Homs une année après le début des
troubles
En Syrie, les
auteurs d'atrocités sont les opposants
armés
Opposants
armés en Syrie
Mardi 13 mars
2012
L’ingénieur qui
s’exprime ici résidait dans la ville de
Homs, jusqu’à ce qu’en juin 2011,
effrayé par les horreurs commises par
des extrémistes sunnites dans son
quartier, il a fui Homs avec sa famille
pour aller se réfugier chez des parents
dans un village proche de Homs (*). Ce
qu’il affirme dans cet entretien avec
Silvia Cattori contredit tout ce que
racontent nos principaux médias. On
comprend que les crimes les plus
inimaginables sont commis par des
extrémistes sunnites et non pas, comme
ces derniers l’affirment, par l’armée
gouvernementale.
Silvia Cattori
: La ville de Homs,
le quartier de Baba Amro, ont été
l’objet de nombreux reportages de la
part de journalistes entrés
illégalement en Syrie, « au cœur
de l’armée syrienne de libération »
[1].
Nous aimerions connaître votre point
de vue sur ce qui s’est passé à Homs
depuis une année.
Réponse
: Je suis originaire de Homs. Je
vivais dans le quartier de Bab Sebaa.
À mi-avril 2011 les gens ont
commencé à se rassembler
pacifiquement au centre de Homs, rue
Al-Kowatly, pour demander des
réformes. Mais, assez rapidement,
les gens ne se sentaient plus à leur
aise. Ils ont senti qu’il y avait
quelque chose d’étrange, de pas
clair dans ces manifestations ; des
comportements provocants et
étrangers au pays, des slogans qui
appelaient au Jihad, les ont
inquiétés. Très rapidement les gens
que je connaissais ont cessé de
manifester. Ils ne se sentaient plus
du tout en accord avec ces
manifestations à la sortie des
mosquées le vendredi.
En juin sur la route de Hadara [à
Bab Sebaa], les corps d’une
quinzaine d’alaouites ont été
retrouvés en morceaux, la tête
coupée, les bras coupés, avec un
écriteau : « viande à vendre ».
Bouleversés par ces assassinats, des
alaouites ont mis le feu à des
magasins sunnites. Les gens
parlaient entre eux des actes
horribles dont ils avaient été
témoins. Des voitures appartenant à
des alaouites ont été brûlées.
L’inquiétude grandissait. C’est
alors que les alaouites et les
chrétiens ont commencé à mettre des
croix bien en vue dans leurs
boutiques, sur le pare brise de
leurs voitures. Un jour j’ai
entrevu, sous la bâche d’un camion
appartenant à des sunnites, une
cargaison d’armes et de munitions.
Puis j’ai vu des sunnites armés
tirer sur des alaouites, tuer pour
tuer. Il y avait tout le temps des
détonations, des tirs, des cris «
Allah Akbar ».
Nos enfants étaient perturbés,
avaient peur. C’est alors que j’ai
pris la décision de quitter Bab
Sebaa. Avec ma famille nous nous
sommes réfugiés chez des parents
dans un village proche de Homs.
Nous n’avions jamais connu ce genre
de choses en Syrie. Nous avions
toujours vécu en parfaite harmonie.
Il n’y avait jamais eu aucun
problème entre Syriens de diverses
religions. J’ai entendu pour la
première fois les gens parler de salafistes…
Je suis retourné à Bab Sebaa deux
fois, en juillet et août. J’ai vu
que cette zone se vidait peu à peu,
qu’elle avait cessé de vivre. La
grande majorité des familles avaient
fui. Il n’y avait presque plus
d’enfants et les écoles ont dû
fermer. Les rares familles qui
étaient restées, c’était parce
qu’elles n’avaient nulle part où
aller. J’y suis retourné une
dernière fois en novembre. Toute la
ville de Homs était devenue une
ville fantôme. Plus personne n’osait
s’aventurer dans certains quartiers.
C’était une ville morte.
Silvia Cattori
: Des sunnites
ont-ils également été persécutés ? Y
en a-t-il qui se sont enfuis ?
Réponse
: Oui bien sûr. La grande majorité
des sunnites sont opposés à ces
extrémistes sunnites et sont contre
les milices armées. Mon médecin
était sunnite mais il n’était pas
d’accord avec leur violence, il en
avait peur. Il allait prier à la
mosquée mais il n’allait pas
manifester avec eux. Peu à peu son
cabinet s’est vidé de toute sa
clientèle sunnite. Se sentant menacé
il a quitté Homs. Dans la rue où
j’habitais, seules deux familles
sunnites sont restées. Les Syriens
qui soutiennent ces opposants armés
sont très très peu nombreux. Les
opposants armés n’ont pas un
comportement humain. Ils font peur
aussi aux sunnites, pas seulement
aux chrétiens et aux alaouites.
En mai, Fadi Ebrahim, un jeune
sunnite, âgé de 25 ans, qui avait
été vu en train de prendre des
photos alors que les miliciens
avaient averti que cela était
interdit, a été kidnappé. On a
ensuite retrouvé son cadavre dans
une poubelle à Bab Sebaa, dans mon
quartier.
Silvia Cattori
: À quand
situez-vous la rupture de la
population avec cette minorité de
manifestants dont le comportement
inquiétait ?
Réponse
: À partir de fin avril je crois, la
grande majorité des gens, dont de
nombreux sunnites, ont cessé de
manifester avec eux. Seuls des gens
fanatisés ont continué d’aller à ces
manifestations qui partaient le
vendredi de la mosquée. Des sunnites
qui ont refusé d’aller manifester
avec eux ont été kidnappés,
rançonnés, tués. Leurs
manifestations anti Bachar el-Assad,
n’ont jamais réuni plus de quelques
milliers de personnes, mais elles
ont bénéficié d’une grande
médiatisation à l’extérieur.
Peu à peu, il y a eu une grande
prise de conscience du véritable
danger qui guettait notre pays. La
crainte que l’on fasse chez nous ce
que l’intervention extérieure avait
fait subir au peuple libyen y a
contribué. Ce fut le début de
grandes manifestations réunissant
des millions de gens dans toutes les
villes du pays appelant à soutenir
Bachar el-Assad, appelant à un
changement progressif et pacifique,
et surtout à s’opposer à toute
intervention étrangère.
Silvia Cattori
: Dans votre parenté
y a-t-il eu des personnes qui ont
subi des persécutions dont vous avez
la preuve que leurs auteurs étaient
les milices armées ?
Réponse
: Oui. Dans la famille de mon épouse
deux cousins, originaires d’Al
Qusayr, un village proche de Homs
habité par des chrétiens et des
sunnites. L’un, ingénieur âgé de 24
ans, a été tué en février 2012 en
sortant de sa maison. L’autre, âgé
de 30 ans, a été kidnappé il y a dix
jours puis retrouvé pendu à un
arbre. C’est dans ce village d’Al
Qusayr que l’armée régulière se
concentre aujourd’hui pour déloger
les rebelles.
Du coté de ma propre famille, en
décembre, un cousin âgé de 33 ans, a
été kidnappé à Baba Amro. Il a été
retrouvé deux semaines après à côté
de notre village entre la vie et la
mort à cause des tortures qu’il
avait subies. Il est resté
hospitalisé durant deux mois. Trois
autres hommes avaient été arrêtés
avec lui. À celui qui était sunnite,
ils ont abîmé les jambes. Les deux
autres étaient alaouites ; ils ont
été égorgés. Nous pensons que notre
cousin n’a pas été tué parce qu’il
était chrétien.
En janvier, mon voisin -le seul
voisin avec une autre famille à être
resté à Bab Sebaa- sortait de son
immeuble en compagnie de sa fille
qu’il conduisait à l’université,
quand ils ont tiré sur eux. Lui a
été tué sur le coup, sa fille a été
blessée.
Silvia Cattori
: Nous aimerions
bien comprendre qui sont
véritablement ceux qui égorgent,
torturent, kidnappent. Comment
ont-ils procédé dans le cas de votre
cousin par exemple, qui en est
revenu et a pu témoigner ?
Réponse
: Lui et ses camarades se sont fait
arrêter à l’entrée de Baba Amro à un
barrage militaire par des hommes
masqués qui portaient les uniformes
de l’armée gouvernementale. Quand
ils ont présenté leurs papiers
d’identité en disant on est vos
camarades, les hommes masqués se
sont moqué d’eux en disant : «
Oui oui, nos
camarades voyons !… » À ce
moment là ils ont compris que ces
hommes masqués c’étaient en réalité
des milices de l’« Armée libre ».
Chez nous, le nom et la région d’où
ont vient, permettent de savoir de
quelle religion vous êtes. Les
hommes masqués ont tout de suite
égorgé les deux alaouites. Ils ont
ensuite abîmé les jambes du sunnite
mais l’ont laissé partir en lui
disant qu’ils menaçaient sa famille.
Quant à mon cousin, ils l’ont
kidnappé et lui ont dit qu’il ne
serait libéré que contre rançon. Des
négociations ont commencé entre les
miliciens et les forces du
gouvernement, pour obtenir sa
libération. Il a été retrouvé comme
je vous l’ai dit deux semaines plus
tard dans un état effroyable.
Silvia Cattori
: Je crois en ce que
vous me dites. Mais nos médias - se
fondant sur les dires des reporters
entrés illégalement en Syrie -
imputent systématiquement au
gouvernement d’el-Assad les actes
barbares que vous imputez à des
extrémistes sunnites [2]
; comment le public qui lui veut
savoir qui dit vrai peut-il s’y
retrouver ?
Réponse
: Les violences, les horreurs que
nous subissons depuis bientôt une
année ce sont les milices qui les
commettent. Nous connaissons notre
peuple ; nos gens, nos soldats ne
sont pas violents. Ils font ce
qu’ils peuvent. Ils risquent leur
vie pour nous protéger de ces
milices armées qui kidnappent,
rançonnent et tuent. Plus de 3’000
soldats ont perdu la vie depuis une
année.
La situation est devenue très
cruelle pour les Syriens dont le
quotidien est totalement bouleversé
à cause du chaos et de l’insécurité
que ces milices entretiennent. C’est
dur, très dur de voir notre peuple
forcé à se déplacer, tomber dans la
misère. Beaucoup de gens ont perdu
leur travail. Les sanctions de l’ONU
aggravent la situation.
Silvia Cattori
: Nous apprenons en
vous écoutant que Baba Amro était
une zone vidée de ses habitants
depuis longtemps. Aucun de nos
médias n’a jamais dit cela. Quand
l’armée a donné l’assaut contre
l’ASL à Baba Amro il n’y avait donc
pas de civils pris en tenaille comme
les médias chez nous le prétendaient
?
Réponse
: Mon frère est rentré deux fois à
Baba Amro en novembre pour y livrer
des marchandises. Il nous avait
raconté que la quasi totalité de ses
habitants avait déjà quitté Baba
Amro, que tout était détruit, les
magasins étaient fermés. Qu’il y
avait encore l’eau et l’électricité
mais très peu de gens ; cent ou deux
cent familles tout au plus. Or,
90 000 personnes vivaient à Baba
Amro avant l’arrivée des milices
armées. [3]
Silvia Cattori
: Combien de
personnes ont-elles fui Homs ?
Réponse
: La plupart des habitants de la
ville de Homs, et de l’agglomération
de Homs, ont fui [4].
Plusieurs centaines de milliers je
crois. Quand je suis retourné à Bab
Sebaa en novembre, dans la rue où
j’habitais seules deux familles sur
cinq cents étaient encore là. Tout
le monde avait fui, chrétiens,
sunnites, alaouites.
Silvia Cattori
: Quand vous avez
appris que les combattants de l’ASL
avaient été délogés de Baba Amro
qu’avez-vous éprouvé ?
Un grand soulagement. Cela faisait
longtemps que nous attendions que
l’armée intervienne. Les images
montrées durant l’assaut de février
pouvaient faire croire que c’était
l’armée gouvernementale qui avait
détruit Baba Amro. Comme je l’ai
déjà mentionné, Baba Amro avait été
détruite par les milices bien avant.
Silvia Cattori
: Si à Baba Amro les
gens reviennent, les groupes armés
ayant été délogés, qu’en est-il des
autres quartiers ?
Réponse
: Un des quartiers les plus
problématiques maintenant est celui
d’Al Hamidia. Il y a une petite
minorité de sunnites. Les chrétiens
qui sont restés ont vécu des temps
très durs. Victimes d’agressions, de
vols, de kidnappings depuis des
mois, les gens n’osaient plus sortir
de chez eux. L’armée ne pouvait pas
leur venir à leur aide car les
milices contrôlaient les accès,
occupant des maisons de chrétiens
qu’ils prennent en otage.
Le seul quartier de Homs où les gens
ne se sont pas enfuis massivement
est celui d’Akrama [comme c’était le
cas auparavant à Al Hamidia].
C’était à Akrama, où les chrétiens
et les alaouites sont majoritaires,
que les gens qui voulaient trouver
plus de sécurité cherchaient à
trouver un logement. Ses habitants
s’étaient organisés pour se
protéger. Ils se sentaient plus en
sécurité que dans d’autres zones de
Homs, du moins jusqu’en janvier. [5]
URL de cet article :
http://www.silviacattori.net/article2966.html
Silvia Cattori
(*) Nous ne dévoilons pas son nom
pour le protéger. Nous sommes
disposés à révéler son identité le
jour où une commission de l’ONU se
préoccupera d’interroger les témoins
victimes de l’opposition armée.
[1]
Notamment les reportages de Sofia Amara
: « Syrie, dans l’enfer
de la répression » (diffusé par
Arte en août 2011 et
primé au festival de la vidéo à Lille),
et « Syrie, au cœur de
l’armée libre », (11 février 2012).
Elle y présente une
Armée libre idyllique,
représentative, crédible et légitime.
Dans ses interviews elle incite à
soutenir l’Armée libre,
à lui fournir des armes, à ce que la
communauté internationale lui garantisse
une zone sécurisée, une zone d’exclusion
aérienne, face à un président Assad
« sanguinaire ».-
D’autres journalistes – Manon Lozeau,
Martine Laroche-Joubert et Christophe
Kenck pour France 2
ont fait la part belle à la propagande
des bandes armées ; Marc de Chalvron et
Romaric Moins pour
I-télé, Paul Moreira pour
Canal-plus - sont
entrés clandestinement en Syrie,
accompagnés par les groupes armés et ont
fait l’éloge de l’«
Armée libre ».
[2]
Les médias depuis le début de la
contestation rapportent sans jamais
aucune vérification, ce que disent des
bloggeurs ou les comités de la
Commission générale de la révolution
syrienne qui envoient des vidéos
manipulées, et ce que dit l’Observatoire
syrien des droits de l’homme (OSDH)
basé à Londres. Alors qu’ils sont censés
savoir que ce sont des sources partiales
qui servent la propagande des bandes
armées.
[3]
Quand, le 7 mars 2012, des membres du
Croissant rouge syrien sont entrés à
Baba Amro ils ont constaté que tout
était détruit et vide.
[4]
La région de Homs compte 2’087000
habitants (40% vivent dans la ville de
Homs, 60% dans les villages alentour).
L’ONU estime à 200’000 les personnes
déplacées en Syrie. Ce chiffre nous
paraît très largement sous-estimé. Des
centaines de milliers de personnes ont
fui Homs, vers d’autres villes et
villages.
[5]
C’est à Akrama que, en janvier 2012, le
journaliste Gilles Jacquier et 8 Syriens
furent tués par les tirs lancés par les
rebelles basés à Baba Amro, quoi qu’en
disent les autorités françaises.
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