Entretien
La France malade du conflit
israélo-palestinien
Pascal Boniface
Mercredi 9 avril 2014
Dans cet entretien accordé à
Oumma.com, Pascal Boniface, auteur du
livre « La France malade du conflit
israélo-palestinien » évoque notamment
les difficultés "à parler d’Israël ou de
l’antisémitisme dès lors que l’on
s’éloigne de la version des institutions
communautaires."
Dans cet
entretien accordé à Oumma.com, Pascal
Boniface, auteur du livre
«
La France malade du conflit
israélo-palestinien » évoque
notamment les difficultés " à parler
d’Israël ou de l’antisémitisme dès lors
que l’on s’éloigne de la version des
institutions communautaires."
Votre
livre devait être publié aux éditions
Robert Laffont qui, après voir
initialement accepté, vous annonce
quelques semaines plus tard qu'il ne le
publiera pas en invoquant un prétexte
fallacieux. Comment expliquez-vous ce
refus?
J’imagine tout
simplement qu’il a eu peur des réactions
que pourrait susciter la publication.
Dès que l’on parle d’Israël ou de
l’antisémitisme et qu’on s’éloigne de la
version des institutions communautaires,
on risque des sérieux problèmes, d’être
accusé de nier, de sous-évaluer, voire
de favoriser l’antisémitisme ou de
l’être soi-même. Il y a donc dans les
médias centraux et les grandes maisons
d’édition une solide autocensure. Ce
n’est pas très sain parce que quand le
débat n’a pas lieu de façon ouverte, il
prend des formes beaucoup plus
sournoises. Il faut à la fois combattre
l’antisémitisme et protéger la liberté
d’être en désaccord avec les
institutions communautaires.
Vous avez
hésité avant d'écrire ce livre, car vous
n'aviez pas envie, selon votre
expression, de retourner « dans la
machine à essorer ». Vous écrivez « qu'
on ne subit pas les même conséquences en
critiquant le gouvernement israélien
qu'en critiquant les gouvernement
d'autres Etats » ?
Je me doutais bien
en écrivant ce livre que j’allais
au-devant de grandes difficultés et très
probablement de campagnes calomnieuses
en déformant mes propos pour mieux s’en
offusquer. C’est un grand classique
contre lequel il faut résister, il y va
de la garantie d’un débat démocratique à
l’avenir. Il y a en effet une différence
de traitement dans la critique politique
de l’action d’un gouvernement. Si je
critique Poutine, Xi Jinping, Obama ou
Hollande, on ne m’accusera pas de faire
du racisme antirusse, chinois, américain
ou français. Par contre l’argument
massue pour empêcher toute critique
politique de l’action du gouvernement
israélien est de l’assimiler à de
l’antisionisme et/ou de l’antisémitisme.
Cela agit comme un rayon paralysant pour
la libre expression.
Vous
affirmez qu'en France, certains
intellectuels et responsables
communautaires sont en train de faire de
la politique israélienne une ligne de
clivage entre juifs et non juifs ?
À dénoncer comme
antisémite ou comme favorisant
l’antisémitisme tous ceux qui critiquent
l’action du gouvernement israélien,
certains intellectuels, journalistes ou
responsables communautaires font en
effet de la politique israélienne une
ligne de clivage entre juifs et
non-juifs. Ils accréditent l’idée chez
les juifs de France qu’il y a une
hostilité à leur égard et que les
reproches qui peuvent être faits à la
politique israélienne ne sont qu’une
façon masquée d’être hostiles aux juifs
en tant que peuple. On comprend que les
juifs n’aient pas envie d’être amis avec
des antisémites s’ils pensent donc ou si
on leur fait croire que ceux qui
critiquent Israël le sont. Ils ne vont
pas accepter d’avoir des relations avec
et c’est ainsi qu’un fossé peut se
créer.
Vous
démontrez en vous appuyant sur plusieurs
études d'opinion qu'il y a, en France,
un « recul de l’antisémitisme et une
baisse de la popularité d'Israël »?
En 1967, lorsque
le général De Gaulle rompt avec Israël,
il y a encore un fort courant antisémite
en France. C’est à cette époque par
exemple qu’il y a la rumeur d’Orléans
selon laquelle des commençants juifs
feraient disparaître des jeunes filles
dans les cabines d’essayage afin de se
livrer à traite des Blanches. On réalise
la stupidité et l’horreur d’une telle
rumeur. À l’époque, il y avait de plus
fortes réticences exprimées à voter pour
quelqu’un qui serait juif ou à voir ses
enfants épouser quelqu’un qui le serait.
Pour autant, la
majorité de la population française
soutient Israël contre les pays arabes.
Israël apparaît comme un pays petit,
démocratique et faible, par rapport aux
masses arabes. Il y a également le
souvenir de la guerre d’Algérie et le
sentiment anti-arabe encore beaucoup
plus fort que le sentiment antisémite
aujourd’hui. L’antisémitisme existe
toujours mais il est sans commune mesure
moins puissant que dans les années 60
mais le soutien à Israël a changé, il
n’apparaît plus comme un petit pays qui
se bat pour sa survie mais plus comme
une puissance qui occupe et réprime un
autre peuple.
Le CRIF
ainsi que d'autres organisations
communautaires juives ne cessent
d'affirmer qu'il ne faut pas
importer le conflit
israélo-palestinien. Or selon vous,
cette attitude est contradictoire,
car ce sont elles justement qui
importent le conflit en cherchant à
peser sur le débat public en faveur des
thèses israéliennes?
Il y a en effet
une contradiction à dénoncer
l’importation du conflit
israélo-palestinien en France tout en
appelant à une solidarité
inconditionnelle avec le gouvernement
israélien d’un côté et à combattre avec
la plus grande vigueur ceux qui
critiquent ce même gouvernement.
Certains responsables, tout en se disant
partisans d’une paix juste au
Proche-Orient, n’ont de cesse que de
dénoncer et de tenter de disqualifier
intellectuellement ceux qui estiment que
le gouvernement israélien, sans en avoir
la totalité, a quand même plus de
responsabilités dans la non survenance
d’un accord de paix.
Le conflit
israélo-palestinien risque de durer
encore longtemps. Comment sortir des
tensions et des passions que ce conflit
génère en France?
Malheureusement on
ne peut guère être optimiste sur la
possibilité d’une conclusion rapide d’un
accord de paix entre Israéliens et
Palestiniens. Nous allons donc devoir
vivre avec ce conflit qui est déjà
largement importé. Ce n’est bien sûr pas
le plus grave problème qui se pose à la
France mais c’est le sujet qui est le
plus clivant, qui crée le plus de
suspicion. Il en arrive même à des
ruptures de relations en cas de
désaccord profond sur cette question. Il
faudrait ramener un périmètre de raison
sur ce sujet, ne pas le considérer comme
tabou car cela revient à aggraver les
choses et éviter de brandir à tout-va
les accusations d’antisémitisme et
d’antisionisme en cas de désaccord, car
elles deviennent contre-productives.
Propos
recueillis par la rédaction d'Oumma.com
Publié le 10 avril
avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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