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Ha'aretz
Les
réfugiés palestiniens et Jérusalem: une question de gros sous
Akiva Eldar
Akiva Eldar - Photo Ha'aretz
in Ha’aretz.com, 29 novembre 2007
http://www.haaretz.com/hasen/spages/927203.html
Mardi après-midi, après avoir été retenu
au check de Qalandiyah, tandis qu’il se rendait en Israël
depuis Ramallah, Saeb Bamya arriva au siège du ministère israélien
de la Défense, à Tel Aviv. L’ancien vice-ministre chargé des
questions économiques de l’Autorité palestinienne entra dans
le bureau du major général (de réserve) Amos Gilad, en
compagnie du professeur Arie Arnon. Bamya et Arnon présentèrent
à Gilad, représentant du ministre de la Défense dans l’équipe
chargée de formuler une déclaration en vue du sommet d’Annapolis,
un épais document
[clique !] proposant des solutions politico-économiques
possibles pour deux des questions « clés » : les
réfugiés palestiniens et Jérusalem. Pour Bamya, cette évaluation
du Groupe d’Aix [Aix-en-Provence, ndt], composé d’experts
israéliens, palestiniens et internationaux, selon laquelle le coût
d’une solution à la question du droit au retour [des réfugiés
palestiniens] varierait entre 55 milliards de dollars et 85
milliards de dollars, est une appréciation purement personnelle
[qui n’engage que leurs auteurs].
Un
discours économique rationnel
La famille Bamya possède un important
immeuble cossu dans le quartier Ajami de Jaffa, juste sur la côte.
Saeb avait moins d’un an, en 1948, quand son père ferma les
portes de la maison ainsi que les bureaux de sa compagnie
d’autobus. Depuis lors, il a vécu la vie d’un Arabe errant :
Beyrouth, le Yémen, la Tunisie, Dubaï, la Jordanie, la Tunisie
again, Ramallah. Il était aux côtés d’Ahmad Petitecourge [Qureï’]
(Abu Ala) lors de la naissance d’Oslo I, et, après la signature
d’Oslo II, il faisait partie du groupe des exilés de l’OLP à
Tunis revenus en Cisjordanie afin d’y édifier la Palestine
[sic]. En ayant eu l’opportunité, il emmena ses enfants à
Jaffa afin qu’ils pussent y voir la maison de leur grand-père.
Les propriétaires juifs d’un seul des appartements (sur sept)
leur ouvrirent leur porte.
Depuis lors, il a été la proie d’une
interminable série de déconvenues et de crises, mais aussi
d’initiatives et d’efforts visant à sauver le processus de
paix. De son point de vue, explique Bamya, la clé de la paix réside
dans le partage du pays en deux Etats fondés sur les frontières
du 4 juin 1967, avec des accords sur des modifications marginales
du tracé de ces frontières. Pour lui, cela signifierait
d’oublier l’immeuble [familial] de Jaffa, en échange d’un défraiement
convenable, dont le montant serait fixé par des experts neutres.
Il choisira de construire son domicile définitif à Jérusalem
Est, la capitale de la Palestine. Il y sera le voisin d’Arnon,
lequel Arnon, lui aussi né en 1947, dans un couple de survivants
de l’Holocauste, qui s’étaient cachés dans un village chrétiens
pour échapper aux nazis et avaient immigré en Palestine juste
avant la déclaration d’indépendance d’Israël. Ce professeur
d’économie à l’Université Ben Gourion, à Be’er Sheva,
dans le désert du Néguev, réside à Beit Hakerme, une des dernières
enclaves laïques à Jérusalem Ouest. Pour rien au monde il
n’habiterait une maison palestinienne abandonnée [sic], même
si on la lui proposait gratis.
Le rapport du Groupe d’Aix, dont la dernière
version est rendue publique ici pour la première fois, est la
première tentative semi-officielle israélo-palestinienne de déconstruire
la barrière [psychologique] du droit-au-retour et de présenter
des solutions pratiques à toutes les parties au conflit, ainsi
qu’à la communauté internationale. Le conseiller du Premier
ministre ès affaires économiques, le professeur Manuel
Trachtenberg, qui a pris part à la réunion [plénière] de ce
groupe, à Paris, dit être revenu de cette réunion, pour la
première fois de sa vie, avec le sentiment que le problème des réfugiés
n’était pas un monstre, et que l’importance du document réside,
précisément, dans la capacité bien réelle des deux parties à
traduire un discours militant à base d’injustice et de droits
historiques en un discours économique rationnel.
Le rapport du Groupe d’Aix s’ouvre sur
une déclaration de principes, aux termes de laquelle une solution
juste et durable au problème des réfugiés palestiniens de 1948
doit être fondée sur les résolutions afférentes de l’Onu,
dont la Résolution 194 de l’Assemblée générale, qui garantit
à tout réfugié, sous certaines conditions, le droit de choisir
entre retourner chez lui et une compensation financière, « tout
en reconnaissant qu’une application littérale de cette Résolution
n’est plus possible désormais, étant donné les changements
substantiels sur le terrain » [pratique ! ndt]
D’un côté, les réfugiés palestiniens
seront en mesure de choisir un lieu de résidence définitif, mais
de l’autre, la concrétisation de leur choix devra faire
l’objet d’un accord entre les deux parties et être soumis à
la souveraineté de tous les pays concernés, dont Israël et la
Palestine. Comme énoncé, « les parties se mettraient
d’accord sur le fait que les mesures recommandées dans le présent
document mettraient en application la Résolution 194 ».
Jouable
Voici l’évaluation du groupe : la résolution
du problème des réfugiés coûtera entre 55 et 85 milliards de
dollars. Comparée à cette alternative, avec un étalement sur
dix ans et une aide internationale généreuse et quasi mondiale,
cela n’est pas un objectif inatteignable. D’après la Banque
d’Israël, les premières années de l’Intifada ont causé à
Israël de l’ordre de 4 milliards de dommages économiques
chaque année. Un mois de guerre en Irak coûte au contribuable américain
plus de 20 milliards de dollars. D’après les paramètres
Clinton, tels que présentés aux deux parties en décembre 2000,
un nombre considérable de réfugiés iraient vivre dans de
nouveaux pays (pour un coût allant de 8 à 19 milliards de
dollar, en fonction du nombre des réfugiés optant pour le départ
de leur actuel pays de résidence). D’autres bénéficieraient
d’une réhabilitation dans leurs lieux de (sur)vie actuels, et
recevraient une compensation « en nature ou en espèces »
(pour un coût allant de 10 à 14 milliards de dollars).
Le choix entre ces options binaires serait
fait individuellement, sous la supervision de l’Agence
Internationale pour les Réfugiés Palestiniens [International
Agency for the Palestinian Refugees - IAPR], une instance à créer
à cette fin. Chaque réfugié ordonnerait ses priorités par
ordre de préférence, et un cadre temporel serait convenu d’un
commun accord pour la concrétisation du processus. L’IAPR
mettra en œuvre un mécanisme garantissant que les décisions
finales en ce qui concerne les lieux de résidence soient cohérentes
avec les accords généraux conclus entre les deux parties.
Les instances palestiniennes, ainsi que les
instances israéliennes et internationales, ont en leur possession
des bases de données extrêmement détaillées en ce qui concerne
les « propriétés abandonnées ». Le problème, bien
entendu, résidera dans l’évaluation de leur valeur et dans la
méthode de capitalisation. En conséquence, il a été décidé
qu’un comité international d’experts calculerait la
compensation financière attendue sur une base « exhaustive
et équitable ». Les économistes du Groupe d’Aix estiment
que le coût total varierait entre 15 et 30 milliards de dollars.
« La restitution ne sera envisagée que dans les seuls cas où
« une compensation exhaustive et équitable »
n’aurait pas été proposée, et où les propriétés sont
encore dans un état qui en rendrait la restitution faisable et équitable.
Par ailleurs, le groupe recommande la création
d’un quatrième fonds financier, qui requerrait environ 22
milliards de dollars, pour abonder des dédommagements relatifs à
la « réfugitude » [merci, Ségolène ! ndt], non
liée à des revendications de propriétés ni à d’autres
programmes. Tous les réfugiés enregistrés comme tels percevront
un montant uniforme d’environ 5 000 dollars chacun [une misère,
ndt]. Actuellement, une famille de réfugiés composée de six ou
sept personnes parvient à survivre péniblement avec environ 1 000
dollars annuellement.
Le professeur Arnon : « La
dimension économique n’est nullement secondaire. Si les
arrangements économiques ne parviennent pas à créer les
conditions requises d’un développement réel, l’accord
politique échouera lui aussi. Les solutions efficaces sont
difficiles pour les deux côtés, mais elles sont applicables. »
Bamya : « Le temps disponible pour
une solution à deux Etats est en train de s’épuiser. Si des idées
telles que les nôtres ne sont pas rapidement adoptées, les deux
côtés devront envisager une autre solution politique. » Le
Groupe d’Aix est convaincu que, si des mesures audacieuses ne
sont pas prises, allant dans le bon sens, la vision d’un Etat
pour deux peuples, fondé sur une citoyenneté commune, et l’égalité
devant la loi, sera mise à l’ordre du jour.
Le
Groupe d’Aix-en-Provence
L’idée de créer un courant alternatif politico-économique
semi-officiel a été conçue, voici de cela cinq ans, par le
professeur Gilbert Benhayoun, un Français d’origine auvergnate
[oups : marocaine !]. Il est parvenu à la conclusion
qu’une des erreurs commises par les deux parties depuis 1993 était
le fait de baser le processus de paix sur une « gradation »,
sans accord sur – voire même sans discussion du – résultat définitif.
Le groupe a décidé d’adopter l’approche de l’ « ingénierie
à rebours » : les parties se mettent tout d’abord
d’accord sur leur destination, c’est-à-dire, sur le bleu [le
brouillon] de l’accord définitif, après quoi, elles décident
ensemble comment y parvenir.
Le patronage, le financement et la logistique
des rencontres ont été fournis par l’Université Paul Cézanne
d’Aix-Marseille, par le Peres [oui, c’est l’inénarrable
Shimon…] Center for Peace, DATA Studies and Consultation, un
centre d’études de Bethléem. Le groupe est administré par un
comité directeur dirigé par Benhayoun, Arnon, Bamya, le Dr. Ron
Pundak (directeur du Peres Center) et le Dr. Samir Hazbun (de DATA
Studies and Consultation). Parmi les autres partenaires :
l’Union européenne, des donateurs français, la Banque
Mondiale, le ministère français des Affaires étrangères,
International Development Research Center (Canada), le Conseil Général
des Bouches-du-Rhône et le Conseil Régional de Provence-Alpes-Côte
d’Azur.
Au nombre des institutions israéliennes dont
des représentants ont pris part aux débats qui ont préparé la
mise au point du document figurent les ministres des Affaires étrangères,
des Finances, du Commerce et de l’Industrie, le National
Insurance Institute [la Sécu israélienne, ndt] et la Banque
d’Israël. Les Palestiniens avaient envoyé des représentants
de leurs ministères des Finances, Affaires économiques et
Planification, ainsi que le groupe logistique de l’équipe des négociateurs.
Les observateurs n’ont pas pris part à la formulation des
accords. Le groupe comprend par ailleurs des observateurs de l’Union
européenne et les représentants de la Banque mondiale et du
Fonds Monétaire International dans les territoires [palestiniens
occupés].
Au cours de leurs travaux, les membres du groupe ont rencontré des décideurs
des deux parties, y compris Ehud Olmert en sa qualité de ministre
de l’Industrie et du Commerce, Meir Sheetrit, en charge du
ministère des Finances, le gouverneur de la Banque nationale d’Israël
et les hauts fonctionnaires du Conseil National de Sécurité. La
semaine passée, le groupe a rencontré le chef de l’équipe des
négociateurs palestiniens, Abu Ala, ainsi, séparément, que les
conseillers personnels d’Olmert, Shalom Turgeman et Manuel
Trachtenberg et qu’une équipe du ministère des Affaires étrangères
dirigée par son directeur général, Aharon Abramovitch.
Auparavant, une série de rencontres avait eu lieu à Washington,
en présence de représentants du Département d’Etat, du
National Security Council, du Congrès et du Trésor, de la Banque
Mondiale et du Fonds Monétaire International.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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