Entretien avec Gilad Atzmon
Gilad Atzmon parle de son
dernier livre « The Wandering Who ? »
Lundi 26 septembre
2011
Gilad Atzmon parvient à s’exprimer
de manière originale, et à mettre en
question des idées reçues en faisant
abstraction de tous les tabous, dans
un style novateur, frais, et
toujours bien informé. C’est avec
grand intérêt que nous avons lu son
dernier livre « The
Wandering Who ? A Study of Jewish
Identity » (*) [« L’errance
de qui ? Une étude de l’identité
juive »]. C’est un récit très
émouvant et éclairant que chacun
devrait lire.
Silvia
Cattori : « The Wandering
Who ? » [« L’errance de qui ? »]
— Que recouvre ce
titre provocateur ?
Gilad Atzmon :
Mon livre « The
Wandering Who ? » s’efforce
d’atteindre à une compréhension plus
profonde de la culture juive et de
la politique identitaire juive. Il
cherche à aborder certaines
questions que la plupart d’entre
nous préfèrent éviter. Il y a trois
ans, l’historien israélien Shlomo
Sand publiait son ouvrage
révolutionnaire démantelant le récit
fantasmatique de l’histoire juive.
Dans mon livre, j’essaye de pousser
la recherche de Sand un pas plus
loin ; d’examiner la très
problématique attitude juive envers
l’histoire, le passé, et la
temporalité en général. Il y a cinq
ans, les universitaires états-uniens
Mearsheimer et Walt ont publié une
très précieuse étude sur le lobby
israélien aux États-Unis [1].
Là aussi, je m’efforce de reprendre
leur recherche au point où ils se
sont arrêtés. J’essaye d’expliquer
pourquoi le lobbying est inhérent à
la politique et à la culture,
juives.
Il y a deux décennies qu’Israel
Shahak a publié son étude d’une
importance cruciale sur le Talmud
et, dans mon ouvrage, je cherche à
la prolonger et à saisir l’attitude
profondément raciste et anti-goy [2]
qui est intrinsèque à toute forme de
politique identitaire juive laïque,
qu’il s’agisse du sionisme, du
socialisme juif, et même de
l’antisionisme juif. Dans « The
Wandering Who ? » j’essaye de
passer au crible toutes les
perceptions reçues concernant la
politique identitaire juive.
Silvia
Cattori : « The Wandering
Who ? » est un
témoignage très impressionnant. Il
ne pourra pas être ignoré, y compris
de vos adversaires. Je crois pouvoir
dire sans me tromper qu’avant vous,
personne n’a explicité certains
aspects critiques de la question
israélo-palestinienne de manière
aussi franche. Votre analyse est
importante pour quiconque cherche à
comprendre ce que certains
s’attachent à cacher, et pourquoi.
Et elle devrait conduire les gens
que l’on a délibérément maintenus
dans le noir et la confusion, à y
voir plus clair. Cela inclut bien
évidemment les milieux
« progressistes ».
Gilad Atzmon :
Merci pour votre soutien et vos
compliments.
Silvia
Cattori :
Cependant, vous marchez sur un
terrain miné. On se demande du reste
si vous n’exposez pas vos idées et
vos points de vue avec une telle
force, parce que, en tant
qu’ex-Israélien, vous éprouvez de la
honte ?
Gilad Atzmon :
C’est une bonne question. Je suppose
qu’à un certain moment, dans le
passé, il est exact de dire que j’ai
commencé à ressentir de la honte et
de la culpabilité. Cependant j’ai
réalisé, il y a déjà plusieurs
années, que la culpabilité ne
devient un sentiment qui a un sens
qu’à partir du moment où il se
transforme en responsabilité.
Contrairement à certains juifs
antisionistes qui déclarent
joyeusement et vertueusement « pas
en mon nom », je sais très bien
que chaque crime israélien est en
effet commis en mon nom, en dépit du
fait que je ne vis plus là-bas
depuis de nombreuses années. J’en
suis très troublé.
Silvia
Cattori :
Est-ce à dire que l’écriture de
« The Wandering Who ? »
a été pour vous une
manière de régler un contentieux
personnel avec la « tribu » ?
Gilad Atzmon :
Pour être plus précis, ce n’est pas
tellement « la tribu »
que je critique, mais le sentiment
racialement orienté du « tribalisme »
qui est au cœur de toute forme de
politique identitaire juive.
Silvia
Cattori :
Cette formidable remise à plat
n’est-t-elle pas motivée par le
désir d’encourager l’humanité à
résister à ce que vous considérez
être le réel danger, à savoir
l’idéologie juive ?
Gilad Atzmon :
Je suis en effet principalement
préoccupé par l’idéologie. Je
soutiens aussi que ce ne sont pas
seulement les Palestiniens qui sont
concernés. Je suis très alarmé par
le lobbying juif acharné et sa
puissance globale de
déstabilisation. Le fait que l’AJC (American
Jewish Committee) prône la
guerre contre l’Iran est très
inquiétant. Mais je surveille
également de près l’activisme juif
de gauche ; et je suis très troublé
par ce que je découvre.
Silvia
Cattori :
Ce livre est-il aussi une tentative
d’expliquer à vos lecteurs pourquoi
il est si difficile de lutter contre
la politique israélienne ?
Gilad Atzmon :
Lutter contre Israël pour ce qu’il
est – c’est-à-dire l’État juif –
signifie tout simplement un conflit
ouvert avec le plus grand pouvoir de
lobbying existant au monde. D’une
part on se confronte à des
institutions sionistes puissamment
financées. Et d’autre part on est
pris en chasse par le réseau juif
soi-disant «
progressiste » qui est en fait
principalement engagé à contrôler le
discours. Il faut comprendre que,
contrairement aux sionistes qui
agissent ouvertement, les juifs
antisionistes travaillent aux mêmes
buts mais de façon clandestine.
Silvia
Cattori :
Vous dites qu’il convient de mettre
au centre du problème le
« pouvoir juif ». Et
qu’en même temps il convient de
s’opposer au discours de certains
« antisionistes »,
que vous considérez comme trompeur.
Quand vous écrivez : « Le
sionisme n’est pas un mouvement
colonial ayant un intérêt dans la
Palestine, comme le suggèrent
certains chercheurs. Le sionisme est
en fait un mouvement mondial qui est
alimenté par la solidarité tribale
unique d’une tierce partie… »,
vous mettez en
question ceux qui caractérisent
Israël comme un simple fait
« colonial ».
C’est
en effet un point crucial. En quoi
serait-il si difficile d’affirmer
que ce n’est pas simplement du
colonialisme ?
Gilad Atzmon :
En effet, je suis troublé par le
manque d’intégrité intellectuelle et
de cohérence dans le débat et
au-delà. Il m’a fallu un certain
temps pour comprendre que des années
d’hégémonie juive (intellectuelle)
au sein du discours de la solidarité
avec la Palestine a conduit à une
situation absurde dans laquelle la
critique de l’État juif est
principalement façonnée par des
sensibilités juives.
Essayez, par exemple, d’imaginer une
situation dans laquelle notre
critique du capitalisme serait
formulée délibérément d’une manière
excessivement prudente – juste pour
s’assurer que les riches ne soient
pas offensés. De même, essayez
d’imaginer une autre situation tout
aussi absurde, dans laquelle notre
critique de l’idéologie nazie aurait
à prendre en compte les sensibilités
des tenants du déterminisme
biologique et des antisémites. Il
semble tout aussi absurde que nous
nous trouvions dans une situation où
nous devons prendre garde
soigneusement à ce que nous disons
au sujet des droits palestiniens– de
manière à ne pas offenser les juifs.
Et, oui, je le dis ouvertement. Le
sionisme n’est pas un mouvement
colonial et n’en a jamais été un. Le
colonialisme établit une relation
claire entre une mère-patrie et un
État colonial ; alors que le
sionisme n’a jamais eu une
mère-patrie. Il est vrai qu’Israël
présente quelques symptômes
coloniaux, mais il se limite à ça.
Le sionisme est entraîné par
l’esprit de la suprématie juive et
une notion fantasmatique de « retour
chez soi ».
Le trompeur paradigme colonial a été
introduit par quelques penseurs « progressistes »
juste pour s’assurer que Marx n’est
pas laissé en-dehors du discours. À
tout le moins intellectuellement, ce
que nous voyons là est seulement
amusant.
Cependant, il est important de
mentionner ici que le seul aspect
véritablement colonial dans la
réalité sioniste est la relation
entre l’État israélien et les
colonies : là, les échanges
indiquent clairement qui est la «
mère-patrie » et qui est le « colon ».
Silvia
Cattori :
Je voudrais comprendre pourquoi des
défenseurs des droits des
Palestiniens, devraient s’abstenir
de désigner Israël pour ce qu’il est
véritablement ? Quelle est selon
vous la véritable raison de leur
refus de traiter du « pouvoir
juif » et de son
impact politique désastreux ?
Gilad Atzmon :
Je pense que, quand il s’agit
d’Israël et du « pouvoir
juif », tout humaniste - moi y
compris - a un conflit à gérer. Je
le formulerais ainsi : « Comment
puis-je dire la vérité sur Israël,
le lobby, et le sionisme, tout en
maintenant ma position en tant
qu’humaniste ? » Il m’a fallu de
très nombreuses années pour
apprendre à faire la différence
entre le grain et la paille. J’ai
appris à distinguer entre les juifs
(les gens), le judaïsme (la
religion) et la judéité
(l’idéologie). Cette différenciation
n’est pas exempte de problèmes,
parce que, comme nous le savons, la
plupart des juifs eux-mêmes ne
savent pas où ils se situent dans
ces trois registres. La plupart des
juifs ne savent pas où le judaïsme
finit et où la judéité commence.
De même, la plupart des juifs
antisionistes ne parviennent pas à
admettre qu’ils fonctionnent en fait
dans des cellules politiques
exclusivement juives. Nous avons
affaire, en effet, à une identité
politique très particulière. Elle
est racialement orientée et
profondément raciste. Elle est
suprématiste, mais imprégnée de
victimisation. Cette identité
véhicule une image universelle mais,
en réalité, elle est nourrie par des
intérêts tribaux.
Toutefois, dans mes écrits, je me
limite à des questions concernant
l’idéologie (judéité). J’essaye de
saisir le sens unique de « peuple
élu » et d’observer comment il
entre en jeu dans la politique, la
culture et la pratique. Il est
évident que, pour le moment, il n’y
a pas d’outils intellectuels pour
limiter la critique de l’idéologie.
Et cela signifie vraiment que mes
détracteurs se trouvent dans une
situation désespérée. Ils n’ont pas
les moyens intellectuels pour me
réduire au silence, moi ou ma
critique, alors ils se rabattent sur
des campagnes de diffamation : ils
me qualifient d’« antisémite »,
de « néo-nazi »,
de « raciste »
etc. Assez tragiquement pour eux,
personne en-dehors du circuit
politique juif ne prend plus au
sérieux aucune de ces accusations
gratuites.
Je voudrais aussi signaler que la
notion de « pouvoir
juif » pourrait prêter à
confusion ou induire en erreur :
elle doit être précisée. Quand je
parle de pouvoir juif, je me réfère
strictement à la capacité des
groupes d’intérêt juifs à exercer
une pression politique. Et il est
très important de comprendre ici, et
je dois le souligner, que le pouvoir
juif n’est pas du tout une
conspiration. Il est affirmé – très
ouvertement – au travers
d’organisations mises en place pour
exercer une pression et servir les
intérêts juifs. Parmi ces groupes,
on peut mentionner l’AIPAC [3],
l’AJC [4],
le CFI [5],
le LFI [6],
etc. Les sionistes sont fiers de
leurs pouvoirs de lobbying et en
parlent ouvertement. Ils s’en
vantent – ils se réjouissent de voir
les membres du Congrès des
États-Unis se mettre docilement
debout pour ovationner le Premier
Ministre Netanyahou.
Silvia
Cattori :
Il est facile de vous suivre sur ce
point et d’être d’accord avec vous
quand vous dites qu’Israël et le
sionisme représentent un projet
unique dans l’histoire [7]
et que la relation entre Israël et
le lobby juif est également unique.
Mais, comme vous l’expliquez fort
bien, quand vous et d’autres
suggérez que c’est le « pouvoir
juif » qui doit être
affronté, la « gauche juive »,
« l’intelligentsia juive »,
les associations
juives pour la paix, vont se dresser
pour vous stopper. Est-ce à dire que
ces groupes font, eux aussi,
clairement partie de ce que vous
appelez le « pouvoir juif » ?
Gilad Atzmon :
Absolument ! Ou, au moins, elles
font partie du problème. Dans mon
livre, j’explique très clairement
qu’il y a une continuité idéologique
complète entre le sionisme et le
soi-disant « anti »-sionisme
ou la gauche juive en général.
Je fais une distinction entre l’ « antisionisme
juif » qui est le plus souvent
motivé par le tribalisme juif et se
préoccupe principalement des juifs,
et « les
antisionistes qui se trouvent être
juifs ». Ces derniers
représentent une catégorie
complètement innocente. Inutile de
dire que beaucoup de mes partisans
se trouvent appartenir à ce dernier
groupe.
L’antisionisme juif est là pour
donner une apparence de pluralisme
au discours de la diaspora juive.
Pour quelque raison vous verrez
vingt juifs antisionistes venir
perturber un concert philarmonique
juif, mais vous ne verrez pas ces
mêmes activistes venir soutenir un
concert palestinien une semaine plus
tard. En résumé, leur antisionisme
n’est guère plus qu’une affaire
interne juive.
Silvia
Cattori :
Cette question du lobbying est
absente du livre « Gaza en
crise »
de Chomsky
et Pappé [8].
Est-ce une surprise pour vous ?
Gilad Atzmon :
Pas vraiment. Comme nous le savons,
Chomsky s’est montré très critique à
l’égard de l’étude de Mearsheimer et
Walt sur le lobby juif [9]
Je ne connais pas le point de vue de
Pappé sur la question. Autant que je
sache, il s’abstient de tout
commentaire sur le lobby. Je pense
que l’on ne peut pas s’attendre à ce
que chacun fasse tout le temps des
commentaires sur tous les sujets.
Silvia
Cattori :
Compte tenu de son influence et de
sa capacité à orienter les positions
du mouvement de solidarité avec les
Palestiniens, cette « gauche
juive » doit
représenter un casse-tête pour une
personne comme vous.
Gilad Atzmon :
Je ne dirais pas que c’est un grand
casse-tête. C’est une chose
légèrement bruyante à
l’arrière-plan ; c’est comme d’avoir
une mouche dans la salle. C’est une
nuisance, mais qui ne va pas vous
tuer. Cependant, il y a deux
manières de la traiter : l’écraser
avec un vieux numéro du
Guardian, ou
ouvrir la fenêtre pour la laisser
partir. Je préfère la seconde
option. Elle est certainement bien
plus humaniste. Il devient de plus
en plus évident que ces éléments au
sein de la gauche, dominés par
l’idéologie juive, se sont rendus
eux-mêmes non pertinents dans ce
conflit et dans le discours.
La gauche, qui a échoué à saisir
l’impact anti-impérialiste de
l’Islam, est de toute évidence
complètement coupée des affaires
actuelles du monde. Ce n’est pas un
secret que la gauche juive s’est
opposée au Hamas, et s’y oppose
toujours. Ce n’est pas un secret que
la gauche occidentale est dans la
confusion au sujet de l’Islam. La
gauche anglo-américaine est aux
prises avec une crise d’identité et
d’autres formes de lutte pour la
justice sociale. Pour ma part, je
suis très attiré par l’attitude
espagnole et latino-américaine
envers la Palestine et l’Islam.
Silvia
Cattori :
Quand vous évoquez le « pouvoir
juif », vous touchez
un nerf très sensible. N’êtes-vous
pas préoccupé par le fait que cela
peut faire venir à l’esprit la
question des « Protocoles des
sages de Sion » ?
Ne
jouez-vous pas avec le feu ?
Gilad Atzmon :
Pour commencer, il est évidemment
clair que je navigue au plus près du
vent. Toutefois, vu l’état instable
de notre monde, quelqu’un doit le
faire, et il se trouve que c’est
moi. En fait, au fil des années,
j’ai beaucoup écrit sur les « Protocoles
des sages de Sion », et j’ai
maintes fois soutenu que les
questions relatives à l’authenticité
des Protocoles sont, en réalité,
complètement hors de propos : le
triste panorama que nous dévoile
l’AIPAC, ou Haim Saban, - qui se
proposent ouvertement de transformer
la politique états-unienne par
l’intermédiaire du lobbying, des
donations et du contrôle des médias
- parle de lui-même. Sans parler de
Lord Levy qui est le collecteur de
fonds numéro un du parti
travailliste britannique, au moment
où le pays lance une guerre illégale
contre un État arabe !
Il est parfaitement clair qu’il n’y
a pas ici de complot, et qu’il n’y
en a jamais eu : les lobbies juifs
agissent - ouvertement – pour
promouvoir ce qu’ils croient être
les intérêts juifs. L’explication de
tout cela est très simple : les
sionistes et les Israéliens se sont
rendus compte, il y a déjà de
nombreuses années, qu’il est
beaucoup moins coûteux d’acheter un
politicien occidental que d’acheter
un tank.
Silvia
Cattori :
Un chapitre de votre livre est
consacré au statut de l’Holocauste.
Pouvez-vous développer ?
Gilad Atzmon :
Il ne fait aucun doute dans mon
esprit que le maintien au premier
plan de l’Holocauste sert à
maintenir la primauté de la
souffrance juive au centre de tout
débat politique. Avec ce lourd nuage
au-dessus de notre tête, nous
n’allons pas être en mesure de
répondre correctement (éthiquement)
aux crimes commis par Israël au nom
du peuple juif. Par conséquent, je
crois vraiment que l’Holocauste doit
être dépouillé de son statut
religieux ou, de façon générale, de
sa primauté. Il doit être discuté
ouvertement et traité comme un
chapitre historique. Je pense que
cela arrivera bientôt et je suis
très fier d’être parmi ceux qui
poussent dans cette direction.
Et, une fois encore, mes principaux
détracteurs sur ce front là ne sont
pas les sionistes, mais en réalité
les soi-disant juifs « anti »-sionistes.
Cette semaine, nous organisons une
conférence à Freiburg, en Allemagne,
au cours de laquelle nous nous
proposons de discuter la question de
la liberté d’expression concernant
l’Allemagne, Israël et la Palestine.
Comme on pouvait s’y attendre, les
juifs « anti »-sionistes
on mené une vaine bataille pour
saboter la conférence : ils ont fait
pression sur les orateurs et les
organisateurs.
Silvia
Cattori :
Peut-on connaître leurs noms ?
Gilad Atzmon :
Parmi ces détracteurs on trouve
l’« anti »-sioniste américain Jeff
Halper (qui habite en Palestine
occupée et s’oppose également à la
démolition de maisons) ; Sarah
Kershnar ; Mich Levy du Réseau juif
antisioniste ; (réseau qui cherche
désespérément à me stopper) ; Naomi
Idrissi Wimborne (elle exploite
ouvertement la pression montante de
la campagne Boycott
Disvestissement, Sanctions, en
cherchant à démanteler la liberté
d’expression) ; le (peu actif)
journaliste israélien Shraga Elam [10] ;
l’infâme et très actif Tony
Greenstein ; et d’autres.
Ils ont tous opéré exactement comme
on pouvait s’y attendre : ils ont
sali, diffamé, étiqueté, ils ont
fait pression, mais ils ont été
complètement ignorés. Chose
intéressante, les sionistes, eux,
ont agi avec plus de dignité, en
lançant une contre-conférence, le
même jour, à Fribourg. Chose
également intéressante, un des
fondateurs de l’International
Solidarity Movement m’a dit
qu’il préférait de beaucoup se
battre contre un soldat israélien à
un barrage routier que de se battre
contre nos détracteurs juifs « anti »-sionistes.
Je n’aurais pas pu être plus
d’accord.
C’est une vraie honte : ces gens
auraient pu apporter une grande
contribution au débat au lieu de se
réduire à un cliché d’activisme
tribal. Inutile de dire que nous
avons ouvertement invité tous nos
détracteurs à venir à notre
conférence et à y exposer leur
opposition à la liberté
d’expression. Mais, comme vous
pouvez l’imaginer, ils se sont bien
gardés de répondre positivement.
Silvia
Cattori :
Le sionisme est souvent présenté,
même à gauche, comme étant à
l’origine une bonne chose. Du reste
certains sionistes, comme Uri
Avnery, sont considérés également
par les progressistes comme une
bonne référence. Vous soutenez que
le sionisme, présenté à l’origine
comme un projet laïc, n’avait rien
de plaisant...
Gilad Atzmon :
Au début, le sionisme n’était pas du
tout un mouvement monolithique ; il
avait plus d’un visage et d’une
voix. Nous connaissons tous la
dispute entre le sionisme de gauche
et les révisionnistes, mais il y a
quelques autres variantes du
sionisme qui ont disparu au fil des
années. Cependant, il est difficile
d’interpréter l’action israélienne
dans le cadre d’un modèle sioniste
parce qu’Israël n’est plus guidé par
le sionisme. Si le sionisme a été
créé pour résoudre la question
juive, Israël a introduit une série
de nouvelles questions qui ont trait
à l’identité juive, au tribalisme, à
la suprématie, etc.
De plus en plus, dans mes écrits, je
fais une distinction entre Israël et
le sionisme. Le sionisme ne signifie
plus grand chose pour les
Israéliens. Le sionisme s’est
largement réduit à un discours de la
diaspora juive. Le sionisme n’est là
que pour faire une distinction entre
la grande majorité des juifs dans le
monde et une demi-douzaine de juifs
laïcs qui se présentent comme « anti »-sionistes.
Vous avez mentionné Uri Avnery. Je
me rends compte que certaines
personnes dans ce mouvement sont
critiques à l’égard d’Avnery qu’ils
considèrent comme un sioniste. En
fait, j’ai beaucoup de respect pour
l’homme ; je pense qu’il est un
écrivain incroyable et prolifique.
Nous devons apprécier où il vit et
ce qu’il essaye de faire. Je ne suis
évidemment pas d’accord avec Avnery
sur certaines questions mais je n’ai
aucun doute qu’il se prêterait à un
débat ouvert avec moi et d’autres,
et c’est une qualité qui manque
vraiment dans notre débat.
Silvia
Cattori :
La gauche israélienne et la plupart
des voix juives dissidentes
soutiennent clairement le
« droit d’Israël à exister ».
Et vous ?
Gilad Atzmon :
Je ne suis pas en position de
déterminer qui a, et qui n’a pas le
droit d’exister. Mais je suis
qualifié pour prétendre qu’on ne
devrait pas célébrer sa propre
existence au détriment de celle des
autres. Je trouve qu’il est
difficile de traiter avec la gauche
israélienne, mais ne vous méprenez
pas ; il y a certains éléments au
sein de la dissidence israélienne
qui ont un courage au-delà de toute
expression. Ces gens prennent un
risque personnel très réel en
soutenant la justice. J’ai beaucoup
de respect pour leur action.
Silvia
Cattori :On
se demande en lisant « The
Wandering Who ? »
si
ce n’est-ce pas un comportement un
peu judéo-centrique d’attacher
autant d’attention à l’identité
juive ?
Gilad Atzmon :
Je le reconnais ; j’ai passé
beaucoup de temps à traiter de ces
questions. Parvenu à la trentaine,
j’ai commencé à comprendre que
j’étais profondément impliqué dans
un crime à grande échelle. J’ai
quitté Israël parce que je voulais
croire que ce serait suffisant pour
me libérer, et pour débarrasser les
Palestiniens de ma présence.
Mais ensuite j’ai rapidement pris
conscience de ce que sont le lobby
sioniste et les opérations du
sionisme à l’échelle mondiale. Et
puis il ne m’a pas fallu longtemps
pour commencer à saisir la nature
trompeuse de certains éléments au
sein du réseau juif de gauche. Je
n’ai jamais été impliqué dans aucune
activité politique. Je n’ai jamais
été membre d’un parti ; mais cette
question de la politique juive m’a
intrigué, à la fois sur le plan
intellectuel et sur le plan éthique.
J’ai commencé à lire à ce sujet.
J’ai commence à suivre leur
activité. Et, à un certain moment,
j’ai commencé à écrire sur ce sujet.
Je me suis fait très vite quelques
ennemis qui, en fait, m’ont fourni
une compréhension plus profonde du
discours politique juif. Et nous y
voilà : j’ai écrit « The
Wandering Who ? » Ce sont mes
réflexions sur la politique
identitaire juive.
Silvia
Cattori :
En vous lisant attentivement on en
vient parfois à se demander si vous
évitez de parler de la religion
juive juste pour « protéger »
la religion en
général ?
Gilad Atzmon :
En effet, c’est une observation très
subtile. Je ne suis pas un
gauchiste, et je suis loin d’être un
athée. Je suis un musicien, et je
suppose que cela fait de moi une
personne religieuse, ou au moins une
personne ouverte au spirituel. Quand
je joue, je ne sais vraiment pas
d’où viennent les notes. Pour moi,
la beauté est divine, et, de ce
fait, j’ai beaucoup de respect pour
les croyants et pour les gens
ouverts au spirituel.
J’ai beaucoup d’admiration pour les
musulmans. Mais je pense aussi que
les seuls juifs antisionistes
cohérents et authentiques sont en
fait les Torah Jews
[une secte juive ultra-orthodoxe,
les Naturei Karta
qui ne compte que très peu de
membres. Ndt]. Je comprends leur
position. Et, comme chacun peut le
voir, ils n’essayent pas de diriger
le mouvement de solidarité. Ils
font, au contraire, tout ce qu’ils
peuvent pour soutenir les
Palestiniens. Et ils sont
remarquablement humbles et modestes.
Je les aime beaucoup.
Silvia
Cattori :
Mais, à votre avis, le judaïsme
n’est-il pas tout aussi
« tribal »
que
l’identité politique juive ?
Gilad Atzmon :
Le judaïsme est en effet une
religion tribale, nationale, et
racialement orientée. Et pourtant,
le judaïsme a sa manière de contenir
tout cela. Assez tragiquement,
quelque chose s’est terriblement mal
passé dans le processus de la
sécularisation juive et dans
l’émergence du discours politique
juif.
Les juifs peuvent avoir laissé
tomber leur Dieu, mais ils ont
conservé la haine du « goy »
et les idéologies racistes qui sont
au cœur de leur nouvelle identité
politique laïque. Ceci explique
pourquoi certains éléments
talmudiques de haine du goy se sont
transformés en pratiques
génocidaires dans le discours
sioniste.
Silvia
Cattori :
Selon vous, comment le nationalisme
entre-t-il en jeu dans d’autres
religions, comme l’Islam ou le
christianisme ? Est-il différent du
nationalisme juif ?
Gilad Atzmon :
Contrairement au judaïsme, qui est
tribalement orienté, l’Islam et le
christianisme sont des préceptes
universels. Ces derniers tentent
d’apporter une réponse à l’ensemble
de l’humanité, plutôt que de
favoriser une tribu aux dépens des
autres.
Silvia
Cattori :
Cela m’a amusée de lire sous votre
plume : « À cette époque déjà,
j’aspirais à devenir un goy ou au
moins à être entouré par des goys. »
Qu’entendez-vous par
là ?
Gilad Atzmon :
C’est assez simple ; pour devenir un
ex-juif, il faut arrêter de se
sentir « élu ».
Ce n’est pas une tâche facile ; je
dois encore la pratiquer
quotidiennement.
Silvia
Cattori :
Lorsqu’on visite Israël, on se
demande sans cesse comment ces
colons venus de l’étrangers
peuvent-ils prétendre être chez eux
sur des terres volées simplement
parce qu’ils sont de confession
juive ? Qu’en pensez-vous ?
Gilad Atzmon :
Je suis né là-bas. J’ai adoré cet
endroit. J’ai eu une enfance très
heureuse et une carrière réussie en
tant que jeune adulte. Il m’a en
effet fallu plusieurs années pour
comprendre que quelque chose
n’allait pas. J’ai ressenti quelque
chose pendant la première guerre du
Liban (1981). Au Liban, j’ai
commencé à me demander d’où venaient
tous ces réfugiés. Puis, lors de la
première Intifada (1987) j’ai cru
comprendre que certains, là-bas (en
Palestine occupée), étaient
extrêmement malheureux. Au début des
années 1990, je travaillais avec de
nombreux Palestiniens de Gaza. J’ai
alors réalisé que mon existence dans
la région était mêlée à un crime
insupportable.
En 1994, j’ai quitté Israël pour de
bon. Et depuis 1996 je n’y suis plus
retourné. Mais vous devez comprendre
que les Israéliens ne voient ni les
Palestiniens ni leur sort. Être « élu »
est une forme de cécité. Israël ne
peut que se voir lui-même. Et cela
pourrait bien signifier qu’il n’y a
pas de remède à ce conflit.
Silvia Cattori :
Ce qui est fascinant
en vous lisant est de voir que vous
semblez presque heureux d’avoir été
ostracisé et accusé d’antisémitisme.
Ne craignez-vous pas la prochaine
campagne visant à discréditer
« The Wandering Who ? »
et à vous étiqueter
antisémite ?
Gilad Atzmon :
Les choses étant ce qu’elles sont,
je crois que ceux qui distribuent
l’étiquette d’antisémite ne font
qu’exposer leur profonde affiliation
au sionisme et au judéo-centrisme.
La campagne contre mon livre a déjà
commencé. Mais j’ai aussi reçu
beaucoup de soutien. J’accepte que
ce soit là mon karma.
À présent, je sais que, aussi
longtemps que l’on m’attaque, cela
veut dire que je fais ce qu’il faut
faire. Je suppose que, plus on
s’oppose à moi, mieux les gens
peuvent comprendre ma position.
Comme vous l’avez sans doute
remarqué, autrefois les antisémites
étaient ceux qui n’aimaient pas les
juifs. Aujourd’hui, les antisémites
sont ceux que les juifs n’aiment
pas. Certains juifs, là-bas,
n’apprécient vraiment pas mes
efforts. Mais la bonne nouvelle est
que personne ne prend plus garde à
l’accusation d’antisémitisme. Elle a
été trop exploitée.
Silvia Cattori :
Vous avez écrit que
les jours d’Israël sont comptés.
Comment l’envisagez-vous
exactement ?
Gilad Atzmon :
Indépendamment de la lutte des
Palestiniens, Israël ne pourra plus
tenir. C’est une société morbide mue
par une avidité implacable. Elle est
sur le point d’imploser. L’État juif
a amplifié la question juive plutôt
que de l’éliminer. Et je crois que
le temps est venu d’admettre qu’il
n’y a peut-être pas de réponse
collective à la question. Je suppose
que si, avec le temps, les
Israéliens apprennent à aimer leurs
voisins, la paix pourrait
l’emporter. Toutefois, si cela
arrive, ils pourraient bien avoir
cessé de se considérer comme des
élus. Ils seront devenus des gens
ordinaires.
Silvia Cattori :
Merci Gilad Atzmon.
S’entretenir avec vous est un vrai
régal.
Gilad Atzmon :
Merci beaucoup pour votre attention
et votre engagement. C’est toujours
aussi un grand plaisir de parler
avec vous.
Silvia Cattori
(*) Gilad Atzmon :
« The Wandering Who ?
A Study of Jewish Identity Politics ».
[« L’errance de
qui ? Une étude de l’identité juive »],
Zero Books 2011.
L’identité juive est liée à
certaines des questions les plus
difficiles et les plus controversées
d’aujourd’hui. Le but de ce livre
est d’ouvrir nombre de ces questions
à la discussion. Depuis qu’Israël se
définit lui-même ouvertement comme
l’« État juif »,
nous devrions nous demander ce que
recouvrent les notions de « judaïsme »,
« judéité », « culture
juive » et « idéologie
juive ». Gilad examine les
aspects tribaux intégrés dans le
discours laïc juif, aussi bien
sioniste qu’antisioniste ; la « religion
de l’Holocauste » ; le sens des
mots « histoire »
et « temps »
dans le discours politique juif ;
les idéologies anti-goys entremêlées
aux différentes formes du discours
politique juif laïc, et même au sein
de la gauche juive. Il s’interroge
sur ce qui conduit les juifs de la
diaspora à s’identifier à Israël et
à s’aligner sur sa politique. L’état
désastreux de la situation mondiale
suscite la demande pressante d’un
changement conceptuel dans notre
attitude intellectuelle et
philosophique envers la politique,
la politique identitaire, et
l’histoire.
Vous pouvez commander le livre sur
Amazon.com ou
Amazon.co.uk
Traduit de
l’anglais par JPH.
Texte original en
anglais :
http://www.silviacattori.net/article2070.html
Premières
réactions à ce livre, voir :
“Tearing
the Veil From Israel’s Civility”,
par William A. Cook,
Counterpunch, 17-18 septembre
2011.[traduction de cet article en
français : “Arracher
le voile de la civilité israélienne”]
“London
JC launched an attack on Prof’ John
Mearsheimer”, par Gilad Atzmon,
gilad.co.uk, 22
septembre 2011.
[1]
« The
Israel Lobby and U.S. Foreign Policy »,
John J. Mearsheimer and Stephen M. Walt.
(Farrar, Straus & Giroux)
[2]
Le terme de goy
(pluriel : des goys)
désigne les non-Juifs. On lui attribue
une connotation négative
[3]
American Israel Public
Affairs Committee (AIPAC), un groupe
de pression né aux États-Unis après la
création de l’Etat d’Israël visant à
soutenir Israël et à faire la promotion
de l’idéologie sioniste
[4]
L’AJC :
http://www.ajc.org/
[5]
Le CFI :
http://www.powerbase.info/index.php/Conservative_Friends_of_Israel
[6]
Labour Friends of Israel :
http://www.imemc.org/article/60469
[7]
Voir : « Israël
et le sionisme : Un projet unique dans
l’histoire – Entretien avec Gilad Atzmon »,
par Silvia Cattori, 2 mars 2011.
[8]
« Gaza
in Crisis : Reflections on Israel’s War
Against the Palestinians »,
Noam Chomsky and Ilan Pappe. (Frank
Barat Editor)
[9]
Voir note (1).
[10]
Il réside à Zurich (Ndt)
Les interviews et analyses de Silvia
Cattori
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