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Par Fériel Berraies Guigny. Paris
L'Eau
source de tous les dangers ?
Barah Mikaïl
Après
les enjeux pétroliers, voici venue l’heure aux enjeux
hydrauliques. Le XXIe sera-t-il marqué par de nouveaux conflits géopolitiques ?
Le souci
de s’accaparer et de
mieux contrôler l’eau, redessinera t il la carte du
Monde ?
Cette
eau que l’on considère comme un bien naturel, voire collectif,
n’est elle pas en passe de devenir un bien commercial ?
Génératrice
d’alliances mais aussi de conflits, les aléas climatiques
aidant, la question de l’eau est d’une cruelle actualité et
les Nations Unies l’ont bel et bien établies.
Vers 2025, la demande mondiale en eau douce pourrait être
supérieure au total des réserves disponibles. Quel impact sur le
rapport de force entre les Nations ? Les pays pauvres sont
ils voués à l’aridité absolue ?
Nous
avons rencontré Barah Mikaïl pour discuter des enjeux de l’eau
sur l’Etat du Monde mais également au sein des relations
internationales.
Bio
express :
Anciennement
directeur de séminaire au Collège interarmées de Défense, enseignant
à l'université Paris-8, Barah Mikaïl est chercheur spécialisé
sur les enjeux géopolitiques de l'eau et sur le Moyen-Orient à l'Institut
de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il est également
l'auteur de La politique américaine au Moyen-Orient (IRIS/Dalloz,
2006).
Entretien
avec Barah Mikaïl :
1)
L'eau est un défi aujourd'hui pour l'humanité ? Quels en sont les
enjeux ? Elle est aussi un défi économique ?
L’eau
est en effet un défi pour l’humanité, mais il n’y a là rien
de nouveau. En 1977 déjà, la conférence internationale de Mar del
Plata, convoquée par les Nations Unies, avait mis en évidence l’ampleur
des enjeux que posait l’eau à l’échelle de la planète. L’un
des principaux constat qui avait alors été fait résidait ce qui
suit : beaucoup de populations à travers le monde n’avaient
pas forcément accès à des structures hydrauliques ainsi qu’à
une eau en quantité et en qualité suffisante. Depuis, les choses
ont certes pu s’améliorer à certains endroits de la planète,
mais on reste bien loin de l’objectif d’une eau potable accessible
en quantité suffisante à tout un chacun. Beaucoup reste ainsi à
faire.
Bien
entendu, réfléchir aujourd’hui sur les problématiques liées
à l’eau douce implique aussi de mettre en évidence des enjeux
de type économique. Ceux-ci sont divers et variés, suivant l’axe
analytique que l’on retient. Ainsi, la question de la corrélation
entre les moyens financiers dont disposent les Etats et leur investissement
dans des infrastructures hydrauliques est un aspect de la
question. Mais il y a aussi d’autres angles tout aussi valables,
tels que la question de la marchandisation de l’eau douce, et bien
sûr les stratégies mises en place par les multinationales de l’eau
afin de faire de cet élément vital le garant d’un bénéfice
juteux.
2)
Parlez-nous de cette nouvelle ruée vers l'or bleu, entamée par des
pays comme Israël qui importe de l'eau de Turquie ? Du côté du
Jourdain on assiste à un assèchement des nappes phréatiques, quels
en sont les impacts à venir ?
La
disposition des Israéliens à acheter de l’eau douce aux Turcs
est extrêmement intéressante, puisqu’elle est la traduction de
cette aptitude qu’a un Etat naturellement démuni en eau douce renouvelable
à mettre la main au portefeuille afin de surseoir à ses besoins
hydrauliques. Cela dit, il ne faut pas oublier que ce n’est pas
là l’apanage des seuls Israéliens ; même les Canadiens,
bien pourvus en la matière, ont engagé la réflexion sur ce
plan. De même, et bien que les détails manquent pour l’heure
à ce sujet, il faut noter que le recours récent de l’Espagne
à de l’eau douce importée en partie de France reste l’une des
traductions potentielles de cette marchandisation de l’eau douce
que l’on voit ramper aujourd’hui. Ce n’est pas pour rien que
d’aucuns ont d’ailleurs proposé de mettre en place de laisser
le marché déterminer à terme le prix de l’eau.
Pour
ce qui concerne le Jourdain, c’est plutôt à une baisse prononcée
de son débit que l’on assiste, et partant à la mise à mal de
la Mer Morte. Les Israéliens, par ailleurs, pompent bien entendu
de manière intense les nappes phréatiques présentes en Territoires
palestiniens, ce qui n’est pas pour améliorer les conditions hydrauliques
comme sanitaires et écologiques prévalant côté palestinien. Quant
à la Mer Morte, il est prévu de la ranimer éventuellement, à
terme, en la joignant à la Mer Rouge ; une étude de faisabilité
a en tous cas été lancée en ce sens par la Banque Mondiale. Il
faut cependant demeurer conscients de ce que, quand bien même les
conditions naturelles peuvent avoir leur rôle dans ces défis de
l’eau posés par-ci par-là à travers le monde, ils ne font en
rien l’économie d’une réflexion sur nos propres pratiques d’exploitation
et de prélèvement, qui sont largement en cause dans la dégradation
de la qualité de l’eau à l’international.
3)
L'eau constitue un point d'achoppement majeur dans les négociations
de paix d'Israël avec les territoires palestiniens et la Syrie ?
Dans
les deux cas, israélo-palestinien comme israélo-syrien, je pense
que l’élément hydraulique fait partie de la donne ; mais
il ne suffit en rien à tout résumer. Les pierres d’achoppement
sont en effet territoriales, et politiques, avant tout. La volonté
des uns comme des autres, et en l’occurrence celle des Israéliens,
de se garantir une sécurité hydraulique pour l’avenir n’est
bien entendu en rien à écarter, ni même à sous-évaluer. Mais
elle n’est pas plus déterminante que les enjeux politiques comme
tels.
4)
L'Union européenne est le premier bailleur de fonds mondial pour
les Territoires palestiniens avec une enveloppe globale de 280
M€ en 2005 qui se monte à 500 M€ avec l'aide bilatérale des
États-membres, dont 22,8 % alloués à l'eau. Faut-il multiplier
les aides et ou les prêts ?
Les
multiplier, pas forcément, ou du moins pas à outrance ; par
contre, on peut difficilement nier que les moyens financiers sont
indispensables pour la mise en place d’infrastructures et la
mise à disponibilité des populations concernées de techniques
et d’un savoir-faire technologique leur bénéficiant. Ce qui
manque, par contre, c’est la mise en place de stratégies
efficaces, de long terme, permettant de rendre beaucoup moins menaçants
les défis posés en termes d’accès à une quantité suffisante
d’eau douce renouvelable de qualité, que ce soit pour les
Palestiniens, ou pour d’autres populations à l’échelle de la
planète. Et sur ce plan, si certaines initiatives locales
viennent à aboutir, comme on peut le voir dans certains pays
d’Afrique subsaharienne par exemple, la machine en marche ne
suffit pas pour autant à envisager un avenir hydraulique
prometteur. Le tout sans oublier que parler de prêt, implique de
penser à leur remboursement, et que l’on voit mal la logique
qu’il y a à s’engager sur des dispositifs de restitution
financière qui n’auraient pas généré en contrepartie des
perspectives solides à terme sur le plan infrastructurel.
5)Une
guerre de l'eau est-elle à prévoir ? Qu'en est-il de l'insoluble
question des frontières ? l'intégration régionale se fera
t-elle par l'eau ou grâce à l'eau dont l'enjeu deviendra
primordial ?
Personne
ne saurait franchement exclure l’hypothèse d’une guerre
franche pour l’eau dans les prochaines années, même s’il
convient dans le même temps de rester prudent face à une telle
éventualité. L’eau est en effet un élément vital, et en ce
sens, tout Etat au sein duquel les difficultés d’accès à une
eau douce de qualité en quantité suffisante viendraient à
dominer se verrait clairement confronté à des troubles d’ordre
politico-social notamment. Dans le même temps, cela veut-il dire
que les problèmes grandissants que nous pouvons observer en la
matière nous mèneront inéluctablement vers une, puis des
guerres pour l’eau ? Il ne faut surtout pas être aussi catégorique.
Certes, des configurations en gestation, telles que les évolutions
du Soudan et ses répercussions potentielles sur l’avenir
gestionnaire du Nil, peuvent faire craindre le pire. Dans le même
temps, la conscience d’ores et déjà présente de tels risques
rend les volontés d’anticipation et d’écartement des scénarii
belliqueux encore présentes. Hypothèse optimiste, certes, mais
en laquelle il convient de toujours croire.
La
question des frontières est fondamentale ici, bien entendu, et
c’est ce qui confirme l’importance qu’il y a de continuer à
montrer notre attachement à la coexistence des Etats-nation
contemporains. Pour le reste, le tout est plutôt histoire de
bonne utilisation, d’accords et de modalités efficaces de
gestion tant nationale que régionale ; ce qui pose bien
entendu par extension la question de la nécessité qu’il y a de
chercher à consacrer l’action d’une instance indépendante
qui aurait toute latitude en matière d’édiction des « règles
de l’eau » à l’international. On n’y est cependant
pas encore, fort malheureusement.
Enfin,
l’eau peut-être un vecteur de rapprochement et de promotion de
modalités d’intégration régionale, bien entendu… dans
l’idéal, à tout le moins. Car les instances collectives de bassin
d’ores et déjà existantes, particulièrement dans les régions
connaissant des difficultés économiques comme structurelles, font
malheureusement montre d’une quasi-absence d’actions concrètes
et prometteuses à terme. Ce qui est d’autant plus dommage que ces
institutions ont pourtant le mérite d’être nées d’une volonté
interétatique commune, et d’être donc dotées d’un objectif
précis.
6)Quelle
bataille la Communauté Internationale doit-elle engager pour la préservation
de l'eau ? Quel est l'impact sur les pays pauvres ?
Il
serait bien prétentieux de ma part de vouloir énoncer une solution
toute faite pour ce qui relève de l’amélioration des conditions
hydrauliques à l’international. Cela dit, meilleure
utilisation, meilleure gestion, meilleures infrastructures, et meilleure
concertation entre différents partenaires, me semblent être les
quatre points principaux qu’il conviendrait de prendre à bras le
corps afin de croire en un horizon plus radieux. L’irrigation, le
gaspillage, la pollution, ont à eux seuls une grande responsabilité
dans la pollution des cours d’eau ouverts et des nappes phréatiques,
et partant dans une mise à mal supplémentaire de l’eau à son
état naturel. Mais en parallèle, il n’est pas tolérable non plus
de voir, comme cela est le cas sur une bonne partie du continent
africain, les déficits en infrastructures et en réinjection des
fonds participer d’une hécatombe internationale du fait de
l’hydraulique. De la même manière, il n’est pas plus normal
d’admettre que les politiques esquissées par beaucoup de pouvoirs
publics, comme on le voit dans une bonne partie de la Chine par
exemple, fassent du désastre écologique la condition incontournable
pour avoir plus d’eau douce disponible. Ce ne sont là que quelques-uns
des points qui sont connus, mais face auxquels l’on tarde à agir
de manière payante. Et les pays les plus démunis, où sévissent
d’ailleurs généralement les plus hauts taux de corruption, sont
les premiers à payer le prix de ces aberrations.
7)L'Afrique
avec la désertification, et les aléas climatiques, est-elle aussi
menacée par une guerre de l'eau ? Les réfugiés climatiques du Continent
vont-ils alourdir la balance ?
Il
faut d’abord rappeler que, contrairement aux apparences ou aux idées
reçues, le continent africain a assez d’eau pour l’ensemble de
sa population ; c’est du moins ce que nous disent les statistiques
et évaluations par volumes. En-dehors d’une bonne partie du Nord
du continent, en effet, soumise elle à de nettes contraintes
naturelles, le reste de l’Afrique a en effet des ressources en eau
importantes. Par contre, l’échec qu’il y a eu jusqu’ici à
développer des infrastructures solides et suffisantes, les failles
dans les modalités de concertation interétatiques, la mauvaise planification
quand elle existe, ainsi que le poids énorme de la corruption, sont
autant d’éléments qui interviennent dans la donne, se superposent
parfois à des éléments naturels, et font de l’Afrique un continent
hydrauliquement à la dérive. Si l’on ajoute à tous ces points
les aléas climatiques dont l’Afrique souffre effectivement, on
ne peut qu’abonder dans le pessimisme bien entendu. La question
des réfugiés climatiques ne vient en effet qu’en ajouter à une
situation de terrain qui est déjà suffisamment dramatique comme
telle ; elle génère tellement de répercussions en termes de
déstabilisation et de contraintes socio-économiques, qu’elle ne
fait finalement que rendre encore plus pessimiste sur l’avenir
à la fois politique, économique et social d’une Afrique pourtant
d’ores et déjà en proie à de lourdes contraintes
structurelles.
8)
Que Proposer à ces populations ? Le Maghreb aura-t-il un jour soif
aussi ?
La
question fondamentale, c’est surtout celle de savoir quand les garants
théoriques du bien-être et des intérêts de ces populations, c’est-à-dire
les gouvernements, se décideront-ils enfin à agir. Les temps sont
ainsi à l’action urgente, et non plus aux propositions. Les problèmes
de fond ne devraient même plus, à mon sens, supporter un quelconque
débat : les zones les plus critiques en termes d’accès à
l’eau sont en effet connues, et leurs solutions initiales sont simples :
elles passent par l’injection de fonds au bénéfice
d’infrastructures, de technologies, ainsi que de comportements responsables
qui peuvent désamorcer la bombe hydraulique à retardement qui menace
la planète.
Pour
ce qui relève du Maghreb, il faut être conscient de ce que cette
région du monde compte parmi les plus critiques en termes de disponibilité
en eau douce renouvelable per capita. Leurs choix d’avenir se portent
plutôt sur les techniques de dessalement, et l’Algérie est l’une
des représentations les plus parlantes de ce fait. Cela dit, si les
pays du Maghreb ont la « chance » de ne pas avoir de cours
d’eau importants en commun, les déficits structurels n’y sont
pas moins présents, et viennent se greffer sur des contraintes hydrographiques
comme climatiques. C’est pourquoi il demeure urgent à mon sens
pour ces pays, au même titre que tant d’autres, de se poser deux
types de questions : sur quelles technologies efficaces compter
pour pallier les contraintes hydrauliques ? Mais aussi,
quel(s) mode(s) de gestion faut-il définir et mettre en application
de manière à ce que l’approvisionnement en eau douce à échelles
nationales soit le plus efficace qui soit. On l’oublie en effet
trop souvent, mais les contraintes et particularités gestionnaires
participent en grande partie des problèmes hydrauliques que continuent
à endurer les pays du Maghreb aujourd’hui.
Crédits :
Article de presse Courtesy of F.B.G Communication
www.fbgcom.net
fbgcommunication@yahoo.fr
Publié le 8 juillet 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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