La ratification du Traité de Lisbonne
Anne-Marie
Le Pourhiet : « L’Union européenne est
consubstantiellement anti-démocratique »
par Silvia Cattori
Anne-Marie Le Pourhiet
20 décembre 2007 Les
dirigeants européens s’apprêtent à faire passer en force le
Traité de Lisbonne, alors qu’un texte similaire a été rejeté
par voie référendaire dans les États membres où une
consultation avait été organisée, France et Pays-Bas. Du fait
de ce procédé oligarchique, l’Union européenne ne pourra plus
être considérée comme une institution démocratique, mais elle
ne l’a en réalité jamais été assure le professeur Anne-Marie
Le Pourhiet.
Silvia
Cattori : Lors du Rassemblement du
Comité national pour le Référendum qui a réuni à la tribune
Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Dupont-Aignan [1],
vous avez prononcé des mots forts, des mots surprenants. Vous
avez qualifié de « haute trahison, de coup d’Etat »
le fait que le président Sarkozy veuille ratifier le « traité
modificatif » par voie parlementaire. N’est-ce pas
excessif ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Il s’agit d’un acte très grave qui
prouve bien que les références incessantes des traités européens
aux valeurs démocratiques sont une tartufferie car cette Europe
technocratique et confiscatoire ne peut se faire que contre la
volonté des peuples.
L’Europe est
consubstantiellement anti-démocratique, on veut nous l’imposer
de gré ou de force. Nous ne sommes pas le premier peuple dont on
aura bafoué la volonté, les Irlandais et les Danois ont aussi été
contraints à revoter jusqu’à ce qu’ils disent oui.
Mais chez nous le cynisme est bien
pire puisque l’on nous refuse même le droit de revoter en nous
imposant une ratification parlementaire. Tout démocrate, qu’il
soit souverainiste ou fédéraliste, devrait s’insurger contre
une telle forfaiture.
Silvia
Cattori : Le 29 mai 2005, le peuple
français avait rejeté le projet de Constitution européenne à
55 % des voix. Depuis lors, ce projet n’a-t-il pas été amélioré ?
N’a-t-on pas supprimé les dispositions de la Constitution européenne
qui faisaient l’objet de contestation ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Bien sûr que non. On nous a seulement
enlevé les termes de Constitution et de loi ainsi que les
symboles (hymne, drapeau). Ce n’est pas anodin car cela prouve
que les eurocrates ont compris la motivation anti-fédéraliste
des citoyens français, mais tout le reste du traité
constitutionnel se trouve dans le nouveau texte.
Le procédé consistant à ne plus
intégrer la Charte des droits fondamentaux
dans le traité lui même mais à lui conférer cependant une
valeur contraignante ou encore le remplacement de la référence
expresse à la primauté du droit européen par une mention de la
jurisprudence de la Cour qui pose cette primauté, constituent
autant de supercheries destinées à tromper les citoyens et à se
moquer d’eux.
La version consolidée des traités,
telle qu’elle a été rédigée sous la direction d’un député
français, et qui fait 281 pages, montre à quel point le Traité
constitutionnel est intégralement recopié. Même la
disposition ridicule de l’article III-121 du TCE sur le « bien-être
des animaux en tant qu’êtres sensibles » se retrouve à
l’article 13 du nouveau traité sur le fonctionnement de l’Union !
Comme toutes les dispositions du
TCE avaient été critiquées à un titre ou à un autre et que le
« non » français s’adressait à l’intégralité
du texte, on ne voit pas comment le président Sarkozy pouvait prétendre
conserver les éléments « non contestés », c’est
totalement arbitraire et dictatorial.
Silvia
Cattori : Quels sont les
dispositions les plus importantes qui se trouveraient ainsi imposées
aux Français par ce « mini-traité », contre la
volonté qu’ils avaient exprimée ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Tout, dans ce traité est très
important. Le président de l’Union désigné pour deux ans, la
politique étrangère et son ministre désormais déguisé en
« haut représentant », la Charte des
droits fondamentaux, si éloignée de l’esprit de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et surtout
l’extension sans précédent de la règle de la majorité
qualifiée accompagnant la suppression des « piliers ».
Le transfert de souveraineté est colossal.
Silvia
Cattori : N’est-il pas vrai que le
Parlement verrait ses pouvoirs renforcés ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : C’est un bien mince avantage dans un
système où une commission indépendante des gouvernements, et
donc des Parlements devant lesquels ces gouvernements sont
responsables, monopolise l’initiative législative.
Le Conseil constitutionnel français
ne s’y est pas trompé en affirmant que le Parlement européen
n’est pas « l’émanation de la souveraineté nationale ».
Quand on connaît de surcroît la composition médiocre et
l’organisation ubuesque de cette assemblée, on n’est pas
vraiment rassuré par le renforcement de son pouvoir.
Silvia
Cattori : Comment expliquer que
cette majorité de Français qui avaient voté « non »
au projet de Constitution en 2005, aient voté « oui »
à l’élection de M. Sarkozy tout en sachant qu’il ne
prendrait pas en compte le non de ceux qui avaient rejeté ce
projet ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : D’une part M. Sarkozy avait
simplement annoncé un « mini-traité » qui se
bornerait à « permettre à l’Union de fonctionner »
de telle sorte qu’on pouvait imaginer une simple amélioration
des règles de vote au Conseil, d’autre part on ne peut pas
confondre la réponse à une question référendaire et le choix
d’un candidat à une élection.
Comment voulez-vous qu’un électeur
de droite, de surcroît convaincu que Mme Royal est une
parfaite incompétente, puisse voter pour elle simplement parce
qu’elle promet (du bout des lèvres) un nouveau référendum et
alors qu’elle a aussi prôné le « oui » à la
Constitution européenne ? Les socialistes français ont fait
depuis longtemps de l’Europe leur fond de commerce et le moins
que l’on puisse dire est que ni Ségolène Royal, ni François
Bayrou, ne pouvaient constituer une alternative crédible sur ce
point. Le vote Sarkozy a été pour beaucoup un vote par défaut.
Silvia
Cattori : Le traité a été signé
jeudi 13 décembre à Lisbonne par les chefs d’Etat et de
gouvernement des vingt-sept pays membres de l’Union européenne.
M. Sarkozy est déterminé à le faire ratifier par voie
parlementaire avant fin février. Qu’est-ce qui pourrait encore
déjouer, d’après-vous, ce « coup d’Etat » ?
Quels moyens le peuple français a-t-il d’imposer la voie du référendum ?
Le droit constitutionnel peut-il encore remettre tout cela en
cause ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Nous n’avons aucun recours juridique
car la Constitution française n’interdit pas, comme la
Constitution californienne, de modifier une loi référendaire par
une loi parlementaire. Le Conseil constitutionnel français n’a
pas non plus fait sienne la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle italienne qui impose un nouveau référendum
pour contourner la volonté populaire. Le Conseil constitutionnel
pourrait éventuellement « constater » que les deux
traités sont quasiment identiques et « regretter » la
méconnaissance de la volonté populaire mais il ne peut pas la
sanctionner.
Il ne nous reste donc plus qu’à
compter soit sur la mobilisation populaire, soit sur un rejet
parlementaire de la révision constitutionnelle préalable à la
ratification. Le projet de révision doit, en effet, être adopté
à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au
Congrès [réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat à
Versailles, Ndlr.].
Silvia
Cattori : Si, après avoir été mis
en discussion à l’Assemblée nationale puis au Sénat, la révision
constitutionnelle est approuvée par les trois-cinquièmes des
suffrages exprimés des parlementaires, plus rien ne pourra plus
s’opposer à la mise en œuvre de ce traité ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Non. 60 députés ou 60 sénateurs
pourront encore déférer au Conseil constitutionnel la loi
autorisant la ratification du traité, mais il n’y a aucune
chance pour que le recours aboutisse.
Silvia
Cattori : L’Irlande est tenue par
sa propre constitution de consulter son peuple par référendum.
En cas de rejet, comment sortira-t-on de cette impasse ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Sûrement de faire voter de nouveau les
Irlandais ! Ainsi va l’Europe !
Silvia
Cattori : Si ce traité est
finalement imposé, et si, comme vous l’affirmez il y a dans la
manière de procéder un « double coup d’État », M. Sarkozy,
mais également les chefs d’État et de gouvernement des
vingt-sept États membres de l’Union européenne, ne vont-ils
pas devoir, tôt ou tard, s’expliquer quant à leur « trahison » ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : Pour ce qui est de la France, le président
Sarkozy aura à s’expliquer de beaucoup de choses. Mais la
sanction électorale ne peut jouer que lorsqu’il y a un candidat
alternatif crédible, ce n’est pas encore le cas chez nous. Pour
les élections municipales et législatives, nous saurons en tous
cas nous souvenir des votes de nos parlementaires !
Silvia
Cattori : 75 % des citoyens européens
sont favorables à un référendum. Reste donc à ses partisans
d’obtenir que le débat s’ouvre et s’élargisse au plus vite
à tous les pays de l’Union européenne ?
Anne-Marie Le
Pourhiet : La mobilisation citoyenne me semble
indispensable, ne serait-ce que pour faire honte aux traîtres.
Silvia Cattori
Journaliste suisse.
Anne-Marie Le Pourhiet est
professeur de droit public à l’Université Rennes-I. Elle est
l’auteur du manuel de Droit
Constitutionnel récemment publié par Economica
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