Site d'information sur la Palestine, le Moyen-Orient et l'Amérique latine

 

Palestine - Solidarité

 

Retour :  Accueil  -  Sommaire Fériel Berraies Guigny  -  Originaux  -  Analyses  -  Ressources  -  Mises à jour


Par Fériel Berraies Guigny. Paris

Elias Sanbar:
« ... le Droit fonctionne en étroite fusion avec les rapports de force » !


Elias Sanbar

Après soixante ans de conflits, Israéliens et Palestiniens n’ont toujours pas trouvé le chemin de la conciliation à défaut de trouver celui de la réconciliation. Comprendre les racines du plus vieux conflit de ces dernières décennies est une gageure, car les ressorts historiques et psychologiques du couple maudit du Moyen Orient sont parfois indéchiffrables par trop de haine, de défiance et d’agression.
Mais l’histoire est-elle toujours fidèle, surtout quand elle est écrite par les vainqueurs?
Nous avons rencontré l’Ambassadeur palestinien auprès de l’UNESCO et intellectuel franco-palestinien de renom en France, M. Elias Sanbar à l’occasion de l’anniversaire de la Nakba pour essayer de comprendre des décennies de larmes et de sang.

Biographie :

Elias Sanbar est né à Haïfa en 1947. Il a 1 an lorsqu'il quitte la Palestine pour le Liban. A 20 ans, il s'engage dans le mouvement de la Résistance nationale palestinienne. Historien - il a enseigné au Liban, en France et aux Etats-Unis - il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la Palestine et a co-dirigé, avec Farouk Mardam Bey, Jérusalem, le sacré, l'histoire, la politique, un ouvrage collectif publié aux éditions Actes Sud-Sindbad ( parution en octobre). Etroitement associé aux pourparlers de Madrid et de Washington, il a dirigé, de 1993 à 1996, la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés. Il fut rédacteur en chef de la Revue d'études palestiniennes, dont il est l'un des fondateurs. Il est aujourd’hui Ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO.

Rencontre avec Elias Sanbar :

1- Cette année on célèbre l’anniversaire de la Nakba, en même temps qu’Israël célèbre l’anniversaire de la création de son Etat. Vous qui êtes de la Diaspora palestinienne, comment vivez-vous ces deux dates douloureusement imbriquées dans une même histoire qui se contredit ?

S’agissant de la Nakba, personnellement, je ne vis pas cela comme un anniversaire ou une commémoration. Dire que nous sommes au 60eme anniversaire de la Nakba, c’est oublier que celle-ci continue à être vécue par le peuple palestinien. Ce n’est pas un vieux souvenir d’un épisode douloureux ou tragique. L’Exil, le statut de réfugié sont toujours là, alors que le droit continue de ne pas être appliqué. Les réfugiés sont toujours dans les camps et l’exil continue. Pour moi très honnêtement, il n’y a pas de commémoration. Quant au fait que cela coïncide avec la célébration de la date de la création de l’Etat d’Israël, vous pouvez comprendre que je me sente encore moins concerné.

2- La politique du tout répressif a montré ses limites. Ne faut-il pas changer de stratégie, voire de politique de communication afin de faire prendre conscience des drames humains et des violations constantes du Droit international? Que faire pour qu’une mobilisation générale impose à toutes les parties prenantes au conflit, directement ou indirectement, de trouver une solution?

Il y a trois éléments qu’il ne faut jamais oublier.
Le premier c’est qu’Israël n’a jamais été considéré comme Hors la Loi. Israël se considère au-dessus du droit. Cet Etat est en permanence vis-à-vis du droit international, dans une situation d’impunité. Pourtant les résolutions internationales ne manquent pas. Toutes enjoignent à Israël de prendre un certain nombre de mesures. Donc, il y a la question de l’impunité qui est au centre de votre interrogation : comment résoudre la question de l’impunité ?
L’autre point est que très malheureusement, le droit fonctionne en étroite fusion avec les rapports de force ! Ce qui prédomine c’est le rapport de force, qu’il soit équilibré ou déséquilibré. Dans ce contexte précis, nous voyons qui se conforme au droit, qui se plie aux obligations internationales. Pour pouvoir résoudre la problématique, il faut d’abord trouver une solution à la question de l’impunité et trouver le moyen de dissocier l’application du droit, des rapports de force exercés sur le terrain.
Et le troisième point, c’est qu’il y a véritablement un processus de négociation qui est encore en marche, malgré ses lenteurs et ses impasses.

3- Un certain nombre de sceptiques disent que le processus est en panne voire moribond ?

Vous savez, nous ne sommes pas dans un processus qui engage une foi ou une croyance. Nous ne sommes ni à l’Eglise, ni à la Mosquée ni à la Synagogue. C’est soit la négociation, soit la guerre !
Il faut éviter les piéges de la religion, si nous voulons avancer. Il nous faut parvenir à entrevoir rationnellement l’issue à ce conflit, elle se fera par voie de négociation ou par voie de guerre. Jusqu’à présent, toutes les guerres faites par l’Etat d’Israël ou les Etats arabes, n’ont mené à rien. Notre choix de méthode de solution se doit d’être la négociation. Si maintenant le choix d’un Etat arabe est celui de la guerre et qu’il ait des chances de la remporter, et bien soit. Mais les cinquante ans de conflits qui sont derrière nous, les quarante d’occupation, les soixante ans de Nakba doivent nous faire réfléchir sur les méthodes les plus appropriées. Maintenant, s’il s’avérait que le Processus de paix après toutes ses scissions entrent dans une impasse complète, qu’il devienne hors jeu, alors oui, les divers partenaires engagés dans ce conflit se trouveront forcés d’envisager le retour du scénario de guerre. Pour le moment, ce n’est pas le cas. Je ne vois pas pour l’instant de régiments blindés qui s’apprêtent à libérer la Palestine. Donc, je ne peux croire à une autre issue que celle de la négociation.

4- Que pensez-vous de l'attitude actuelle du monde arabe ? Comment traduire ce manque de solidarité perceptible ? Désaveu pour la politique menée, désintérêt pour les drames qui se déroulent, opportunisme pour flatter le monde occidental ?

Non je pense qu’il y a un problème qui provient des arabes eux-mêmes. On ne peut passer notre vie à blâmer l’Occident, même si ce dernier a commis beaucoup de fautes. Le Monde arabe doit se ressaisir, essayer de voir pourquoi aujourd’hui il n’y a aucune cohésion entres les peuples arabes. Il n’y a pas de consensus, il y a plusieurs partenaires arabes avec des politiques divergentes parfois contradictoires. Il n’y a pas de politique unifiée arabe, cela n’existe pas. Nous vivons actuellement, une période de crise profonde dans le Monde arabe. C’est peut être en partie, la conséquence de certaines politiques extérieures, mais la crise a des racines profondes qui sont internes.

5 Jean Daniel, dans ses chroniques sur Israël et la Palestine, enjoint cette dernière à se « désarabiser » pour trouver une solution à l’impasse, qu’en pensez-vous ?

Dans ma préface écrite dans l’ouvrage de Jean Daniel, je vais à l’opposé de son conseil. Comment voulez vous désarabiser la Palestine, alors que la Palestine est arabe ! nous ne sommes pas des norvégiens !
Les Palestiniens sont arabes ; on est les Arabes de Palestine. Cà c’est un thème qui est récurrent chez Jean Daniel, pour alléger la responsabilité d’Israël. Cela conforte la thèse qui explique que les malheurs des palestiniens ne viennent pas d’Israël mais des peuples arabes. « Donc lâchez vos frères arabes, vous verrez comme cela vous fera du bien » !

C
’est absurde. Les Palestiniens ne peuvent et ne veulent pas entendre ce discours. C’est un discours qui ne tient pas compte de la réalité profonde, on ne peut pas demander à un peuple de « sortir de sa peau » !
La situation politique du Monde arabe est une chose, elle ne saurait nullement nous influencer quant à notre appartenance par rapport à l’arabité. Nous ne changeons pas d’identité selon la conjoncture. Même s’il est vrai que la conjoncture actuelle, est une conjoncture de division et d’inefficacité.

6 Elie Barnavi dans la préface des chroniques de Jean Daniel, sous-entend que l’occupation est un héritage en terre de Palestine, je reprends ces termes en page 18« objectivement, les palestiniens vivent mieux et plus libres sous l’occupation « libérale israélienne » qu’ils n’ont jamais vécu sous la loi de leur frère arabe » ? Que faut-il comprendre?

C’est un discours de propagande, cela n’a rien à voir avec l’Histoire. C’est d’un dépassé, il y a même beaucoup d’israéliens qui n’utilisent plus ce genre d’argument. C’est une façon de « démocratiser l’occupation israélienne » en terre de Palestine. C’est un discours qui ne convainc plus personne. On entretient des mythes du genre « c’est une occupation qui n’est pas comme les autres car « ce n’est pas un pays comme les autres » etc.
Aujourd’hui, bien sûr on peut continuer d’écrire des aberrations, le problème n’est pas d’écrire ce que l’on veut, mais plutôt de connaître la crédibilité de ce que l’on écrit !
Ce type de rapport écrit aujourd’hui, avec l’Etat du Monde, ne passe plus, car le discours date de plus de trente ans.

7 Le Président Sénégalais Abdoulaye Wade, s’est proposé comme médiateur potentiel de l’Afrique, pensez-vous qu’il aurait des chances d’être écouté ?

 

Les palestiniens y répondraient avec grand bonheur, mais quelle serait la réponse israélienne ? Nous avons toujours eu des relations amicales et fraternelles avec le peuple sénégalais. Nous avons de très vieilles et très belles relations avec le pays de Monsieur Wade, mais aujourd’hui reste à savoir, la réponse que donnera Israël par rapport à cette initiative.

Qu’attendez-vous de la communauté internationale pour que cette situation se débloque ?

On ne demande pas à la Communauté internationale de se ranger de notre côté mais tout au moins de se ranger dans une position d’équité, il faut qu’elle se range du côté des principes du droit international, pour dire à chacune des parties de respecter leurs engagements. Je ne demande pas à une Communauté pro-israélienne de devenir pro-palestinienne. Je demande juste aux grandes puissances de jouer un rôle de justice équitable. Il nous faut un partenaire qui joue son rôle véritable d’accompagnateur sans être acquis à la cause d’une des parties. Nous voulons le droit quel que soit celui qui le gère. Dans le discours c’est ce que nous entendons, dans les faits c’est une autre affaire.

8 Dans ses chroniques, Jean Daniel a mis en lumière les contradictions éthiques d’Israël, mais aussi les nombreuses occasions perdues par les Palestiniens, les volte-face des pays arabes envers les Palestiniens ? Pensez aujourd’hui que malgré tous ces manquements, il est encore temps pour le dialogue?

Il est toujours temps, rien n’est définitivement changé. L’histoire nous donne constamment des leçons sur cette question. Combien de situations désespérées ou irréversibles ont été finalement transformées ?
Mais l’Histoire ne se fait pas toute seule, il faut de la volonté, des engagements réels avec des individus en quête de justice et de droit. Mais ceci est plus compliqué et c’est moins courant que l’on ne croit. Tout peut arriver, comme son contraire.

9 Beaucoup pensent que les dernières opérations militaires sur Gaza, expriment le racisme, l’agressivité, l’arrogance, ainsi que la haine profonde d’Israël et de leurs dirigeants envers le peuple palestinien ? Pensez-vous que la raison de l’impasse est uniquement la perception qu’ont Israéliens et Palestiniens les uns des autres ?

Je pense que c’est beaucoup plus complexe et cynique. Les Israéliens ont en fait, décidé de faire payer à la population civile, l’accession du Hamas au pouvoir. Et la population civile est l’otage en quelque sorte. Le peuple palestinien paye tous les jours et c’est inacceptable.

8- Espérez-vous un changement de politique de la part des USA après les élections ? Est-il plus facile de discuter et de faire des avancées sur le chemin de la Paix avec les démocrates US et les travaillistes Israéliens qu’avec leurs opposants respectifs ?

Pour vous dire très honnêtement, pas du tout. Je n’ai pas beaucoup d’espoir en ce sens, car à chaque élection américaine, on nous a promis un changement de politique, mais dans les faits rien n’est avéré. L’alliance israélo américaine n’a jamais bougé, il y a eu peut être des changements de détails, mais rien dans le fond. Il nous faut continuer à mener le combat politique, à résister, à défendre les droits et à tenter de les affirmer tous les jours. Je veux bien me tromper bien sûr, mais très honnêtement je reste sur mes réserves. Je ne m’attends pas à un changement fondamental de la politique américaine à notre égard.

Merci Monsieur Sanbar

Crédits :
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr

Publié le 30 juin 2008 avec l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny



Source : Fériel Berraies Guigny


Avertissement
Palestine - Solidarité a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Moyen-Orient et de l'Amérique latine.
L' auteur du site travaille à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui lui seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas Palestine - Solidarité ne saurait être tenue responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont elle n'a pas la gestion, Palestine - Solidarité n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
Pour contacter le webmaster, cliquez < ici >

Retour  -  Accueil Ressources  -  Analyses  -  Communiques  -  Originaux