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Par Fériel Berraies Guigny. Paris
Rencontre avec Abdou Diouf, Secrétaire Général de la
Francophonie
Le Québec
fête cette année aux côtés de la France, le 400e
anniversaire de sa fondation par Champollion. Une date
mémorable, pour une province qui depuis quatre siècles,
entretient une francophonie des plus vivace. La langue française
emblème et identité de tout un peuple est irréductible face à
son voisin, anglo-saxon. A l’heure du « fast english »
globalisé, la langue française n’a jamais autant brillé à
Québec !
La
recette miracle ? un idéal qui fait le lien entre les peuples et
les cultures du Monde dans le respect de la diversité avec en
partage l’entente par le biais d’une langue commune. Plus
combattive que jamais, l’OIF a démontré aux sceptiques que la
logique des blocs et des antagonismes Nord-Sud, n’ont plus de
raison d’être. Le
prochain Sommet qui se tiendra à Québec, à la mi-octobre 2008,
s’inscrit dans cette logique et sera aussi l’occasion d’aborder
les questions cruciales en rapport avec
l’actualité internationale : la hausse du prix des denrées
alimentaires, les changements climatiques ou la bonne
gouvernance économique et politique. En prévision de cet
important événement, nous avons rencontré le Secrétaire Général
de la Francophonie, M. Abdou Diouf pour évoquer les nombreux
défis mais également les avancées de la Francophonie dans le
Monde.
Entretien avec M.
Abdou Diouf :
1. Les Jeux Olympiques (dont le
français est la langue officielle) qui se déroulent à Pékin vont
vous accueillir avec toute une délégation de l'OIF. Quel message
souhaitez-vous faire passer tant auprès des membres du CIO que
des autorités chinoises ?
La Charte olympique est sans ambiguïté
concernant le statut de la langue française. Dans sa règle 24,
elle stipule que « les deux
langues officielles du Comité international olympique sont le
français et l’anglais », ajoutant
qu’« en cas de litige, la langue
française fait foi ». Ces deux
grandes langues internationales ont donc été, dès l’origine,
placées sur un pied d’égalité par les concepteurs des Jeux
modernes. Les XXIXes
Jeux olympiques qui se déroulent du 8 au 24 août 2008 à Beijing
(Chine) sont l’occasion de conforter la place du français dans
l’arène olympique, en tant que langue originelle des Jeux
modernes mais aussi comme gage d’avenir contre l’uniformité
linguistique sur la scène internationale et dans la promotion de
la diversité culturelle. Langue internationale partagée par
soixante-huit États et gouvernements de par le monde, le
français est indispensable aux Comités nationaux olympiques de
ces pays et aux milliers d’athlètes, journalistes et visiteurs
francophones qui viendront participer, à des degrés divers, aux
Jeux de Beijing. Après Athènes 2004 et Turin 2006, où le statut
du français a été affirmé, Beijing 2008 doit marquer une
nouvelle étape vers l’ouverture, l’échange et le respect entre
les peuples si chers au mouvement olympique et à la
Francophonie.
2. Parlez-nous des objectifs du
prochain Sommet de la Francophonie à Québec ?
Ce sera un Sommet historique, pour plusieurs
raisons. D’abord parce qu’au lieu d’avoir un thème central,
comme ce fut le cas lors des derniers Sommets, les organisateurs
ont choisi d’aborder quatre grands sujets d’actualité :
·
l’Etat de droit, la démocratie et la paix,
·
la gouvernance économique,
·
l’environnement,
·
la langue
française ;
Ensuite, ce Sommet innovera également sur la
forme puisque les co-hôtes, le Canada et le Québec, ont souhaité
rompre avec les monologues habituels : les chefs d’Etat et de
gouvernement pourront avoir des discussions dynamiques à
l’occasion des tables-rondes qui seront organisées lors de ce
Sommet. Enfin, au niveau de la Déclaration finale, nous
souhaitons qu’elle soit synthétique et forte, frappée comme une
médaille. Ce texte doit nous donner une inspiration qui
relancera le mouvement francophone pour les années à venir.
3. Cette année 2008 est « l’année
internationale des langues » comment comptez vous promouvoir la
diversité linguistique tout en consolidant la francophonie ?
Nous avons tout à gagner en collaborant avec
les autres aires linguistiques, que ce soit l’hispanophonie,
l’anglophonie, la lusophonie ou l’arabophonie… Ce dialogue entre
espaces linguistiques et culturels est irremplaçable. C’est
exactement pour cela que, depuis 2001, la Francophonie a entamé
une coopération avec l’hispanophonie, la lusophonie et l’arabophonie.
Et c’est aussi pour cela que nous collaborons étroitement avec
le Commonwealth ! Dans le contexte de la mondialisation que nous
connaissons, le rayonnement des langues dans notre monde actuel,
et donc celui du français, n’a de sens, et n’a de chances, que
dans cette logique de la diversité qui doit porter et nourrir le
dialogue des cultures, le respect des identités, le partage des
valeurs humanistes.
4. Comment promouvoir le développement
durable des Etats au travers d’une langue ? Le français et le
multilinguisme suffiront ils à réduire les fractures
socioéconomiques? Qu’entendez-vous par « Multilatéralisme bien
compris » ?
C’est parce que nous croyons que la
mondialisation sans principes, sans régulation et sans autres
moteurs que la multiplication du profit, conduit à
l’appauvrissement linguistique et culturel du monde, que la
Francophonie, c’est-à-dire 68 Etats et gouvernements, se battent
pour la diversité et le multilatéralisme réel, où chaque voix
compte et ou chacun apporte ses richesses à la table de
l’échange. J’ai l’habitude de dire que la Francophonie est un
laboratoire de la diversité et de la solidarité. Nous
pressentons tous que les identités linguistiques et culturelles
constitueront sans doute, dans un univers multiculturel,
multireligieux contrasté, l’une des grandes questions, l’un des
grands défis et des grands enjeux de ce siècle commençant. Dans
ce combat, La Francophonie dispose d’un atout de choix, qui est
la langue que nos 68 Etats et gouvernements ont en partage, et
les valeurs qu’elle véhicule. La langue française est en effet,
pour nous, le moyen privilégié de nous rencontrer, de mieux nous
connaître, de mieux nous comprendre, le moyen de travailler
ensemble, au service des plus démunis, et plus largement au
service d’une certaine vision de l’homme et de la gestion du
monde.
5. Pour seulement 32 des 68 membres
officiels de l’OIF, le français est la ou une des langues
officielles. Quels intérêts ont poussé les autres pays, à
adhérer à l’OIF ?
L’identité et l'originalité de la
communauté francophone reposent sur le partage d'une langue
commune :
le français. Vous conviendrez qu’il est
normal, qu’en tant que francophones, nous commencions par
cultiver notre jardin, en défendant la langue qui nous unit.
Mais au-delà d’une langue en partage, la Francophonie, c’est
aussi une même vision du monde. Je trouve personnellement que
c’est très positif que de nouveaux pays veuillent nous
rejoindre : cela prouve que la Francophonie est attractive !
Cela démontre que nos messages, les valeurs pour lesquelles nous
nous battons, sont partagés par d’autres. Nous sommes l’une des
rares organisations à toucher aux confins des cinq continents, à
asseoir à la même table des pays parmi les plus riches et parmi
les plus pauvres de la planète, dans un total respect de ce
principe du droit international trop souvent bafoué : « Un Etat,
une voix ». Nous sommes la seule organisation à accueillir, à
côté des États souverains, des gouvernements participants. Nous
sommes, enfin, la seule organisation à associer statutairement
les universitaires, les maires de grandes villes, les
parlementaires de nos Etats et gouvernements, et même un média,
TV5, préfigurant ainsi ce que devrait être un fonctionnement
véritablement démocratique des organisations internationales de
demain.
6. Vu de l’extérieur, la Francophonie manque
de médiatisation. Si on interroge le public, la Francophonie
c’est outre la France, la Suisse, la Belgique et le Québec,
l’Afrique du Nord et l’Afrique noire ; c'est-à-dire pour
l’essentiel les anciennes colonies françaises. Comment faire
pour faire évoluer cette perception des choses et pour améliorer
la « crédibilité » de la Francophonie ? Le sport étant porteur
et très médiatisé, les jeux de la Francophonie sont-ils porteurs
de cet espoir ? et l’organisation d’un grand Festival, type
Avignon, qui soit un RDV incontournable et régulier, présentant
les œuvres des différentes cultures françaises à travers le
monde ?
Permettez-moi de vous dire que la
Francophonie est beaucoup plus large que l’espace que vous
décrivez ! L’Organisation internationale de la Francophonie
compte 68 Etats et gouvernements, dont beaucoup qui n’ont jamais
fait partie des anciennes colonies françaises. C’est, justement,
là que se situe la crédibilité de la Francophonie : cela fait
longtemps que la langue française n’appartient plus seulement à
la France, mais à tous les peuples qui l’utilisent. Pour en
venir ensuite à la seconde partie de votre question, sachez que,
les Chefs d’Etats et de gouvernements réunis à Québec en 1987
ont souhaité la création des Jeux de la Francophonie. Organisés
tous les quatre ans depuis 1989, ces Jeux font le pari
d’associer sur un même terrain les arts et les sports. Ils
favorisent un enrichissement mutuel et désintéressé et expriment
la vitalité de la jeunesse en lui permettant de se mesurer et de
se rencontrer dans un esprit bienveillant. La 6ème édition aura
lieu du 27 septembre au 6 octobre 2009 à Beyrouth. En ce qui
concerne les Festivals, la Francophonie soutient, depuis de
nombreuses années, la circulation des artistes du Sud.
7. L’éducation et les nouvelles technologies
sont sans doute les meilleurs vecteurs pour diffuser la langue
française de par le monde. Quels sont les moyens qui sont
alloués à ces missions ?
L’éducation, considérée à la fois comme
base et objectif du développement, demeure un défi pour les pays
en voie de développement et les acteurs de la coopération
internationale. Nous le savons, l’un des Objectifs du Millénaire
qui vise l’éducation pour tous à l’horizon 2015 ne pourra pas
être atteint dans plusieurs pays. La Francophonie a
naturellement inscrit l’éducation au rang de ses priorités et
s’investit activement à aider les pays francophones du Sud à
atteindre cet objectif. Depuis plus de dix ans, la Francophonie
s’attaque à l’écart technologique croissant entre le Nord et le
Sud. A travers son Institut de la Francophonie numérique (IFN),
l’OIF renforce la participation des pays francophones du Sud à
la gouvernance d’Internet, favorise l’accès aux TIC, assure des
formations et des dotations en équipement et soutient les
projets multimédias novateurs. Des Campus numériques sont
installés dans des universités membres du réseau de l’Agence
universitaire de la Francophonie (AUF). Des centres multimédias
municipaux sont installés dans les établissements d’enseignement
primaire et secondaire grâce à la coopération entre les villes
membres de l’Association internationale des maires francophones
(AIMF). L’OIF et l’AUF viennent en outre de lancer une
initiative de formation à distance des maîtres du primaire
(IFADEM), qui intégrera les TIC, dans quatre pays : Madagascar,
Bénin, Haïti et Burundi. Par ailleurs, j’étais à la fin du mois
de juin à Tunis pour participer à la cérémonie d’ouverture d’un
symposium organisé par les autorités tunisiennes et
l’Organisation internationale de la Francophonie sur le thème «
Les TIC au service de l’éducation ». Plus de deux cents experts
et spécialistes du secteur des nouvelles technologies de
l’information et de l’éducation, ainsi que des ministres de
divers pays francophones, ont répondu présent. C’était un
rendez-vous très important pour tous les pays francophones, qui
s’inscrivait en droite ligne du Sommet mondial de l’information
que la Suisse et la Tunisie avaient accueilli en 2003 et 2005,
et dans la continuité du XIe
Sommet de la Francophonie, organisé à Bucarest en 2006, dont le
thème était « Les TIC dans l’éducation : édifier la société des
savoirs partagés en Francophonie ».
8. Une des difficultés pour les pays
du tiers monde provient également de la cherté des manuels
scolaires. Y a-t-il des actions menées pour en faciliter
l’accès ?
L’OIF a effectivement entrepris des actions
pour améliorer l’accès aux manuels scolaires aussi bien sur la
quantité que sur la qualité. Ces actions ont été d’abord menées
dans quatre pays cibles : le Congo, le Cameroun, la Guinée et le
Niger. Concrètement, il s’agit de productions conçues de bout en
bout par les autorités nationales, depuis la conception jusqu’à
la distribution, qui permettent aux pays d’élaborer des manuels
conformes aux programmes et aux réalités socioculturelles des
bénéficiaires. Nous tenons à ce que le prix des ouvrages
produits soit à la portée des familles. Au Congo et au Niger,
par exemple, les manuels scolaires sont cédés à 1000 FCFA, au
lieu de 3000 à 5000 FCA. En Côte d’Ivoire, les marchés du livre
scolaire sont de plus en plus remportés et exécutés par des
éditeurs locaux, formés, sensibilisés et encadrés par l’OIF.
Forte de cette expérience, l’OIF a élargi son offre à d’autres
pays africains notamment, y compris des pays lusophones comme le
Cap-Vert et le Mozambique.
9. L’anglais est la langue de l’Internet ;
Comment y donner la place qu’elle mérite à la langue
française ?
La langue de l’Internet est celle de
l’internaute. Même si des problèmes subsistent dans la prise en
compte de certains caractères, notamment au niveau des noms de
domaines et de l’adressage, nous voulons mener la bataille du
plurilinguisme sur Internet ! Il a fallu, dans ce domaine comme
dans d’autres, expliquer et défendre, parfois fermement, l’idée
que la diversité linguistique devait être promue sur les réseaux
pour qu’ils deviennent réellement des lieux d’échanges
d’informations et de communication les plus démocratiques
possibles. Ainsi, au fil des années, la part de l’anglais se
réduit et les utilisateurs, encore majoritairement situés dans
les pays riches, saisissent des textes et parlent sur les
réseaux dans leur langue natale ou dans celle qu’ils partagent
avec d’autres internautes : l’anglais bien-sûr, mais aussi le
français, l’espagnol, ou aujourd’hui le chinois, par exemple.
Crédits :
NEW AFRICAN PROPRIETE
EXCLUSIVE
Article de presse Courtesy of Fériel B.G
Rédactrice en chef
www.africasia.com
Publié le 6 décembre 2008 avec
l'aimable autorisation de Fériel Berraies Guigny
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