Opinion
« L'Irak s'oriente
de plus en plus vers une catastrophe »
Myriam
Benraad
Lundi 18 février
2013 Alors que
les attentats continuent de s’enchaîner
en Irak, les politiques menées par le
gouvernement ne semblent en rien
répondre aux besoins de ce pays meurtri.
Quelle est la réalité économique,
sociale et politique de l’Irak presque
dix ans après la chute de Saddam Hussein
et un peu plus d’un an après le retrait
des troupes américaines ? Eléments de
réponse avec Myriam Benraad, politologue
spécialiste de l’Irak et du monde arabe,
chercheur associée au CERI.
Quelle est la situation
politique actuelle en Irak ? Se
dirige-t-on vers un régime autoritaire ?
Il y a une crise chronique en Irak
depuis la chute et le renversement de
Saddam Hussein en 2003, et qui est la
conséquence directe de la politique des
Américains consistant à initier un
processus politique et à former un
premier gouvernement, non pas autour de
projets politiques pour l’Irak, mais à
travers une tripartition très
schématique du pays entre les Chiites,
les Sunnites et les Kurdes. L’imposition
de ce schéma tripartite sur la société
irakienne a été rejetée par un certain
nombre de segments de la société avec,
au premier plan, les Sunnites, mais
également une partie des Chiites. Cet
ordre politique communautaire a été
perçu comme une tentative des Américains
de « diviser pour mieux régner » et une
remise en cause du nationalisme irakien.
Cette tripartition a ainsi conduit à
poser les jalons d’une crise chronique
et, effectivement, depuis le départ des
Américains en décembre 2011, celle-ci
est revenue au premier plan.
Cette crise chronique était déjà
réapparue lors des élections
législatives de mars 2010 qui avaient
montré à quel point le divorce était
grand, notamment à l’époque, entre la
coalition du premier ministre Al-Maliki
et celle de son principal adversaire,
Iyad Allawi. Ces élections avaient mené
à un accord in-extremis passé à Erbil
entre les rangs du gouvernement sortant
et l’opposition ayant conduit au
maintien d’Al-Maliki au poste de Premier
ministre et qui devait reposer sur un
partage du pouvoir qui, en réalité, n’a
pas eu lieu. Depuis, on assiste à une
concentration de plus en plus claire des
prérogatives par le gouvernement central
au détriment des rangs de l’opposition,
mais également au détriment des
institutions supposées faire contrepoids
à l’exécutif. Le Parlement ne peut
notamment pas conduire ses travaux aussi
sereinement qu’il le faudrait. On pense
aussi à l’empiètement du gouvernement
sur le système judiciaire puisque, de la
même manière, un certain nombre
d’affaires ne peuvent être traitées de
manière sereine et efficace du fait des
ingérences du pouvoir exécutif,
notamment dans certaines affaires de
corruption.
Aujourd’hui, on a plutôt l’impression
que l’Irak est de retour vers
l’autocratie, en opposition totale au
processus politique qui s’est déployé
entre 2003 et 2011, rythmé par la tenue
de plusieurs élections et la rédaction
d’une nouvelle constitution. Est-ce que
cette dérive autoritaire va aboutir à
une négation totale des acquis
politiques de ces dernières années ?
Quels seront les contours de l’Etat
post-baasiste et quelle sera la nature
du régime politique irakien ? Une
nouvelle dictature, un régime
semi-autoritaire ? S’oriente-t-on vers
un nouveau coup d’Etat ? Les scénarios
sont ouverts.
Assiste-t-on
à une confessionnalisation de l’Irak ?
Quels en sont les stigmates et les
risques ?
Il y a une confessionnalisation et
une ethnicisation du pays depuis 2003 du
fait de la stratégie américaine fondée
sur la mise en avant du communautarisme.
Cela ne revient pas à dire qu’il n’y
avait pas de communautarisme en Irak
avant mais ce communautarisme, ces
réflexes communautaires, ces préjugés
que les Irakiens pouvaient avoir entre
eux, n’étaient pas institutionnalisés.
Aujourd’hui, ils le sont avec un partage
du pouvoir informel qui attribue le
poste de premier ministre à un Chiite,
le poste de porte-parole du Parlement à
un Sunnite et la présidence à un Kurde.
Cette organisation n’est pas actée dans
la Constitution mais elle est devenue un
partage du pouvoir à l’image de ce qui
se fait au Liban ; la question étant de
savoir s’il sera pérenne ou pas.
Il y a également une dérive
confessionnelle qui est le fait de la
violence portée par un certain nombre de
mouvements armés comme la guérilla
sunnite et les milices chiites. Les
attentats anti-chiites conduits dans le
pays depuis 2004 par des organisations
comme Al-Qaïda ont fait des milliers de
morts et ont évidemment nourri la
division confessionnelle. Aujourd’hui,
cette confessionnalisation revient au
premier plan avec la reprise des
attentats, qui n’ont en réalité jamais
cessé, mais qui sont de plus en plus
spectaculaires. Ces attentats sont
conduits majoritairement par Al-Qaïda et
d’autres mouvements salafistes radicaux
qui rejettent les Chiites pour des
raisons religieuses et qui, par
ailleurs, rejettent le gouvernement
chiite de Bagdad qui est pour eux un
gouvernement apostat aux mains de
l’Iran.
Les dynamiques régionales ne sont
effectivement pas absentes du jeu
politique irakien. Si les Sunnites
perçoivent le gouvernement irakien en
place comme étant soutenu par l’Iran,
ils tentent, pour leur part, de trouver
des appuis dans les pays sunnites
voisins, au premier plan desquels on
trouve l’Arabie saoudite (il y a
énormément de liens entre certains
cercles religieux irakiens et saoudiens)
et d’autres pétromonarchies du Golfe
comme le Qatar. Mais ils cherchent
également des soutiens auprès de la
Turquie qui, pour sa part, est dans une
logique néo-ottomane consistant à
essayer de regagner sa sphère
d’influence sunnite historique en
plaçant sous sa coupe ces populations.
Finalement, la Turquie a un intérêt à
jouer la carte sunnite en opposition à
l’Iran mais aussi à l’Arabie Saoudite
dans le jeu régional qui est celui du
Moyen-Orient.
Quelle est la
situation économique de l’Irak ? Comment
s’organisent notamment les questions
pétrolières ?
La situation économique de l’Irak est
paradoxale. Il y a globalement une
envolée de la production pétrolière qui
devrait, en théorie, assurer par ses
revenus la reconstruction économique du
pays. Or, il y a un phénomène massif de
corruption et l’absence d’une loi
nationale sur le pétrole fait que ces
revenus pétroliers ne sont, en réalité,
pas affectés à la restauration de
services de base (comme
l’approvisionnement en eau et en
électricité des populations) et à des
projets économiques pouvant non
seulement assurer la reconstruction mais
aussi créer des emplois (l’industrie
pétrolière n’étant pas la plus
pourvoyeuse d’emplois). Les revenus de
la rente devraient logiquement
s’inscrire dans le cadre d’une stratégie
de diversification économique et de
développement de secteurs d’activité qui
pourraient justement employer une main
d’œuvre irakienne aujourd’hui
massivement au chômage (plus d’un quart
de la population est sans emploi).
Ainsi, si les revenus des exportations
pétrolières sont énormes et ne vont
cesser de croître, la rente ne participe
absolument pas au relèvement de la
société irakienne qui vit aujourd’hui
dans des conditions absolument
précaires, notamment d’un point de vue
sanitaire.
L’Irak s’oriente, à mon sens, de plus en
plus vers une catastrophe. En 2011,
avaient éclaté des manifestations
populaires contre le gouvernement,
inspirées du Printemps arabe, réclamant
notamment la restauration des services
de base, la fin de la corruption et une
action concrète du gouvernement.
Concernant la question pétrolière, les
slogans portaient sur le fait que le
pétrole était la propriété des Irakiens
et non pas celle d’un certain nombre de
dirigeants corrompus qui en détournent
les revenus. Cette question est ainsi
aujourd’hui porteuse d’une très grande
colère sociale qui pourrait éclater
puisqu’on a vu récemment le cas de
manifestations contre le gouvernement
dans les provinces sunnites. Il n’est
pas à exclure que ce climat de
contestation, cantonné aujourd’hui chez
les Sunnites, mais également ancré dans
la précarité sociale de la population
irakienne au sens large, donne lieu à ce
qu’on a pu appeler un « printemps
irakien » qui serait, pour le coup,
national et qui toucherait l’ensemble du
pays.
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Publié le 18 février 2013 avec l'aimable
autorisation de l'IRIS.
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