Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
En Jordanie (6)
Le 31 mai 1995, Moussa
Abu Marzouq et Imad Al-Alami quittèrent la Jordanie, le
premier pour le Yémen et le second pour la Syrie. Pendant
plus de six mois, Abu Marzouq examina ses options. Après
avoir quitté le Yémen, il visita plusieurs pays, dont les
Emirats Arabes Unis, l’Iran, l’Egypte, le Soudan et la
Syrie. La difficulté était pour lui de trouver un lieu
convenable pour sa famille. Les gouvernements de certains
des pays qu’il visita lui dirent qu’ils ne pouvaient
l’accepter en raison de sa position essentielle au sein du
Hamas. Les Emirats Arabes Unis n’auraient pas donné de
permis de résidence à sa famille, en dépit du fait qu’il
avait lui-même l’autorisation d’y résider, ce qui était
finalement équivalent à un refus. La Syrie l’accueillit
comme elle avait aussi accueilli son collègue Al-Alami.
Cependant, Abu Marzouq crut de loin que la meilleure option
pour lui était de retourner aux Etats-Unis, où il avait vécu
plus tôt dans le confort et la prospérité pendant dix-sept
ans. Très peu de temps auparavant, il avait rendu une visite
aux Etats-Unis et avait remarqué qu’il n’y avait apparemment
pas d’objection à sa présence. Lui et sa famille avaient des
green cards
leur permettant de vivre et de
travailler ici, et ses enfants, dont certains étaient des
citoyens américains, étaient chez eux dans ce pays. Le
mouvement constant d’un lieu à l’autre, à un moment où ses
enfants grandissaient et avaient besoin de stabilité, avait
été fatiguant pour sa famille. Toutefois, ses collègues du
bureau politique du Hamas s’y opposèrent unanimement, lui
disant qu’en raison de la récente hostilité des Etats-Unis
envers le Hamas, y retourner n’était pas une option
envisageable pour lui. Leur avais était qu’il n’était pas
raisonnable d’aller aux Etats-Unis où le gouvernement avait
plus tôt au cours de la même année désigné le Hamas comme
une organisation terroriste, et avait fait des transactions
avec lui une offense criminelle. Abu Marzouq, d’autre part,
insista que son instinct lui disait que s’il se rendait aux
Etats-Unis, tout se passerait bien. Son instinct le trompa
clairement. Ses collègues avaient craint le pire, et le pire
se produisit. A son arrivée à l’aéroport Kennedy de New York
avec sa famille le 25 juillet 1995, Moussa Abu Marzouq fut
arrêté par le FBI.
Sans aucun doute, la
détention d’Abu Marzouq fut un coup majeur et une gêne pour
le Hamas, le plaçant dans une certaine difficulté. Ses
collègues dans la direction trouvèrent sa décision de
s’envoler pour New York comme indéfendable. De nombreux
supporters du Hamas furent poussés à demander pourquoi il
n’avait pas anticipé ce qui pouvait se produire. Néanmoins,
le mouvement n’épargna aucun effort pour exiger sa
libération immédiate, et avertit l’administration américaine
de sérieuses répercussions qui pouvaient s’ensuivre si Abu
Marzouq étaient remis à Israël. Le Hamas, maintenant dirigé
par Khaled Meshaal, s’engagea dans une série de relations
publiques et de mesures visant à limiter les dommages. Les
leaders du Hamas mobilisèrent leurs supporters pour
protester contre la détention d’Abu Marzouq, écrivant des
mémorandums et des lettres à un certain nombre de hauts
politiciens et diplomates. Le 28 juillet 1995, ils
adressèrent des lettres au président Clinton, au procureur
général des Etats-Unis, et au roi du Maroc Hassan II. 31
juillet 1995, ils envoyèrent une autre lettre au révérend
Jesse Jackson. Le 1 er
août 1995, ils
écrivirent au secrétaire général de la Ligue Arabe et à
l’Organisation de la Conférence Islamique. Des lettres
furent aussi envoyées à une collection de personnalités et
d’organisations à travers le monde alors que la crise se
poursuivait.
Après l’arrestation et
l’incarcération d’Abu Marzouq, il semblait comme si les
autorités américaines ne savaient pas exactement de quoi
elles pouvaient l’accuser. Son statut d’immigration était
légitime, et il n’y avait pas d’activité illégale à
l’intérieur des Etats-Unis pour laquelle il pouvait être
accusé. Les Israéliens ne furent que plus tard au courant de
l’arrestation. Apparemment, toutefois, ils n’avaient ni
exigé l’arrestation du leader du Hamas, ni l’avaient même
considérée comme une option. Il fut au départ dit à Abu
Marzouq qu’il était arrêté pour avoir été suspecté d’être
impliqué dans des activités liées à une organisation
terroriste étrangère, bien que le Hamas ne fût en fait pas
désigné comme une telle organisation avant le mois d’octobre
1997. Il s’avéra peu de temps après que quelques éléments à
l’intérieur de l’administration américaine souhaitèrent
donner à Israël l’opportunité de l’extrader. Abu Marzouq
croit que la CIA n’était pas d’accord avec les mesures
prises par le FBI contre lui. Il soutient que la CIA savait
depuis le début que les Etats-Unis n’avaient aucune charge
contre lui, mais que des éléments pro-israéliens à
l’intérieur du FBI espéraient faire une faveur à leurs amis
en Israël.
Le 28 septembre 1995,
Israël émit en effet une requête officielle d’extradition
aux autorités américaines, soutenue par des documents
totalisant plus de neuf cent cinquante pages détaillant les
accusations portées contre Abu Marzouq, qu’Israël souhaitait
retenir. Ses avocats dénoncèrent les procédures employées
contre lui, disant qu’elles étaient motivées politiquement,
les décrivant comme manquant de conditions minimums
d’indépendance juridique et de procédure judiciaire
convenable. Le juge qui présidait l’affaire, que les avocats
de la défense accusèrent d’être pro-israélien, décida qu’Abu
Marzouq devait être extradé en Israël. Il lui fut refusé le
droit de paraître devant la cour pour réfuter les
allégations d’Israël portées contre lui, et ses avocats de
la défense se virent dénié l’opportunité d’appeler leurs
propres témoins. Abu Marzouq fit appel contre la décision,
mais son appel fut rejeté.
Entre-temps, les
autorités jordaniennes continuèrent à tourmenter les
activistes du Hamas en Jordanie, apparemment dans le but de
pousser davantage de ceux qui restaient, qui n’étaient à
l’heure plus que des citoyens jordaniens, à quitter le pays
volontairement. Le membre du bureau politique du Hamas Sami
Khatir fut arrêté le 25 décembre 1995 alors qu’il se rendait
à son bureau. Il fut emmené dans sa demeure, qui fut
entièrement fouillée ; ses documents et son argent furent
saisis, et il fut arrêté. Pendant ce temps, un autre membre
du bureau politique, Izzat Al-Rishiq (connu sous son “nom de
guerre” Abd Al-Aziz Al-Umari) fut aussi brièvement arrêté.
Toutefois, en temps
voulu, Israël embarrassa son allié, le gouvernement
américain, lorsqu’elle décida qu’elle ne voulait finalement
pas extrader Abu Marzouq. Ce qui provoqua ce changement dans
la position d’Israël était son changement de gouvernement.
Abu Marzouq s’imagina que le changement de climat politique
en Israël, qui avait entraîné la tombée du gouvernement
travailliste, allait agir en sa faveur. Contre les conseils
de ses avocats, il retira son appel contre la sentence
d’extradition, et dans un message officiel daté du 28
janvier 1997, il exigea qu’il soit immédiatement remis à
Israël. Son instinct était correct : les Israéliens ne le
voulaient plus. Le 29 mai 1996, le leader du parti
travailliste Shimos Peres perdit les élections au profit de
Benjamin Netanyahu, du Likoud, qui mena une campagne contre
le programme de paix Rabin-Peres avec le slogan « Paix avec
Sécurité ». Dans son attitude envers le Hamas, Netanyahu
semblait avoir tiré une leçon des erreurs de jugements
réalisés par son prédécesseur. Peres avait payé un lourd
prix pour avoir ordonné la liquidation du commandant
militaire du Hamas Yahya Ayyash (l’ingénieur). L’assassinat
d’Ayyash le 5 janvier 1996 déclencha une vague de
bombardements de riposte entre le 25 février et le 4 mars
1996, tuant soixante Israéliens et en blessant bien plus à
l’ouest de Jérusalem, à Ashkelon et à Tel Aviv. Netanyahu
souhaitait éviter de provoquer le Hamas et pensa donc que
continuer avec l’extradition d’Abu Marzouq se prouverait
certainement être coûteux. En fin de compte, il craignait
que cela ne détruise ses efforts à satisfaire sa promesse
électorale.