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Fériel Berraies Guigny
Entretien
avec Boris Cyrulnik
La Résilience s'applique-t-elle à la Palestine ?
Boris Cyrulnik
Boris Cyrulnik est le père de la résilience en France. Ce
concept psychiatrique vient de
« resalire » qui signifie en latin, la faculté de s’en sortir. Une nouvelle façon
d’entrevoir la souffrance morale qui a ébranlé le carcan de la
thérapeutique médicale du XXes.
L’amour et
l’attachement restant les valeurs les plus solides, elles sont
les ressources contre tous les malheurs. Plus rien ne marque ad
vitam aeternam, car il suffit d’élaborer son propre récit intérieur.
Mais avec la résilience, un
certain nombre de « survivants » de la seconde
guerre mondiale se sont vus « nier » leur part de
deuil et de souffrance. La résilience devenant alors une véritable
violence à la mémoire de la Shoah. Cyrulnik est pourtant
« l’un d’eux » enfant « caché » de
la Shoah,. Son refus de la victimisation qui a amené « une
science de la pretextologie » a jeté les bases scientifiques de
la résilience .
La question est de savoir si aujourd’hui cette résilience, peut
aussi s’appliquer au conflit le plus ancien de ces dernières décennies :
le conflit israélo-palestinien. Et en l’occurrence s’il est
applicable, dans une situation de violence et de victimisation endémiques,
s’agissant des traumas des enfants palestiniens.
Loin
de conduire à l’apologie du management de la blessure morale,
les théories de Cyrulnik pourraient ouvrir des perspectives
autres pour aller de l’avant. Mettant fin à la victimisation
passéiste, qui continue de gérer bien des rapports humains,
voire des conflits inter étatiques.
Les guerres, les deuils, les conflits, les maux de la société
actuelle, ne seraient alors plus que des opportunités pour
avancer. L’Expression a rencontré cet éminent psychiatre pour
discuter des vertus de la
Résilience, et aussi pour comprendre comment les enfants
palestiniens vivent leur trauma sur un terrain de violence
politique chronique.
Boris Cyrulnik est médecin, éthologue, neurologue et psychiatre
de renommée internationale. Responsable d'un groupe de recherche
en éthologie clinique à l'hôpital de Toulon
et enseignant l'éthologie humaine à l'Université du Sud-Toulon-Var. Il est
membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie
de la culture de paix et de non-violence. Il est aussi une des 40
personnalités constituant la commission Attali sur les freins à
la croissance, dirigée par Jacques Attali et installée le 30 août
2007 par Nicolas Sarkozy. Boris Cyrulnik
a publié en 2006 « de Chair et d’âme » aux
éditions Odile Jacob ». Un essai qui nous parle des valeurs
intrinsèques de l’enveloppe affective et ce lien
primordial entre le corps, le cœur et l’esprit.
L’attachement ce lien affectif, a des effets neurologiques très profonds, et apporte des
réponses claires et positives aux grandes questions de notre vie
: la vulnérabilité, la souffrance psychique, l'empathie, le
vieillissement.
Entretien
Dans
une récente interview vous avez poussé la boutade jusqu’à
vous prénommer « Jurassic Psy » cultivez vous la
psychologie de l’étrange ?
Je fais
partie de cette génération qui a appris la psychologie, la
psychiatrie et la psychanalyse en même temps. Je suis un touche
à tout et cela peut déconcerter.
Je me définis moi-même comme étant soit un « Archéopsy »
soit un « Jurassic Psy ».
Pensez
vous que les guerres humaines sont basées sur des mythes
populaires, du genre race supérieure, terre sainte, religion élue,
radicalisme ?
Au début
les guerres étaient basées sur une certaine vision de la
violence. Une violence qui se devait d’être créatrice. Il
fallait s’approprier les biens du voisin pour ne pas mourir de
faim. On levait des hommes, on les entraînait et on constituait
des armées pour ensuite s’attaquer à la Cité Etat voisine.
Durant le XIXE es, notamment lors de la Construction de l’Europe
à nos jours, on constate de plus en plus que les guerres sont
enclenchées suite à certains mythes. Les guerres contemporaines
sont basées la plupart sur des récits populaires. Et le dernier
exemple vient de l’Ex Yougoslavie. Le mythe de la Grande Serbie,
de la race serbe, qui est supérieure et qui doit lutter pour préserver
sa pureté. Ce que l’on voyait fréquemment au Moyen Orient a
fini par se transposer également dans les conflits européens.
Epurer le monde des tziganes, des nègres, des juifs, voilà
autant de mythes dangereux socialement et qui ont nourri les
conflits les plus sanglants de l’humanité. Des récits déclencheurs
de guerre qui viennent légitimer la possession de biens destinés
à acheter des armes.
Parlez
nous de votre vision analytique du plus vieux conflit du XXes, le
conflit israélo palestinien ? pensez vous que la résilience
est possible dans ce terrain ?
Il y a
des israéliens et des palestiniens qui sont très avancés dans
la recherche sur la résilience.
Les
deux ont un passé douloureux qui remonte à très loin. Les israéliens
ont un passé scientifique, médical et littéraire très conséquent,
ils sont donc très avancés dans ce domaine, un peu plus que les
palestiniens. Ces derniers néanmoins, il faut le préciser sont
très friands de ce concept et il faut rappeler qu’avant Israël,
le peuple palestinien avait également subi le joug et la
domination de divers pays arabes voisins. Il y a eu les syriens,
les libanais et la Bande de Gaza a été occupée par l’Egypte,
la Jordanie qui les a incroyablement massacrés. Sans oublier la
domination britannique. Paradoxalement on en parle très peu,
alors que s’agissant d’Israël on assiste à une sur médiatisation
du phénomène. On en parle beaucoup plus, car on veut mettre en
lumière le fait qu’il s’agit d’une armée juive qui entre
en conflit avec une armée non juive.
La Résilience
de l’occupant est elle la même que celle de l’occupé ?
Les
israéliens répondent clairement à cette question et je vais
citer les travaux du Dr Bernard Israël Feldman qui explique que
dans les circonstances de guerre chronique, les enfants de colons
israéliens sont moins traumatisés que les palestiniens. Cela est
confirmé par les mamans palestiniennes et également un bon
nombre d’universitaires palestiniens, de psychologues et
d’anthropologues avec qui j’ai travaillé.
La raison étant selon le Dr Feldman, que les petits colons sont
entourés et soutenus par une foi supérieure à celle des enfants
palestiniens. Les enfants palestiniens avant d’être en
difficulté avec l’armée israélienne, font face à une
structure affective et familiale délabrée. Par ailleurs, ce
qu’il faut ajouter c’est que le contexte de la guerre, les
structures sociales dans les territoires palestiniens sont complètement
détruites. Il n’y a donc plus de repères d’identification
sociale.
L’enfant palestinien raisonne dès lors de cette façon « nos
parents sont des vaincus » donc la figure de l’autorité
paternelle est en question. Les travaux de la psychologue française
basée dans les territoires, Sylvie Mansour attestent bien de
cette situation. Il y a une grave crise du modèle familial dans
la société palestinienne. Les pères sont complètement dévalorisés
et donc le lien affectif est rompu. A l’inverse, on retrouve
moins ce problème avec les filles et leurs mères, car le fait de
s’occuper du foyer, a aidé à maintenir le lien affectif.
Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que dans l’Intifadha, il y
a eu très peu de filles et c’est surtout le fait d’héroïser
les garçons qui a été une manière de les préparer au
sacrifice. Et ce sont surtout les mères qui poussent au
sacrifice. Pour les garçons, il est clair que les pères n’ont
plus rien à leur apprendre et la plupart se référent aux grands
parents qui restent le point d’ancrage. D’où le vide du
concept « du grand retour » pour les palestiniens de
la diaspora !
S’agissant
des nouvelles guerres contemporaines, vous avez également orienté
votre réflexion sur l’instrumentalisation par la violence des
enfants de la guerre ? Vous dites que les Etats font la
guerre aux enfants ?
Avant
la révolution française et durant la première guerre mondiale,
les guerres étaient faites par les soldats, ils étaient la cible
des conflits inter-étatiques. Mais dès l’instant où les
guerres sont devenues populaires, notamment à partir de la
seconde guerre mondiale, on ne ciblait plus uniquement les
combattants. En Pologne, en Russie durant la seconde guerre
mondiale la guerre a fait des ravages sur les populations civiles.
Un grand nombre de victime touchait les enfants. Aujourd’hui les
seigneurs de guerre, et les Etats continuent de penser que la
seule façon de soumettre les parents, est de toucher la communauté
civile, voire les enfants. C’est ainsi que les enfants sont
devenus une cible de prédilection, voire une stratégie de guerre
en vue de déstabiliser et de démoraliser la partie adverse.
Pensez
vous que la culture de la paix est possible, dans un terrain de
guerre endémique ? parlez nous de votre engagement pour la
coordination française de la Décennie pour la culture de la paix
et de la non violence ?
La
guerre a toujours existé et dans tous les pays du monde, c’est
un fait. La technologie moderne a par ailleurs accru sa dangerosité
et son pouvoir d’extension. Aujourd’hui nous pouvons faire en
sorte justement que cette même technologie moderne nous serve à
diffuser une certaine culture de la paix, par l’information, la
sensibilisation, le rejet de l’ignorance et une culture de la
tolérance. Il faut trouver une solution aux crises qui génèrent
la violence humaine. Cela peut commencer par l’éducation,
l’alphabétisation, l’accès à la modernité, à une économie
juste et durable qui pourrait contribuer à éradiquer les poches
de pauvreté. Le co-développement, le développement durable sont
autant de scénarii propices à poser les jalons d’une culture
de l’échange dans divers domaines.
En
quoi la résilience peut elle être aujourd’hui révélatrice
d’enjeux sociaux ?
J’ai
travaillé sur le concept de la résilience tant en Israël
qu’en Palestine mais aussi dans d’autres pays comme le Brésil.
Je suis arrivé au constat que le phénomène de déculturation
peut être très dangereux pour une société. Il est important
d’avoir un héritage culturel, des racines et un passé pour se
construire et exister en tant qu’entité sociale.
La famille, l’éducation, les repères sociaux sont des valeurs
communes qui caractérisent une société, il ne suffit pas
d’avoir les moyens financiers pour exister en tant que société.
Expliquez
nous votre grande révélation qu’est l’Ethologie ? de
l’animal à l’humain, le chemin est il tout trouvé ?
La
question de l’éthologie est aujourd’hui claire, elle tourne
autour du phénomène de l’attachement.
C’est
d’abord une observation naturaliste effectuée là où vit l’être
vivant. S’il s’agit d’un animal, on l’observe dans son élément
naturel ; si c’est un être humain, on privilégie les
conditions culturelles habituelles. Ensuite, on choisit une petite
séquence comportementale –et on en fait une variable expérimentale
pour effectuer une manipulation comme dans un laboratoire. Ce repère
comportemental permet de s’interroger sur ce qui se passe chez
les hommes. Pour moi, la méthode d’observation et le mode de
raisonnement sont exactement les mêmes. Et qu’il s’agisse
d’un animal ou d’un être humain, il est capital d’intégrer
la notion d’évolution sur des périodes prolongées. Si l’on
observe des enfants pendant quelques heures seulement, on risque
de les étiqueter ou de les empêcher de s’en sortir. Mais si
l’on accepte de les suivre sur de longues séquences, on a de véritables
résultats.
L’éthologie existait déjà, avec Mélanie Klein et Stitz et
plus récemment, le psychologue américain John Bowlby. Lacan
s’en est même inspiré, ainsi que Freud durant la seconde
guerre mondiale. Tous ces chercheurs se sont inspirés de la
psychologie animale pour décrire le comportement humain.
S’agissant du concept de l’attachement il convient de préciser
que c’est le mode de
relation qui se sera instauré entre le bébé et sa mère qui déterminera
le " style comportemental" de l'enfant en
devenir, sa manière de se lier, de découvrir le monde, de réagir
aux séparations et aux catastrophes. Mais, chez tout un chacun,
des "braises de résilience" sont présentes.
Qu'on souffle dessus à bon escient, et l'enfant meurtri, fracassé,
stoppé net dans son développement par le deuil, la maltraitance
ou les atrocités de la guerre sortira de son " agonie
psychique" et reprendra le chemin de la vie. Un pouvoir
de "renaissance" dont plusieurs équipes dans le monde
commencent à découvrir la puissance. Mais qui implique de
rencontrer, aussi des
"tuteurs de développement" suffisamment solides
et compréhensifs.
Aujourd’hui, à
Toulon, vous dirigez un groupe de recherches en éthologie
clinique. De quoi s’agit-il ?
Je dirige des groupes
de recherche un peu partout dans le monde, aux Etats-Unis, au Québec,
au Proche Orient. A Toulon précisément je dirige
l’enseignement de l’Ethologie clinique.
Beaucoup
attribue votre psychologie à une psychologie de Bazar que vous
mettez à toutes les sauces, comment expliquez vous d’une part
votre surmédicalisation et de l’autre, l’acharnement de
certains de vos confrères ?
La
majorité des scientifiques appuient mes théories sur
l’attachement et la résilience, en vérité. Mais il est vrai
qu’il y a une minorité qui me critique, ce n’est pas une
minorité scientifique néanmoins. Les grands noms de la
psychiatrie se retrouvent dans mes thèses, c’est peut être
l’idée que l’on peut critiquer mais jamais la méthode de
travail. Certaines personnes peuvent se sentir menacées, surtout
ceux qui ont embrassé la carrière de victime. Mais ce sont
surtout les personnes qui n’ont pas lu les théories de la résilience.
Bien sur entre collègues scientifiques on se concerte, on se
conseille, on échange à travers des panels. Je pense que la
plupart des critiques sur la résilience sont fantasmatiques. Si
on avait travaillé la théorie de la résilience juste après la
guerre, on aurait récupéré un grand nombre de victimes. Il y a
une vie après le Trauma et c’est une évidence pour moi, il y a
un néo-mouvement résilient après l’agonie psychique.
Dans
quel contexte vous placez vous, suite à votre nomination par
Monsieur Attali, parmi les membres de son équipe chargée d’étudier
la croissance ? que pensez vous du développement durable ?
Le lien
entre la psychologie et la croissance est possible. Monsieur
Attali m’ a invité à participer à cette commission au même
titre dans le passé que Madame Ségoléne Royale du temps où
elle était Ministre de la famille, ou de Monsieur Sarkozy quand
il était Ministre de l’intérieur. Aujourd’hui bizarrement on
fait état de ma collaboration avec monsieur Attali et on s’étonne
qu’un psychiatre soit invité à participer à cette commission.
Attali a été lucide, il s’est rendu compte que beaucoup de
freins à l’avancée sociale viennent des structures familiales
et culturelles en difficulté. On a constaté par exemple qu’une
des raisons du déficit de la sécurité sociale, est liée aux
troubles mentaux. Ces facteurs sont inter-reliés et il faut les
aborder pour trouver des solutions. Il y a une absence de
solidarité humaine et psychologique aujourd’hui dans nos sociétés
qui perpétuent des handicaps sociaux. La non intégration de
l’immigration, l’analphabétisation, les problèmes urbains
etc.
Je ne suis pas sur que la croissance soit un facteur positif pour
le développement humain, car cela signifiera d’autres formes de
pression, de stress et de dépression.
Les premières réunions de la Commission Attali, s’organisent
pour l’instant, autour de l’aménagement de l’énergie
perdue, cela concerne les communautés qui ne sont pas intégrées,
tous ces gens qui sont des largués de la culture, tous ces gens
qui sont harcelés au travail, car le chômage a donné un pouvoir
sadique aux petits chefs d’entreprises.
Le harcèlement, le vampirisme au quotidien n’a jamais tant
existé qu’en ce siècle !
La dépression au travail, est une des raisons de la stagnation de
la croissance en France.
S’agissant du développement durable, ma réponse est claire :
l’espèce humaine est vivante depuis un million d’années,
mais la technologie nous fera rentrer dans un tourbillon tel,
qu’il fera disparaître la race humaine.
Notre
point fort aujourd’hui, risque d’être notre pire ennemi
demain.
Vos
projets actuels ?
Je vais
me rendre en Russie, pour étudier le cas des enfants des rues.
Merci
monsieur Cyrulnik.
Crédits :
Interview accordée exclusivement à Fériel Berraies Guigny
Courtesy of F.B. G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 16 décembre 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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