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Afghanistan Entretien avec
Abdullah Naibi
Soldats français à Kaboul - Photo: MoDem Villeurbanne
Mercredi 19 août 2009
« Plus que des soldats, l’Afghanistan a
besoin d’une véritable alternative politique » Abdullah
Naibi est président du Mouvement pour l’avenir de l’Afghanistan
(Ayenda), une formation de gauche. Il analyse la situation et
dénonce la mascarade électorale.
Quelle est votre analyse
de ces élections ? Vers quoi peuvent-elles déboucher. Y-a-t-il
vraiment un enjeu ou est-ce une parodie électorale ?
Abdullah Naibi
Les élections présidentielles se déroulent dans une conjoncture
particulière Tout d’abord avec l’ absence d’une véritable
alternative au gouvernement actuel. Les candidats éligibles
appartiennent tous au pouvoir en place. Karzaï, ses deux anciens
ministres candidats (Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani), les
partis jihadistes et les anciens commandants du jihad qui
forment les piliers du régime ont tous les mêmes convictions
idéologiques et politiques. Ils approuvent tous la stratégie de
l’OTAN et la mettent en œuvre ; ils sont tous liés aux réseaux
des trafiquants de drogue. Les intérêts partisans, ethniques et
linguistiques sont les vrais mobiles de leurs actions
politiques.
Le pays vit sous un pouvoir répressif. Le cas de Parweiz
Kambakhch, ce jeune étudiant en journalisme est évocateur :
condamné à la peine capitale initialement, il doit passer vingt
ans de sa vie en prison. Sa faute : avoir téléchargé un article
sur l’islam.
L’idéologie réactionnaire est si dominante dans la presse que
l’expression « de gauche » que toute organisation se réclamant
de gauche est illégale. L’appartenance tribale, ethnique,
linguistique, et régionale constitue dorénavant le fondement des
rapports sociopolitiques. La misère, la maladie, l’addiction à
l’opium (surtout parmi les jeunes femmes et les vieillards), le
règne de la terreur, d’arbitraire, du non droit, d’enlèvement
des enfants et d’autres pratiques criminelles ont créé un fort
sentiment de méfiance parmi la population afghane ; elle ne
croit plus aux promesses du gouvernement et de l’OTAN . Les
élections se déroulent donc à la marge des préoccupations du
peuple afghan. Elles n’ouvriront aucune perspective à la vie
infernale des simples gens. Le vrai perdant de ces élections est
bien le peuple afghan à qui est imposée une parodie que l’on ose
qualifier d’ « élections démocratiques ».
Quelle est la position de votre mouvement ?
Abdullah Naibi
Le
Mouvement pour l’Avenir de l’Afghanistan a appelé le peuple et
les autres organisations démocratiques à boycotter ce scrutin
qui légitimera le pouvoir corrompu en place et permettra à
l’OTAN de cantonner des dizaines de millier de soldats
supplémentaires sur le sol afghan. La tenue de ces élections
dans un climat de guerre civile justifie devant l’opinion
publique l’ingérence de l’OTAN qui prétend lutter contre le
terrorisme des talibans. Or c’est l’OTAN elle-même qui a créé
cette situation ; « à la fois le pot, le potier et l’argile »,
comme on dit chez-nous ! C’est l’Otan qui fournit des centaines
de millions de dollars dépensés par les trois candidats favoris
en vu de créer…l’illusion démocratique ?
Les forces démocratiques afghanes considèrent que ces élections
ne sont qu’un simulacre de la démocratie, aboutissant à
l’accession d’un des trois gérants de la politique américaine à
la présidence de la République Islamique d’Afghanistan.
Que représente Karzaï. Quels sont ses opposants et les autres
forces politiques, les laïcs, les démocrates, les forces de
gauche ?
Abdullah Naibi
Soutenus par les seigneurs de guerre et le vaste réseau des
trafiquants de drogue, épris des idées franchement archaïques et
connus pour leur incompétence dans la gestion des affaires de
l’Etat, Karzaï et ses deux coéquipiers candidats à la
vice-présidence, sont les représentants « typiques » du régime
jihadiste-mafieux. Les 8,5 milliards de dollars ( équivalent de
8 fois le budget de l’Etat afghan) « récoltés » par la culture
et le trafic de l’opium en 2008 ne sont pas seulement allés dans
les poches des paysans . Karzaï et ses « opposants » actuels
représentent la nouvelle couche des puissants richissimes formée
grâce à l’OTAN et au pavot. La concurrence au sein du régime se
fait sur fond des intérêts particuliers et non sur des
divergences politiques ou idéologiques.
Quant aux forces démocratiques, progressistes et laïques, elles
n’ont pas eu la possibilité de constituer une force
d’alternative. Réprimés dans le pays ou émigrés à l’étranger,
les militants de la gauche afghane ne possèdent pas les mayens
adéquats pour reformer un grand parti populaire. En l’absence
d’une telle organisation aucune alternative politique à la
situation actuelle n’est envisageable..
Quel est l’enjeu de la main tendue aux talibans dits "modérés" ?
Abdullah Naibi
Contrairement à l’opinion propagée, le mouvement des taliban
n’est pas un pur phénomène afghan. En accord avec les
américains, il fut créé par les services de renseignement
pakistanais ( ISI) pour renverser l’anarchie du régime des
moudjahiddin. Les liens entre Al-qaeda, les talibans pakistanais
et afghans et les autres branches de l’extrémisme islamique dans
la région sont très étroits. Ces mouvements sont utilisés par
l’Etat pakistanais contre l’Afghanistan. Celui-ci joue un double
jeu : se montrant victime des talibans, il crie à la lutte
contre le terrorisme mais il encourage et même organise
l’instabilité permanente chez son voisin afghan, via les mêmes
talibans ! Tant que le Pakistan n’a pas obtenu un engagement
suffisant garantissant aux talibans une position dans un
gouvernement de coalition à Kaboul, aucune négociation sérieuse
ne sera engagée. Les contacts avec quelques figures de second
rang, annoncés par l’entourage de Karzaï à des fin
électoralistes, ne sont pas une négociation ! Les vrais talibans
répondent par des bombes, des roquettes et des déclarations
menaçantes !
C’est la politique désastreuse menée par Karzaï et l’OTAN depuis
presque huit ans qui a favorisé leur réimplantation sur le sol
afghan. Le peuple afghan ne voit pas de différence entre le
pouvoir de Kaboul et les talibans . Les afghans n’ont aucune
raison valable de faire élire des hommes comme Karzaï, Abdullah
ou Ghani à la présidence de la république.
L’OTAN et les USA ont-t-ils perdu la guerre ?
Abdullah Naibi
Quelle guerre ? Celle annoncée en 2001 pour combattre le
terrorisme, démanteler Al-qaeda et les Talibans, instaurer la
paix et la démocratie, faire respecter les droits de l’Homme,
défendre les droits des femmes afghanes, reconstruire le pays,
éradiquer la culture du pavot ? Celle-ci, l’OTAN l’a
manifestement perdue !
S’agissant d’occuper militairement une position stratégique dans
une région hautement importante pour les intérêts des
américains, en entretenant une « instabilité contrôlée » comme
alibi, celle-ci, elle l’a gagnée ! Dans tous les cas
l’Afghanistan a perdu sa guerre pour un avenir meilleur !
Les Afghans en sont les premières victimes. Comment sortir de
l’impasse ?.
Abdullah Naibi
Assurément le peuple afghan est la grande victime de l’agression
de l’OTAN et de l’oppression des intégristes soutenus par elle
durant 30 ans . Les forces de changement ont été combattues avec
un tel acharnement qu’aujourd’hui aucune alternative digne de ce
nom ne peut émerger du chaos. Les élections du 20 août seront
inscrites comme un non événement dans l’histoire de
l’Afghanistan !
Version intégrale de l’entretien réalisé
par Dominique Bari
paru dans l’Humanité du 19 août 2009
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Publié le 20 août 2009 avec l'aimable autorisation de
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