|
Oumma.com
Les
églises chrétiennes du Proche-Orient (½)
Rochdy Alili
Ste Anne de Jérusalem - Photo blog Kacouy
Lundi
24 décembre 2007
Chacun sait la tension que vivent les nations
arabes depuis des décennies. On connaît la réalité politique
de ce monde aux frontières nationales tracées par les grandes
puissances pour leurs intérêts stratégiques et pétroliers. Nul
n’ignore la nature despotique et le caractère rétrograde des
monarchies ou des régimes dictatoriaux mis en places et maintenus
depuis un demi-siècle par ceux là même qui les dénoncent
aujourd’hui.
Chacun déplore l’arrivée d’apprentis
sorciers qui entendent avec des naïvetés de néophytes résoudre
les problèmes des autres. On en trouve à la Maison Blanche, on
en trouve dans de plus modestes services de ministères français.
Le général de Gaulle disait aller vers l’orient compliqué
avec des idées simples. Il en est aujourd’hui qui vont vers un
orient encore plus compliqué sans idée du tout.
De tout cela souffrent et ont souffert les peuples
arabes musulmans mais ont souffert aussi les chrétiens arabes
souvent oubliés de l’histoire et peu connus en France. Aussi,
à la veille de Noël, nous est-il apparu opportun de rappeler
l’existence de chrétiens arabes, victimes, comme leurs
concitoyens musulmans, de l’injustice insupportable imposée au
Proche-Orient depuis les débuts du vingtième siècle.
On les appelle chrétiens orientaux, mais ce terme
recouvrant tout ce qui est à l’est de l’Europe occidentale,
il convient de noter que nous ne traiterons ici que des chrétiens
ayant vécu dans le monde arabe et survivant aujourd’hui dans
divers groupes. Tout n’a peut-être pas été idyllique dans
notre histoire commune.
Nous pouvons avoir eu à nous plaindre les uns des
autres au cours des siècles ou dans des époques plus récentes.
Il n’en demeure pas moins que les musulmans trouvent rarement
autant de compréhension que chez eux pour les questions qui les
préoccupent. Ils n’ont pas toujours en revanche, la même
ouverture à leur égard et la même connaissance de leur identité
et de leur diversité.
Cette présentation à l’occasion de la fête de
Noël, se propose justement comme une ouverture et un effort de
connaissance et de reconnaissance. Peut être hâtive, elle
comportera sans doute des erreurs que nous demandons aux chrétiens
concernés de nous signaler.
Que les musulmans s’y associent comme une
manifestation de leur respect à l’égard de gens qui demeurent
leurs proches. Que les chrétiens la reçoivent comme une marque
fraternelle de respect et de considération. L’actualité étant
ce qu’elle est, nous nous plaçons pour commencer dans la
perspective de l’islam de Perse, à l’origine du christianisme
irakien.
Le christianisme, religion
asiatique et africaine.
Le musulman doit se rappeler avant tout que
l’islam a recouvert, en Syrie Palestine, en Mésopotamie, puis
au Maghreb, puis en Asie mineure, une chrétienté bien plus
ancienne que celle d’une Europe alors païenne. Le christianisme
n’est donc pas par essence la religion de l’Europe, mais bien
une religion de l’Asie, comme toutes les grandes religions de
l’histoire.
Il s’est ensuite très vite introduit dans le
nord de l’Afrique. Le simple examen des synodes par exemple,
montre que les plus anciens se déroulèrent dans la Turquie, dans
la Palestine et surtout à Carthage, dans ce qui est aujourd’hui
la Tunisie. Quant à la Mésopotamie, aujourd’hui l’Irak, elle
forme des communautés chrétiennes dès le IIIe siècle, les
seules en dehors de l’orbite romaine. La région est dans
l’empire perse depuis plus d’un demi millénaire. A l’ouest,
les puissances de la Méditerranée ont toujours été ennemies.
La rivalité Iran Méditerranée.
A l’époque ou se répand la nouvelle religion,
l’empire romain combat le dernier empire perse, gouverné par la
dynastie sassanide (224-652) et vit lui-même ses derniers siècles.
La frontière entre ces deux rivaux n’est pas loin de
correspondre à celles de l’Irak actuel dans ses limites avec la
Syrie, prolongée par une ligne droite jusqu’au golfe d’Akaba,
qui couperait en deux la Jordanie d’aujourd’hui.
Les guerres sont fréquentes sur ces confins.
Elles se renouvellent jusqu’à l’arrivée des Arabes musulmans
qui détruisent le dernier empire perse indo-européen au VIIe siècle.
Jusqu’à ce moment, la chrétienté mésopotamienne, alors
installée au nord du pays, vit des heures inconfortables sous la
dynastie des sassanides. C’est le moment où la religion
indo-européenne du mazdéisme, ou zoroastrisme, (que le Coran
-XX, 17,- appelle Majus), très anciennement installée, devient
la religion officielle de l’état perse. Elle se montre pour la
première fois intolérante à l’égard des autres confessions.
C’est à la fin du IIIe siècle par exemple, que
le fondateur du manichéisme, Mani, vivant à Ctésiphon, capitale
de l’empire, située non loin de l’endroit où sera Baghdad,
est persécuté et meurt vers l’année 275. Tout ce qui n’est
pas mazdéen est donc gravement inquiété. Suivant le tempérament
des souverains sassanides, les choses s’améliorent parfois brièvement.
Au quatrième siècle, après la conversion de
l’empereur Constantin et l’adoption du christianisme comme
religion officielle de Rome, les chrétiens de Mésopotamie
apparaissent liés à l’ennemi héréditaire romain. L’époque
est dominée par le très long règne du roi sassanide Chapour II
(309-379), sans cesse en guerre avec Rome et persécuteur des chrétiens.
Après lui, rien ne s’arrange et de vastes entreprises menées
par les mages mazdéens tentent de convertir les chrétiens
anciens, les Arméniens entre autres, et de ramener au mazdéisme
les plus récents adeptes mésopotamiens du Christ.
Le christianisme romain, les
grands patriarcats et les débats christologiques.
Dans le domaine romain, les communautés chrétiennes
organisées dans les villes et les cadres administratifs de
l’empire ont enfin droit de cité. Il se dégage d’abord trois
primautés dogmatiques dans trois grandes capitales de l’époque,
Rome, Alexandrie et Antioche. Deux sont en orient dans une chrétienté
encore asiatique et africaine où l’Europe compte pour peu.
Au cinquième siècle, dans le cadre des débats
sur la nature de Jésus, qui animent la Méditerranée chrétienne,
une école de théologie prend de l’importance à Antioche,
aujourd’hui à l’extrême sud de la Turquie, non loin de la côte
méditerranéenne.
Cette école s’oppose à celle d’Alexandrie,
la plus prestigieuse de l’époque. L’école d’Alexandrie est
dirigée depuis 412 par le patriarche Cyrille. Elle voit dans le
Christ le Verbe divin éternel incarné dans une personne humaine.
L’école d’Antioche quant à elle, insiste sur l’aspect
humain de la personne de Jésus accédant à la nature divine du
Créateur pour porter le projet que Dieu propose à l’humanité.
Les discussions théologiques sont extrêmement
subtiles et nous ne pouvons que les caricaturer. Osons cependant
une formule permettant de situer grossièrement les choses. Pour
Alexandrie Jésus naît divin, il est, dès la conception, Verbe
incarné de Dieu, porteur d’une nature divine. Pour Antioche, il
naît avant tout humain, porteur d’une nature divine potentielle
qui se réalise et se révèle dans son existence d’homme.
L’influence de l’école d’Alexandrie s’étend
sur l’Egypte mais touche aussi l’orient. L’influence de l’école
d’Antioche est moindre mais elle touche l’église mésopotamienne
qui s’organise lors d’un concile à Ctésiphon en 420, où les
évêques perses désignent un chef qu’ils nomment catholicos et
placent sous l’autorité du patriarcat d’Antioche. Ce
catholicos réunit quatre ans plus tard un synode à Ctésiphon
qui lui accorde toute indépendance vis à vis d’Antioche et lui
permet d’émettre des règles canoniques pour les diocèses de
l’empire sassanide, ce qui fait de lui un patriarche à part
entière.
Encore quatre ans plus tard, en 428, un moine de
l’école d’Antioche, nommé Nestorius, devient patriarche de
Constantinople et s’oppose à l’usage répandu de désigner la
vierge Marie comme « Mère de Dieu » (Théotokos). Il
demande qu’elle soit nommée « Christotokos »
c’est à dire mère du Christ, ce qui est la conséquence
logique de la conception antiochienne. Tout aussi logique avec la
conception de son école, Cyrille d’Alexandrie défend la
formule Théotokos et accuse Nestorius d’introduire une
distinction trop forte entre la nature humaine et la nature divine
du Christ. Il lui reproche de laisser entendre ainsi qu’il n’y
aurait pas d’union entre le Seigneur divin tout puissant et
l’homme Jésus et qu’il y aurait deux personnes dans le
Christ.
Finalement un concile réuni à Ephèse en 431 désavoue
Nestorius. Il proclame officiellement la vierge Marie « Mère
de Dieu » parce que, selon la formule de Cyrille d’Alexandrie,
le Verbe divin et le corps humain sont fondus en une même
« phusis », nature concrète et présente au monde.
C’est le désaveu de Nestorius qui est exilé dans une oasis
d’Egypte. c’est le triomphe de Cyrille d’Alexandrie, qui
meurt en 444.
Le successeur de Cyrille se nomme Dioscore. Les théories
de l’école alexandrine officialisées par le concile d’Ephèse
ont droit de cité à Constantinople. Un moine de cette ville,
Eutychès, y est le représentant de Dioscore. Le débat, très
subtil à l’époque, porte sur la « nature » du
Christ et un malentendu de vocabulaire s’installe. La « phusis »
de Cyrille d’Alexandrie, qui désigne la présence concrètement
incarnée du Verbe divin dans l’homme Jésus, est abordée par
Eutychès comme un concept abstrait, à savoir la nature humaine
partagée par tous les hommes.
Dès lors, Eutychès refuse d’admettre que Jésus
homme ait partagé cette nature avec les autres hommes. Pour lui,
le Christ était de la même substance divine que Dieu, mais il
n’était pas de la même substance humaine que les membres de
l’espèce humaine, bien qu’incarné dans un corps d’homme.
Cette conception d’Eutychès fonde ce que l’on appelle le
monophysisme, qui développe de nombreuses théories. Le
patriarche d’Alexandrie Dioscore fait sienne cette vision,
apparemment conforme à celle de Cyrille et l’Egypte le
soutient.
Le concile de Chalcédoine, la grande séparation
et les divisions. Après de vives querelles, un concile œcuménique
est réuni en 451 à Chalcédoine, près de Constantinople, par le
couple impérial, l’impératrice quinquagénaire Pulchérie, sœur
du précédent empereur et son vieil époux, le général Marcien.
Les conceptions d’Eutychès y sont condamnées. Un dogme
officiel sur la nature du Christ s’exprime au terme des polémiques
engagées pendant le siècle. Il synthétise les positions
apparemment contradictoires d’Antioche et d’Alexandrie en
postulant que le Christ est vrai Dieu et vrai homme, tous deux
unis en une même hypostase (manifestation concrète, réalité,
personne).
De cette manière le Christ est pour chaque homme
le Dieu Sauveur, par sa nature divine, et le frère humain,
partageant sa condition humaine. Chalcédoine institue ainsi, par
une entente entre le pape de Rome et les autorités de
Constantinople, une Eglise officielle, inspirée par une droite
opinion (orthodoxe) et universelle (catholique). Il est confirmé
aussi l’existence de deux nouveaux patriarcats dont
l’importance a été admise par les précédents conciles, ceux
de Constantinople et de Jérusalem.
L’entente aurait pu être parfaite, mais le
canon 28 de ce concile, instaurant une suprématie de
Constantinople sur les autres Eglises d’orient, n’est pas
admis par le pape Léon Ier, pour qui la seule suprématie est
celle du siège apostolique de Rome, fondé par l’apôtre
Pierre. On n’en fait pas une raison de se séparer, le pape a
trop à faire dans l’Europe envahie par les Huns d’Attila et
les hordes germaniques. C’est six cents ans plus tard, en 1054,
au terme de conflits, de disputes théologiques, que l’Eglise de
Constantinople et l’Eglise de Rome arrivent à la rupture, la
première s’intitulant orthodoxe, la seconde catholique.
Pour l’heure, Marcien sanctionne par un édit
impérial les décisions de Chalcédoine. Il existe désormais une
doctrine chalcédonienne, des Eglises chalcédoniennes, avec, face
à elles, des doctrines non chalcédoniennes et des Eglises non
chalcédoniennes. Bientôt l’empire romain d’occident tombe
sous les coups des barbares, à la fin du cinquième siècle. Seul
survit l’empire romain d’orient, avec sa capitale de
Constantinople, d’où l’empereur Justinien, (526-565), au sixième
siècle, réussit à reconquérir l’Italie, et quelques régions
côtières de l’Espagne et de l’Afrique du nord.
Au plan ecclésiastique cet empereur, seule
autorité politique protectrice des Eglises, confirme l’autorité
des cinq patriarcats d’Alexandrie, Rome, Antioche,
Constantinople et Jérusalem à l’intérieur de l’empire. Il
confirme aussi le pouvoir de juridiction indépendant des
catholicos dans les Eglises extérieures à ce dernier, comme dans
l’Eglise perse depuis 444, c’est le statut d’Eglise « autocéphale ».
Au plan doctrinal, Justinien se montre prudent, mais sa femme Théodora
manifeste ses sympathies au monophysisme. A ce moment, au milieu
du sixième siècle, les chois principaux sont effectués depuis
des décennies, mais des évolutions se font encore.
Au cinquième siècle, le patriarche d’Alexandrie
Dioscore ayant été destitué à Chalcédoine, toute l’Eglise
d’Egypte à l’exception d’une petite minorité restée fidèle
à la formulation chalcédonienne, a décidé de professer le
monophysisme et de se constitue en Eglise des « aïguptoi »
ou Egyptiens (= coptes), non sans violence et oppositions avec les
autorités grecques de la province qui répriment et pressent
d’impôt la population et le clergé monophysite.
Dans l’Eglise de Perse, l’indépendance par
rapport à Antioche, en territoire byzantin, est acquise depuis
424. Il restait à se démarquer au plan doctrinal pour éviter,
au regard du pouvoir sassanide, de paraître trop lié à
Constantinople. C’est pour cela qu’en 484 le catholicos de Ctésiphon
et son clergé choisissent la doctrine des théologiens d’Antioche,
défendue par Nestorius et condamnée par Chalcédoine.
Au sixième siècle, dans le patriarcat d’Antioche
favorable à la doctrine de Chalcédoine, un patriarche, Sévère,
pendant ses cinq années de fonction, dans les années 510, défend
les positions de Cyrille d’Alexandrie et fonde le monophysisme
de Syrie Palestine. Le propagateur principal en sera quelques décennies
plus tard Jacques dit « Baradée », ordonné évêque
et chargé, à l’instigation de l’impératrice Théodora des
populations arabes ghassanides monophysites du désert de Syrie,
responsables de la frontière de ce côté de l’empire byzantin.
Jacques Baradée va bien au-delà de son rôle et
continue, malgré la surveillance des autorités byzantines, à
organiser une Eglise monophysite en Syrie Palestine dans une région
fortement peuplée d’Arabes avant même les conquêtes
musulmanes. On qualifie pour une telle raison cette Eglise
monophysite syrienne de « jacobite ».
Enfin, il s’est constitué, dans ce même
patriarcat d’Antioche délaissé et sans responsable dès le début
du septième siècle, lors des invasions sassanides des années
610, puis à l’arrivée des Arabes musulmans, à l’époque de
nouveaux débats théologiques lancés alors par l’empereur de
Byzance, une Eglise originale, autour de monastères établis dans
la vallée du fleuve Oronte, laquelle se présente comme indéfectiblement
fidèle à Rome, l’Eglise maronite.
Rochdy ALILI est historien. Auteur de
nombreux articles dans diverses revues, il a publié en 1996, aux
éditions La Découverte, Qu’est-ce que l’islam ?
Un ouvrage d’initiation précis dont la lecture est vraiment
recommandée. Son dernier ouvrage a pour titre L’éclosion de
l’Islam paru aux éditions Dervy en 2005.
Rochdy
Alili. Les églises chrétiennes du Proche-Orient (2/2)
Droits de reproduction et de diffusion réservés
© Oumma.com
Publié le 25 décembre 2007 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
|