Interview
Quatre questions à
Esther Benbassa
Pascal Boniface
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© 2012 Esther Benbassa. All Rights
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Vendredi 10 février
2012
Esther
Benbassa vient de publier « De
l'impossibilité de devenir français »
aux éditions Les liens qui libèrent.
Vous écrivez que « la France ne
fabrique plus de rêves. » Aujourd'hui
une Esther Benbassa ferait-elle comme
vous l’avez fait il y a plusieurs
années, le choix de quitter votre pays
pour venir en France ?
Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui
j’aurais choisi la France comme pays
d’immigration. Mais dans mon enfance, et
là où j’ai grandi, la France bénéficiait
d’une aura inimaginable. Nous étions
écrasés par le modèle culturel français,
par l’histoire de la France, ses héros,
ses révolutions. Même le génocide des
Juifs n’avait pas entaché entièrement ce
rêve français. La langue française et la
littérature française ont accompagné mon
enfance et ma jeunesse. De nos jours,
c’est le modèle anglo-américain qui a
devancé dans les imaginaires la France.
Si on vient étudier en France, c’est
parce que les études n’y sont pas
payantes et que même les grandes écoles
y coûtent bien moins cher que leurs
équivalentes aux Etats-Unis. Et
lorsqu’on y émigre, c’est en général en
raison de la proximité géographique
et/ou culturelle des pays d’où l’on est
originaire. La majorité de nos immigrés
viennent de l’ancien empire colonial
français. Notre pays attire une
population démunie, à la recherche de
meilleures opportunités économiques. Les
élites préfèrent se diriger vers les
Etats-Unis où les possibilités de
réussite sont plus grandes et les
universités certes payantes, mais de
meilleure qualité. Le rêve américain
existe encore malgré la crise, mais le
rêve français, lui s’est rabougri. Il y
a la France-musée de Midnight Paris,
celle que l’on vient visiter. La France
mère des arts, des lettres et de la
musique relève désormais de l’histoire.
Si j’avais demain vingt ans, je ne pense
pas que je serais venue en France. Même
si elle a été généreuse avec moi, le
prix payé a été très élevé.
Vous dénoncez une
instrumentalisation politique de la
question de l'identité nationale. En
quoi et pour quel but ?
Ces dernières années, on a assisté à
l’émergence d’un néo-nationalisme comme
remède aux maux de la société, une sorte
de cache-misère. Devant le chômage
galopant, la morosité, la crise, on a
imaginé en haut lieu de rétablir la
cohésion nationale par le repli, en
recourant aux thèmes éculés du
nationalisme d’antan, qui, comme on le
sait, a pourtant mené au pire. Les
leçons de l’histoire ne profitent
quasiment jamais à nos dirigeants. Ils
en font fi. L’identité nationale devait
servir de marqueur ultime à une cohésion
imaginée et totalement théorique. Qui
dit identité nationale, dit rejet,
exclusion, stigmatisation de l’Autre. Et
pourtant « identité nationale » ne
signifie plus grand chose dans un monde
où nous cultivons tous ces identités
multiples qui font notre modernité. Le
thème est cher aux électeurs du Front
national, que Sarkozy, en 2007, avait en
partie séduits. Les mêmes, déçus
actuellement par le président sortant,
se sont rapprochés de nouveau du FN.
L’instrumentalisation de ce thème n’a
pas été très opérationnelle, mais elle a
réussi à diviser la société et à semer
les germes de la xénophobie dans les
esprits. Identité nationale pour les
autochtones, opposés aux immigrés, aux
étrangers, aux Français descendants
d’immigrés qui n’acquerront pas, quoi
qu’ils fassent, ce qui doit,
inéluctablement, leur manquer.
Selon Nathalie Kosciusko Morizet
« On court en vain après le programme du
Front National » vous ajoutez « en vain
oui mais on court ».
Le flirt avec le FN est ancien. Il a
commencé avec l’élection de Sarkozy.
Actuellement, au sein de l’UMP, une
soi-disant « Droite populaire »
développe des propositions très proches
de celles du parti de Marine Le Pen. On
peut même les confondre tant elles
paraissent calquées les unes sur les
autres. Le programme du FN ne peut pas
résoudre les problèmes actuels de la
France, ce sont des paroles qui
caressent les bas instincts xénophobes
de nos concitoyens. Avec des paroles, on
n’a jamais mis fin au chômage, à une
crise économique, aux questions
concernant notre environnement, le
logement, les transports, l’éducation,
la santé. Le gouvernement en place a
failli également dans sa mission. Dès
lors qu’on n’a rien d’autre à proposer,
on vend du nationalisme, qui ne coûté
rien et qui peut rapporter gros. Dans
l’entre-deux-guerres, le Juif a servi de
repoussoir aux défenseurs de l’identité
nationale, aujourd’hui c’est
l’Arabo-musulman, le musulman et
l’immigré. Des cibles fragiles qu’on
désigne à d’autres pauvres, qui n’ont
pour capital que le fait d’être des
Français « authentiques », « de souche
». A force de courir derrière le FN,
l’UMP s’est lepénisée à grande vitesse,
avec pour figure emblématique M. Guéant,
emportant avec lui les vrais
républicains. Un vrai désastre.
Vous avez été élue en septembre
Sénatrice Europe Ecologie Les Verts.
Pensez-vous que le PS ou une partie du
PS à un problème avec l'islam et les
musulmans ?
Une partie du PS et plus largement de la
gauche – une partie seulement – a
véritablement peur de l’islam, je l’ai
constaté au Sénat lors de nos
discussions sur la loi désormais appelée
« loi anti-nounous voilées » par le
public. A la peur s’ajoute, chez
certains, le mépris, un sentiment hérité
du colonialisme. Qu’il y ait des
racistes qui cachent leur rejet derrière
la revendication d’une laïcité
dogmatique, cela n’est pas impossible du
tout. Comme tous se réclament de la
laïcité, il est difficile de séparer le
bon grain de l’ivraie. Certes, si on se
réfère à la loi de 1905, qui appelle au
respect de toutes les religions dans
l’espace privé, nous sommes tous des
laïcs et tous nous partageons cet idéal
de vivre-ensemble. Lorsque la laïcité
devient l’autre nom de l’islamophobie,
là, il y a un vrai danger. Certains de
nos amis de gauche, peut-être sans le
savoir, en sont atteints et si on le
leur dit, ils sont les premiers à être
choqués tant ils sont convaincus d’être
les champions de la lutte contre le
racisme. Il y a aussi le fait qu’on ne
sait pas comment faire avec l’islam. Le
retour d’une partie des jeunes musulmans
à une religion plus stricte que celle de
leurs parents et leur souhait de vouloir
le montrer dans l’espace public par leur
accoutrement, le port du voile, etc.,
cachent une réalité sans doute plus
massive, qui est une grande
sécularisation, parallèle, des musulmans
de France. C’est la partie visible de
l’iceberg qui suscite la peur de
l’envahissement par une religion qu’on
réduit également, dans certains milieux,
au terrorisme, à l’islam des pays
arabes, etc. Tout cela empêche l’islam
de France de s’organiser et de mettre en
place un islam de diaspora dans sa
diversité. Il ne faut pas non plus être
irénique, ni nier qu’il y ait des excès,
ici ou là, en France parmi les
musulmans. Et sans doute faut-il être
attentif à ne pas laisser les plus
intégristes monopoliser l’espace public.
Cela étant, les lois successives, qui se
superposent les unes aux autres, contre
le port du voile, avec l’appui et de la
gauche et de la droite, ne peuvent que
renforcer le repli de certains des
musulmans de France. Qui peut donc s’en
réjouir ?
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Publié le 10 février 2012 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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