Maroc : « C'est la première fois dans l'histoire du pays que
celui-ci est confronté à un mouvement pour un changement de la
nature même du régime »
Tout d’abord, c’est la
première fois dans l’histoire du Maroc et en particulier
depuis son indépendance, que le pays est confronté à un
mouvement qui manifeste pour un changement de la nature même
du régime. C’est une situation sans précédent au Maroc qui
n’avait connu jusque-là que des manifestations contre
Israël, contre les Etats-Unis ou des manifestations pour
dénoncer la cherté de la vie par exemple.
L’ampleur de ce mouvement est par ailleurs surprenante au vu
de la vague de désinformation de la part des journaux
proches du gouvernement qui sévissait alors au Maroc. Nous
pouvons aussi souligner un point tout aussi important qui
renvoie au contenu qualitatif de ce mouvement. En effet, les
élites politiques et sociales du pays ont appuyé les
revendications, ce qui casse le mythe du consensus autour de
la nature du régime marocain. Il n’y pas de consensus, loin
de là, autour de la nature du régime marocain, on peut même
appuyer l’idée qu’une grande partie des élites politiques
allant des partis de la gauche radicale aux parties dits de
droite en passant par les partis de gauche gouvernementale
et non gouvernemental et intellectuelles du pays sont en
faveur du changement de la nature du régime. Certains partis
dits de droite se sont exprimés en faveur de ces
revendications.
Ce que réclament les manifestants est assez clair : ils
veulent une monarchie parlementaire. C’est d’ailleurs très
intéressant de se pencher sur les différents types de
slogans qui ont été utilisés pendant ces manifestations.
Aujourd’hui le mot corruption est associé à l’entourage très
proche du Roi. Mounir Majidi, le secrétaire particulier du
Roi et donc un proche, Fouad ALI El Himma, ami intime et
bras politique de Mohammed VI, ont été fustigés par les
manifestants. Le PAM, le parti de l’authenticité et de la
modernité qui a été lancé par Fouad ALI El Himma et
considéré comme le parti du Roi a été attaqué vigoureusement
et a fait l’objet de slogans très négatifs lors de ces
manifestations.
Par ailleurs il y a une nouvelle donne insufflée par les
révélations de Wikileaks. Les Marocains ont découvert que
leur allié le plus solide, à savoir les Etats-Unis pensait
que la corruption au Maroc avait empiré et accusait le
sommet de l’Etat et son entourage d’être à l’origine de
cette corruption. Ces informations ont eu un impact certain
sur les revendications de démocratisation des Marocains.
Quel rôle jouent les réseaux
sociaux dans ces mouvements ?
Les réseaux sociaux ont eu un rôle absolument central. En
effet, il était inutile de lire la presse marocaine, de
regarder la télévision publique marocaine pour s’informer en
raison de l’abus d’information qui était alors très présent.
Pour s’informer, il fallait être sur facebook où l’on
pouvait visionner de nombreuses vidéos prises par des
manifestants grâce à leur téléphone portable qu’ils
téléchargeaient alors sur leur page du réseau social,
rendant ainsi ces vidéos publiques, à l’image de ce qui
s’est produit en Egypte et en Tunisie. Ces vidéos montraient
les manifestations, des gens qui se sont immolés, les
violences de la police marocaine. Facebook a donc joué un
rôle très important. D’ailleurs son nombre d’adhérents est
passé de 800 000 et quelques en 2009 à 3 millions
d’adhérents aujourd’hui. Facebook continue de jouer un rôle
central dans l’organisation des mobilisations à venir.
Quelle a été la réaction de
l’Etat marocain aux révoltes qui ont secoué le monde arabe ?
La première réaction de l’Etat marocain fut le déni. Il
n’y avait pas vraiment de reconnaissance de ce qui se
passait chez les pays voisins. D’ailleurs, la télévision
publique marocaine ne retranscrivait que la violence qui
sévissait en Tunisie et en Egypte sans jamais mentionner les
revendications des manifestants tunisiens et algériens.
Aucun aspect politique de ces deux révolutions n’a été
rapporté par la télévision marocaine. Mais certaines
décisions prises par le gouvernement montrent bien que la
peur du régime marocain était bien réelle, celle d’être
confronté à une évolution similaire à celle de la Tunisie et
de l’Egypte. Cette peur s’illustre notamment par la décision
prise par le gouvernement marocain de doubler la dotation de
la caisse de compensation qui est assimilable à un système
de subvention qui s’était révélé jusqu’à présent inefficace.
En effet, ils subventionnent des catégories sociales qui
n’en ont pas besoin et pas assez celles qui en ont besoin.
Or voilà qu’on lui a rajouté l’équivalent de 1.3 milliards
d’euros, somme absolument énorme qui n’est pas sans
conséquences en terme budgétaire. L’Etat a également donné
gain de cause à des diplômés chômeurs qui manifestaient dans
les rues en leur trouvant comme par miracle des postes dans
la fonction publique.
Ce sont des réactions qui sont tout à fait conformes à la
notion d’Etat rentier, notion inventée par la science
politique pour caractériser certains Etats du Moyen-Orient,
qui correspond à leur capacité à acheter la paix, en
creusant le déficit budgétaire dans le cas du Maroc.
Le discours du Roi après les manifestations du 20 février
nous montre que l’Etat marocain est un Etat autiste par
rapport aux événements qui se sont déroulés. Aucun mot,
aucune phrase, aucune idée dans ce discours ne montraient
qu’il y avait, de la part du régime, ne serait-ce qu’une
légère prise de conscience de la légitimité des
revendications de ceux qui sont derrière les manifestations
du 20 février qui encore une fois sont partagées par la
quasi-totalité des élites intellectuelles et politiques du
pays.
Le Roi pourrait-il être menacé à
terme ?
La probabilité pour que la monarchie soit menacée est
plutôt faible mais bien malin est celui qui peut prédire ce
qui peut se passer après les différentes vagues
révolutionnaires qui ont frappé le Moyen-Orient. En effet,
les premières revendications en Egypte et en Tunisie ne
demandaient pas le départ des gouvernants. Mais la dureté de
la réaction des pouvoirs ont eu pour effet de radicaliser
les revendications des manifestants qui ont fini par exiger
le départ de leurs dirigeants en place. Dans le cas du
Maroc, on peut imaginer un scénario, qui semble peu
probable, incarné par une mobilisation populaire réelle avec
des phénomènes de sit-in dans les villes les plus
importantes du Maroc et des réactions violentes de la part
de la police ce qui n’a pas été vraiment le cas jusqu’à
présent. Il y a eu un cas d’extrême violence où un jeune
homme a été tué après avoir été battu par la police mais,
dans les grandes villes, il y a une certaine retenue. Ce qui
montre de ce point de vue, que le régime marocain a tiré
quelques leçons de ce qui s’est passé en Egypte et en
Tunisie. On peut imaginer une situation où le régime se sent
débordé et finit par réagir de manière beaucoup plus
violente radicalisant alors les revendications qui
pourraient alors demander jusqu’au départ du Roi et la fin
de la monarchie mais cela semble très peu probable.
Les élites qui soutiennent les manifestations sont dans une
attitude réformiste et non dans une attitude révolutionnaire
car ils craignent qu’émerge une véritable anarchie avec des
émeutes de masse.
A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, les partis
politiques font partie du mouvement de contestation et
devront donc à un moment donné prendre en charge de manière
opérationnelle ces manifestations. Le risque pour ceux qui
demandent le changement est que le mouvement perde de sa
sève. Le scénario le plus positif serait alors pour ceux qui
veulent une démocratisation plutôt pacifique, qu’il y ait
des révolutions internes à ces partis politiques, qu’on voit
émerger de nouvelles têtes qui porteraient de manière plus
crédible ces revendications, de façon à atteindre un masse
critique qui aurait un pouvoir de négociation beaucoup plus
important contre un régime qui à l’ évidence n’a pas
l’intention de faire évoluer le Maroc politiquement.
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Publié le 1er mars 2011 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.