Entretien avec Christophe Oberlin
Tempête dans un verre d'eau
Silvia Cattori
Jeudi 21 juin 2012
Violemment
critiqué par le Président du Conseil
Représentatif des Institutions juives de
France (CRIF), qui l’a incriminé pour de
supposées intentions anti-israéliennes
sur une question d’examen posée à ses
étudiants, le professeur Christophe
Oberlin s’explique.
Silvia Cattori
: Vous avez
été l’objet d’attaques de la part du
CRIF et du Bureau National de
Vigilance Contre L’Antisémitisme.
Comment vivez-vous le fait d’être
gravement mis en cause ? Que
s’est-il passé au juste ?
Christophe
Oberlin : Depuis 30 ans
j’enseigne et je suis responsable
d’un certificat optionnel de
médecine humanitaire depuis trois
ans ; tout le monde n’est pas obligé
de s’y inscrire. Je donne un cours
de deux heures sur vingt heures
d’enseignement en droit humanitaire
dispensées par Amnesty
International. J’ai donc posé une
question d’examen - sur quatre
questions - partant d’un cas réel
qui avait été traité par les
enseignants pendant les cours et
dans la plus grande sérénité, il y a
quatre mois. C’est un cas pratique
qui parle d’un médecin qui reçoit
vingt-deux cadavres portant le même
nom de famille ; cela se situe à
l’hiver 2008/2009 dans la bande de
Gaza. À l’aide des éléments
juridiques qui ont été enseignés
pendant le cours, il a été demandé
aux élèves de donner une
qualification juridique pour savoir
s’il s’agit-il d’un crime de guerre,
d’un génocide, ou d’un crime contre
l’humanité ; et d’argumenter leur
propos à l’aide des définitions
connues de ces différents crimes.
C’est un cas pratique tel qu’on en
utilise en médecine. On fait
énormément d’évaluations par cas
pratiques ; l’examen de la fin des
études médicales se fait
essentiellement sous la forme de cas
pratiques. C’est l’occasion de
montrer ses connaissances.
Bien entendu Si j’avais posé une
question sur un cas pratique
enseigné dans un cours, portant sur
des femmes violées dans un camp de
réfugiés au Darfour, personne
n’aurait protesté. Il faut poser la
même question à mes détracteurs.
Auriez-vous protesté pour le Darfour
? La réponse est certainement non.
La question suivante est : pourquoi
?
Et lorsqu’on me dit : mais vous
posez une question sensible, etc…,
je dois préciser que j’essaye d’être
un pédagogue ; l’important c’est ce
que les gens retiennent. Depuis
trois ans, le cours se fait de la
même manière ; c’est-à-dire qu’il
comporte une partie d’enseignement
théorique de l’histoire du droit
humanitaire et de ses progrès
successifs. Prenons un exemple : si
vous faites un cours formidable sur
la maladie en expliquant tous les
symptômes, les moyens de diagnostic,
le traitement, la chirurgie, mais
que vous oubliez de dire à la fin de
votre cours que, malheureusement,
aucun traitement ne marche, que
cette maladie est toujours mortelle,
c’est vraiment une omission que l’on
pourrait vous reprocher car ce
serait incomplet. Ce qui est dit au
cours de l’enseignement sur le droit
humanitaire depuis trois ans est
ceci : on vous a appris un certain
nombre de choses ; mais
malheureusement dès qu’un pays
puissant - en gros les pays
occidentaux, la France, les
États-Unis, Israël, sont cités
nommément dans un cours chaque année
- est impliqué dans un acte de
guerre, il ne respecte pas le droit
humanitaire. Donc c’est un message
essentiel ; il y a une pédagogie
dans cet exemple qui ne consiste pas
simplement à donner les définitions
de ces crimes et à parler de droit
humanitaire en termes de droit, mais
aussi à faire savoir aux étudiants
que ce droit n’est jamais appliqué
dès lors qu’il s’agit d’un pays
riche.
Silvia Cattori
: Qu’est-ce
que le Bureau National de Vigilance
Contre l’Antisémitisme vient faire
ici ?
Christophe
Oberlin : Vous savez, en
France, trois personnes peuvent
fonder une association. Celle dont
vous parlez a moins de 5 ans
d’existence, donc elle ne peut même
pas se porter partie civile. Je note
quand même qu’à mon âge canonique,
jamais personne ni en public ni en
privé ne m’a accusé d’antisémitisme.
Même le CRIF, qui m’a pourtant
attaqué par écrit de façon
extrêmement violente, n’a pas
utilisé dans ses outrances le terme
d’ « antisémitisme
». Le CRIF a par ailleurs
inventé un mot - en tous cas je ne
l’ai jamais entendu avant, c’est un
néologisme - qui me qualifie d’«
anti-israélisme ». Ce n’est pas
dans le dictionnaire.
Silvia Cattori
: En vous
écoutant on en vient à se demander
si ces fervents ambassadeurs
d’Israël en France n’ont pas cherché
un moyen de faire taire le
chirurgien qui humanise en quelque
sorte par son geste les blessés de
guerre de Gaza, des résistants
qu’Israël massacre et cherche à
déshumaniser en les qualifiant de
« terroristes » ? Du
reste le président du CRIF Richard
Prasquier [1]
ne s’en cache même pas. «
M.Oberlin se situe à la pointe
extrême de la haine contre Israël et
de la promotion du Hamas »
a-t-il dit. N’est-ce
pas le chirurgien, qui est capable
d’avoir un point de vue politique en
même temps qu’il soigne les blessés
sur les lieux où Israël commet des
crimes de guerre, que M. Prasquier a
voulu viser ?
Christophe
Oberlin : Il y a plusieurs
questions dans tout ça. Il faudrait
y répondre. Si M. Prasquier a le
courage de venir discuter
publiquement avec moi, je saurai,
dans un débat avec lui, sérier les
problèmes, ne pas tout mélanger.
S’il veut qu’on parle d’Israël et de
sa politique, qu’on parle de
l’université et de mon enseignement,
qu’on parle du Hamas, parler de tous
ces sujets qui méritent débat et qui
ne se discutent pas en trois
phrases, je suis à sa disposition.
Il y a des mélanges ahurissants :
quand le président de l’université,
sans me contacter, sans étudier la
question qui lui a été posée par le
CRIF, déclare à la presse qu’il
s’agit d’une atteinte à la laïcité,
tous les étudiants en droit en
France, ont de quoi rire. J’ai posé
la question à une avocate
spécialisée dans la diffamation.
Elle m’a répondu : ce qu’à dit le
président de l’université est une
énorme bêtise ; et une bêtise, ce
n’est pas une atteinte à votre
honneur ni à votre dignité. En
France, il n’y a pas de loi contre
la bêtise. Autrement dit il n’y a
pas de diffamation. Chaque
accusation mérite d’être discutée,
je suis à la disposition de tout le
monde pour discuter. Je ne crains
vraiment pas, à mon âge, les forces
dont vous venez de parler. Cela ne
me fait pas peur.
Silvia Cattori
: N’est-ce
pas Vincent Berger, le président de
l’université Paris-Diderot qui vous
a désavoué et a annoncé une enquête
administrative, donnant ainsi raison
à vos détracteurs du CRIF qui n’a
pas respecté ce qu’il vous reproche
: son devoir de réserve ?
Christophe
Oberlin : Je pense qu’il
est sorti de sa réserve en me
condamnant publiquement et en
parlant d’atteinte à la laïcité. Là,
véritablement, il est sorti de son
devoir de réserve et il aurait dû y
penser au moment où il s’exprimait.
C’est son droit le plus strict
d’ouvrir une enquête administrative
qui donnera ce qu’elle donnera ; je
n’en ai évidemment pas peur. Lors de
cette enquête, il n’y aura de ma
part que des écrits. Je ne
répondrais que par écrit à des
questions écrites. Il n’est pas
question que cela se passe à huis
clos et qu’il en sorte une espèce de
blâme qui apporte des informations
erronées.
Silvia Cattori
: Vous avez
écrit à la ministre de la recherche
et de l’enseignement supérieur. [2]
Est-ce à dire que les choses sont
allées trop loin ? Et
qu’attendez-vous en retour ?
Christophe
Oberlin : Ayant vu, après
toutes les outrances déversées,
qu’on allait demander pour moi une
sanction au niveau ministériel, j’ai
écrit à la ministre de
l’enseignement supérieur qui a
tutelle sur moi car je souhaitais
l’informer de façon à ce qu’elle ne
soit pas prise de court lors d’une
question impromptue dans une
conférence de presse ou dans un
couloir, et poussée à devoir dire
des choses sur un sujet dont elle
n’aurait pas eu un minimum de
connaissance.
Silvia Cattori
: Vous
semblez très serein. Comme si tout
ce bruit fait autour de vous ne vous
touchait pas vraiment ?
Christophe
Oberlin : Franchement,
cette affaire ne m’atteint
absolument pas. J’ai la chance,
après une bonne carrière, d’avoir
une reconnaissance dans le domaine
médical. D’avoir beaucoup d’amis,
d’être apprécié et soutenu.
Silvia Cattori
:
Récemment, une conférence dont vous
étiez l’orateur et qui devait avoir
lieu au lycée de Lannion
(sous-préfecture des Côtes d’Armor),
a été interdite par le recteur de
l’académie de Rennes. Voyez-vous un
lien entre ces deux incidents ?
Christophe
Oberlin : C’est bien clair.
Cela fait deux fois en quelques
semaines que le milieu
universitaire, à un certain niveau,
s’attaque à ma personne. Et, à
chaque fois, sous des motifs dont on
voit bien qu’ils découlent de
pressions, des responsables
universitaires sont sommés de réagir
publiquement et sans avoir
véritablement pris le temps de
réfléchir.
Silvia Cattori
: Votre
ouvrage « Bienvenue en
Palestine, destination interdite » [3]
qui vient juste de
paraître, tombe à pic. Vous y
montrez précisément comment, par
toutes sortes de tracasseries,
Israël interdit l’accès à Gaza et à
la Cisjordanie et maintient la
population palestinienne emprisonnée
sans que cela ne soulève de
protestations chez nous. N’y a-t-il
pas une totale symétrie dans les
méthodes d’exclusion pratiquées par
Israël contre les Palestiniens, et
celle pratiquées en France par les
organisations juives, membres de la
« Tribu » et qui,
comme BHL, font ouvertement
allégeance à Israël ? Cela ne
démontre-t-il pas qu’il y a un grave
problème en France, que des citoyens
honnêtes peuvent y être frappés
parce que les divers pouvoirs cèdent
immanquablement aux pressions du
lobby pro-israélien ?
Christophe
Oberlin : Je crois qu’il y
a effectivement un grave problème en
France. Le CRIF aujourd’hui n’est
pas représentatif ; je ne suis pas
certain qu’il représente les gens
qui y adhèrent ou sont des
sympathisants. Souvenons-nous de
Théo Klein, qui a été un des grands
représentants du CRIF ; je me
souviens qu’il tenait des propos
profondément humanistes et
fraternels vis-à-vis des
Palestiniens. Il insistait sur le
fait que le judaïsme ne devait pas
s’appuyer sur le négatif, sur la
victimisation, mais qu’il fallait au
contraire insister sur les valeurs
positives. C’est finalement tout le
contraire qui a été malheureusement
développé par ses successeurs. On
manque de grandes voix, du côté de
la communauté juive, qui calmeraient
un peu le CRIF. Aujourd’hui, le CRIF
est devenu tout simplement un lobby.
Il a le droit de s’exprimer en tant
que lobby, mais n’a pas réellement
de caractère représentatif. Je
reçois beaucoup de soutien de la
part de gens que je ne connais pas
qui se déclarent être juifs et sont
scandalisés par les outrances du
CRIF.
Christophe OBERLIN
est né en 1952. Chirurgien des
hôpitaux et professeur à la faculté
Denis Diderot à Paris, il enseigne
l’anatomie, la chirurgie de la main
et la microchirurgie en France et à
l’étranger. Parallèlement à son
travail hospitalier et
universitaire, il participe depuis
30 ans à des activités de chirurgie
humanitaire et d’enseignement en
Afrique sub-saharienne, notamment
dans le domaine de la chirurgie de
la lèpre, au Maghreb et en Asie.
Depuis 2001, il dirige régulièrement
des missions chirurgicales en
Palestine, particulièrement dans la
bande de Gaza où il a effectué près
d’une trentaine de séjours. Il est
l’auteur de deux livres essentiels
sur Gaza : “Survivre
à Gaza”, et “Chroniques
de Gaza 2001-2011”.
Silvia Cattori
[1]
Richard Prasquier, a écrit :
« Outrage devant le
détournement des devoirs du maître au
profit d’une tribune pour les obsessions
du militant, outrage devant le mépris
envers les principes hippocratiques
d’égalité des patients, comme s’il n’y
avait pas eu de blessés, de morts,
d’invalides à cause des crimes du
Hamas…, outrage devant cette volonté
d’incruster dans le cerveau des
étudiants la haine plutôt que le savoir
».
[2]
Voir : « Cristophe Oberlin : Lettre
Ouverte à la Ministre de la Recherche et
de l’Enseignement Supérieur », 18 juin
2012.
http://www.silviacattori.net/article3343.html
[3]
Bienvenue en
Palestine,
destination interdite. Christophe
Oberlin/Condes, Éditeur :ENCRE D’ORIENT,
2012
http://www.encredorient.com
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