BDS
Intervention à Londres le 20 avril 2016
de Jean-Guy Greilsamer
Vendredi 22 avril 2016
Bonsoir à tou-te-s,
Je remercie la section de Waltham
Forest de la “Palestine Solidarity
Campaign” de m’avoir invité.
D’abord je me présente. Je suis né en
1946, suis retraité, suis issu d’une
famille juive rescapée du génocide nazi,
et ai eu une éducation juive jusqu’à la
Bar Mitzvah. Je précise qu’en tant que
Juif j’ai eu une enfance normale, parce
qu’à l’époque de mon enfance la
communauté juive n’était pas encore
traversée par des tendances paranoïaques
comme aujourd’hui, et mes parents ne
passaient pas leur temps à me harceler
pour que j’honore la mémoire du
génocide.
Je milite dans la campagne BDS de
France et depuis 2003 à l’UJFP, qui est
solidaire des droits du people
palestinien et participe à la Campagne
BDS.
Je vais vous parler de la situation
française concernant le mouvement BDS,
d’abord du contexte en France et ensuite
des perspectives d’avenir en France et
dans les autres pays concernés par BDS
Le contexte français est spécifique
pour plusieurs raisons.
D’abord, BDS est un sujet sensible en
France parce que la France est le pays
d’Europe qui comporte la plus importante
population juive (environ 600 000, bien
que le nombre soit difficile à évaluer)
et aussi la plus importante population
arabe et arabo-musulmane (environ 6 000
000 ou plus, mais c’est également
difficile à estimer)
Maintenant je vais vous parler d’une
part des faiblesses et d’autre part des
bonnes potentialités de BDS en France
D’abord les points faibles.
Il y a en France un lobby sioniste
agressif, qui attaque le mouvement BDS.
Et il y a en même temps une situation
difficile à cause des attaques générales
contre les libertés sous prétexte de
lutte contre le terrorisme et du fait de
l’ainsi nommé “état d’urgence”
Le lobby sioniste se compose d’une
part du CRIF (le sigle signifie
« Conseil Représentatif des Institutions
Juives de France ») et des officines
sionistes qui portent plainte contre les
militants BDS, et d’autre part de notre
gouvernement.
Le gouvernement considère le CRIF comme
son partenaire officiel représentant la
communauté juive de France, alors qu’en
fait cet organisme, qui ne représente
qu’une petite partie de la communauté
juive, est une courroie de transmission
de la politique israélienne.
La majorité de la population juive
française est certes sioniste, mais elle
est traversée comme toute population par
une diversité de courants d’opinion. Et
l’UJFP à laquelle j’appartiens est un
courant minoritaire, mais pas minuscule.
Il est important de dissocier le CRIF et
le gouvernement, parce que rien n’oblige
le gouvernement français à développer
une politique sioniste. Croire que le
gouvernement est obligé d’obéir au CRIF
serait accréditer les clichés
complotistes et antisémites selon
lesquels les Juifs auraient par essence
vocation à chercher à dominer le monde.
Je signale aussi le poids de la LICRA
(« Ligue Internationale contre le
Racisme et l’antisémitisme »). La LICRA
est une ONG soi-disant antiraciste mais
qui en réalité poursuit également BDS en
justice, comme c’est le cas d’un procès
contre des militants BDS à Toulouse. La
LICRA est l’interlocuteur privilégié du
gouvernement sur les questions de
l’antiracisme.
Notre gouvernement, formé par le
parti « socialiste », et surtout son
premier ministre actuel Manuel Valls,
amalgame l’antisionisme et BDS à
l’antisémitisme, et ne dément pas
l’amalgame que fait le gouvernement
israélien avec le terrorisme.
En général la nature des attaques
contre BDS en France, qui s’inscrivent
dans les attaques contre les libertés,
est soit d’essayer de déclarer que BDS
est illégal, soit de condamner BDS. Dans
les deux cas BDS est présenté comme
antisémite ou comme un obstacle à une
paix juste entre Israéliens et
Palestiniens.
L’objectif de ces attaques est
d’intimider les militants de BDS et
d’essayer de faire croire à l’opinion
publique que BDS est illégal.
Dans certaines mairies le but est
d’interdire aux services municipaux de
mettre à disposition de la Campagne BDS
des services qui pourraient lui être
utiles, par exemple des salles de
réunion.
Depuis février 2010 une circulaire,
appelée « circulaire Alliot Marie », du
nom de la ministre de la Justice de
l’époque, recommande aux juges de
poursuivre les militants qui appellent
au boycott des produits israéliens. Mais
une circulaire n’est pas une loi, et la
majorité des juges n’a pas appliqué
cette circulaire.
En octobre 2015, un arrêt de la Cour
de cassation (la plus haute Cour en
France) a confirmé un jugement qui a
condamné le boycott des produits
israéliens. Cet arrêt déclare que le
boycott de produits israéliens constitue
une discrimination contre des
producteurs et des fournisseurs en
raison de leur appartenance à une
« nation », en l’occurrence la
soi-disant « nation » israélienne.
En mars dernier, un autre arrêt de la
Cour de Cassation a confirmé une
condamnation d’un autre groupe de
militants pour cette raison et aussi
pour « entrave à la liberté du
commerce ».
Mais il s’agit là de seulement deux
arrêts de la Cour de Cassation. Des
arrêts précédents de cette Cour
déclarent que le boycott n’est pas
illégal parce qu’il relève de la liberté
d’expression, et la majorité des procès
ont abouti à des relaxes.
En fait, il n’y a pas en France de loi
anti-BDS : BDS n’est donc pas illégal.
Un autre point faible du contexte en
France est l’évolution négative de
l’élite intellectuelle.
Alors que pendant longtemps la scène des
intellectuels de renom en France était
beaucoup marquée par des figures
intellectuelles anticolonialistes,
aujourd’hui ce sont des intellectuels
sionistes ou islamophobes (ce qui se
rejoint) qui tiennent le haut du pavé.
Ce phénomène, qui ne concerne pas que le
regard sur Israël et la Palestine,
relève de ce que certains qualifient de
« droitisation » de la société.
Mais la Campagne BDS en
France, ce n’est pas seulement ses
points faibles, c’est aussi ses bonnes
potentialités.
C’est ce que je vais aborder
maintenant.
Le point fort essentiel est qu’il existe
dans la population française une réelle
empathie pour le peuple palestinien. On
peut dire que la moyenne de la
population française est plus sensible à
la cause du peuple palestinien et à la
dangerosité de l’Etat d’Israël que ne
l’est la moyenne des politiciens, qui
est beaucoup plus frileuse.
Lorsque nous intervenons dans des lieux
publics ouverts, beaucoup de gens
manifestent leur sensibilité, signent
volontiers des pétitions de solidarité
ou pour dénoncer la politique d’Israël
et de ses alliés, ou prennent notre
défense quand nous sommes agressés
verbalement par des sionistes.
Un sondage a établi que 2/3 des Français
ont une image négative d’Israël, et
lorsque les gens sont interrogés sur
quels sont selon eux les Etats les plus
dangereux dans le monde, pour la
majorité Israël se trouve dans le
peloton de tête.
Nous pouvons constater qu’il existe
une résistance réelle aux mesures
répressives contre BDS
Sur les cent plaintes qui ont été
intentées contre des militants, la
plupart ont été classées sans suite et
la majorité des autres se sont soldées
par des relaxes.
Suite à la confirmation par la Cour de
cassation de la condamnation des
militants de la région de Mulhouse, les
interventions BDS ont pu quand même
continuer, ce qui n’aurait pas été
possible si la majorité de la population
française soutenait la politique
d’Israël.
Par ailleurs, les victoires de la
campagne BDS en France ne sont pas à
minimiser.
BDS France a contribué de façon
importante à la faillite de l’entreprise
israélienne d’exportation de fruits et
légumes Agrexco et à des victoires
contre Sodastream, retiré des exposants
d’un salon à vocation écologique et
récemment retiré du sponsoring du
festival de la BD d’Angoulême. Nous
avons contribué aussi à la rupture de
l’accord entre Orange et la société
israélienne Partners Communications et
au retrait total de Veolia d’Israël.
Deux firmes ont annulé leur
participation à un projet de funiculaire
destiné à relier Jérusalem à des
colonies illégales, après que ces firmes
aient été averties par les ministères
français des Finances et des Affaires
Etrangères ainsi que par des mouvements
de solidarité avec le peuple palestinien
des problèmes juridiques et des risques
encourus.
Sur le front du boycott culturel,
nous avons également obtenu des
victoires.
Il existe en France un potentiel de
mobilisation important, notamment parmi
les jeunes issus de l’immigration. Pour
eux, qui subissent souvent les
politiques racistes dans les banlieues,
le peuple palestinien est à la fois un
symbole et une forte réalité de la
figure de l’opprimé. Le peuple
palestinien est victime depuis longtemps
d’une politique coloniale et les jeunes
issus de l’immigration subissent souvent
les conséquences de la politique
coloniale française, passée ou présente.
Dans la situation de désarroi ou de
confusion politique aujourd’hui en
France, beaucoup de gens qui étaient
engagés dans un parti politique
préfèrent à présent s’engager
prioritairement dans la campagne BDS. Je
ne veux pas ici juger leur comportement,
mais rapporter cette situation. Ces
militants nous disent : « Dans BDS au
moins je sais pourquoi je me bats ».
De même beaucoup de gens qui étaient peu
engagés dans une démarche collective ou
qui papillonnaient entre diverses causes
humanitaires, franchissent le pas de
s’engager dans le mouvement BDS et nous
disent que ce type d’engagement par ses
dimensions citoyennes, antiracistes et
non-violente leur convient tout à fait.
Un point important est que BDS rentre
en résonnance avec des causes
importantes ici même :
L’antiracisme : ce qui est en jeu
aussi bien en Israël et Palestine
qu’ici, c’est le vivre ensemble dans
l’égalité et la justice quelles que
soient nos origines, et le refus de
l’idéologie du choc des civilisations
L’anticolonialisme : la France a une
longue expérience des politiques
coloniales et des mobilisations
anticoloniales, et la politique
israélienne contre le peuple palestinien
est la plus longue guerre coloniale
contemporaine qui concerne directement
le monde occidental
Les valeurs de justice, liberté et
égalité en général que symbolise le
peuple palestinien, que ce soit dans le
monde du travail ou dans toute la
société
Les mouvements anti-guerre, parce
qu’Israël est un Etat dangereux pour la
paix dans le monde et que nous avons à
combattre en France un gouvernement très
va-t-en guerre ami d’Israël
Le respect du droit international,
parce que la persistance de l’impunité
d’Israël signifierait la défaite du
droit international et son remplacement
par le droit du plus fort
Tout ce contexte fait de BDS en
France un engagement non seulement pour
soutenir un autre peuple, mais aussi un
engagement interne à la société
française.
Il nous appartient de mettre en œuvre
ou d’inventer les médiations nécessaires
pour développer cet engagement, pour
l’enraciner dans la population.
J’aborde maintenant la
dernière partie de mon exposé : quelles
sont les perspectives du mouvement BDS,
aussi bien en France que dans les autres
pays impactés par BDS
J’ai évoqué les victoires auxquelles
le mouvement BDS a participé en France.
Il y a eu beaucoup d’autres succès
importants dans d’autres pays, par
exemple chez vous contre G4S, qui en
France n’est qu’une petite société.
Tous ces succès sont globalement plus
importants que ceux que la campagne de
boycott de l’Afrique du Sud avait
capitalisé 10 ans après son lancement.
Et ils produisent des résultats
encourageants.
Ainsi des exportations israéliennes
commencent à baisser, qu’il s’agisse des
produits des colonies ou même de
l’industrie d’armement (sauf l’Europe
concernant les exportations d’armes, qui
augmentent). Les investissements de pays
étrangers diminuent aussi : ainsi en
2014 les investissements ont été de 46 %
inférieurs à 2013.
Les Palestiniens des territoires occupés
ont eux-mêmes diminué leurs importations
d’Israël : de 24% en 2014 par rapport à
2015.
Le Conseil des droits de l’Homme de
l’ONU, qui condamne la colonisation, a
décidé le jeudi 24 mars de dresser une
liste noire des entreprises opérant dans
les territoires occupés par Israël.
Les succès des boycotts culturel,
universitaire, syndical dérangent l’Etat
d’Israël tout autant que le boycott
économique, parce qu’ils le
décrédibilisent.
Il ne faut pas bien-sûr crier victoire
prématurément, parce que l’économie
israélienne est encore forte et les
capacités agressives d’Israël et de ses
alliés sont encore importantes.
L’économie israélienne est encore forte
notamment pour la vente du matériel de
répression, parce qu’Israël met en avant
que ce matériel a été testé sur les
Palestiniens, mais la campagne
internationale pour l’embargo contre le
commerce d’armes avec Israël progresse.
Le gouvernement de Netanyahou a mis en
place une structure chargée de lutter
activement contre BDS. Celle-ci
fonctionne au sein du Ministère des
questions stratégiques, dont elle
constitue un département. Ses effectifs
sont notamment des militaires ou des
anciens des services de renseignements.
Sa mission est de récolter toutes les
informations utiles sur la pratique de
BDS dans les pays où ce mouvement est
actif, d’analyser ses activités, de
connaître ses principaux militants et,
surtout, d’établir une stratégie
« anti-boycott » avec l’aide du
ministère des Affaires Etrangères.
Des gens sont payés par Israël pour
surveiller les réseaux sociaux. Une
structure de conférenciers va être mise
en place pour vanter dans les campus
américains les mérites de la soi-disant
« seule démocratie du Moyen-Orient ».
Israël essaie désespérément de faire
interdire BDS dans divers pays ou de le
limiter, non seulement en France, mais
aussi dans d’autres pays dont le vôtre,
les Etats-Unis et le Canada.
Une conférence internationale anti-BDS a
eu lieu récemment à Jérusalem.
Il est actuellement négocié le « TTIP »,
qui est un traité de libre-échange
économique entre l’Union européenne et
les Etats-Unis.
Ce n’est pour l’instant qu’un projet. Il
est question d’y inclure une clause qui
interdirait toute négociation économique
entre un partenaire américain et un
partenaire européen "qui discriminerait
Israël" ou qui soutiendrait,
participerait ou promouvrait une
initiative de Boycott, de
Désinvestissement ou de Sanctions à
l’encontre d’Israël ! En gros, le rejet
formel et explicite de BDS serait une
condition sine qua non de signature du
TTIP !
Mais nous avons vu que malgré ces
points, BDS progresse inexorablement et
que l’impopularité d’Israël continue
d’augmenter.
Les accusations d’antisémitisme contre
les militants BDS ne tiennent plus la
route dans l’opinion publique :
l’opinion publique internationale a bien
compris que ce discours ignoble est
utilisé pour tenter d’écraser le peuple
palestinien.
Israël ne pourra pas continuer
indéfiniment sa politique : son économie
finit par se fragiliser, l’industrie
touristique chute malgré toute les
opérations de promotion, les dépenses de
sécurité sont exorbitantes par rapport
aux besoins sociaux du pays, le bilan
migratoire est nul, l’image d’Israël
dans l’opinion publique internationale
continue de se dégrader.
BDS est un engagement fort
pour la justice, la liberté et
l’égalité, un engagement clair et
nécessaire dans notre période
inquiétante liée aux conséquences des
tensions internationales que nous
vivons.
C’est un devoir moral et politique.
Et de même qu’il a été mis fin à
l’apartheid en Afrique du Sud, il sera
mis fin aussi à l’apartheid israélien !
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