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Centre Palestinien
d'Information
Hamas : son histoire de l'intérieur (15)
Photo CPI
2 février 2009
Dr. Azzam Tamimi
L’ouvrage Hamas : Son
histoire de l’intérieur de Dr.
Azzam Tamimi s’inscrit dans une volonté de montrer au monde la
vision du mouvement du Hamas et d’expliquer ainsi son
développement. Le département français du Centre Palestinien
d’Information (CPI) a donc jugé intéressant d’en présenter ici
la traduction complète, diffusée régulièrement en de nombreuses
parties.
Du prêche au
djihad (4)
A ce moment, des rumeurs circulaient à Gaza disant que les
Ikhwan achetaient des armes afin de les utiliser contre leurs
opposants dans les autres factions palestiniennes. Les Ikhwan
s’étaient déjà faits des ennemis puissants dans les rangs du
Fatah et dans la gauche du mouvement nationaliste palestinien.
Ces rumeurs trouvèrent rapidement une crédibilité, à la base
d’une tension qui se saisit alors de Gaza, suite à la dispute
pour l’Université Islamique. Toutefois, le 15 avril 1984, une
cour militaire israélienne trouva Sheikh Yassine coupable
d’avoir comploté pour détruire l’Etat d’Israël et le condamna à
treize ans d’emprisonnement. Ibrahim al-Maqadmah fut condamné à
huit ans, qu’il passa en prison. Une figure-clé dans ce complot
était Salah Shihadah, que la cour ne réussissait pas à accuser,
car il ne voulait avouer. Néanmoins, les Israéliens continuèrent
à suspecter son implication et il passa deux ans en détention
administrative. Les autorités israéliennes purent se saisir de
la moitié des armes que les Ikhwan avaient achetées et stockées.
Cependant, l’autre moitié, achetée à travers le second réseau,
qui n’avait pas été brisé, resta caché. Les armes furent en
partie utilisées deux ans plus tard lorsque des actions
militaires furent entreprises contre des collaborateurs d’Israël
avant l’éruption de l’Intifada en 1987.
Moins d’un an plus tard, le 20 mai 1985, Sheikh Ahmad Yassine
fut relâché de prison dans un échange de prisonniers négocié
entre Israël et Ahmad Jibril, le leader du Front Populaire pour
la Libération de la Palestine–Commandement Général (FPLP-CG).
L’échange permit la libération de 1.150 Palestiniens en échange
de trois soldats israéliens retenus par le FPLP. A l’époque, la
perception générale était que ceci était le résultat d’une
initiative personnelle prise par le sheikh, sans le consentement
des autres leaders des Ikhwan. Dans des cercles des Ikhwan à
travers la Palestine, le débat sur la valeur du combat armée
continua. De nombreux leaders des Ikhwan, notamment en
Cisjordanie, déclaraient que l’échec de la tentative de Sheikh
Ahmad Yassine de monter une action militaire soutenait leur
position maintenue depuis longtemps qu’il était futile de
poursuivre cette voie. Il était tout simplement impossible de
vaincre Israël par un effort de résistance locale,
soutenaient-ils. Ceux qui s’opposaient à l’action indiquaient
qu’Israël reçoit un soutien extensif des Etats-Unis et de
l’Europe occidentale, et que les pays arabes frontaliers à la
Palestine s’étaient révélés totalement inefficaces. Par
conséquent, argumentaient-ils, un djihad contre Israël n’aurait
pour résultat que la destruction des accomplissements du
mouvement islamiste, sans la libération d’un seul pouce du
territoire occupé.
Toutefois, à partir de 1982, comme un nombre croissant de jeunes
recrues vinrent d’entre ceux qui poursuivaient leur éducation
dans des universités cisjordaniennes locales, deux groupes
devinrent graduellement distincts. Le premier consistait en la
génération de ceux qui avaient étudié en Jordanie dans les
années 1970. Vers les années 1980, ceux-ci étaient devenus les
leaders du mouvement et étaient toujours influencés par l’école
de pensée qui prévalait en Jordanie, qui croyait en l’attente
avec un genre de fatalisme messianique pour l’émergence de
l’Etat islamique qui mènerait le djihad pour libérer la
Palestine. Ceux qui étaient affiliés à l’école de pensée
jordanienne étaient principalement les membres les plus âgés des
Ikhwan. Le facteur âge, combiné au manque de contact avec les
événements sur le terrain, les poussait à rester retranchés dans
leur position d’attente pour voir ce qui se passera. Ils furent
lents à reconnaître la menace qu’ils allaient perdre leur
crédibilité en raison de leur inaction, et qu’ils allaient
perdre des recrues en raison de l’énorme pression subie par les
membres plus jeunes des Ikhwan. Alors que la plupart de ces
disputes se faisaient pour l’exercice de l’autorité sur les
campus, les étudiants nationalistes et de gauche profitaient de
l’occasion pour provoquer les islamistes pour leur attitude
considérée comme non-patriotique.
La seconde tendance comprenait les membres plus jeunes des
Ikhwan, qui avaient reçu une éducation locale. Enflammés par la
révolution iranienne et le djihad en Afghanistan, c’étaient ceux
qui avaient été obligés d’interagir sur les campus avec les
étudiants des tendances nationalistes et de gauche, débattant et
se disputant même parfois avec eux. Les membres de ce groupe
n’étaient pas contents d’attendre et leur patience s’était
épuisée. Plus que toute autre chose, ces jeunes étaient
consternés par l’écart entre la théorie et la pratique. Chez les
Ikhwan, ils avaient appris que la mission du mouvement, du
moment de son établissement par Hassan al-Banna en Egypte en
1928, était de combattre l’injustice, de résister à
l’impérialisme, et de lancer le djihad pour libérer la
Palestine. Devant leurs yeux, cependant, ils voyaient seulement
le spectacle de l’inaction de leur mouvement. En même temps, le
Jihad Islamique d’al-Shiqaqi prenait l’initiative d’accomplir le
devoir du djihad, et remportait donc de la crédibilité et du
respect, remportant aussi davantage de terrain à l’intérieur et
à l’extérieur des universités. Il apparaissait à ces jeunes
membres des Ikhwan que chaque groupe politique en Palestine
avait épousé la cause du djihad, sauf la leur. Alors que le
temps passait, la position des Ikhwan, qui continuait de
décourager la participation à toute forme d’activités de
protestation, devenait indéfendable. Les étudiants des Ikhwan ne
pouvaient trouver de réponse à donner lorsqu’ils étaient
brutalisés ou ridiculisés par leurs collègues des organisations
nationalistes ou de gauche pour l’inaction du mouvement
islamique. Pire encore était le sentiment qu’alors que les
nationalistes et les hommes de gauche se battaient contre les
Israéliens dans les rues des villes et camps de la Palestine,
les islamistes « prenaient la route la plus sûre pour rentrez
chez eux, où ils restaient à l’intérieur comme le harem ».
En dépit de son échec, toutefois, la tentative de Sheikh Yassine
d’entreprendre une action militaire contre l’occupation réussit
à stimuler le moral de la jeune génération des Ikhwan, et força
un changement dans l’attitude et dans la politique. Certains des
jeunes leaders émergeants des Ikhwan en Cisjordanie étaient
devenus convaincus du besoin de changement, et mirent fortement
la pression pour cela. En plus d’être motivés par des facteurs
locaux, ils étaient influencés par certains de leurs collègues
qui étaient venus de la bande de Gaza pour étudier en
Cisjordanie. Ceux-ci comportaient Isma’il Abu Shanab, qui
étudiait à l’Université al-Najah. Les Ikhwan de Gaza avaient
plus de volonté de lancer un combat contre les Israéliens : ils
souffraient davantage de l’occupation et avaient moins été
influencés par l’école de pensée jordanienne. La direction des
Ikhwan donna finalement la permission d’affronter les
Israéliens. En juin 1986, la faction islamique de l’Université
de Birzeit annonça à partir des haut-parleurs du campus qu’un
rassemblement pour protester contre les atrocités israéliennes
avaient été organisé et que tous les étudiants étaient appelés à
s’y joindre. Le rassemblement fut réprimé par des soldats
israéliens, avec vingt-deux victimes dont deux morts, donnant au
mouvement islamique des martyrs dont il pouvait être fier et
qu’il pouvait revendiquer.
Ceci n’était que le début du déluge. Dès lors, les membres des
Ikhwan n’étaient plus qu’autorisés, mais aussi encouragés à
prendre part ou à organiser des manifestations contre
l’occupation. Quelques années plus tard, les leaders
estudiantins qui avaient réussi à forcer ce changement de
politique furent diplômés, assumant diverses responsabilités
dans la direction au sein du mouvement islamique à partir de la
fin des années 1980.
En application des résolutions de la conférence d’Amman de 1983,
les Ikhwan palestiniens du Koweït, de Jordanie et d’Arabie
Saoudite dessinèrent un plan global pour un soutien financier,
politique et logistique. A cette époque, des islamistes
palestiniens de la Palestine, de la Jordanie, du Koweït,
d’Arabie Saoudite et d’autres Etats du Golfe qui étudiaient au
Royaume-Uni et aux Etats-Unis avaient mis en place diverses
associations islamiques en aide à la Palestine. Les tâches
volontaires de ces associations incluaient le don d’une
assistance aux étudiants palestiniens, rendant toute ressource
possible à laquelle ils avaient accès disponible à leurs frères
en Palestine. Ils établirent des réseaux de communications sûrs,
efficaces et en état de fonctionner, entre la Palestine et le
monde extérieur, mirent en place des associations caritatives,
publièrent des journaux et des livres, et formèrent des équipes
de spécialistes. Tous fournirent une assistance de valeur
inestimable au mouvement islamique palestinien. A la fin de l’an
1985, le Comité de la Palestine établit un corps spécialisé,
appelé Jihaz Filastin (l’appareil de la Palestine), responsable
de la coordination des activités des diverses institutions
fondées à travers le monde par les Ikhwan palestiniens et
surveillant la création d’autres institutions qui pourraient
être nécessaires. Ce “Jihaz” était le noyau duquel se développa
le réseau global qui fournit plus tard le soutien logistique au
Hamas. Trois des figures centrales du Jihaz allaient devenir
d’éminents leaders du Hamas dans les années 1990. Le premier
était Khaled Meshaal, qui vivait au Koweït. Moussa Abu Marzouq
s’était déplacé aux Etats-Unis pour poursuivre ses études
supérieures avant de retourner dans la bande de Gaza pour
travailler à l’Université Islamique, dont il était un membre
fondateur du conseil. Le troisième, Ibrahim Ghosheh, devint le
premier porte-parole officiel du Hamas à l’extérieur de la
Palestine, faisant des allers-retours entre le Koweït et la
Jordanie jusqu’à l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en août
1990.
Entre-temps, Sheikh Ahmad Yassine et son proche groupe
continuaient leurs activités. En plus, le sheikh disait à ce
stade qu’il avait appris de la récente expérience du mouvement
qu’il était trop tôt pour penser à une action militaire et que
davantage de travail était encore nécessaire dans le domaine de
la tarbiyah (éducation et formation). En privé, il
poussait à la reconstruction de l’appareil militaire qui avait
été inauguré avant son emprisonnement, fixant le 17 novembre
1987 comme date de lancement de la campagne de djihad. Il
chargea Salah Shihadah de former une nouvelle organisation,
connue sous le nom d’al-Mujahidun al-Filastiniyun (les
moudjahidin palestiniens). La principale mission de cette
organisation militaire était d’attaquer les soldats israéliens
et les colons juifs dans la bande de Gaza. Il chargea aussi
Yahya al-Sinwar et Rawhi Mushtaha de former une organisation
sécuritaire qui allait s’appeler Majd (gloire), dont la tâche
majeure était d’attraper, de poursuivre et d’exécuter les
collaborateurs palestiniens travaillant avec Israël. Aucune
organisation n’accomplit grand-chose avant l’éruption de
l’Intifada, en dépit de quelques tentatives qui se terminèrent
en échec ou qui ne firent pas remarqués.
Dans ce temps précédant l’Intifada, le Jihad Islamique captiva
l’imagination des Palestiniens et attira l’attention des
observateurs extérieurs avec une succession d’actions
audacieuses contre les Israéliens. Le 15 mai 1987, six de ses
membres s’échappèrent de la Prison Centrale de Gaza. Le 2 août
1987, un membre du Jihad Islamique assassina le capitaine Ron
Tal, commandant de la police militaire dans la bande de Gaza,
dans sa voiture, dans la route principale de la ville de Gaza.
Le 6 octobre 1987, quatre membres du Jihad Islamique ouvrirent
le feu sur une patrouille de l’armée israélienne dans le
quartier d’al-Shuja’iyah de la ville de Gaza, tuant un soldat
israélien avec la perte d’un de leurs combattants. De manière
générale, toutefois, bien qu’il y ait eu des moments de défi
courageux, il y avait aussi des moments de terrible désespoir,
alors qu’un nuage de profonde tension planait au-dessus de la
bande de Gaza et de la Cisjordanie. La population sous
occupation se sentait abandonnée et assiégée, plus que jamais
auparavant. Les sentiments d’anxiété étaient mélangés avec les
sentiments d’espoir. On ressentait de l’inquiétude dans
l’atmosphère, comme si quelque changement était en cours, bien
que personne ne sût ce que c’était ou ne pût dire si cela allait
être bien ou mauvais. Certains se résignaient à leur destin,
ressentant que rien de pire ne pouvait arriver que ce qui se qui
avait déjà lieu. D’autres anticipaient une énorme explosion. Il
ne fallut pas longtemps avant qu’il fût prouvé que ces derniers
avaient raison.
Fin du
second chapitre
Hamas: son histoire de
l'intérieur (14)
Hamas: son histoire de
l'intérieur (16)
Traduction réalisée
par le Centre
Palestinien d’Information (CPI)
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