La Voix de la
Russie
Entretien par Mikhaïl Gamandiy-Egorov
« Nous, le Zimbabwe, avons assumé
pleinement notre indépendance. Mais nous
avons aussi dû payer un prix pour cela »
Boniface Guwa Chidyausiku
Photo : M.
Gamandiy-Egorov
Dimanche 18 janvier 2015
Entretien
avec M. Boniface Guwa Chidyausiku,
ambassadeur de la République du Zimbabwe
en Fédération de Russie (Partie 1)
C’est un honneur et un
plaisir aujourd’hui d’avoir
l’opportunité de nous entretenir avec
S.E.M. Boniface Guwa Chidyasiku,
ambassadeur de la République du Zimbabwe
en Russie, poste qu’il occupe depuis
2011. Beaucoup de choses ont évolué
depuis dans les relations entre les deux
pays. A noter que le Zimbabwe fait
partie des quelques nations africaines
qui ont la capacité de mener leur propre
politique indépendante et souveraine,
sans l’interférence de forces externes
néocolonialistes.
Mikhail
Gamandiy-Egorov, La Voix de la Russie :
M. l’Ambassadeur, je vous
remercie d’avoir accepté cet entretien
pour La Voix de la Russie. Ma première
question concernera probablement la
coopération mutuelle entre nos deux
nations, la République du Zimbabwe dont
vous êtes le représentant ici et la
Fédération de Russie. Comment
pourriez-vous caractériser les relations
actuelles entre les deux pays ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku :
Merci beaucoup. Le Zimbabwe et
la Fédération de Russie ont de très
bonnes relations. Il n’y a encore pas si
longtemps, nous n’avions pratiquement
que des relations politiques. Mais
depuis que je suis ici, les quatre
dernières années, la situation a
considérablement évolué. Nous assistons
aujourd’hui au moment où plusieurs
entreprises russes investissent au
Zimbabwe. Et depuis quatre ans
également, nos élites gouvernementales
et du monde des affaires, travaillent
activement ensemble au plus haut niveau.
Le ministre Denis Manturov
(ministre russe de l’Industrie et du
Commerce, ndlr) a
participé au lancement de la commission
mixte russo-zimbabwéenne. Un accord de
protection des investissements a été à
ce titre également signé. Aujourd’hui,
nous nous trouvons à l’étape où
plusieurs entreprises russes opèrent au
Zimbabwe. En 2014, une importante
délégation russe est venue au Zimbabwe,
dirigée par M. Lavrov, le ministre russe
des Affaires étrangères. M.
Manturov accompagnait lui aussi la
délégation, ainsi que plusieurs grands
consortiums russes, tels que Vi Holding,
Rostec, de même la banque russe
du commerce extérieur VTB. Et le grand
événement de cette visite a été la
signature entre la Russie et le Zimbabwe
de l’accord intergouvernemental sur
l’exploitation du gisement de platine de
Darwendale. Une grande réussite
pour nos deux pays.
LVdlR :
Vous avez mentionné la récente
visite de notre ministre des Affaires
étrangères au Zimbabwe Sergueï Lavrov,
que beaucoup ont appelé historique.
Peut-on associer cette visite à un
lancement de projets plus grands encore
dans un avenir proche ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku :
Nous pensons bien évidemment à
une expansion des projets dans lesquels
participent les consortiums russes et
qui représentent déjà un montant
d’investissements de 2,5-3 milliards de
dollars. Et il y aura certainement
d’autres retombées positives encore
surtout que les accords en question
prévoient également la formation des
cadres zimbabwéens en Russie. D’ailleurs
durant la visite en Russie de notre
ministre des Finances et des Mines, nous
avons discuté des possibilités
d’importation au Zimbabwe d’équipements
et de technologies russes. Ce qui
permettrait au gouvernement russe
d’avoir accès aux marchés existants au
Zimbabwe dans ce domaine. Et un tel
partenariat gagnant-gagnant aide bien
évidemment aussi bien le Zimbabwe, que
la Russie. Aujourd’hui, nos deux pays se
trouvent sous les sanctions
occidentales. Nous avons cela en commun.
Et nous devons bien évidemment ensemble
matérialiser nos capacités et
opportunités communes.
LVdlR :
Je vais vous poser une question
M. l’Ambassadeur qui concerne
probablement tout le continent africain.
Durant la période soviétique, notre pays
était très présent et actif en Afrique.
Les années qui ont suivi l’éclatement de
l’URSS, la Russie était très peu active
sur le continent africain. Ces dernières
années, nous sommes témoins d’un intérêt
grandissant des deux côtés : des Russes
pour l’Afrique, et de nombreux Africains
pour la Russie. Croyez-vous que dans les
quelques prochaines années, la Russie
pourra atteindre, si ce n’est pas
entièrement ses capacités d’antan en
Afrique, mais au moins un niveau
semblable ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku :
Il y a effectivement de la
bonne volonté des deux côtés, aussi bien
du côté africain que russe. Il faut se
rappeler et c’est bien triste, qu’après
l’éclatement de l’Union soviétique, la
Russie avait en face tellement de
problèmes internes, notamment
économiques, qui devaient être à tout
prix réglés sans tarder. Mais je pense
qu’aujourd’hui l’économie russe a
atteint un niveau qui lui permette de
retrouver les positions perdues et
profiter de la vision positive des
Africains vis-à-vis de la Russie et du
peuple russe. Vous savez certainement
aussi qu’un nombre important d’Africains
ont été formés en Russie, et ce depuis
la période soviétique. Donc il y a des
spécialistes africains russophones dans
bon nombre de domaines : commerce,
technologies, management, enseignement,…
Et la Russie possède également des
spécialités dont l’Afrique a grand
besoin. La Russie a un très grand
savoir-faire dans le domaine pétrolier,
ainsi que dans le domaine de
l’exploitation minière ou encore dans
l’énergie atomique. Ce sont tous des
domaines dans lesquels la Russie peut
exceller en Afrique. Donc ce que la
Russie aurait besoin de faire, et c’est
ce que fait déjà bien la Chine, c’est de
fournir des financements aux sociétés
russes désireuses de s’établir sur le
continent africain. Et participer ainsi
au développement de l’Afrique. La Russie
doit bien sûr être à bord pour
participer et voir la réalisation de ce
rêve.
LVdlR :
Une autre question qui concerne
aussi bien le Zimbabwe, que tout le
continent africain. Votre pays est
probablement un des rares pays du
continent capable de mener sa propre
politique, indépendante et souveraine,
sans interférences extérieures, que ce
soit de la part de l’ex-colonisateur ou
de qui que ce soit d’autre. Mais
parallèlement, un nombre important
d’Etats africains, notamment d’Afrique
francophone, sont jusqu’à aujourd’hui
contrôlés de-facto aussi bien par les
anciennes métropoles coloniales que les
USA, et ce au niveau politique,
économique, financier, militaire.
Avez-vous une idée sur comment ces
nations pourraient dans les prochaines
années acquérir leur liberté et une
indépendance véritable ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku :
Je crois que les nations
africaines ont des positions différentes
en ce qui concerne leur politique
extérieure. Et c’est normal. Mais je
crois aussi que l’Afrique doit être
unie. Et je crois également et c’est
important qu’afin de profiter pleinement
de l’indépendance politique, il faut
obtenir une indépendance économique. Et
cela est impossible tant que tu es sous
contrôle économique de quelqu’un
d’autre. Et en arrachant l’indépendance
économique, il est alors possible de
faire profiter des ressources nationales
aux citoyens africains. Et c’est à ce
moment-là que nous pouvons alors parler
d’indépendance véritable. Nous, le
Zimbabwe, avons assumé pleinement notre
indépendance. Mais nous avons aussi dû
payer un prix pour cela. Donc c’est le
leadership africain qui doit décider :
adopter des demi-mesures ou alors des
stratégies à long-terme, afin que les
populations africaines puissent être
maîtres de leurs ressources, et décider
du futur de leurs nations. Sur ce
chemin, il peut y avoir du mal et bon
nombre d’obstacles, mais il faut
effectivement du courage pour prendre
cette décision.
LVdlR :
Vous avez noté que votre pays a
dû payer un prix pour assumer pleinement
votre indépendance et votre liberté. Et
parallèlement, vous êtes le pays qui
fait partie de ceux qui ont souffert le
plus des sanctions occidentales sur le
continent africain. Et comme vous le
savez certainement aussi, notre pays la
Russie, fait aujourd’hui également face
aux sanctions de l’Occident. Quels
seraient vos conseils afin de résister
efficacement à ces sanctions, compte
tenu de la grande expérience du Zimbabwe
sur cette question ?
S.E.M.
Boniface G. Chidyausiku :
Lorsqu’une nation fait face à
des sanctions externes, il faut regarder
la question en intégralité. Dans le cas
de la Fédération de Russie, il faut voir
que depuis l’éclatement de l’Union
soviétique, les investissements dans la
recherche et le développement n’étaient
pas importants. Il était alors plus
facile pour les entreprises russes
d’importer des technologies occidentales
au lieu de développer les leurs.
Aujourd’hui, ces sanctions occidentales
représentent de grandes opportunités
pour la Russie afin de lui permettre de
développer pleinement tout son
potentiel. Que ce doit au niveau du R&D,
IT et plus globalement des nouvelles
technologies. Bien sûr il était facile
d’importer des produits d’Europe mais il
faut penser sérieusement au
développement des produits fabriqués au
pays. Tant qu’un pays est fortement
dépendant des importations, alors il y
aura toujours des forces voulant
influencer votre politique : ceux qui
sont opposés à votre pays et qui veulent
faire changer votre politique sur
l’arène internationale. Les Américains
pensent qu’en imposant des sanctions
contre la Russie, ils réussiront à
changer le régime politique en Russie.
Mais je crois que les citoyens russes le
comprennent parfaitement et ne le
permettront pas. Et je pense qu’il faut
aujourd’hui mobiliser toutes les forces
de la Russie pour défaire les plans
malsains qui la visent directement.
Suite dans la deuxième
partie de l’entretien.
© 2005—2015 La
Voix de la Russie
Publié le 20 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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