Entretien
Ahmed Manaï : «
Ghannouchi a peur de la rue... »
M. Ahmed
Manai, invité sur la chaîne Ettounssya
TV (Crédit image Ramzi Weslati)
Samedi 27 juillet 2013
Ahmed Manai, ancien expert international
auprès de l’ONU, militant en faveur
d’une démocratisation de la Tunisie. En
1991, il a été arrêté et torturé durant
plus de 15 jours consécutifs par les
services spéciaux Tunisiens. Il a vécu
dix huit ans en exil en France. Il est
le président de l’Institut Tunisien des
Relations Internationales et auteur du
livre « Supplice Tunisien – Le jardin
secret du général Ben Ali » aux éditions
La Découverte. Grand connaisseur du
parti islamiste Ennahda. Il a côtoyé les
dirigeants de ce parti durant son exil
avant de prendre ses distances
définitivement aux années 90, depuis, il
n’arrête pas de dénoncer leur projet
politique caché.
Ahmed Manaï nous a confié son analyse
et sa vision de la situation actuelle de
la Tunisie deux ans après l’accès au
pouvoir du parti Ennahda. Après
l’assassinat de M. Brahmi, abattu jeudi
près de Tunis, la nouvelle a secoué les
Tunisiens en cette journée chômée
marquant le 56e anniversaire de la
République et des centaines de personnes
ont afflué dans le centre de la capitale
pour dénoncer l’assassinat qui
intervient près de six mois après celui
de Chokri Belaïd, une autre figure de la
gauche tunisienne. Sa famille avait
aussi accusé Ennahda, qui avait là aussi
démenti toute implication. Le pouvoir
avait imputé ce crime à un groupuscule
islamiste radical.
Tunis Tribune : « Quelle est
votre vision ou analyse de la situation
politique dans laquelle se trouve le
pays aujourd’hui et surtout avec ce
nouvel assassinat ? »
Ahmed Manai : « Les
islamistes ont échoué dans la gestion de
la période transitoire sur tous les
plans parce qu’ils ont raté la mutation
nécessaire d’un parti d’opposition à un
parti de gouvernement. Depuis 1956, date
de l’indépendance de la Tunisie, et
durant le règne de Bourguiba à Ben Ali
(55 ans), le pays a connu un seul
assassinat, celui de l’homme politique
et l’un des principaux chefs de file du
mouvement national tunisien, Salah Ben
Youssef, assassiné le 12 août 1961 à
Francfort (Allemagne). Sous le règne
d’Ennahda soit moins de deux ans (22
mois), le pays a connu trois assassinats
(Lotfi Naghedh, Chokri Belaid et Mohamed
Brahimi), ceci montre bien que les
islamistes d’Ennahda n’ont pas
foncièrement changé et qu’ils continuent
toujours à véhiculer la violence et la
peur ! Même si le discours a
partiellement changé. » La preuve, le
dernier dérapage du président de leur
bloc parlementaire à l’ANC, Sahbi Atig,
avec son appel sur l’avenue Bourguiba,
lançant de graves menaces contre
d’éventuelles actions contre sa supposée
légitimité. « Toute personne qui piétine
la légitimité en Tunisie, sera piétinée
par cette légitimité et toute personne
qui ose tuer la volonté du peuple en
Tunisie ou en Égypte, la rue tunisienne
sera autorisée à en faire ce qu’elle
veut y compris de faire couler son sang
(youstabahou) », a-t-il dit en
substance.
Comment ose-t-en parler d’une
légitimité périmée depuis au moins neuf
mois ?
AM : « Il ne faut
pas être naïf, les islamistes ont
toujours eu une conception très spéciale
de la démocratie, un moyen pour accéder
au pouvoir afin de réaliser leur projet,
plus globalement celui de la confrérie
des Frères Musulmans et celle de Rached
Ghannouchi.» Il n‘y a pas longtemps,
j’ai entendu un de leurs disciples dire
: « ça y est, c’est l’heure de la
chahada qui approche, je me prépare pour
mourir bientôt en martyr comme tous mes
frères, bientôt on va être écarté du
pouvoir par les gauchistes et notre seul
salut c’est le jihad », a t-il ajouté !
En substance, Rached Ghannouchi est le
premier responsable, c’est lui qui tient
la mèche et les finances surtout, tout
passe par lui. Je vous ai confié l’année
dernière l’histoire des
200 millions de dollars offerts par
l’émir du Qatar, Cheikh Hamad ben
Khalifa al-Thani,
un don effectué en deux tranches 2 fois
100 millions, une première par
l’intermédiaire de Youssef Al Qaradaoui,
et une deuxième directement de l’émir,
C’était la confidence d’un ami
journaliste de la chaîne Al Jazeera et
qui en a démissionné depuis pour créer
sa propre chaîne télé, lors de l’un de
mes déplacements à Damas, dans ma
mission d’observateur de la Ligue arabe
en Syrie.
Qui est ce journaliste
exactement ?
Il ne m’a pas autorisé à dévoiler son
identité mais je vous ai donné assez
d’éléments pour le reconnaître et j’ai
totalement confiance en son témoignage.
D’ailleurs, Walid Maalam, ministre des
Affaires étrangères syrien, a confirmé
l’info quelques temps après dans une
interview au journal britannique « The
Independent » Quand j’ai raconté ça au
cheikh Abdelfatah Mourou lors d’une
rencontre chez lui, il était très
surpris que c’est moi qui le lui apprend
vu sa proximité avec Ghannouchi et vu
l‘énormité de la somme aussi ! ça
représente environ 300 millions de
dinars et c’est une sacrée pour un parti
politique ! C’est avec ça qu’il tient le
mouvement.
D’ailleurs, des informations m’ont été
rapportées qu’à l’époque, le cheikh
aurait reçu un chargement très spécial
au port de Radès dans des véhicules
tout-terrain (4X4), les anciens
trafiquants pro-Trabelsi sévissaient
toujours, avec la douane, ils étaient
très faciles à acheter ! » Le cheikh
fonctionne à l’ancienne, le magot est
rangé certainement comme sauvegarder un
bas de laine (le bas de laine ou la
cachette dans un mur de la maison ou
tout autre endroit) même si cela
représente un danger puisqu’on pouvait
très bien le détrousser à moins qu’il
soit très bien protégé. Il tient le
mouvement certes par son statut de
fondateur mais aussi par cela ! La
finance !
Les dons et contributions, qui
arrivent au parti, sont toujours
libellés à son nom, c’est lui qui reçoit
et qui donne, en personne. J’avais
constaté cela 20 ans plus tôt, alors que
je commençais à découvrir ce mouvement
et je l’avais raconté dans ces termes,
dans une interview au mensuel Parisien
Arabies, au mois de novembre 1992 : «
Cependant, il (Rached Ghannouchi)
conserve le pouvoir du seul fait que le
mouvement ne peut, dans les
circonstances actuelles, disposer des
fonds accumulés durant des années:
l’accord de Ghannouchi est en effet
indispensable en tant que chef de la
direction clandestine et unique Émir à
l’heure actuelle, depuis qu’Ennahda ne
compte plus d’Émir à l’intérieur du
pays, contrairement à ce que prévoient
les statuts de l’organisation ». Arabies
: novembre 1992. Il paraît qu’à Tunis,
il dispose d’un service de sécurité
digne d’un chef d’état semblable ou plus
à celui de l’ex-président Ben Ali.
Depuis la chute de Morsi et des Frères
Musulmans en Égypte, Ghannouchi a peur
de la rue, il est engagé dans une fuite
en avant permanente. Un des premiers
fondateurs du Mouvement de la tendance
islamique (MTI) lui a pourtant
déconseillé d’engager le parti dans
cette phase transitoire, il aurait du se
contenter de deux ou trois portefeuilles
ministériels mais le cheikh a la soif du
pouvoir. Si ça se complique dans le
pays, il fuira comme un voleur de là où
il est venu. D’ailleurs, il a toujours
sa
propriété à la banlieue de Londres.
Entretien réalisé par Hannachi Issam
pour Tunis Tribune
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|