Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage
Hamas : Son histoire de l’intérieur
de Dr. Azzam Tamimi s’inscrit dans
une volonté de montrer au monde la vision du mouvement du
Hamas et d’expliquer ainsi son développement. Le département
français du Centre Palestinien d’Information (CPI) a donc
jugé intéressant d’en présenter ici la traduction complète,
diffusée régulièrement en de nombreuses parties.
L’affaire Meshaal (2)
Alors qu’il
était en prison, Sheikh Yassine avait quelques informations
sur ce qui se passait à l’extérieur. Deux groupes de deux
personnes d’entre les collègues prisonniers du Hamas,
travaillant en alternance, lui fournissaient une assistance
physique. Chacun des groupes de prisonniers s’occupait de
lui pendant quarante-cinq jours. Lorsque chaque nouvelle
équipe était transférée, des messages étaient échangés. La
direction du Hamas choisissait ceux qui allaient assister
Sheikh Yassine, en accord avec les autorités de la prison,
après quelques craintes initiales de la part des autorités.
Les prisonniers de chaque faction palestinienne élisaient
leur propre direction à l’intérieur de la prison, qui
administrait leurs affaires au degré que permettaient les
Israéliens. Les autorités de la prison israélienne voulaient
choisir les assistants de Sheikh Yassine, mais il le refusa,
tout comme la direction du Hamas dans la prison. Le sheikh
ne se sentait pas à l’aise avec des étrangers, et la
direction du Hamas à l’intérieur de la prison était inquiète
de s’assurer que ceux qui étaient auprès de lui étaient
dignes de confiance.
Comme les autres prisonniers, Sheikh Yassine avait accès à
la radio et à la télévision, bien que seules des chaînes
israéliennes fussent autorisées. Il recueillit quelques
informations à partir des programmes, et les autorités
israéliennes elles-mêmes l’informèrent d’autres
développements. Aux moments de crise, les Israéliens
l’approchaient parfois, espérant qu’il puisse intervenir
pour arrêter la violence. En décembre 1994, les autorités de
la prison permirent à Sheikh Yassine une visite de Sheikh
Abdullah Nimr Darwish, du mouvement islamique en Israël, et
de Dr. Ahmad Tibi, conseiller spécial de Yasser Arafat. Ces
deux visiteurs, agissant clairement à la demande des
autorités israéliennes, étaient venus pour rechercher l’aide
du sheikh pour localiser le corps du soldat israélien Ilan
Sa’adon, qui avait été kidnappé et tué par des combattants
du Hamas en mai 1989.
De temps en temps, les autorités israéliennes essayaient de
persuader Sheikh Yassine d’apparaître à la télévision et de
parler à la presse du besoin de mettre fin à la violence. En
réponse, il disait : « Je m’oppose à la mise à mort de
civils ; je ne soutiens pas cela ». Mais il ajoutait :
« C’st vous qui nous forcez à le faire. Vous commencez à
tuer, et la réplique suit. Alors restez à l’écart de nos
civils et nous nous tiendrons à l’écart des vôtres ». S’il
était interrogé au sujet des civils comme cibles, il
disait : « Qu’est-ce qui vous rend si sûrs que des civils
étaient pris en cibles ? Peut-être que l’attaquant voulait
porter la bombe jusqu’à une caserne militaire, mais qu’elle
a explosé dans le bus avant qu’il n’y arrive ». A une
occasion, il fut interrogé au sujet du double bombardement à
Beit Lid le 22 janvier 1995. Ceci était si proche de là où
il était retenu à la prison de Kfar Yuna qu’il entendit
l’explosion de sa cellule de prison. Vingt-deux soldats
israéliens furent tués et cinquante-neuf autres blessés. Il
dit : « Par Dieu, combien je suis triste ». Il fut
interrogé : « De quelle manière êtes-vous triste ? ». Il
dit : « Je suis triste parce que l’effusion de sang n’est
pas terminée ». Lorsqu’ils lui demandèrent de faire un appel
à une mise à terme de ces opérations, il répondit : « Mais
ceci n’aurait pas de sens. Vous devriez arrêter les meurtres
d’abord, et ensuite, toute mise à mort s’arrêtera. Gardons
les civils à l’écart. Si vous êtes d’accord, nous sommes
prêts. Mais voulez-vous que je dise à mon propre peuple
d’arrêter alors que vous n’arrêtez pas ? Ce serait
illogique ». Une fois, dans une conversation avec des
officiers des renseignements israéliens, il proposa un
cessez-le-feu à long terme, du genre de ce que l’on appelle
un hudna (trêve). Ceci était en 1994, après que le Hamas
avait lancé une campagne d’opérations martyres en réplique
au massacre de croyants musulmans à Hébron. Le sheikh
suggéra que les mises à mort pouvaient prendre fin si les
Israéliens acceptaient une liste de conditions. Tout
d’abord, ils devaient arrêter de tuer les Palestiniens.
Ensuite, ils devaient se retirer jusqu’aux frontières de
1967, restituant ainsi la Cisjordanie et la bande de Gaza
aux Palestiniens. Troisièmement, ils devaient libérer tous
les prisonniers palestiniens détenus dans leurs prisons.
Quatrièmement, ils devaient démanteler toutes les colonies
construites en Cisjordanie et à Gaza depuis 1967. Si ces
conditions étaient satisfaites, ensuite, proposa-t-il, le
Hamas signerait un accord de cessez-le-feu qui pourrait
durer quinze, vingt, ou même trente ans.
Sheikh Yassine était devenu conscient que, depuis son
emprisonnement, le Hamas s’était énormément développé. Sa
branche militaire, les brigades d’Ezzedine Al-Qassam, était
devenue sophistiquée et imposante. Toutefois, il faisait
aussi face à une sévère opposition, sur un niveau local,
régional et international. Il était conscient que 1996 avait
de loin été la plus dure année pour le Hamas depuis sa
création. En Jordanie ainsi qu’en Palestine, le mouvement
avait eu une sévère punition. Le décès de Yaya Ayyash en
janvier avait été un coup, et le sommet de Sharm Al-Sheikh
du président Clinton de leaders d’à travers le monde en mars
avait élevé une déclaration de guerre à l’encontre du Hamas.
En réponse au sommet, les forces de sécurité de l’autorité
palestinienne, sous le commandement de Muhammad Dahlan à
Gaza et de Jibril Al-Rajub en Cisjordanie, avaient commencé
à arrêter des leaders et activistes du Hamas. En Jordanie,
les autorités sévirent contre les leaders et les
institutions du mouvement. Enfin, la crise interne et la
lutte de pouvoir au sein des Ikhwan jordaniens eut un coût
sur leur capacité à soutenir leurs frères du Hamas.
Ce jeudi 30 septembre, à environ 20h30, un gardien de prison
demanda aux deux compagnons de Sheikh Yassine de le monter
dans son bureau. Au début, ses compagnons déclarèrent qu’il
ne se sentait pas assez bien pour y aller et suggérèrent que
quiconque voulait parler au sheikh vienne à lui. Toutefois,
les gardes insistèrent, au point que le sheikh sentit qu’il
devait voir de quoi il s’agissait. Dans le bureau se
trouvaient trois officiers de police de haut rang et deux
hauts officiers de l’armée, qui lui firent une surprenante
proposition. Ils dirent : « Vous avez une bonne opportunité
de rentrer chez vous ; acceptez-vous ? ». « Bien sûr que
j’accepte », répondit-il. Ils poursuivirent : « Le roi
Hussein s’est adressé à Netanyahu : ils se mirent d’accord
pour que vous puissiez vous rendre en Jordanie, et ensuite,
tout ce sur quoi vous et le roi vous mettrez d’accord se
produira ». Sheikh Yassine répondit : « Non, je n’accepte
que de rentrer chez moi. Aller en Jordanie pour penser à
quelque chose avec le roi ne me convient pas ; je n’accepte
pas ». Les Israéliens semblaient déterminés à le libérer et
firent de leur mieux pour le convaincre qu’il n’avait pas
besoin de s’inquiéter. Il ne savait toujours pas pourquoi
cela avait lieu, et il n’était pas inquiet de le demander.
Les Israéliens ne voulaient rien mettre par écrit. Ils
déclarèrent que comme il discuterait avec le roi, il n’avait
rien à craindre. Sheikh Yassine insista. Après trois heures
de discussions, ils cédèrent à ses demandes et signèrent
leurs noms pour un engagement disant qu’il retournerait chez
lui, après une brève visite en Jordanie pour un contrôle et
un traitement médicaux. Il demanda ensuite à ce que ses deux
compagnons soient libérés avec lui : l’un d’entre eux avait
terminé trois ans de sa peine de douze ans, et l’autre avait
fini cinq ans sur huit. Les Israéliens acceptèrent de
libérer l’un d’entre eux, Ra’id Balbul, ce que Sheikh
Yassine accepta.
Un hélicoptère de l’armée jordanienne emmena le sheikh et
son compagnon au centre médical Al-Hussein à Amman, où il
arriva à environ deux heures du matin. En dépit de l’heure
tardive, il trouva le roi Hussein et le premier ministre Abd
Al-Salam Al-Majali l’attendant, avec plusieurs hauts
officiels jordaniens et quelques représentants du Hamas. Il
apprit plus tard d’officiels du Hamas à Amman que le roi
Hussein avait demandé sa libération. Le roi avait été
extrêmement irrité par la tentative d’assassinat réalisée à
l’encontre de la vie du chef du bureau politique du Hamas
Khaled Meshaal cinq jours plus tôt à Amman par deux agents
israéliens du Mossad.