelle.
Aujourd’hui,
la révolution technologique aidant, la guerre de l’image et du
verbe est une réelle menace pour l’humanité. Certaines images
et messages sortis de leur contexte véritable, agrandiront
les clivages entre les peuples, les religions et les cultures.
Haine, racisme, intolérance au menu, après intoxication de
la pensée humaine.
Quelles
en seront les retombées ?
En
amputant le citoyen de la véritable connaissance des choses,
il est à prédire que cessera définitivement toute
perspective d’un dialogue entre les civilisations.
Un peu comme ce qui se
passe aux Etats-Unis depuis le 11 septembre, où le citoyen américain
vit dans la peur perpétuelle de l’alien qui viendra le
terroriser.
Ou encore ce qui se passe
en Palestine, quand des médias bienveillants véhiculent l’idée
que tous les palestiniens sont des terroristes, des êtres
chaotiques incapables de s’autogérer, au grand bonheur d’un
Israël qui ne montre décidément aucune volonté politique par
rapport au processus de paix. Les dérives de tous bords sont
alors inévitables.
La journaliste tunisienne
Fériel Berraies Guigny, a rencontré Guillaume
Weill-Raynal, avocat au Barreau de Paris, à l’occasion de la
sortie de son livre « les nouveaux désinformateurs »
(éditions Armand Colin, 2007) afin de justement évoquer tous les
dangers de la désinformation.
Entretien
avec Guillaume Weill-Raynal :
Les médias de nos
jours font dans le sensationnalisme, qu’en pensez vous ?
Tout dépend de quels médias
on parle. Lorsqu’il s’agit de la presse « people »,
ça n’a pas d’importance. C’est dans l’ordre des choses.
On peut également admettre certains défauts inhérents aux médias
de masse. Malgré une tendance inévitable à la simplification,
les journaux télévisés ou à la radio restent de bonne qualité.
Le vrai problème est celui de ces imposteurs qui, aujourd’hui,
confisquent le segment étroit – mais déterminant – des médias
où tout se joue car ceux qui s’y expriment y ont un rôle de
« locomotive ». Je parle du secteur de l’édition,
des éditoriaux et des reportages publiés par les news
magazines, celui des débats « de seconde partie de soirée »
et des livres dont on parle dans les dîners en ville. De
soi-disant philosophes et des sociologues d’opérette sont
parvenus à imposer des concepts frauduleux qui emprisonnent les débats
d’aujourd’hui et de demain dans de faux enjeux.
La désinformation
serait-elle la nouvelle arme politique de demain ?
Elle existe depuis
longtemps. On a longtemps distingué entre l’intoxication,
expérimentée avec succès par les Britanniques contre les
Allemands pendant la seconde guerre mondiale – on pouvait alors
parler de ruses de bonne guerre – et la manipulation des
opinions publiques. Dans ce second cas, il s’agissait d’abord
de vulgaire propagande, puis de véritable désinformation
dans l’art de laquelle les Soviétiques ont longtemps été les
maîtres incontestés. Aujourd’hui, on assiste à une véritable
mutation car les frontières se brouillent. À tous les niveaux.
D’abord, on ne parvient plus à distinguer le champ de
l’information, celui de la pensée et de la réflexion, et
celui du spectacle ! Arno Klarsfeld constitue, à cet égard,
un exemple caricatural. Où est son mérite, sa légitimité ?
Sur quoi fonde-t-il sa célébrité ? Sur le procès Papon où il
a essentiellement fait de la figuration en rollers et volé
la vedette aux avocats qui avaient porté à bout de bras, durant
quinze ans, un combat procédural d’une extrême difficulté ?
Sur le fait d’avoir pris la pose en uniforme de Tsahal devant
les photographes de la presse people ? D’avoir eu
une liaison avec un top model ? On ne sait… Mais il a réussi,
grâce à « ça », à s’imposer, en France,
comme un véritable « héros ». Mieux : comme un
authentique penseur, à qui l’on confie des missions de « réflexion »
et à qui l’on offre une investiture pour l’Assemblée
nationale ! Les frontières sont également brouillées en ce
qui concerne l’objet du débat. On ne fait plus la différence
entre les problèmes de société, l’économique, le social et
la géopolitique. Que des voitures brûlent en banlieue, qu’une
collégienne porte le voile, que les Français issus de
l’immigration aient des revendications spécifiques, et c’est,
selon certains, la quatrième guerre mondiale qui est à nos
portes…
La France serait un
des terreaux de cette nouvelle arme et à quelle fin, selon vous?
C’est l’une des thèses
que je développe dans Les nouveaux désinformateurs. En
tant que pôle de résistance à la vague de libéralisme qui
submerge le monde, la France représente, en effet, une cible de
choix. Par sa tradition intellectuelle, aujourd’hui pervertie,
elle offre à la désinformation la possibilité d’avancer
dissimulée sous le masque d’une fausse pensée et d’une réflexion
frelatée. En tant que pays où cohabitent les plus fortes
communautés juive et arabo-musulmane d’Europe, elle constitue
un terrain d’expérimentation privilégié : un choc des
civilisations « en concentré ».
Dans l’affaire
Charles Enderlin, journaliste à France 2, quel était
l’objectif recherché de la désinformation ?
En octobre 2000, Charles
Enderlin a rendu compte de manière irréprochable des
circonstances dans lesquelles le petit Mohamed Al Dura a été tué
lors d’une fusillade entre des Palestiniens et des soldats israéliens
dans la bande de Gaza, le jour même du déclenchement de la
seconde Intifada. Les autorités israéliennes n’ont jamais
adressé le moindre reproche à Charles Enderlin et ont admis que
l’enfant avait probablement été atteint par un tir de Tsahal.
Pourtant, depuis plus de six ans, de basses officines
s’acharnent à prétendre que le reportage serait un faux. Ce
qui est intéressant c’est d’abord le procédé employé :
on combat l’ émotion exacerbée que suscite un reportage
de quelques dizaines de secondes par une campagne diffamatoire et
haineuse contre son auteur et la chaîne qui l’a diffusé. Résultat :
c’est toute la réflexion sur le conflit israélo-palestinien
qui passe à la trappe ! Dans la foulée, les néo-conservateurs
américains et leurs relais en France ont écrit des dizaines
d’articles dans lesquels ils expliquent qu’en France, le service
public de l’information équivaut à celui de l’agence
Tass au temps de l’URSS ! La manip est grossière, mais
elle fonctionne…
Hind Khoury, Représentante
de la Palestine, a mis en garde l’Oumma contre les dangers de
l’intox dont le monde arabo-musulman, et notamment la Palestine,
fait aujourd’hui l’objet. Qu’en pensez vous ?
Il ne faut pas se voiler
la face : les opinions publiques, dans le monde
arabo-musulman, sont aujourd’hui confrontées à de tels problèmes
politiques, sociaux, économiques et culturels qu’elles se
trouvent encore plus vulnérables et impuissantes face à des opérations
de manipulation que même certains de nos intellectuels
« raffinés », en Europe, ont du mal à appréhender.
De chaque côté, il faut que les intellectuels réagissent en
jetant des passerelles d’une société à l’autre. Il y a, du
côté palestinien, des penseurs de grande valeur. Je pense à des
gens comme Elias Sambar ou Sari Nusseibeh. « Intellectuels
de tous les pays, unissez-vous ! » ce pourrait être un
bon slogan pour le 21ème siècle.
Aujourd’hui la
presse sert-elle uniquement les plus puissants? La théorie du
complot est-ce inéluctable ?
On assiste à un
mouvement contradictoire. D’un côté, un mouvement effrayant de
concentration des médias traditionnels (radio, télé, presse écrite)
entre les mains de groupes industriels proches du pouvoir, ce qui
peut poser un problème de compatibilité avec la liberté de
l’information au regard de leurs autres activités, notamment
lorsqu’ils vendent des armes au reste de la planète. De
l’autre côté, nous assistons au développement d’Internet
qui constitue un outil de communication d’autant plus
irremplaçable qu’il n’est pas soumis aux mêmes contraintes
économiques que les médias traditionnels. Sur la toile, seule
compte la qualité de l’information. Chacun est libre de s’y
exprimer. Certes, on y trouve le pire et le meilleur : des
ragots et des rumeurs invérifiables mais aussi des sites
formidables qui diffusent des infos qu’on ne trouve pas ailleurs
et des critiques de l’info qui incitent à une véritable réflexion.
L’internaute y dispose surtout de la possibilité de vérifier
et de recouper chaque chose grâce à la rapidité des moteurs de
recherche. C’est vraiment un espace de liberté révolutionnaire.
Vous noterez que ceux qui contrôlent l’information
traditionnelle n’ont de cesse de vouloir discréditer l’Internet
sur ce plan (ils sont beaucoup plus indulgents avec le commerce en
ligne…) en l’assimilant, précisément à un lieu où ne
se développeraient que des rumeurs et où règnerait… la théorie
du complot ! C’est à ce titre que je développe dans mon
livre l’idée que la désinformation est un piège en miroir.
Il s’agit bien souvent de projeter sur autrui ses propres
turpitudes.
Aujourd’hui, antisémitisme,
islamophobie, antiaméricanisme sont autant de thèmes galvaudés,
comment le citoyen peut faire la part de ce qui est bon ou
mauvais, polémique ou réaliste ?
Nous sommes là au cœur
de la nouvelle désinformation. Dans les années 50, les
Soviétiques avaient basé tout leur système de désinformation
sur le levier puissant de la lutte pour la paix qui
fonctionnait à merveille sur des opinions publiques traumatisées
par les deux guerres mondiales et par le spectre de la guerre
atomique. Aujourd’hui, pour l’opinion publique occidentale, la
référence du mal absolu, c’est, à juste titre, le nazisme et
la Shoah. Mais cela n’interdit pas pour autant de réfléchir
aux injustices du monde d’aujourd’hui. Or, dans cette société
du spectacle qui est aujourd’hui la nôtre, et en partant des
images du 11 septembre qui sont durablement imprimées dans la mémoire
du « téléspectateur mondialisé », les nouveaux désinformateurs
ont réussi ce tour de force de désigner ceux qui critiquent le néolibéralisme
comme des « islamo gauchistes » complices du
terrorisme international et donc, comme des antisémites.
Aujourd’hui, la figure de l’« islamo gauchiste »
remplit la même fonction négative qu’hier, celle du « judéo
bolchevique » : disqualifier celui qui tente de réfléchir
sur les injustices de l’ordre établi. Je détaille très précisément
dans mon livre le tour de passe-passe qui est à l’origine de
cet amalgame : à partir de L’Effroyable imposture de
Thierry Meyssan – un livre qui est une caricature d’esprit
critique – , on a développé l’idée que toute critique, même
sérieuse, de la politique américaine relevait de la « théorie
du complot ». Par association d’idée, avec les Protocoles
des Sages de Sion, on a amalgamé cette critique à de
l’antisémitisme. C’est à la fois grossier et subtil. Comment
lutter contre ça ? Il faut toujours se méfier des idées reçues,
des associations toutes faites, et surtout, de nos propres préjugés.
Toujours et inlassablement, en revenir à l’examen
minutieux des faits.
L’affaire Redecker,
les caricatures de l’Islam, quelles leçons tirer des médias ?
L’affaire des
caricatures était une provocation. Quand le rédacteur en chef
d’un journal décide du thème unique d’une dizaine de dessins
à paraître (ce qu’on appelle en patinage artistique des «figures
imposées »), on est bien loin de l’humour ou de la liberté
de création du dessinateur. La communauté musulmane, en France,
a eu l’intelligence de ne pas y accorder, finalement, une
importance démesurée. Il y a eu quelques réactions, ça et là,
mais c’est resté dans le cadre d’une polémique « normale »,
telle que nous en connaissons tous les jours. C’est d’ailleurs
ce qui « signe » la provocation : ceux qui ont
publié ces dessins – et ils étaient libres de le faire – ont
pris une posture de victimes. Ils se sont considérés comme
« agressés » par des réactions qu’ils avaient
eux-mêmes provoquées. Comme si la liberté d’expression était
à sens unique ! C’est la même chose qui s’est produite
dans l’affaire Redeker : ce monsieur n’a pas fait que
critiquer l’islamisme, ni même l’islam. Il s’en est pris
aux musulmans en tant que tels : « tous »,
les musulmans, sans exception. Il est probable qu’un tribunal
aurait condamné ces propos racistes si des poursuites avaient été
engagées. Or, ce piètre philosophe a été fêté comme un héros
lors d’un meeting auquel participait le CRIF et la revue Les
Temps modernes. Jean-Paul Sartre, qui avait fondé cette revue
en 1945, doit se retourner dans sa tombe ! Lors d’un débat
télévisé, l’historien Jean Baubérot a timidement essayé de
critiquer les propos de Redeker. Romain Goupil l’a empêché de
parler en le traitant de « complice des fanatiques ».
Alain Finkielkraut a dit qu’il fallait soutenir Redeker sans réserves.
Idem pour BHL qui a parlé d’un « soutien total, indiscuté,
sans bémol ». Là encore, ces gens ont une curieuse
conception de la liberté d’expression : à sens unique.
Alain Finkielkraut semble vivre comme une véritable agression le
moindre débat contradictoire, la plus petite remise en cause de
ses idées. C’est vraiment le monde à l’envers.
Tout cela me paraît
d’autant plus inquiétant que ce sont des « intellectuels »
qui participent à ce mouvement. Et ça ne date pas d’hier :
ce ne sont pas de simples dérapages ou des poussées
d’urticaire sans lendemain. Il y a plusieurs années, on a
commencé, par coquetterie intellectuelle et par goût du
paradoxe, à fustiger les dérapages ou les insuffisances de
l’anti-racisme. Ce qui était facile, j’en conviens :
chaque chapelle, chaque clan a son lot d’esprits conformistes et
de béni-oui-oui. Mais de glissement en glissement, sans s’en
rendre compte, on a jeté le bébé avec l’eau du bain. On a
forgé une doctrine « anti-antiraciste ». Moins par
moins égale plus… Aujourd’hui, Finkielkraut affirme sans
craindre le ridicule que l’antiracisme est le nouveau
totalitarisme du 21ème siècle. Un discours de plus en
phase avec celui de la droite extrême. Et je reste persuadé que
Finkielkraut n’est pas raciste. Seulement, il a comme perdu le
contact avec le réel. On n’imagine pas les dégâts que peuvent
faire de telles idées. Il y a toute une frange de l’opinion
publique qui est à l’intelligentsia ce que les classes moyennes
sont à la bourgeoisie. Des gogos qui boivent ces paroles comme du
petit-lait et qui sont persuadés de faire partie d’une élite
parce qu’ils lisent un livre de temps en temps.. La désinformation
consiste à faire basculer l’opinion publique en utilisant ces
relais spécifiques. Les grands cataclysmes historiques que nous
avons connus dans le passé, notamment l’émergence des
totalitarismes, ont toujours été précédés – je
n’ose dire « préparés » ! - par ce lent
travail de pourrissement.
Crédits :
Article de presse :
Courtesy of Fériel Berraies Guigny
F.b.g Communication. France
www.fbg-communication.com
Publié avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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