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Islam,
laïcité et droits humains
Khalid Chraibi Mardi 8 janvier 2008
Quand on est à la fois Français et musulman, les
questions suivantes peuvent parfois se poser avec acuité :
Est-ce la citoyenneté française qui doit primer, avec les lois
qui lui sont associées, ou bien est-ce que ce sont les
convictions religieuses de l’individu, et les prescriptions
juridiques qui les accompagnent ?
Ainsi, lors du débat sur la laïcité, il y a
quelques années, certains membres de la communauté musulmane
ont-ils adopté des positions extrêmes sur la question du
foulard, alors que certaines jeunes filles affirmaient fièrement,
avec le soutien de leurs parents, qu’elles préfèreraient
abandonner l’école, tout simplement, plutôt que d’y
retourner sans foulard.
Mais, les bienfaits de l’éducation sont
tellement incommensurables, par rapport au fait de porter un
foulard, que la question ne devrait même pas se poser à un
esprit raisonnable. Le Prophète n’a-t-il pas préconisé de
« rechercher la connaissance jusqu’en Chine, si nécessaire » ?
Alors, s’il faut sacrifier un foulard pour obtenir une éducation
dont on recueillera, soi-même et toute sa communauté, les bénéfices
toute sa vie, le prix est-il si élevé ?
La question s’est également posée au niveau
des structures médicales : « S’il
n’y a pas de chirurgien femme pour pratiquer une opération sur
une femme, faut-il laisser un homme pratiquer l’opération, ou
faut-il laisser la femme mourir tout simplement ? »
Seuls, des hommes accordant bien peu de valeur à la vie humaine
en général, et à celle de leur femme en particulier, la
laisseraient mourir dans de telles conditions, plutôt que de la
laisser se faire opérer par un homme.
La loi française ne laisse aucune latitude de ce
genre à l’homme. La vraie question à se poser est la suivante :
« Qui a donné à l’homme musulman un tel
droit de vie ou de mort sur sa femme ? »
Certainement pas l’islam, ni le droit musulman. Pourtant, de
telles situations sont observées tous les jours dans de nombreux
pays.
De tels comportements se rattachent le plus
souvent à l’extrémisme religieux, plutôt qu’à une vraie
connaissance de l’islam et de ses enseignements. Autrement,
comment s’expliquer que les gardes d’une école primaire d’Arabie
Saoudite aient enfermé une vingtaine de fillettes dans une école
en flammes, il y a quelques années, les laissant délibérément
mourir, brûlées vives, ou asphyxiées par la fumée, sous prétexte
que les petites filles ne portaient pas leur foulard sur la tête,
au moment où l’incendie s’est déclaré, et ne pouvaient donc
pas sortir tête nue dans la rue, pour sauver leur vie ?
De nos jours, de tels comportements sont
d’autant plus incompréhensibles que l’islam prône l’établissement
de la « communauté du milieu » (al oummat-al-wassat),
celle qui se situe par définition loin de tout extrême, ou à équidistance
des positions extrêmes. « Al oummat-al-wassat » est
également la communauté des justes.
Pour sa part, le Prophète a recommandé, aux
musulmans d’éviter tout extrémisme dans la pratique de la
religion (al-ghoulouwwou fiddine), rappelant que ce sont les
prises de position extrémistes qui ont provoqué la ruine des
anciennes communautés humaines.
A un deuxième niveau, encore plus complexe, se
posent au Français musulman des questions de droit telles que les
suivantes :
Faut-il
contester les lois interdisant la polygamie ou la répudiation ?
Faut-il revendiquer un régime spécial les autorisant pour les
minorités musulmanes ?
Faut-il
se soumettre à la loi interdisant aux parents de marier leur
fille, contre son gré, à un homme choisi par eux, ou la
contester ?
Faut-il
se soumettre à la loi mettant à égalité les parts d’héritage,
sans distinction de sexe, ou la contester ?
Mais, la polygamie, la répudiation, ou le mariage
d’une fille, contre son gré, à un homme choisi par ses
parents, ne sont que des indications de l’usage sélectif, et
inique pour les femmes, que beaucoup de musulmans font des
enseignements de la charia. Ils le font souvent de bonne foi, dans
la mesure où la majorité des musulmans confondent aisément,
aujourd’hui, traditions et prescriptions religieuses.
Mais, une lecture attentive de la charia démontre
l’existence de règles très strictes qui s’appliquent à de
telles situations, et qui en font l’exception et non la règle.
Les hommes, cependant, s’empressent d’oublier les règles qui
les incommodent pour ne retenir que celles qui les avantagent.
Quant à la question de l’égalité des parts
d’héritage, sans discrimination sur la base du sexe, elle se
pose dans le monde moderne de manière bien différente de la manière
dont elle se posait aux femmes de la communauté musulmane au 7è
s. A l’époque, les femmes de bonne famille vivaient au foyer,
s’occupaient de leur ménage et d’élever leurs enfants. Elles
disposaient d’esclaves pour les aider dans leurs tâches.
L’homme subvenait à tous les besoins de la famille.
Afin d’empêcher que les terres, les animaux et
autres biens de la tribu ne passent sous le contrôle d’autres
tribus, à travers les mécanismes des mariages et de l’héritage,
la tribu musulmane n’accordait à la femme que la moitié de la
part d’héritage d’un homme. Il faut se souvenir, cependant,
que l’islam a innové de manière considérable, à l’époque
de la Révélation, en introduisant cette part d’héritage
destinée à la femme, alors qu’elle n’en recevait aucune dans
les communautés d’Arabie, avant l’islam.
Mais, aujourd’hui, combien de foyers doivent
survivre sans homme, surtout lorsque le mari peut répudier sa
femme sur un coup de tête, lui laissant la charge de toutes les dépenses
en plus des enfants à élever ? Même dans les ménages
unis, combien de femmes sont obligées de travailler pour que le ménage
dispose de revenus adéquats pour couvrir les besoins courants de
la famille, et pour s’acheter une voiture ou une maison, ou
prendre des vacances ?
Lorsque le ménage a des enfants à élever, et
qu’ils doivent faire des études supérieures à un coût élevé,
la femme n’a-t-elle pas besoin d’argent, autant que son mari,
pour aider à couvrir de telles dépenses ?
Dans les pays musulmans, les voies de progrès en
matière juridique existent, et sont faciles à repérer, dans la
mesure où les codes de la famille appliqués présentent des différences
importantes sur des points significatifs. Par exemple, les
dispositions de la « moudawana » (code de la famille)
adoptée au Maroc en 2004 diffèrent grandement des dispositions
appliquées en Egypte depuis l’an 2000 ou à celles en vigueur
en Arabie Saoudite.
Le contraste est encore plus frappant lorsqu’on
compare les dispositions de droit musulman appliquées sur ces
questions dans des pays non-arabes tels que l’Indonésie, la
Malaisie, l’Inde, le Pakistan, le Sénégal, le Nigéria ou l’Afrique
du Sud.
Le droit musulman témoigne ainsi d’une grande
richesse et souplesse pour faire face à toutes les situations
auxquelles la communauté musulmane peut se trouver confrontée.
Mais, les autorités politiques et religieuses des pays musulmans
se refusent à les exploiter, parce qu’elles ont été habituées
pendant 10 siècles d’immobilisme politique, économique, social
et intellectuel à rejeter tout changement, toute innovation,
toute « bid’a ».
Actuellement, les associations de droits humains
et les associations de droits de la femme dans les pays musulmans
se fixent des objectifs relativement modestes. Elles voudraient
simplement obtenir des autorités que les conventions
internationales sur le respect des droits de l’homme, de la
femme et de l’enfant signées par les Etats musulmans y soient
appliquées, confortant les dispositions énoncées par l’islam
lui-même en la matière, et souvent peu respectées.
Mais, en France, les lois nationales ont réglé
ces questions depuis de nombreuses années, de manière conforme
aux droits humains, à l’esprit de justice, d’équité et de
solidarité familiale, au point que beaucoup d’associations des
pays musulmans les considèrent comme des modèles de ce
qu’elles voudraient réaliser à long terme. N’est-il pas plus
raisonnable pour le Français musulman, dans ces conditions, de
construire son avenir sur la base de ces acquis, qui sont
parfaitement conformes à l’esprit de l’islam, plutôt que de
chercher à les remettre en cause ?
Khalid Chraibi, économiste (U. de Paris,
France, et U. de Pittsburgh, USA), a occupé des fonctions de
consultant économique à Washington D.C., puis de responsable à
la Banque Mondiale, avant de se spécialiser dans le montage de
nouveaux projets dans son pays.
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Publié le 10 janvier 2008 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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