Par
Fériel Berraies Guigny. Paris
Antoine Basbous : L’UMA n’est pas née et la Ligue Arabe est
morte, même si on pas encore publié de faire part » !
Photo TAO Paris
Ibn Khaldun, disait que les Arabes ne s’étaient entendus que
sur une seule chose : ne jamais s’entendre ! Six siècles
plus tard, cela est toujours d’actualité. En Irak, au Liban, en
Palestine, la discorde est partout. Les Libanais s’entredéchirent
tandis qu’Irakiens et Palestiniens s’entretuent. Bon nombre de
géopoliticiens disent que c’est la faute de l’Iran chiite,
non arabe. Selon eux, Téhéran serait l’instigateur des
nouveaux malheurs de la région. Une vision peut être raccourcie
mais qui mesure également les nouveaux enjeux de la politique étrangère
de certains Etats arabes. Le
spectre d’une guerre interminable entre Sunnites et Chiites
serait il en train de se profiler ? Le monde arabe est il
menacé dans toute sa totalité ? Le bain de sang irakien
serait il le prélude d’affrontements fratricides à venir ?
Où commence et finit la frontière entre jihadisme et
nationalisme arabe ?
Certes en Irak et au Liban, les communautés sont partiellement divisées
entre les deux grandes familles de l’islam (sunnite et chiite)
mais ce n’est pas le cas en Palestine. Le Hamas n’étant pas
le Hezbollah. Dans cette discorde sans fin, les Etats-Unis et Israël
auront-ils tout le loisir de concrétiser leur projet du Grand
Moyen Orient ? « Divide to conquer » dirait un
adage anglo-saxon et dans un contexte pareil, les puissances
occidentales ont tout le loisir de leur stratégie.
Fériel Berraies Guigny a rencontré Antoine Basbous, politologue et spécialiste
du monde arabe. Dans l’antre de l’Observatoire des pays arabes
( OPA) dont il est le Directeur,
une discussion
franche sans concession ni langue de bois, a été entamée. Au
menu, divers sujets « politiquement incorrects »: des
causes du manque de solidarité et d’unité dans le Monde arabe,
à l’absence de démocratie
dans cette région, aux
derniers développements relatifs aux
dossiers chauds du Moyen Orient.
Entretien avec
Antoine Basbous :
Photo TAO Paris
Observatoire
des pays arabes. Antoine Basbous
et Fériel BG Paris 07/02/07
1) Pensez vous que le Monde Arabe a tendance à reporter les causes de sa
propre faillite sur les autres ?
Il est d’usage dans le monde arabe, d’attribuer à la « théorie
du complot », tous les manquements, les faiblesses et les défauts
du monde arabe. Il est rare de voir des intellectuels et encore
moins, des gouvernants faire leur propre introspection.
L’attribution automatique est le sionisme, suivie par les
Etats-Unis pour finir par les colonialistes. On ne se penche
jamais sur ce mal intérieur qui nous ronge. Aujourd’hui un des
exemples on le trouve
avec le nettoyage communautaire en Irak entre sunnites et chiites.
On est peut être au mieux, à l’avant-veille de l’édification
d’un mur de Berlin à Bagdad et au
pire, on verra la disparition des sunnites au profit des
chiites dans cette région. Mais l’on se pose jamais la question
de savoir ou de comprendre ce qui au cœur de cette haine
fratricide qui pousse au nettoyage ethnique ? On dira c’est
la faute d’Israël et de Bush ! Mais pourquoi on ne s’intéresse
pas aux Ulémas qui
prêchent le « Tekfir » et poussent à l’endoctrinement ? Il y a un mal profond que tout le monde cherche à éviter,
mais on continue à l’attribuer aux autres. Le Monde arabe ne
doit pas participer
à ce jeu et encore moins plonger dans la négation de ses fautes.
2) Pensez vous que le Jihadisme international s’alimente
essentiellement de cette discorde entre arabes ? L’Arabisme
est-il mort né ?
Les raisons du Jihadisme sont multiples. Il y a la doctrine religieuse
mais aussi le désespoir par
rapport aux régimes autoritaire pour ne pas dire, dictatoriaux et
ils sont en majorité dans le monde arabe. Cette situation prêche
le retour au salaf, c’est
à dire le retour vers une
doctrine datant du premier siècle de l’Islam. Période où les
musulmans contrôlaient les confins des territoires allant de la
Chine à l’Andalousie. Ce qui avait fait à l’époque la
grandeur de l’Islam, c’était l’observation de la Charia. 14
e siècles plus tard, on veut
réinstaurer ces préceptes. Plusieurs facteurs remettent au goût
du jour le Jijadisme : d’abord l’échec patent des régimes
nationalistes arabes, l’échec des dictatures et de toutes
formes de monarchies. La Mosquée est le seul espace qui survit,
et l’on ne peut empêcher les gens de prier ou les muftis de
faire leur prêche.
Evidemment, il y a aussi
la donne pétrodollars saoudiens et les divers chocs pétroliers
qui ont alimenté les tensions entre les Saoudes et les
Wahhabites. Le souhabisme, cette doctrine jihadiste et tekfiriste
a été exportée dans le monde arabe et islamique et partout où
il y avait des communautés arabomusulmannes en occident. Il ne
faut pas oublier également, qu’à l’époque de l’Union Soviétique,
le Jihadisme a été encouragé. C’était le grand allié en
Afghanistan, pour les américains, qui n’ont pas versé une
seule goutte de sang durant le conflit
contre les soviétiques. C’était un combat sous traité
pour les américains, mais une fois les Soviétiques battus, l’Occident
n’a pas réalisé qu’il laissait dans la nature, une menace
encore plus grande à défaire.
3) Que pensez vous des méthodes actuelles de la Pax Americana et
Britannica dans le Monde Arabe et en Irak particulièrement ?
Pax, je dirai plutôt guerre civile. L’idée d’instaurer la démocratie
est tout à fait louable dans la région. Mais pour y arriver, il
faut avant tout préparer le terrain. On ne peut passer
brutalement à la dictature des palais, à la démocratie.
Il faut une période transitoire qui permette à la société
civile de se reconstruire. Sans cela, le palais qui tombera
laissera place à la Mosquée. Pour cela, il faut créer les
conditions pour permettre l’existence d’une société civile
avec un vrai multipartisme. Il ne faut pas des partis téléguidés
par les services de renseignements pour jouer les faire valoir. Il
faut des syndicats libres et indépendants et surtout une presse
indépendante. Les gens doivent être critiques, il faut qu’ils
apprennent à débattre à l’égard des partis et du
gouvernement. Il faut créer les vraies conditions de la démocratie.
La démocratie n’est pas une idée d’un moment, c’est une
longue préparation, il faut pour les pays en moyenne 7 à 15 ans
pour y accéder. On l’a vu en Algérie avec le FIS et en Egypte
lors des dernières élections, si le régime actuel ne l’avait
pas contenue, et bien les élections auraient été remportées
par les frères musulmans. La raison est simple ; la société
n’était pas prête pour élire ces représentants. Cette
brutalité du passage de l’autoritarisme à l’ouverture, a
fait que pour rejeter l’ordre établi on a opté pour un
mouvement encore plus radical.
4) Pour vous, quel est le pays le plus démocratique dans le monde arabe ?
La démocratie a plusieurs visages, que dites vous de l’exemple
tunisien ?
Question difficile mais je dois vous répondre, qu’il n’y en a
aucun. Et je ne
retiens pas la thèse
de Monsieur Sfeir, qui cite la Tunisie comme un modèle de démocratie
exportable au Moyen Orient. Il y a encore beaucoup de travail à
faire en ce sens. Il faut véritablement ouvrir complètement les
vannes de la démocratie car elle ne peut s’appliquer à
certains secteurs, au détriment d’autres. Il faut procéder par
étapes, mais avec des avancées tangibles années après années.
Dans des régimes où les Constitutions changent au gré des
leaders, on ne peut savoir si les volontés sont réelles.
5) Pour vous Israël est démocratique ?
C’est une démocratie juive pour les juifs. La démocratie israélienne
ne touche pas les arabes d’Israël. Ils ne sont pas des citoyens
à part entière. Nous avons assisté cette semaine au premier
ministre arabe sans portefeuille du gouvernement israélien. Au
bout de soixante ans d’existence. Ce Ministre n’amènera
aucune substance au gouvernement ni à sa communauté. Il a été
élu, suite à la démission de son prédécesseur à cause de la
venue de Liebermann. Pour lui la tâche sera des plus ardue. La
vraie démocratie en Israël est réservée aux juifs.
6) Vous pensez que les institutions telles que la Ligue Arabe, l’UMA,
ou le Conseil de Coopération du Golfe sont moribondes.
La solution à toute
cette mésentente viendra avec l’arrivée de la démocratie. Car
pour l’heure, les régimes autoritaires se méfient l’un de
l’autre. L’UMA depuis sa création, est paralysée depuis prés
de 13 ans. La raison, c’est que ces régimes ne se font pas
confiance. Chaque pays dépense énormément d’énergie à
torpiller les initiatives du voisin. Si l’on attend une coopération
économique avant qu’elle ne soit politique, il faut créer des
régimes libéraux prompts à l’échange, respectueux des droits
des citoyens et qui se font confiance. Quand les régimes sont
tenus par des services, c’est la suspicion qui prime. Dans les
pays arabes, les services sont partout sauf dans les casernes. Je
suis très critique quant à la coopération interarabe. Il y a énormément
de conflits qui ne sont pas réglés. Il y a aussi la soif de
l’image du « leader, du chef de tribu, du chef de la
Nation ». Beaucoup d’énergies sont dépensées dans des
batailles vaines. L’UMA n’est pas encore née et la Ligue
Arabe est morte, même si on pas encore publié de faire part » !
7) Que pensez vous de l’engouement afro africain de Kaddafi ?
Le monde arabe ne lui pas a donné l’écoute et la place à laquelle
il aspirait. Il a pensé que l’Afrique serait plus malléable
avec ses milliards de pétrodollars. Il y a plus de besoin en
Afrique que dans le monde arabe. Ce dirigeant a réussi à se
maintenir depuis 38 ans au pouvoir et c’est un record absolu égalable
à celui de Fidel Castro. C’est de la gesticulation et de
l’agitation. Le jour où il devait réunir un sommet africain,
il y a eu des pogroms. C’est dire combien les libyens ne
suivaient pas leur guide dans sa nouvelle orientation régionale.
8) Hormis, la religion, est-ce le manque d’intérêt économique entre
les Etats Arabes qui justifie l’absence d’alliances stratégiques ?
Il faut des valeurs et des intérêts en commun. Une alliance, une
stratégie se fondent sur cela. Les valeurs universelles, telles
que la liberté, le développement, la
prospérité
ne sont pas reconnues dans le monde arabe.
On est encore très loin, en l’absence de structures adéquates.
Le seul exemple qui fonctionne est l’Union Européenne, pourtant
elle avait plus de raison d’échouer que la ligue arabe
n’avait de raisons de réussir. Le mieux que l’on peut
s’attendre de la Ligue Arabe, c’est un communiqué commun des
ministres qui sera aussitôt oublié !
Cela ne réussit même plus à tromper l’opinion publique !
6) Le monde arabe était le grand absent durant la guerre au Liban cet été,
tout comme, s’agissant
de l’Irak, de l’exécution sommaire de Saddam, qu’en pensez
vous ?
La ligue arabe a eu deux positions successives par rapport au Liban.
La première était une condamnation de l’aventure et c’était
justifié. Un parti quelqu'il soit ne peut avoir la légitimité
d’engager une guerre entre deux Etats. Vu l’engouement suscité
par la démagogie au sein de l’opinion publique et surtout qu’Israël
a véritablement dérapé, la Ligue Arabe était présente
en réunissant ses MAE à Beyrouth. Mais il y avait un double
discours ; car un ministre des pays du Golfe s’est posé
quatre heures en Israël avant de rejoindre Beyrouth à bord de
son avion, escorté par les chasseurs israéliens. Au cours de ce
sommet, il a soutenu le Hezbollah et l’axe syrano-iranien au
cours du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les pays arabes,
n’ont pas une ligne ou une vision commune.
S’agissant de Saddam, cette exécution l’a transformé de
dictateur abominable en héros de la Nation. L’image de Saddam a
fédéré autour de lui beaucoup de personnes qui le détestait.
On s’interroge alors sur ces valeurs, comment peut on soutenir
un dictateur de la trempe de Saddam pendant son règne, après sa
déchéance et après son exécution ? On peut en fin de
compte le condamner mais également ceux qui l’on exécuté !
Car cela était plus une vendetta et un règlement de compte, sans
compter que cela apparaît comme une vengeance des chiites
iraniens contre les sunnites et les arabes. ET là, la grosse
difficulté est que cette guerre va légitimer une guerre qui dépasse
de loin les frontières du seul Irak.
Il y a un risque d’embrasement de l’ensemble du Mashrek
et du Moyen Orient.
7) Pensez-vous que l’avancée
des démocrates américains, aura un impact sur le renfort
militaire ou le retrait militaire futur en Irak ?
L’isolement croissant du Président Bush en Irak, est il le prélude
d’un arrêt du bain de sang irakien ?
L’Irak aujourd’hui, c’est un chaos indescriptible.
Personne ne pourra arrêter le bain de sang. Si Bush décidait
de se retirer, la guerre sera d’une intensité dix fois supérieure
à ce qu’elle est aujourd’hui. La fin d’une dictature amène
un éclatement du pays et les
divergences qu’elle canalisait auparavant, reviennent en
surface. L’Union Soviétique quand elle s’est effondrée,
a vue son empire s’éclater. Quand
Tito est mort, l’Ex Yougoslavie s’est morcelée.
L’Irak avec la fin du règne de Saddam, à vu toutes ses
fissures et
divergence intercommunautaires, remonter à la surface. En
l’absence d’une culture démocratique et de valeurs comme le
pluralisme politique, la liberté individuelle, le pays est appelé
à s’éclater. Quoique fasse Bush, la donne ne changera pas. En
se retirant, Bush pourrait impliquer l’Iran dans la guerre
civile irakienne et engloutir toute l’énergie de l’Iran dans
cette guerre, au lieu que cette dernière ne s’engage plus dans
son programme nucléaire. Et cette guerre civile à l’échelle régionale,
va appeler les pays sunnites à s’engager eux-mêmes pour
soutenir les sunnites irakiens.
9) Le Grand Moyen Orient, sera-t-il toujours d’actualité avec les Démocrates?
Non, Bush est revenu en arrière par rapport à ce
plan, aujourd’hui la stabilité prime sur la démocratie et
l’ensemble des pays arabes se réjouissent de l’échec américain
en Irak. C’est une manière pour eux d’être rassurés, car
Bush n’exigera plus la démocratie dans ces pays. Il n’a plus
d’attentes en ce sens, car il n’a plus de légitimité.
10) Une conférence s’est tenue à Paris pour engager le processus de
reconstruction du Liban. Que pensez vous de la méthode employée
qui, pour l’essentiel, consiste à trouver des financements ?
N’est ce pas un aveu d’échec ou de limite de la diplomatie à
l’occidentale ?
Non, c’est parti d’une intention tout à fait légitime, qui
consiste à trouver des financements pour soutenir un gouvernement
légitime contre un président qui a un agenda
lié à la Syrie et à l’Iran. Même président qui
essaye de brouiller les pistes s’agissant du jugement des
assassins de Hariri. C’est utile que le Liban ne fasse pas
faillite, et qu’on le soutienne politiquement et économiquement.
C’est un soutien à un
axe libéral qui fait fasse au croissant chiite qui s’étend de
Téhéran à Damas, en passant par Bagdad et avec le Hezbollah
comme pointe sur la meditterannée et le Hamas à Gaza.
11) A quand la paix dans cette région ?
La paix, je ne sais pas si cela de notre vivant. Au mieux, dans deux générations.
Il faut tout au moins, jeter les bases de cette paix en désamorçant
la crise palestinienne et en créant un Etat palestinien. Il
faudra désamorcer toutes les
bombes à retardements de la région. Le Liban aussi a énormément
souffert et on doit appliquer les résolutions onusiennes, il faut
que la Syrie le reconnaisse et envoie un Ambassadeur à Beyrouth.
Avec des frontières reconnues à Ecchabba. Il y a également le
grand chantier irakien à résorber sous peine que la crise
engloutisse plusieurs pays de la région. Les années à venir ne
seront pas rassurantes. Le terrorisme est un fléau qui nous
accompagnera longtemps avec la décentralisation du phénomène.
Il n’y a plus de pouvoir central autrement que par l’image et
la famille salafiste est implantée partout. Le meilleur rempart
sera une légitimité des pays islamiques et l’apport des ulémas
éclairés qui
devront désamorcer la doctrine. Il faudra
empêcher que
cette mouvance s’appuie
sur la misère et le vécu
quotidien, pour recruter.
Crédits :
Source : Réalités Tunisie
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La Démocratie oui mais après une longue préparation : Entretien avec ANTOINE
BASBOUS
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Article de presse : Courtesy
of Fériel Berraies Guigny pour F.b.g Communication. France
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Photo : Tao. Paris
Publié le 7 juin 2007 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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