Opinion
« Tout le monde au Kosovo sait ce qui s'est passé.
Par peur, ils se taisent »
Dick Marty espère déclencher une
"dynamique de vérité"
Vendredi 17 décembre 2010
Le
rapport de Dick Marty sur le trafic d’organes humains au
Kosovo a été adopté à l’unanimité jeudi à Paris en
Commission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe. Le sénateur tessinois espère les révélations
déclencheront une « dynamique de vérité ».
Propos recueillis par
Carole Vann/InfoSud
L’actuel premier
ministre Hashim Thaçi veut porter plainte contre vous. Cela vous
inquiète ?
J’ai déjà connu cela lorsque j’ai sorti mon
rapport sur les prisons secrètes en 2007. On voulait me
poursuivre en justice. Aujourd’hui, plus personne ne conteste
l’existence de ces prisons. Monsieur Thaçi est libre de faire ce
qu’il veut. Ça ne me fait pas plus peur que ça…
Comment expliquez-vous
que cela ait pris tant d’années pour établir les faits ?
Tous les faits étaient largement connus par la plupart des
Etats. De nombreux rapports des services de renseignements –
allemands, britanniques, italiens, grecs - et des rapports du
FBI sur les activités criminelles de la bande de Thaçi ont été
adressés aux différents ministères des affaires étrangères. Mais
ils ont opté pour l’opportunité politique. Ce qu’il y a de
nouveau aujourd’hui, c’est que quelqu’un les ait rendus publics.
Pensez-vous que la
Suisse a participé à cette opportunité politique ?
Je crois savoir que Monsieur Thaçi a été, pendant une période,
persona non grata en Suisse. Berne savait donc qu’il y avait des
problèmes. Car je ne pense pas qu’on inflige des interdictions
d’entrées à des personnes parfaitement honorables.
Mais la Suisse a joué un
rôle pionnier dans la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo
en 2008.
J’étais président de la commission de politique étrangère à
cette époque, et, comme d’autres collègues, nous estimions que
la reconnaissance du Kosovo de la part de la Suisse était
précipitée. Je pense que la communauté internationale devait
savoir qui étaient ces dirigeants de l’UCK. Il y a encore
quelques années, l’UCK était considéré comme un mouvement
terroriste.
Les informations
contenues dans ce rapport peuvent-ils tenir lieu de preuves pour
des enquêtes judiciaires ?
Ce rapport contient une série d’indications documentées qui
devraient inciter n’importe quelle autorité judiciaire à ouvrir
une enquête indépendante et approfondie. Ce que j’ai pu
découvrir, avec très peu de moyens – nous étions une équipe de
trois à temps partiel -, une autorité judiciaire motivée, et qui
évidemment jouirait d’un appui politique, devrait pouvoir non
seulement le confirmer mais en découvrir encore davantage. La
réalité, c’est qu’en choisissant l’opportunité politique, on a
pensé qu’il ne fallait plus s’occuper du passé. Mais le futur
d’un pays ne peut pas se fonder sur des non-dits, des mensonges.
Tout le monde au Kosovo sait ce qui s’est passé. Mais par peur,
ils se taisent. Je rappelle que de nombreux témoins ont été
assassinés avant de s’exprimer devant le TPIY. Au procès
Haradinaj, ils ont même été tous liquidés.[ndrl : neuf témoins
assassinés lors du procès Ramush Haradunaj, ancien commandant au
sein de l’UÇK]. Comment voulez-vous que les gens osent parler
dans ces conditions ?
Quelle a été la plus
grande difficulté pour mener cette enquête ?
Le mur du silence. La société balkane est très clanique, et
obéit au principe de l’omerta. Beaucoup préfèrent faire des
années de prison plutôt que de donner le nom de responsables.
Mais des gens acceptaient de parler parce qu’ils avaient la
certitude que je protégerais mes sources.
Quelles zones d’ombre
demeurent ?
Ces trafics d’organes ont des ramifications internationales
inquiétantes. C’est un phénomène qui dépasse le Kosovo et que
l’on combat de façon insuffisante. Cette tragédie fait
certainement plus de victimes que le terrorisme.
En savez-vous plus sur
les bénéficiaires de ces organes en 1999 et les pays impliqués ?
Oui, j’en sais plus, mais nous n’avons pas donné des détails par
respect pour le procès en cours actuellement sur le trafic
d’organes qui a eu lieu en 2006 à clinique Medicus à Pristina,
cela sous le nez des internationaux. Et je suis persuadé que ce
sont en partie les mêmes personnes qui ont collaboré au trafic
de 1999-2000. Aussi, je ne voulais pas être accusé de vouloir
influencer ce procès.
Avez-vous eu des
contacts avec Carla Del Ponte pour évoquer le résultat de vos
recherches ?
Je l’ai rencontrée l’année dernière. Elle m’avait affirmé que
les prélèvements faits dans cette maison jaune se trouvaient
dans les archives du tribunal. Mais lorsque je les ai demandés,
on m’a curieusement répondu qu’ils avaient été détruits. Du
coup, aucune analyse plus poussée n’était possible.
Qu’attendez-vous de la
publication de ce rapport ?
Lorsque l’on m’a commandé ce rapport au Conseil de l’Europe, je
n’étais pas enchanté, mais je l’ai fait au plus près de ma
conscience. Maintenant, c’est aux autorités compétentes de faire
la lumière. J’espère que ce rapport déclenchera une dynamique de
vérité qui encourage d’autres témoins à parler.
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