Silvia
Cattori :
Comme vous le
savez quand il s’agit des crimes
commis par l’armée israélienne
contre les Arabes, la presse
n’est pas du tout neutre.
N’êtes-vous pas vous-même un de
ces journalistes qui, dans le
passé, a contribué à peindre une
image idyllique d’Israël ?
Giorgio S.
Frankel [1] :
Oui, dans le passé, j’ai
participé à cette propagande
sioniste parce que j’ai grandi
dans un contexte favorable à
Israël. Donc j’avais absorbé
cette culture. Dans un certain
sens la presse et les médias
occidentaux contribuent
activement à perpétuer l’image
et l’idéologie d’Israël. Il y
aurait ici un long discours à
faire sur le pouvoir des forces
pro-israéliennes dans la presse
et les médias.
N’oublions pas que pratiquement
tous les correspondants des
journaux étasuniens en Israël
sont des Juifs pro-israéliens.
Nombre d’entre eux ont servi
volontairement dans les forces
armées israéliennes. Donc ce
phénomène existe. Un des piliers
de la puissance israélienne dans
le monde est cette capacité à
perpétuer la narration
israélienne et à continuellement
modifier l’histoire pour la
réécrire de façon favorable à
Israël. Par exemple plus de 40
années sont maintenant passées
depuis la guerre de juin 1967.
Plus personne quasiment ne se
souvient de la façon dont elle a
commencé. La littérature
pro-israélienne écrit avec
désinvolture que ça a été une
guerre dans laquelle Israël a dû
se défendre d’une agression
arabe. Cette agression n’a
jamais existé. C’est Israël qui
en juin 1967, à la fin d’une
longue crise politique avec la
Syrie, a attaqué l’Égypte par
surprise. On écrit aujourd’hui
qu’Israël a dû mener une guerre
de défense après une agression
arabe. C’est un exemple.
Silvia
Cattori :
Le fait que les
correspondants états-uniens
envoyés en Israël soient, comme
vous le soulignez, « quasiment
tous des Juifs pro-israéliens »
est certainement un problème.
Mais, à votre avis, ne
voyons-nous pas le même
phénomène dans les pays
européens ?
Giorgio S.
Frankel :
L’Europe a eu une attitude
partagée jusqu’à il y a quelques
années. Dans un passé pas très
lointain, l’Europe tendait
davantage à sympathiser avec les
Palestiniens. Dans les années 70
et 80, l’Italie était
manifestement plus pro-arabe que
pro-israélienne. L’attitude
européenne a changé après
l’attaque du 11 septembre 2001,
quand s’est déchaînée dans le
monde cette politique
anti-arabe. L’attaque a été
identifiée comme une offensive
arabe contre le monde
occidental. Après ce virage une
hostilité croissante envers
l’Islam s’est diffusée dans le
monde occidental.
L’islamophobie en Europe a été
transmise par les États-Unis.
Aujourd’hui, l’Europe -la
politique des pays européens
alignés après le 11 septembre
sur les positions états-uniennes
et la guerre d’Irak- poursuit
une politique anti-arabe. Cette
islamophobie croissante est en
grande partie alimentée,
partagée, soutenue par Israël.
Il faut savoir que les Européens
les plus racistes, comme le
Hollandais Gert Wilders, et
d’autres racistes nordiques,
sont aujourd’hui considérés
comme des héros en Israël. Gert
Wilders est régulièrement invité
à tenir des conférences même
dans les universités
israéliennes.
On a cette attitude aussi dans
les médias européens ; un peu
moins dans les médias
britanniques. Mais, en effet,
pour de nombreuses raisons,
Israël est arrivé à imposer son
langage, son récit des épisodes
proches et moyen orientaux. Les
Israéliens ont un grand pouvoir,
ils ont une grande capacité de
propagande. Les Palestiniens ne
disposent pas de cette force.
Les Arabes n’ont pas cette
capacité. Israël a pris le
contrôle petit à petit. Il y a
employé beaucoup de temps. Il a
maintenant pratiquement le
contrôle des communautés juives
en Europe et aux États-Unis.
Autrefois ce n’était pas comme
ça. Autrefois les communautés
juives critiquaient la politique
d’Israël. Ainsi, si nous pensons
à la propagande en faveur
d’Israël, celle-ci n’est pas
faite par des émigrés : elle est
faite par des Juifs états-uniens
qui en partagent la culture, le
langage. Ce ne sont pas des
étrangers. Les Juifs
états-uniens sont pleinement
intégrés, membres du Congrès,
journalistes. La propagande
pro-israélienne est renforcée de
ce fait.
Silvia
Cattori :
Quand ce
contrôle politique d’Israël sur
le monde juif a-t-il pris ce
virage ?
Giorgio S.
Frankel :
Il faut rappeler qu’à l’origine
le sionisme était seulement
hébergé dans le monde juif,
surtout chez les Juifs
états-uniens. Il a fallu
beaucoup de temps pour que les
sionistes arrivent à s’affirmer.
Ceci, entre autres, est une des
origines historiques de
l’arrogance notoire, de la
propension à la violence du
sionisme. Le sionisme est devenu
arrogant et politiquement
violent justement à cause de son
expérience aux États-Unis, quand
il devait s’affirmer dans le
judaïsme états-unien. Surtout
après la deuxième guerre
mondiale. Les Juifs du monde
entier ont toujours eu une
attitude très favorable et très
sentimentale à l’égard d’Israël.
Si l’on doit parler de virage,
c’est après la guerre de juin
1967 qu’il y a eu un virage
important. Cette guerre est très
importante dans l’histoire
d’Israël. Elle a créé dans la
mentalité israélienne un
sentiment de sécurité et de
puissance. Ainsi il y a toujours
eu une dialectique entre Israël
et le judaïsme, quant à celui
qui devait dominer l’autre. Mais
après la guerre de 1967, les
gouvernements israéliens ont
décidé que c’était à eux qu’il
revenait de dominer le monde
juif. Cela s’est fait petit à
petit.
Silvia
Cattori :
Donc, à
votre avis, la propagande des
autorités israéliennes, qui a
toujours consisté à dénigrer et
déshumaniser les Arabes et les
musulmans, sert, entre autres, à
impliquer et à obtenir
l’adhésion totale des Juifs au
projet sioniste de domination et
de destruction du peuple
palestinien ?
Giorgio S.
Frankel :
La peur des peuples musulmans a
grandi après le 11 septembre.
Cet événement a permis aux
forces israéliennes de désigner
le monde musulman comme un
ennemi historique du monde
occidental, ennemi avec lequel
on ne peut pas faire la paix. En
Europe, pour des raisons
historiques, qui remontent aux
Croisades, il y a cette peur
ancestrale des musulmans. Après
le 11 septembre il a été facile
de relancer cette peur.
Silvia
Cattori :
Cette
propagande israélienne contre le
monde arabe et musulman a réussi
jusqu’à présent, avec l’aide de
nos journalistes et
gouvernements, à masquer de
graves crimes comme l’épuration
ethnique, l’annexion de
Jérusalem, les massacres qui se
répètent. Il est difficile de
comprendre que des crimes aussi
graves et massifs ne posent pas
un problème moral aux Juifs qui
soutiennent l’État qui les
commet en leur nom. Nous voyons
même des journalistes
progressistes, des militants de
groupes « Juifs pour la paix »
tenir un discours qui
« épargne » et dans un certain
sens « légitime » le projet
raciste de l’État exclusivement
juif. Seuls quelques petits
groupes marginaux ont toujours
soutenu clairement le droit au
retour des Palestiniens [2].
Ceci n’a-t-il pas toujours été
une manière de légitimer la
politique d’un État dont le
projet raciste, dont l’idéologie
violente, a vidé la Palestine de
ses habitants ?
Giorgio S.
Frankel :
C’est extrêmement compliqué. Si
l’on s’en tient à des phases de
la négociation
israélo-palestinienne, les
négociateurs palestiniens
eux-mêmes disent implicitement
que si l’on faisait un État
palestinien en Cisjordanie et à
Gaza, le retour des réfugiés
serait compris dans l’État
palestinien ; qu’ils se
contenteraient d’une déclaration
de la part d’Israël d’une
assomption de responsabilité
historique du drame des
Palestiniens chassés en 1948 ;
qu’Israël pourrait ne laisser
entrer que quelques dizaines de
milliers de Palestiniens. Dans
le plan de paix proposé par le
roi d’Arabie saoudite en 2002,
confirmé en 2007, n’est pas
mentionné explicitement le droit
au retour, mais une solution
négociée entre Israël et les
Palestiniens.
Dans l’hypothèse d’une solution
« deux États »
le problème est de savoir si
cette solution « deux
États » est possible, avec
Israël à l’intérieur des
frontières de 67, et un État
palestinien en Cisjordanie et à
Gaza. Pendant ces dix dernières
années, on a continué à parler
de « deux États
pour deux peuples ». Ce
qu’on a vu, peut-être
définitivement en 2010, c’est
que maintenant cette solution
n’est absolument pas possible,
parce qu’Israël a pris la moitié
des terres confisquées en 1967
pour construire des colonies.
Israël ne cédera jamais ces
territoires palestiniens. Ce qui
est apparu c’est qu’Israël n’est
pas pressé : qu’Israël veut
arriver, avec le temps, à la
domination de tout le
territoire. La domination totale
de la Cisjordanie et de Gaza. Ce
qui implique de fait, par
conséquent, l’expulsion des
Palestiniens qui y vivent.
Silvia
Cattori :
L’Autorité
de Ramallah, et les dirigeants
de l’OLP -compromis dans des
« processus de paix » qui ont
permis à Israël de continuer à
coloniser la Cisjordanie - ont
renoncé aux droits légitimes de
leur peuple, en pensant obtenir
en échange leur « État »
palestinien. Arriveront-ils à
avoir cet État ?
Giorgio S.
Frankel :
Oui, en effet. Même le président
Yasser Arafat était sur cette
position : si nous faisons un
État palestinien en Cisjordanie
et à Gaza, nous ne prétendons
plus au droit au retour. Dans
les négociations avec Israël le
droit au retour a été utilisé
comme une carte négociable. Ce
qui était important pour les
dirigeants palestiniens était
d’avoir leur État en Cisjordanie
et à Gaza. Cet État désormais
n’existera jamais plus. Il est
possible que ces dirigeants
palestiniens soient aujourd’hui
en collusion avec Israël. Qu’ils
soient donc pratiquement des
fantoches d’Israël. Après toutes
ces négociations ils n’ont
absolument rien obtenu. Les
conditions de vie des
Palestiniens ont empiré.
N’oublions pas que depuis qu’en
1993 a eu lieu la rencontre
entre Yasser Arafat et Yitzhak
Rabin, la fameuse poignée de
main à la Maison Blanche, les
Israéliens ont continué à
exproprier des terres en
Cisjordanie, à chasser les
Palestiniens de leurs maisons
pour développer leurs colonies.
En ces 17 années on a amplement
démontré qu’Israël n’a pas la
moindre intention de faire une
paix qui porterait à la création
d’un État palestinien en
Cisjordanie et Gaza.
Quand les dirigeants israéliens
parlent d’un État palestinien
ils ne disent jamais où il
devrait naître. Pour eux, l’État
palestinien est la Jordanie.
Leur objectif est de renverser
la monarchie jordanienne et
d’envoyer là-bas tous les
Palestiniens. Voilà la
doctrine : la Jordanie est la
Palestine pour les Israéliens.
Tout leur discours se trouve là.
Les Israéliens n’ont jamais été
disposés à restituer les
territoires conquis en 1967.
Jamais. Donc la question du
droit au retour pour Israël ne
se pose pas comme un objectif
réaliste. Le problème est
celui-ci : la formule des deux
États n’est plus possible. Alors
y aura-t-il un État qui comprend
Israël, l’actuelle Cisjordanie
et Gaza ? Il faut voir si cet
État sera un État unique
(binational), comme dit Ilan
Pappé. Ou bien si ce sera un
État dominé par les Israéliens
dans lequel les Palestiniens ne
seront jamais démographiquement
en majorité mais seront soumis à
la « domination
juive ». Ils pourraient même
en être chassés…
Silvia
Cattori :
Cette
éventualité, selon vous,
est-elle probable ?
Giorgio S.
Frankel :
Je pense qu’Israël - même si
c’est une grande puissance
mondiale, une puissance
militaire, nucléaire et
technologique - est en réalité
en train d’aller au désastre.
Vers un collapsus intérieur. Les
indices en sont cette folie
croissante de la classe
dirigeante israélienne. On a vu
cette dernière année justement
l’escalade de racisme en Israël.
Racisme envers les Arabes
citoyens d’Israël. Il y a en
Israël des manifestations de
racisme contre les Arabes, de
xénophobie envers les
travailleurs étrangers, de
xénophobie envers la composante
russe. Il y a des fractures
croissantes dans le monde juif
entre ashkénazes et séfarades,
entre blancs et noirs falashas.
Toute la société israélienne est
en train de se fragmenter, de
couler et de se dégrader en un
complexe de haine raciale envers
tout le monde. Israël a une
attitude de plus en plus hostile
envers le reste du monde. Un
rien suffit pour créer des
incidents diplomatiques.
Alors que des générations de
jeunes juifs états-uniens sont
de plus en plus désenchantées
vis-à-vis d’Israël. Ce qui
signifie qu’Israël risque le
collapsus, si des choses
extérieures n’interviennent pas.
La classe dirigeante israélienne
est d’un niveau de plus en plus
bas. L’intelligentsia
israélienne est de plus en plus
basse. Israël ne produit pas de
culture, ne produit pas d’idées,
ne produit pas de projets. Il
produit des armes, des
installations électroniques ;
mais il ne produit pas de
culture. Sa classe politique est
de plus en plus corrompue
économiquement, culturellement
et dans ses coutumes. Un ex-chef
de l’État israélien a été
condamné pour violence sexuelle.
Ceci est exemplaire de la
corruption israélienne actuelle.
Israël est voué au déclin. Ce
déclin peut être accéléré par le
fait qu’Israël est complètement
lié aux États-Unis. Aujourd’hui
sa politique se révèle très
dangereuse parce que la
situation intérieure
états-unienne est de plus en
plus grave. L’avenir d’Israël
est plein de doutes.
Silvia
Cattori :
Et pourtant
Israël n’apparaît pas comme
étant dans une position de
faiblesse mais de domination. Il
ne souffre pas de crise
économique. Sa monnaie est forte
et stable. Il continue à tenir
tête au monde ; à ne pas céder
de terrain et à poursuivre, sans
être perturbé, sa politique de
purification ethnique des
Palestiniens. Il est même en
mesure de revendiquer des
concessions de plus en plus
humiliantes, pour rendre
impossible toute solution aux
problèmes créés à ses voisins
arabes. Malgré la gravité des
crimes commis depuis plus de 60
ans, Israël non seulement n’est
pas sanctionné mais est courtisé
par nos gouvernements. Si Israël
peut se comporter de façon aussi
arrogante et violente, défier
les grandes puissances, il doit
y avoir une raison secrète qui a
permis à tous les gouvernements
israéliens de défier quiconque.
Comment interprétez-vous cette
arrogance croissante, sans
précédent en politique
internationale ?
Giorgio S.
Frankel :
C’est vrai. Les fondements de
cette arrogance sont multiples.
Un de ces fondements est la
puissance atomique israélienne.
Israël est peut-être la
quatrième puissance atomique
dans le monde. Dès les années
70, c’est-à-dire il y a presque
40 ans, on disait qu’Israël
était capable d’exercer une
menace nucléaire contre l’Union
soviétique. Ceci expliquait
pourquoi l’Union soviétique
avait toujours été très prudente
vis-à-vis d’Israël. Il y a
quelques années seulement, un
historien militaire israélien
d’origine hollandaise, Martin
Van Cleveld, chercheur renommé
et auteur d’études militaires,
déclara dans une interview
qu’Israël avait des armes
atomiques pointées contre toutes
les capitales du monde
occidental. On parle beaucoup de
cette doctrine
Samson [3].
L’idée est celle-ci : si Israël
se trouvait dans une situation
telle qu’il lui semble être sur
le point de succomber, alors il
entraînerait le monde avec lui.
Avant de succomber il lancerait
des bombes atomiques sur
l’Europe, sur le monde arabe et
sur les États-Unis. Des
scientifiques israéliens ont
plusieurs fois affirmé que les
Israéliens peuvent frapper
n’importe quel point du globe.
Connaissant l’histoire et la
mentalité israéliennes cette
attitude peut apparaître
rationnelle dans le sens d’une
argumentation destinée à forcer
les autres pays à respecter la
volonté d’Israël. Après tout, un
pays européen peut se demander
pourquoi soutenir la cause des
Palestiniens, si on risque
d’être attaqué et bombardé.
Le fait qu’Israël puisse exercer
un chantage atomique, direct ou
indirect, qu’il puisse menacer
de faire une guerre aux pays
arabes ou à l’Iran en utilisant
des bombes atomiques,
déchaînerait une crise mondiale.
Les possibilités d’utiliser
directement un chantage atomique
sont très nombreuses. Ceci est
un fait, je dirais, fondamental.
Puis, le lien stratégique avec
les États-Unis, qui a débuté
après la guerre de juin 1967, a
conféré à Israël un pouvoir
international notable et une
sorte d’immunité. Quoi que fasse
Israël, les États-Unis le
protègent. S’il y a une
résolution en cours au Conseil
de sécurité contre Israël, elle
ne peut pas passer parce que les
États-Unis, en tant que membre
permanent, peuvent opposer leur
veto.
Tout cela a donné à Israël un
pouvoir notable, un degré
d’impunité très élevé. Ensuite
s’est créé dans le monde, je ne
sais pas si c’est un mythe -
mais étant donné que quasiment
toutes les chancelleries le
prennent au sérieux…- l’idée
que, si des pays et des forces
politiques veulent avoir de bons
rapports avec les États-Unis,
ils doivent avoir de bons
rapports avec Israël. Il y a une
propension dans nombre de pays
du Tiers-monde à établir de bons
rapports avec Israël de façon à
ce qu’ensuite le lobby
pro-israélien aux États-Unis
soutienne ce pays. La Turquie
l’a fait dans les années
précédant le gouvernement de
Recep Tayyip Erdogan. Nombre
d’autres pays l’ont fait. On a
vu que ces pays qui ont eu de
bons rapports avec Israël ont
été gratifiés par les
États-Unis.
Les raisons pour lesquelles
Israël est aussi puissant aux
États-Unis sont dues au fait
qu’Israël a établi un contrôle
sur le Congrès. Israël domine le
Congrès aux États-Unis ; il le
domine vraiment. Depuis des
décennies, les Israéliens ont
créé aux USA une série de
structures, d’institutions
appelées lobby israélien. Ce
lobby est formé de diverses
organisations spécialisées : il
y a le lobby au Congrès, celui
qui fait pression sur la Maison
Blanche, celui qui s’occupe des
sommets militaires, etc.
En tenant compte qu’il y a aux
États-Unis 6 millions de Juifs
aisés, ces organisations qui
sont financées par le monde juif
disposent de fonds énormes.
L’une des plus importantes,
l’AIPAC, a 100.000 adhérents.
Elle a un pouvoir énorme. Ses
membres envoient des fax, des
e-mails aux députés, aux
sénateurs, recueillent des
fonds.
Une chose très importante dont
les journaux européens ont peu
parlé, mais les journaux
israéliens oui, ainsi que
certains journaux juifs, est le
fait que, au début de l’année
2010, les rapports entre Obama
et Israël étaient très mauvais.
Obama était prêt à avoir une
politique de pression de plus en
plus dure à l’encontre d’Israël.
C’est ce qu’il semblait. En mai,
Obama a complètement changé et a
cédé peu à peu à toutes les
requêtes des Israéliens. Les
journaux israéliens ont révélé
que les principaux financeurs
juifs du parti démocrate avaient
coupé les financements. Les
milliardaires juifs, en mars
2010, ont fait savoir qu’ils ne
donneraient pas un dollar si
Obama ne changeait pas de
politique. Obama s’est retrouvé
à la veille des élections de
mi-mandat en difficulté
politique avec son propre parti,
qui avait perdu ses financements
juifs. C’est donc une source de
pouvoir.
Ajoutons aussi un autre facteur
de pouvoir provisoire. Dans
l’ère de la globalisation
économique, Israël est devenu un
élément structurel de ce
super-pouvoir global qui s’est
développé à partir des années 80
et 90. Dans l’élite mondiale qui
a le pouvoir économique, etc.…,
Israël est une partie intégrante
de cette structure de pouvoir.
Ce pouvoir économique, plus le
pouvoir stratégique militaire,
dans la mesure où les États-Unis
visent la domination du
Moyen-Orient, renforcent le
pouvoir militaire et stratégique
d’Israël.
En 2003, quand les États-Unis
ont attaqué l’Irak, les
journalistes états-uniens et
l’élite pro-israélienne disaient
ouvertement que l’attaque contre
l’Irak n’était que le début
d’une stratégie vouée à
démanteler le Moyen-Orient.
Qu’après l’Irak, ce serait le
tour de l’Égypte, puis de
l’Arabie saoudite, etc. C’était
la vision de l’époque. Ensuite
la guerre contre l’Irak a mal
tourné pour eux. Ce qui montre
que le pouvoir militaire n’est
valable que jusqu’à un certain
point. Les États-Unis, malgré
leur super-puissance militaire
et technologique, perdent toutes
les guerres. En voyant
l’expérience des États-Unis nous
pouvons garder à l’esprit que
même pour la super-puissance
israélienne les jours pourraient
être comptés. Pour le moment
Israël est une partie du
super-pouvoir mondial. Mais ce
pouvoir perd du terrain avec
l’expansion du pouvoir
asiatique.
Silvia
Cattori :
Vous avez étudié
ce sujet. Vous connaissez la
réalité de près. Mais pour les
gens en général il est très
difficile de comprendre que ce
ne sont pas les Arabes et les
musulmans le problème mais la
politique conflictuelle
israélienne. La pression
continue exercée par Israël
contre le programme nucléaire
civil iranien en fait partie.
Croyez-vous en une attaque
possible de l’armée israélienne
ou d’autres, contre des sites
iraniens ?
Giorgio S.
Frankel :
Je n’y crois pas parce qu’Israël
a commencé à menacer d’attaquer
l’Iran au début des années 90 ;
ça fait 20 ans que les autorités
israéliennes répètent qu’elles
vont attaquer l’Iran, que l’Iran
est en train de fabriquer la
bombe atomique, que l’Iran est
une menace. Mais quand, dans
l’histoire, un pays menace de
faire la guerre et ne la fait
pas pendant vingt ans, il ne la
fera jamais.
Cette menace contre l’Iran sert
à Israël pour maintenir un
climat de tension au Proche et
au Moyen-Orient. En menaçant
plusieurs fois par an de faire
la guerre à l’Iran, il crée une
situation de péril aux
États-Unis et en Europe. La
probabilité qu’Israël attaque
l’Iran est très faible. Mais si
Israël attaque vraiment l’Iran,
les conséquences mondiales
seraient tellement
catastrophiques que, même si
tout le monde pense que la
menace du gouvernement israélien
tient du bluff, personne ne va
vérifier si c’est vraiment du
bluff.
Israël n’est pas en mesure
d’attaquer l’Iran, il suffit de
regarder une carte géographique.
Il doit passer à travers
d’autres pays. Il y a deux ans,
les États-Unis firent un cadeau
empoisonné aux Israéliens. Comme
Israël parlait du danger
iranien, les États-Unis
envoyèrent en Israël un grand
appareil radar qui contrôle le
ciel autour du pays sur des
centaines de kilomètres. Cette
station est gérée par des
militaires états-uniens. Elle
fut présentée comme un geste de
solidarité envers Israël ; en
réalité les Israéliens ne sont
pas très contents. Parce que les
États-Unis savent exactement ce
que font les avions israéliens.
Les États-Unis ont affirmé de
façon récurrente qu’ils ne
veulent pas une guerre contre
l’Iran, parce que ce serait une
catastrophe.
Ce sont des périodes cycliques.
De temps en temps les Israéliens
sortent cette carte iranienne.
On en parle pendant quelques
semaines et puis ça s’arrête. Le
général Moshe Yalon,
vice-premier ministre et
ministre pour les menaces
stratégiques, a déclaré : le
programme nucléaire iranien est
en retard ; donc nous avons deux
ou trois ans pour prendre une
décision. Ceci est un message
pour indiquer qu’en ce moment il
n’y a pas de danger iranien. Ce
danger sert aux Israéliens pour
entretenir un climat de tension
et contraindre les États-Unis et
les Européens à faire certaines
politiques. Les Israéliens
espéraient créer un climat de
tension suffisant pour provoquer
un affrontement entre l’Iran et
les pays arabes. Cette stratégie
aussi a échoué.
Combien de temps a-t-il fallu
aux autres puissances nucléaires
pour fabriquer la bombe
atomique ? Les États-Unis dans
les années 40, quand on ne
savait même pas à coup sûr qu’on
pouvait faire la bombe atomique,
y ont employé trois années.
Israël a mis dix ans. Maintenant
on dit depuis plus de vingt ans
que l’Iran construit la bombe.
C’est la bombe atomique la plus
lente de l’histoire ! L’agence
nucléaire qui doit contrôler la
bombe atomique continue à dire
qu’il n’existe pas d’indices de
programme militaire.
La bombe iranienne sert à Israël
pour créer des problèmes
stratégiques dans la région. La
grande peur d’Israël est qu’un
dialogue politique ne s’ouvre
entre les États-Unis et l’Iran.
Après quoi l’Iran serait reconnu
comme puissance régionale avec
laquelle on doit parler et
discuter.
L’autre puissance régionale qui
est en train de s’affirmer est
la Turquie. À présent Israël a
des problèmes avec la Turquie
parce qu’elle pourrait devenir
la principale interlocutrice des
États-Unis, du monde arabe et du
monde musulman.
L’autre grande arme d’Israël est
l’accusation d’antisémitisme.
C’est une arme à laquelle les
Israéliens ont un grand et
immédiat recours. Toute forme de
critique d’Israël est dénoncée
comme acte d’antisémitisme. Au
début cela faisait un grand
effet ; aujourd’hui un peu
moins ; tôt ou tard, elle perdra
son importance. Quand on abuse
de ces armes elles perdent leur
valeur. Israël accuse tout le
monde d’antisémitisme. Si un
Juif critique Israël, on dit que
c’est un Juif qui a la haine de
lui-même.
A la fin, ça aussi ça
s’écroulera. Parce que
l’antisémitisme est une chose ;
la critique d’Israël en est une
autre. D’antisémitisme, il y en
a peu actuellement, dans le
monde. S’il resurgit c’est parce
que cette façon qu’ont les
Israéliens d’établir une
identité entre judaïsme et « israélisme »
est vraiment dégoûtante : c’est
là un terrain très glissant.
Silvia
Cattori :
Pendant ces
années d’offensive militaires
par Tel Aviv, on a assisté, en
France par exemple, à une
intensification des accusations
d’antisémitisme même de la part
de militants de groupes de
« juifs pour la paix ». Des
accusations d’antisémitisme et
de négationnisme, se sont mises
à pleuvoir sur des journalistes
ou des militants qui mettent en
évidence l’idéologie qui a amené
l’État juif à conduire des
politiques inacceptables depuis
le début [4].
Si comme vous le soulignez,
critiquer la politique
israélienne n’a rien à voir avec
le racisme, que cherchent alors,
en vérité, ceux qui accusent les
gens d’antisémitisme ?
Giorgio S.
Frankel :
La grande erreur est celle
commise par les communautés
juives dans le monde en tant
que, comme communautés juives,
elles pensent avoir le droit de
parler au nom d’Israël. De
nombreux Juifs non Israéliens
pensent pouvoir, en tant que
Juifs, avoir le droit de
soutenir Israël. C’est leur
droit. Mais cela comporte que,
tôt ou tard, on imputera aux
Juifs non israéliens ce que font
les gouvernements israéliens.
D’autre part, quand Israël
proclame qu’il veut être reconnu
non seulement comme État juif,
mais comme État national du
peuple juif, cela veut dire
qu’il demande, au niveau
international, que lui soit
reconnue une sorte de primauté
aussi à l’égard des Juifs qui
sont dans les autres pays. Cela
devient très dangereux.
Silvia
Cattori :
Pourquoi
dangereux ?
Giorgio S.
Frankel :
Parce qu’à la fin il est
possible que, dans l’avenir,
Israël veuille interférer dans
la politique intérieure d’autres
pays sous prétexte que ce pays a
une politique hostile aux Juifs.
Chirac refusa de participer à la
guerre contre l’Irak. Peu de
temps après le premier ministre
israélien Ariel Sharon déchaîna
une politique hostile à la
France en avertissant les Juifs
français : faites vos valises,
quittez la France, venez en
Israël. A l’avenir les
Israéliens pourraient se
comporter comme si c’était à eux
qu’il revenait de définir le
destin des Juifs italiens ou
français.
Silvia
Cattori :
Cette arme de
l’antisémitisme a toujours
permis à Israël de mettre les
gouvernements qui ne suivent pas
la ligne politique de Tel Aviv
sous pression. Cela fait donc
vingt ans qu’Israël essaie
d’inciter le reste du monde à
intensifier la pression contre
l’Iran pour l’isoler, le
sanctionner, en empêchant son
développement normal. D’après
vous, y arrivera-t-il ?
Giorgio S.
Frankel :
Je n’en sui pas convaincu, parce
que l’Iran jusqu’ici est protégé
par la Chine et en partie par la
Russie. Il a de bons rapports
avec ses voisins : Turquie, Irak
et avec des pays comme
l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Il
a de bons rapports avec le
Pakistan, avec l’Inde, avec les
pays arabes du Golfe, en
particulier avec le Qatar. Il
est en train d’étendre sa
présence diplomatique en
Amérique latine. L’Europe suit
la ligne dure : mais d’autres
pays ne la suivent pas.
Les Israéliens mènent cette
déstabilisation intérieure de
l’Iran par le biais d’attentats,
de massacres, etc. ; c’est ce
qu’ils sont probablement en
train de faire. Il faut voir
s’ils vont y arriver.
Silvia
Cattori :
Israël seulement
et pas les États-Unis [5] ?
Giorgio S.
Frankel :
Tous les deux. Mais surtout les
Israéliens.
Silvia
Cattori :
Pourquoi
« surtout les Israéliens » ?
Ont-ils des moyens particuliers
de pénétration et de
manipulation des minorités
ethniques ?
Giorgio S.
Frankel :
Le problème de la stabilité de
l’Iran est très complexe. On
peut entrer clandestinement dans
plusieurs zones. Il y a des
populations hostiles au
gouvernement central. Le
Kurdistan est la région la plus
importante pour le pétrole. Une
minorité sunnite y vit. Il
suffit de leur fournir des
financements pour l’entraînement
et de leur fournir des armes. Ce
genre d’opérations s’appelle « la
guerre de l’ombre ». Les
possibilités d’intervention sont
nombreuses.
Traduit de
l’italien par Marie-Ange Patrizio
(24.06.2011)