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Qu'est-ce
qu'un musulman ? (partie 1/3)
Omero Marongiu-Perria Mardi 13 novembre 2007 Réflexion
sur la pluralité théologique et juridique musulmane à partir de
la question de l’appartenance à l’islam.
Définir l’ être musulman procède à la
fois de la simplicité et de la complexité. Simplicité dans la
mesure où l’acception générale de l’attestation de foi, ou chahâdah,
– la reconnaissance de l’unicité divine et de Muhammad en
qualité d’ultime Prophète - est tout à fait intelligible au
commun des gens. Complexité due au fait que, à l’issue de la Révélation
coranique et de la disparition du Prophète, les théologiens
musulmans ne seront jamais unanimes sur la définition du musulman,
ni sur le statut du croyant ayant prononcé la chahâdah
sans accomplir les actes du culte.
La question de la définition de l’appartenance
religieuse s’est donc posée aux théologiens musulmans dès les
débuts de l’expansion islamique. A la base, si c’est bien à
partir d’un nombre circonscrit de versets coraniques et de
hadiths que seront définis les contenus de l’affiliation à
l’islam, c’est dans des contextes socio-économiques et
culturels particuliers, et sur fond de polémiques
politico-religieuses que se constitueront les principales écoles
de théologie musulmane.
Complexité également par le fait que la définition
des critères et des contenus de l’appartenance à l’islam va
avoir des incidences très fortes sur les rapports que les
musulmans ont historiquement entretenus et entretiennent encore
entre eux, dans leurs différentes sensibilités théologiques,
juridiques ou idéologiques, avec des périodes de polémiques et
de conflits parfois assez violents, qui tendent à resurgir
aujourd’hui sous certaines formes particulières dans le
contexte européen, suivant en cela l’évolution problématique
des pays d’islam.
A travers une immersion succincte dans les
premiers siècles de l’islam, nous proposons de mettre en évidence
les principales dimensions des débats théologiques islamiques
qui ont largement été conditionnés par les univers politiques,
économiques et culturels des grands foyers civilisationnels de
l’Empire musulman.
Cet éclairage historique nous aide à comprendre
les dessous des polémiques actuelles sur l’identité musulmane
dans le monde contemporain, qui voient musulmans de sensibilités
et de courants idéologiques divers s’affronter sur la scène
publique dans une surenchère à propos de l’ « islam
vrai » ou du « vrai musulman ».
Les trois éléments clefs de l’appartenance
à l’islam
Dans la théologie musulmane, il n’existe pas de
définition unique de l’appartenance religieuse. Pour répondre
à la question du « qui est musulman ? », les
principales écoles théologiques[1]
ont chacune développé une approche originale de la question.
Dans le débat, trois critères fondamentaux ont
fait l’objet d’une argumentation polémiste autour de
l’expression de la foi, ce sont :
- l’adhésion intérieure
aux dogmes fondamentaux de la croyance et de la pratique cultuelle (tasdîq
al qalb) ;
- l’expression verbale, consistant en
une formule précise que le croyant prononce pour manifester sa
foi (taqrîr al-lisân) ;
- l’accomplissement des actes cultuels
prescrits (at-tatbîq bil-‘amal).
Au plan historique, la plupart des positions théologiques
prennent leur source dans les deux premiers siècles de l’islam,
période de vaste extension de l’aire musulmane.
Outre l’évolution politique de l’Empire,
qui verra les non-arabes supplanter définitivement les dirigeants
issus de la péninsule arabique, c’est également la période de
classification des textes relatifs aux dire et propos du Prophète,
communément appelés hadiths[2],
et de la formation des principales écoles de droit musulman (madhâhib).
D’un point de vue sociologique, un élément
nous intéresse particulièrement : dès les premiers temps
de l’expansion territoriale de l’islam, les contextes
politiques et sociaux des régions conquises vont influencer
nettement la façon dont les théologiens traiteront la question
de l’adhésion à l’islam.
Les données de la foi, mentionnées de façon éparse
dans les textes canoniques, étaient vécues dans un rapport
d’immédiateté par les membres de la communauté primitive.
C’est par la suite qu’elles vont être formalisées par les
partisans d’une conception « inclusive » ou « exclusive »
de l’appartenance, chacun s’efforçant de procéder à une
codification présentant ce qu’il pense représenter comme étant
« La » bonne lecture des textes.
L’impact culturel des régions conquises se
manifestera aussi bien dans l’élaboration des fondements du
droit musulman que dans la réflexion théologique. De même, le
contact quotidien avec les non-musulmans, dans les régions périphériques
de l’Empire, va influencer nettement la façon même de se
penser comme musulman, de sélectionner et d’articuler les éléments
fondamentaux du dogme avec le contexte sociétal.
Une recherche historique approfondie nous
donnerait des éclairages intéressants sur la façon dont la
norme religieuse a pu s’élaborer et évoluer au cours du temps,
ainsi que le regard porté sur les comportements considérés
comme hétérodoxes. Pour ne pas investir un champ qui dépasserait
de loin cette contribution, nous nous en tiendrons ici à une présentation
d’ordre général.
La « Grande discorde » et l’émergence
des principaux groupes musulmans
Quelques moments ont été décisifs dans l’émergence
de définitions légales des contenus de la croyance et de
l’appartenance à l’islam. Le premier est lié aux querelles
politiques surgies lors du califat de ‘Ali ibn abî Tâlib,
cousin et gendre de Muhammad, dont la légitimité sera remise en
cause par une partie des musulmans.
Successeur de ‘Othmâne ibn ‘Affâne, troisième
des quatre califes « bien guidés[3] »
(al khoulafâ’ ar-râchidoun), mort assassiné par un
groupe de contestataires de sa politique, l’accès au pouvoir de
‘Ali ne se fera pas sans remous ni contestations, lesquels
aboutiront à deux conflits majeurs (harb al-jamal wa harb çiffîn),
communément appelés la Grande discorde (al fitnah al Koubrah)
et opposant les convertis de la première heure.
Pour mettre fin à la polémique relative au choix
de ‘Ali et à la suspicion quant à son implication dans
l’assassinat de son prédécesseur Mou’awiyya, son principal
adversaire, lui proposera une trêve devant conduire à l’élection
d’un calife unique à la tête de l’Empire naissant. A
l’issue des consultations organisées par des émissaires
choisis d’un commun accord par les deux parties, c’est
Mou’awiyya qui accède au pouvoir en qualité de calife des
musulmans.
La question centrale qui anime les protagonistes
de l’affaire, à l’époque, tourne autour de la « légitimité »,
à savoir : qui possède les qualités morales et religieuses
requises pour guider la communauté des croyants ?
Contrairement à l’affirmation de certains
auteurs, les premières polémiques théologiques en islam n’ont
pas en effet été centrées sur la question de la prédestination
et du libre-arbitre, mais bien sur la légitimité et
l’appartenance, liées en cela aux problèmes politiques de l’époque.
Les partisans des deux tendances à l’origine du
conflit vont alors argumenter leurs choix en adoptant des lectures
divergentes du texte sacré. Notons ici que le texte coranique,
fixé verbalement et consigné sur divers supports du vivant de
Muhammad, fera l’objet de deux recensions, la première à l’époque
d’Abou Bakr, et la seconde lors du califat de ‘Othmâne. Le
corpus révélé, symbole de l’unité d’une communauté
naissante deviendra, à partir de cette première dissension, le
support des divergences doctrinales.
Le premier courant qui se distingue, et qui
dominera largement ses adversaires, s’en tient à une interprétation
littérale du texte coranique évoquant le principe de
consultation (choûrâ), en référence aux deux passages
coraniques (III, 159 et XLII, 38) dont le second se trouve dans la
sourate portant le titre « La consultation ».
Les modalités de cette consultation ne sont définies
ni dans le Coran, ni dans les hadiths. Le flou régnant autour de
l’organisation politique et des modes de gestion de la vie
sociale donnera d’ailleurs lieu, au plan historique, à
plusieurs modèles étatiques, dont la plupart mettront en œuvre
une gestion « séculière » du pouvoir et des affaires
publiques.
Dans tous les cas, et dans l’optique de ce
premier groupe, la consultation doit aboutir à un choix
majoritaire non révocable.
Ils prendront le nom de sunnites,
manifestant par là leur attachement à la Sounnah du Prophète
qui, dans l’acception équivalente au hadith, comprend
l’ensemble de ses propos, actes, approbations, ainsi que son
attitude dans la vie quotidienne. Le second groupe, englobant les
partisans de ‘Ali développera, à l’issue de sa défaite
politique, l’idée selon laquelle le pouvoir doit se transmettre
au sein de la famille prophétique (Ahl al bayt), en vertu
de la place privilégiée qu’elle occupe dans la communauté
islamique.
Ils prendront le qualificatif de « partisans
de ‘Ali », traduction littérale de l’expression arabe shî’at
‘Alî, d’où provient directement les termes chiisme et
chiites, signifiant littéralement « ceux qui ont pris le
parti de ‘Alî ». A l’origine issu de cette dissension
politique, c’est par la suite que le chiisme se constituera en
doctrine théologique autonome, donnant naissance au plus
important groupe musulman après les sunnites.
Un troisième groupe, à l’origine en faveur de
‘Ali, se détachera de celui-ci après sa défaite consécutive
à l’acceptation de la trêve, et adoptera une attitude radicale
à son égard, tout comme envers le reste des musulmans.
Confinés dans une lecture extrême du texte
coranique, ils accusent ‘Ali de s’être soustrait au jugement
divin en acceptant l’arbitrage subjectif des hommes. Lors de la
trêve, ils étaient persuadés de l’issue favorable à ‘Ali
qu’ils soutenaient fermement, mais ils le renieront par la suite
et se retireront dans l’est irakien.
Nommés kharidjites (de l’arabe al khawâridj,
littéralement : ceux qui sont sortis de la communauté, qui
ont fait scission) par les autres musulmans, ils se tourneront
rapidement vers la violence armée et, confrontés à une répression
très violente de la part des califes omeyyades, ils mèneront une
guérilla sans relâche dont seul l’avènement abbasside viendra
à bout.
Il est difficile de présenter une vue détaillée
de la doctrine kharidjite et de ses partisans, car ils ont formé
un ensemble de groupes qui n’auront jamais d’unité politique,
militaire ou théologique réelle. Très fortement empreints de
martyrologie, à l’instar du chiisme naissant, les kharidjites
se rejoignent sur quelques points fondamentaux, notamment sur les
conditions de légitimité du calife.
Prônant une égalité stricte des croyants, sans
une quelconque distinction, ils considéraient que tout musulman
dont la pratique religieuse et la moralité sont irréprochables
pouvait prétendre au poste suprême.
On comprendra combien cette affirmation de l’égalité
des croyants devant la loi, au-delà de leurs origines, suscitera
l’enthousiasme des nouveaux convertis non-arabes, dont certains
rejoindront leurs rangs. Parallèlement, les kharidjites prônaient
cependant l’idée que le calife ayant commis une faute par
rapport à la norme religieuse soit destitué sur le champ. Cette
attitude, qu’ils porteront à son paroxysme, est symptomatique
de leur posture extrême dans la lecture du Coran.
Cela les conduira d’ailleurs à l’intolérance
pour laquelle ils seront combattus, et par laquelle ils
excommuniaient l’immense majorité des croyants, allant même
jusqu’à destituer leurs propres chefs. Concernant
l’appartenance religieuse, les kharidjites considèrent la foi
comme un ensemble immuable qui n’est pas sujet à la variation.
La foi s’acquiert et se perd globalement en
fonction des actes d’obéissance ou de désobéissance
accomplis. Le croyant s’étant rendu coupable d’un péché
capital est alors excommunié, car ses actes de désobéissance
l’ont conduit à renier sa foi.
Notes
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Publié le 14 novembre 2007 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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